Le lendemain matin, Zelda descendit l'escalier en colimaçon menant de sa chambre à la salle du trône d'un pas volontairement lent. Le soleil pointait tout juste ses rayons au-dessus des montagnes et elle cherchait du regard l'ombre du chevalier ou de la tablette le long des remparts. Elle avait trouvé sa jupe sur le pas de sa porte à l'aube, comme convenu avec Rogorj. À présent, elle craignait que la livraison du vêtement n'ait empêché Link de mener la sienne à bien. Elle ne distinguait rien dans l'obscurité ténue de l'aube, et ses pas la rapprochait inéluctablement de la salle du trône. Il fallait que la tablette soit à nouveau en sa possession. Elle se sentait nue et vulnérable sans elle, malgré les propos rassurants qu'elle avait tenu à Link la veille au soir. Mais surtout, elle avait vu le regard de Riju se poser avec insistance sur l'artefact à plusieurs reprises. Si elle se présentait sans, la jeune chef ne pourrait que s'étonner de ne plus la voir pendre à sa ceinture.

Juste avant d'entamer le dernier virage qui la ferait apparaître à ses gardes du corps, un éclat brillant au beau milieu de la roche ocre attira son regard. Elle lança un ultime coup d'œil alentour, s'assurant que personne ne la verrait, et se rapprocha prudemment du vide.

Agrippé à la paroi, Link patientait sereinement, tapi dans l'ombre du rocher. Un petit détour par Elimith avait teint sa tenue furtive en jaune pour mieux se fondre dans l'environnement du désert. Il était presque invisible à distance. Il tenait un cimeterre gerudo dans sa main et Zelda comprit qu'il avait utilisé l'éclat de la lame sur un rayon de soleil pour attirer son regard.

Elle ne put retenir un sourire tout en s'accroupissant. Link se montrait parfois si astucieux qu'il parvenait encore à la surprendre. Rien d'étonnant que la Lame Purificatrice l'ait élu comme porteur, elle ne connaissait personne qui s'en soit montré plus digne que lui. En toute objectivité, bien sûr.

Elle aimerait seulement que le chevalier se souvienne que ces extraordinaires capacités ne le rendaient pas invincible.

« Tu es là depuis longtemps ? » s'enquit-elle dans un murmure inquiet en voyant l'inconfort de sa position.

Link, fidèle à lui-même, ne répondit que d'un haussement d'épaules avant de lui tendre la tablette.

« Pervieh a vu Buldo ? poursuivit la princesse en raccrochant l'artefact à sa ceinture. Il est d'accord ? »

Le jeune hylien acquiesça, son regard alerte scrutant attentivement les alentours. Il ne pouvait pas rester longtemps. Plus les ombres diminuaient, plus il risquait d'être repéré par l'œil vigilant des sentinelles stationnant en haut du rempart.

« J'ai une piste, chuchota-t-il. Pour l'espion.

— Une piste ?

— Un informateur. Il veut te parler. »

Zelda baissa les yeux un instant, son esprit fonctionnant à toute vitesse. S'échapper de la cité alors qu'elle n'y restait que peu de temps était diplomatiquement discutable, mais elle ne pouvait pas laisser passer une occasion pareille d'obtenir des informations.

« Riju tient conseil cet après-midi, décida-t-elle. Rendez-vous à la porte sud-ouest à treize heures. »

Link acquiesça puis se laissa tomber au sol avec souplesse. Il longea l'ombre du rempart d'une foulée puissante mais ralentie par le sable meuble qui lui emprisonnait les membres. Du haut du rocher, Zelda le suivit du regard jusqu'à ce qu'il disparaisse à l'angle de la cité où elle relâcha enfin le souffle qu'elle ignorait avoir retenu.

Elle demeura encore un instant, le regard perdu au lointain, contemplant le gigantesque squelette d'une bête mythique égaré en plein désert. Elle n'avait que trop peu dormi, l'esprit encombré par des pensées éparses qui l'avaient empêché de trouver un peu de repos. Les effets du cocktail s'étaient dissipés au cours de la nuit – la déesse soit louée – mais les révélations de Link avaient suffi à la maintenir éveillée jusqu'à l'aube.

Une espionne avait pénétré les rangs gerudos. Le fait n'avait rien d'exceptionnel, chaque tribu avait été infiltrée à un moment ou à un autre dans son histoire. Non, ce qui l'inquiétait davantage, c'était que les guerrières, alors qu'elles connaissaient son existence, s'étaient révélées incapable de la démasquer. L'espionne était soit extraordinairement invisible, soit excessivement douée. Les deux hypothèses, bien que peu réjouissantes, avaient le mérite d'expliquer la réticence de Suppa à s'en prendre à elle. Une occasion de la tuer, il en trouverait d'autres. Un espion de cette qualité était déjà beaucoup plus rare.

Comment, en moins de vingt-quatre heures, pouvait-elle réussir là où les guerrières avaient échoué tout ce temps ? C'était pourtant devenu une étape incontournable pour parvenir à ses fins. Tant que la taupe ne serait pas démasquée, Zelda ne pourrait pas conclure d'accord officiel avec les gerudos. Pas pour que les yigas en découvrent les termes et s'en servent à son encontre, fragilisant sa position déjà précaire sur la scène hyrulienne. Si le Grand Kohga n'avait apparemment aucun talent politique, Suppa lui semblait au contraire bien plus retors. Plus le temps passait, et plus Zelda était convaincue que les kyohis n'étaient que des marionnettes dont le yiga tirait les ficelles. Peut-être le surestimait-elle, mais c'était un pari qu'elle ne comptait pas relever.

Sans même parler du problème des cartes gerudos. Si celles-ci révélaient réellement la position du nouveau camp yiga, le risque que la rumeur parvienne aux oreilles de l'espionne était trop important. La taupe risquait de prévenir la secte de leur arrivée, et tout son plan s'écroulerait comme un château de cartes. Préparer une attaque en unissant toutes les ethnies pour finalement envahir un coquille vide lui ferait perdre toute crédibilité. À la perspective d'une telle débâcle, il était même préférable de démarcher les autres tribus sans évoquer le moindre objectif opérationnel, plutôt que de se fusiller de la sorte. Parvenir à les convaincre de s'allier à elle sans avoir de cible précise s'avérerait pourtant presque tout aussi délicat.

Zelda poussa un profond soupir et reprit sa descente vers la salle du trône. Il était impossible que l'espionne soit un yiga se masquant derrière le visage d'une gerudo kidnappée. Aucune infiltration de ce type n'aurait pu tenir sur la durée, encore moins dans la cité où les guerrières étaient rompues à ce genre de tentatives. La princesse devait se résigner : c'était bien une pure gerudo qui vendait ainsi les siens. Cela n'allait pas rendre ses recherches plus aisées, bien au contraire. Zelda avait passé la nuit à se remémorer chacun des visages croisés au cours de ses dernières vingt-quatre heures. Elle avait immédiatement exclu Riju, Beterah et l'ensemble du conseil de la liste des suspects. Très exposées, un changement de comportement chez l'une d'entre elles aurait alerté la moitié de la cité, position intenable pour un espion de valeur. Zelda ne pouvait en aucun cas soupçonner une personne proche du pouvoir et publiquement connue. L'espionne était une artisane de l'ombre, elle ne se tenait pas sur le devant de la scène.

Rendue à ce niveau de réflexion, Zelda avait besoin de plus d'éléments pour orienter ses réflexions. Elle espérait que le mystérieux informateur de Link lui donnerait suffisamment de matière. Il le fallait.

En bas des marches, Borodo et Lobinn inclinèrent légèrement la tête et la laissèrent passer sans un mot. Zelda leur adressa un bref sourire mais ne tenta pas d'amorcer une quelconque conversation. La veille au soir, les deux soldates l'avaient raccompagnée d'un air morose, et Zelda avait fini par oublier toute tentative de discussion avec elles.

Merveila l'attendait également dans un recoin sombre de la salle du trône. Elle s'avança à sa rencontre dès qu'elle l'aperçut, un franc sourire dressé sur ses lèvres pleines et vertes.

« Altesse, la salua-t-elle en inclinant légèrement du chef, la nuit a été bonne ?

— Excellente mais courte, répondit Zelda en s'avançant vers la porte principale, et vous Merveila ?

— De même, altesse, rit la jeune vaï. Suivez-moi, Makeela Riju est en train de prendre son petit déjeuner avec Madame Patricia.

— Avec Madame Patricia ? répéta Zelda en s'arrêtant, intriguée. Qui est Madame Patricia ?

— Son morse, altesse. »

La jeune hylienne écarquilla les yeux, abasourdie.

« Riju déjeune avec son morse ?

— C'est que, c'est un morse exceptionnel. Makeela y tient beaucoup, car sa mère lui en a fait cadeau avant son décès. Et puis, elle est dotée du pouvoir de prédictions !

— Du pouvoir de prédictions ? Un morse ? »

Zelda avait beau avoir une certaine accointance avec la culture gerudo, il lui sembla soudain que certaines choses dépassaient son entendement.

« Il faudra demander plus de précisions à Makeela, altesse, répondit Merveila en haussant les épaules. Venez. »

Elle tourna les talons et s'en alla vers la grande arche située à droite du trône, Zelda dans son sillage. Dehors, la vue de la princesse souffrit du contraste entre la pénombre intérieure et l'agression des rayons éblouissants d'un soleil encore jeune. Elle plissa les paupières et couvrit ses yeux d'un bras, attendant que sa vue s'acclimate à la luminosité ambiante. Doucement, une arène se dessina en contrebas de l'esplanade où elle se trouvait, et un petit dôme y offrait son ombre à une Riju nonchalamment assise sur un trône de pierre. À ses côtés, l'impassible Beterah observait déjà Zelda d'un œil torve. Une troisième gerudo était accroupie aux côtés du morse aux défenses impressionnantes et semblait lui… brosser la tête ?

« Zelda ! appela l'adolescente en l'apercevant. Venez, le déjeuner a été servi ! »

La princesse lui adressa un grand sourire et descendit la rejoindre. Madame Patricia, s'apercevant que l'attention de sa maîtresse s'était détournée d'elle, délaissa sa coiffeuse et donna un grand coup de museau dans le bras de la jeune fille.

« Ne sois pas malpolie, Patricia ! la morigéna Riju. La princesse Zelda est notre hôte, je me dois de l'accueillir convenablement. »

Elle se tourna vers la Fille d'Hyrule et tapota l'espace à côté d'elle :

« Tenez, prenez place. La nuit a été bonne ?

— Plutôt, acquiesça Zelda s'installant, juste un peu courte. »

Elle observa les nombreuses victuailles posées sur un plateau devant elle et saliva. Elle se saisit d'une assiette joliment décorée et y déposa chaque fruit frais qu'elle trouvait, particulièrement ceux ayant la capacité de régénération. Elle en avait besoin pour reprendre des forces au vu du peu d'heures de sommeil arrachées à sa longue nuit.

Zelda sentait le regard insistant de la jeune chef posé sur elle et elle s'efforça de demeurer impassible. Dès l'instant où elle avait fait son entrée, elle avait perçu une certaine retenue dans la posture de Riju, dans son sourire qui ne se reflétait pas dans ses pupilles, dans la raideur de sa gestuelle. Cela ne présageait rien de bon.

« Pavro, Beterah, vous pouvez nous laisser à présent. »

La voix plus grave, plus sévère, confirma le pressentiment de la princesse. Elle leva les yeux sur les deux gerudos qui marquaient un arrêt, surprises d'être ainsi congédiées. Surtout Beterah.

« Mak –

— Beterah, je t'ai donné un ordre. Reste en haut des marches si ça te rassure, mais laisse-nous. »

Autant pour la jeune chef manquant d'autorité et d'assurance. En quelques phrases, Riju venait de faire tomber le voile sur sa véritable personnalité, et Zelda comprit que la veille n'avait été qu'un préalable. Stratège, la jeune chef l'avait testée, observée, mais elle ne s'était pas dévoilée. Pas totalement, pour le moins.

Une fois seules, le silence les nimba quelques instants. Riju semblait hésiter sur la manière d'entamer la conversation. Zelda décida de la laisser faire et continua de manger calmement, sans broncher.

« Vous n'êtes pas celle que vous prétendez être » , finit par déclarer la gerudo d'une voix claire.

La princesse se redressa lentement en finissant de mâcher son durian max – elle était décidément folle de ce fruit – et posa son assiette vide à ses côtés. Visiblement, Brasiera n'était pas parvenue à se taire, à son grand regret. La discussion qui s'annonçait promettait d'être complexe.

« Vous non plus, répondit-elle d'un ton neutre.

— Ce n'est pas pareil. »

La Fille d'Hyrule haussa les sourcils et posa un regard impassible sur la jeune fille à ses côtés. Elle retint de justesse un soupir attristé devant l'expression fermée et distante de la gerudo, elle qui se montrait si souriante la veille au soir.

« En quoi est-ce différent ? demanda-t-elle en s'efforçant de conserver un ton égal.

— Nous parlons là de la nature de votre âme, rétorqua froidement Riju en gardant les yeux rivés devant elle. Celle de la déesse.

— Peut-être. Mais vous, Riju, savez-vous quelle est la nature de la vôtre ? Peut-être êtes-vous la réincarnation de l'une des sept héroïnes… Cela changerait-il celle que vous êtes ? En seriez-vous responsable ? »

La jeune fille ne répondit pas tout de suite, méditant sur ces paroles. Zelda avait la sensation que la gerudo ne pouvait qu'entendre les battements affolés de son cœur tant ils lui martelaient la poitrine. Elle devait s'efforcer de garder un ton et une expression neutres, de ne pas se montrer trop affectée par le sujet de la conversation. Ainsi espérait-elle convaincre Riju que cette discussion n'était que d'une relative gravité.

« Je suppose que non, finit par soupirer l'adolescente, baissant le regard sur ses genoux. Mais vous êtes Hylia, tout de même.

— Je ne suis pas Hylia. Mon âme en est la réincarnation, mais je ne suis pas Elle. Je suis Zelda, fille de Rhoam Bosphoramus et d'Eliana Nohansen, Prêtresse Royale et Princesse d'Hyrule. Croyez-moi, c'est déjà bien assez. »

Assenés avec conviction, ces mots n'étaient pas qu'un vœu pieu de la part de la princesse. À présent, elle savait que ce n'était là que la stricte vérité. Sa nuit n'avait pas été hantée que par l'espionne gerudo, mais aussi par ce qui s'était produit en elle sous les douces mains de Brasiera. Pour la première fois de son existence, la princesse pensait avoir enfin compris qui elle était réellement, mais aussi l'essence même de son pouvoir.

Ce pouvoir, il ne lui appartenait pas. Il ne lui avait jamais appartenu. Il était à la main de son âme millénaire, celle de la déesse Hylia. Elle seule décidait d'en faire usage. Zelda n'en était que le réceptacle, et la méditation, le moyen de communiquer avec. Aussi étrange que cela puisse être, la princesse ne sentait pourtant aucune dualité en elle. Elle ne faisait qu'une avec cette puissante entité qui l'habitait. Elle était faite pour et avec cette âme qui avait pourtant une forme de volonté propre. Lorsque le gardien avait visé Link dans la plaine du Cernoir, la déesse avait simplement répondu à sa détresse face à la mort imminente du chevalier. Pendant cent ans, ce n'était pas Zelda qui avait combattu Ganon, mais Hylia elle-même. Si la déesse avait bel et bien pris l'ascendant sur la princesse pour empêcher la destruction de son royaume et de tous ses habitants, elle avait, par là même, exaucé son vœu le plus cher.

À présent que Ganon n'était plus, Hylia, déesse bienveillante, se repliait sur elle-même et laissait Zelda reprendre le contrôle de sa destinée. Elle sentait l'âme de la déesse, feu éternel en son sein qui la réchauffait, et son pouvoir, puissance sourde qui battait dans ses veines, se rendormir peu à peu. Jusqu'au prochain éveil du Fléau. Jusqu'à la prochaine bataille.

Dans l'obscurité de la nuit, le regard rivé vers les nombreuses étoiles du ciel désertique, Zelda avait enfin accepté que personne, à l'époque, n'aurait pu lui expliquer cela. À part sa mère. Elle-même, alors jeune princesse pétrie de craintes et d'incertitudes, n'avait aucun moyen de le comprendre. Elle aurait aimé que Brasiera naisse un siècle plus tôt et lui permette de sauver quelques milliers de morts et un royaume. Mais cela, par contre, était un vœu aussi pieu que de souhaiter que sa mère ait vécu suffisamment longtemps pour la guider.

Un murmure plein de résignation émana de Riju et la força à réintégrer l'instant présent. Elle s'aperçut maladroitement de la tristesse qui émanait soudain de sa jeune interlocutrice.

« Je pensais avoir le choix, pouvoir négocier… Je pensais… Je pensais que nous… »

La gerudo secoua la tête d'un air dépité. Madame Patricia, vexée de ne plus avoir l'attention de sa maîtresse, s'éloigna en boudant ostensiblement. Zelda posa sa main sur celle de Riju, et la serra.

« Vous pensiez que nous pouvions devenir amies ? dit-elle doucement. Moi, je l'espère encore. Nous avons beaucoup de choses en commun, Riju, surtout concernant notre règne et les… circonstances dans lesquelles nous avons dû endosser cette responsabilité. »

La jeune chef ne put retenir un sourire de connivence de se dessiner sur ses lèvres vertes. Elle était incapable de retirer la main sur laquelle reposait la paume de Zelda. Depuis le moment où elle avait su qu'elle allait rencontrer la mythique Fille d'Hyrule, Riju n'avait cessé d'y penser et de s'imaginer le déroulé de cette rencontre extraordinaire. Malgré ses nombreuses lectures, elle n'était pas parvenue à se faire une idée de la personne qui se cachait derrière autant de titres : Princesse Royale, Grande Prêtresse d'Hylia, Protectrice du Royaume, Fille d'Hyrule… Les premiers écrits la concernant dataient de l'époque où elle séjournait à la cité avec sa mère. Ils décrivaient une enfant douce, généreuse, insouciante et joueuse. Mais après le décès d'Eliana, la princesse ne venait plus en terre gerudo. Pourtant, ces qualités encore vivaces dans l'esprit de la tribu avaient positivement contrebalancé l'autoritarisme et l'inflexibilité dont commençait à faire preuve le Roi Rhoam envers ses alliés.

Le temps était passé et l'éveil du Fléau devenu inévitable. L'image de Zelda s'était progressivement ternie dans les archives de la cité. D'une jeune fille douce et altruiste, elle était devenu une princesse égoïste, caractérielle, inconsciente, qui ne faisait aucun effort pour remplir son rôle de Protectrice du Royaume et ainsi sauver les peuples d'Hyrule. Seuls les comptes rendus des réunions du conseil dénotaient de cette image de princesse hautaine et glaciale. Urbosa l'y défendait bec et ongles face à ses détracteurs. Riju ne parvenait pas à comprendre ce qui avait poussé la grande guerrière à se dresser seule contre tous pour sauver l'honneur de cette jeune fille étrangère. Sauf peut-être, la profonde amitié qui la liait à sa défunte mère, la Reine d'Hyrule.

La position d'Urbosa avait fait douter Riju de la véracité des archives. Pourtant, rien ne l'avait préparée à la rencontre qu'elle avait fait la veille.

S'il y avait un point sur lequel les archives s'étaient toujours accordées, c'était sur la beauté fragile dont était dotée la princesse. Cent ans plus tard, Zelda n'avait pas pris une ride. Cela la rendait étrangement accessible à Riju, comme si sa trompeuse jeunesse les mettait sur un pied d'égalité. Mais l'aura que la Fille d'Hyrule dégageait l'avait profondément troublée, bien plus même qu'elle ne s'accordait à le reconnaître. Un mélange de douceur et d'autorité, de fragilité et de puissance qui la rendait à la fois attirante et effrayante. Au fil de la soirée, la jeune chef avait senti cette attractivité agir sur elle en y semant une graine d'espoir. Riju, l'adolescente, avait peu à peu rêvé d'une sorte de grande sœur, d'une amie un peu marraine, qui, orpheline comme elle, devant assumer le poids d'un royaume, comme elle, et se battant pour se faire respecter, comme elle, la comprendrait comme nulle autre et dont la sagesse et l'expérience la rassureraient.

Sa discussion avec Brasiera avait détruit ce rêve éphémère. Riju, l'adolescente, le pleurait encore, alors que Riju, la dirigeante, se méfiait de celle qui l'avait trahie en lui cachant ce qu'elle était réellement.

Elle retira prestement sa main de celle de la princesse.

« Ça n'a plus d'importance, assena-t-elle d'un ton qui ne souffrait pas de réplique. Vous êtes la réincarnation d'Hylia. Tous les peuples d'Hyrule vous doivent allégeance.

— Je croyais que les gerudos ne pratiquaient plus le culte d'Hylia depuis des siècles, rétorqua Zelda avec plus de fermeté, piquée par le rejet de l'adolescente. Vous vénérez les sept héroïnes et la statue de la déesse est abandonnée dans un coin obscur de la cité. Alors au nom de quoi le peuple gerudo me devrait-il allégeance ?

— Dois-je m'humilier au point de vous supplier d'accepter notre soumission ? s'exclama Riju avec colère. Vous n'êtes pas venue pour ça après tout ?

— Non. »

Agacée, la gerudo se leva brutalement. Elle s'éloigna pour s'épauler à l'un des piliers du dôme, les bras croisés sur sa poitrine et le regard grave.

« Nous vénérons les sept sages parce qu'elles ont su réunir les sept grandes vertus nécessaires pour que le peuple gerudo renaisse de ses cendres. Sept vertus que chaque gerudo tente d'acquérir : cœur, technique, endurance, savoir, envol, mouvement et grâce. Selon la légende, la vaï qui parviendra à maîtriser ces sept savoirs à la perfection aura la capacité d'effacer le sombre passé de la tribu. »

Elle laissa planer un moment de silence tandis qu'elle observait les cabrioles de son morse dans le sable ensoleillé.

« Ce n'est pas pour autant que nous renions les origines d'Hyrule et la déesse, reprit-elle. Nous considérons simplement que ce n'est pas Elle qui va nous permettre de renouer avec notre histoire.

— Et la huitième ? » s'enquit Zelda d'un ton presque provoquant.

Riju se figea instantanément. Elle se tourna lentement vers la princesse, un mélange d'hésitation et de reproche dessiné sur ses traits anguleux.

« Quelle huitième ?

— La huitième héroïne, répondit calmement la jeune hylienne en s'emparant d'une baie. Celle qui est représentée dans le Repaire des Yigas et dans les Hauteurs de Matite, et dont l'épée est brisée au sommet du Pic Gerudo.

— Comment connaissez-vous son existence ? l'interrogea Riju avec méfiance, le corps tendu comme un arc. Elle a été effacée de tous les ouvrages depuis de nombreux siècles. La mentionner en terre gerudo est interdit.

— Ce n'est pas important, écarta Zelda d'un mouvement du poignet. Je me demandais seulement si les yigas ne lui vouaient pas un culte, et j'espérais que vous pourriez me répondre. »

Riju poussa un profond soupir et revint s'asseoir aux côtés de la princesse.

« C'est possible. La huitième héroïne représente l'ambition dans son sens vertueux. L'ambition pour l'intérêt commun, pour une plus grande élévation de la tribu. Selon la légende, la huitième sage a détourné sa vertu dans son intérêt personnel. Ça ressemblerait bien aux yigas de vénérer un tel personnage. »

Le silence s'abattit sur les deux dirigeantes, chacune plongée dans ses pensées. Si les yigas adoraient la huitième héroïne, cela expliquerait leur attachement pour cette terre aride et la raison pour laquelle ils avaient maintenu leur camp de base dans ces contrées.

Zelda prit une grande inspiration et se redressa dans son fauteuil. Même si le sujet était intéressant, elle devait avant tout convaincre la jeune chef de garder son secret auprès du conseil des vaïs. Dans l'immédiat, toute autre considération était secondaire.

« Je ne vous ai pas menti, Riju, murmura-t-elle avec douceur au profil fermé de la jeune fille. La première personne à m'avoir révélé l'essence de mon âme était Impa, juste avant qu'elle ne soit assassinée. Et je n'ai pas voulu la croire. »

Zelda se mordit intérieurement la lèvre, tentant de refouler la vague de tristesse qui l'envahissait à l'évocation de sa nourrice et amie. Impa lui manquait cruellement en de pareils instants. Son empathie, sa gentillesse, son humour décalé, son talent de politicienne émérite... Au fond d'elle, Zelda savait qu'elle n'avait pas encore fait son deuil. Elle n'en avait pas eu le temps. Pas pour le moment. Et le souvenir de leur dernière discussion, s'apparentant davantage à une dispute, ne l'aidait pas.

« Selon elle, poursuivit Zelda en étouffant ses pensées, Link serait la réincarnation du Héros, et moi celle d'Hylia. Mais lorsque Brasiera… Lorsque Brasiera a exercé ses capacités sur moi, je l'ai sentie. Pour la première fois, j'ai senti le poids des millénaires et une puissance telle que… telle que… »

Elle lâcha un profond soupir et jeta un œil vers le perron de la salle du trône. La silhouette vigilante de Beterah y observait scrupuleusement leurs moindres faits et gestes. Elle grimaça intérieurement. Il ne fallait pas qu'elle éveille la curiosité de la fière guerrière. Elle ne devait pas savoir.

« Je ne vous ai rien caché, répéta Zelda avec sincérité. Rien que je ne me sois caché à moi-même, en tout cas. Mais ce que je sais, c'est que je ne suis pas différente de celle que j'étais hier. L'âme d'Hylia avait pour mission de repousser Ganon, elle a accompli son devoir. Zelda, elle, a pour mission de reconstruire Hyrule et c'est elle qui parle avec Makeela Riju. »

La jeune chef se leva prestement, les traits froids et distants.

« Ce n'est pas si simple. Vous avez raison, certaines d'entre nous considèrent que les sept héroïnes sont plus importantes qu'Hylia. Même si j'estime vous devoir allégeance, toutes ne seront pas d'accord. Je vais être prise en étau entre deux factions, sans compter l'image de soumission à la couronne d'Hyrule qui va déteindre sur le reste de mon règne, les soulèvements que ça risque d'engendrer, et –

— Alors ne dîtes rien. »

Riju s'interrompit dans sa diatribe, la bouche ouverte, les yeux écarquillés posés sur sa placide voisine.

« Rien ?

— Oubliez cette histoire d'âme et tenez votre conseil tel que vous l'aviez envisagé avant de parler à Brasiera.

— C'est impossible, répondit Riju en secouant la tête à la négative. Le conseil va vouloir connaître l'avis de Brasiera. Elles connaissent ses capacités.

— Alors dîtes simplement que mon âme est pure et très ancienne, proposa Zelda. Ce n'est pas un mensonge. »

Elle posa un regard tendre et sincère sur la jeune fille à ses côtés, espérant ainsi lui prouver son honnêteté. Elle aspirait vraiment à ce que Riju se range à son avis, ou la princesse risquait de devoir modifier l'intégralité de ses perspectives.

Déjà qu'elle peinait à prouver son identité sous l'ombre persistante des kyohis, se déclarer Réincarnation de la Déesse lui promettait un combat encore plus acharné. Zelda voulait à tout prix l'éviter. Si règne il y avait, elle voulait le mériter par ses actes et non par son sang ou son âme. Elle ne voulait pas d'un peuple fervent et dévot, mais d'un peuple qui la reconnaîtrait pour celle qui œuvrait pour eux et avec eux.

Peut-être en demandait-elle trop. Elle avait parfaitement conscience que son besoin maladif de reconnaissance, intrinsèquement lié à sa relation avec son père, s'exprimait à nouveau. Pour autant, elle ne voyait aucune autre option pour réussir à instaurer durablement et sereinement sa descendance sur le trône d'Hyrule. Un siècle auparavant, la Famille Royale avait failli à son devoir de protéger les peuples du Fléau. Si elle voulait que son sang soit légitime sur le trône, elle devait mériter la confiance des hyliens et de ses alliés sans faire appel aux divinités.

À présent, tous ces projets reposaient entre les mains frêles de l'adolescente à ses côtés. Fière, intelligente et prometteuse, certes, mais encore si inexpérimentée.

« Je vais y réfléchir, finit par lâcher Riju après un moment. Je vous dirai ce qu'il en est ce soir, mais je n'ai pas l'habitude de mentir au conseil et à mon peuple. »

Zelda se mordit la lèvre, tentant de contrôler l'angoisse qui se nouait dans ses entrailles. Elle observa un instant le gros morse au petit nœud rose en face d'elle, songeant combien cette coiffure était incongrue sur un animal aussi massif.

« Madame Patricia peut peut-être vous aider à prendre une décision, proposa-t-elle doucement.

— Madame Patricia ? répéta Riju, les sourcils froncés.

— N'a-t-elle pas le pouvoir de prédiction ?

— Il s'agit plutôt de prédictions d'ordre général… »

Zelda haussa les épaules et s'adossa dans son fauteuil.

« Ça ne coûte rien d'essayer, non ? »

La gerudo contempla l'animal qui se dorait au soleil avec volupté, songeuse.

« Je suppose que non. Beterah ! appela-t-elle d'une voix forte. Fais venir Pavro !

— Pourquoi lui demander de revenir ? demanda Zelda, contrariée de ne pas rester en tête à tête avec Riju pour finir leur discussion.

— Elle seule parvient à traduire les prédictions de Madame Patricia. »

Un instant plus tard, les trois vaïs se tenaient au centre de l'arène aux côtés du morse. Riju lui lança un fruit pris auparavant sur la table que l'animal goba avec gourmandise.

« Allez, ma chérie, aide-moi s'il-te-plaît », lui murmura-t-elle avec affection.

À peine Madame Patricia eut-elle englouti la pomme qu'elle se figea, les yeux exorbités, et se lança dans une série de beuglements en direction du ciel.

« Le morse entend bien mieux que l'homme ! Une explosion, il tombe dans les pommes, récita Pavro. Comme c'est bien dit… Quel talent ! Elle est bouleversante, vraiment… »

Zelda avait toute son attention rivée sur la jeune chef dont les épaules s'étaient affaissées. Ça ne pouvait pas se terminer ainsi, sur une incertitude. Elle s'y refusait. Elle s'empara à son tour d'un fruit et le lança au morse qui l'attrapa au vol en frétillant de la queue.

« Mets tes bottes des sables, le désert est à toi ! Mets tes bottes des neiges, les cimes t'ouvrent les bras ! Comme c'est bien dit… Quel talent ! Elle est bouleversante, vraiment… »

La princesse fronça les sourcils en regardant Pavro, interloquée. S'agissait-il d'une phrase rituelle ? Elle secoua la tête. Peu lui importait, le morse ne débitait-elle vraiment que de telles banalités, par Hylia ? Avec une pointe d'agacement, elle jeta une nouvelle pomme au morse sous le regard réprobateur de Riju.

« Doucement ! s'exclama celle-ci en tendant le bras. Il ne faut pas trop –

De la cité, vient la loyauté, de l'enfançon, la trahison ! Comme c'est bien dit… Quel talent ! Elle est bouleversante, vraiment… »

Un souffle de vent chaud balaya la scène pour toute réponse et souleva les étendards qui flottaient sur le mur ouest. Plus un seul bruit ne retentit. Les deux dirigeantes demeurèrent figées l'une à côté de l'autre sous le regard perdu de Pavro. Madame Patricia, quant à elle, s'éloigna en se dandinant, repue, inconsciente du trouble qu'elle avait jeté autour d'elle.

Riju finit par glisser un œil sur la princesse et tenta de déchiffrer son attitude. La surprise sur les traits de la jeune hylienne lui fit rapidement comprendre qu'elle savait que la prédiction de Madame Patricia avait plus de valeur qu'elle ne paraissait. Une personne non avertie, comme Pavro, n'aurait pas compris la signification réelle de cette phrase.

Zelda savait.

« Laisse-nous, Pavro », ordonna-t-elle à nouveau sans quitter l'hylienne du regard.

La soldate inclina respectueusement du chef et reprit la direction du palais. Zelda observa sa silhouette s'éloigner, sentant le regard intense de l'adolescente à côté d'elle.

« Vous avez un gros problème, Riju », lui dit-elle à voix basse.

Elle n'avait certainement pas prévu ce type de prédiction. Pourtant, si cela lui permettait de parler à cœur ouvert avec la jeune fille, elle n'allait pas s'en plaindre. La gerudo, méfiante, se recula jusque sous les ombres du dôme et se servit un grand verre qu'elle avala d'une traite.

« Comment l'avez-vous su ? » s'enquit-elle d'une voix rauque.

La princesse hésita un moment, réfléchissant à la meilleure façon de présenter les choses.

« Link est venu me voir au niveau du rempart sud-est ce matin, révéla-t-elle en se rapprochant de la jeune fille d'un pas lent. Il y a –

— Il est entré dans la cité ? l'interrompit vivement Riju en se tournant d'un bloc vers elle, ses iris lançant des éclairs.

— Non. Il a escaladé la muraille pour me parler mais il n'a pas posé un orteil dans cette ville. »

Elle se retint de justesse de donner sa parole. La gerudo la fixait avec hésitation, incapable de déterminer si Zelda méritait vraiment sa confiance sur ce point. Si jamais Riju apprenait que Link était venu au cours de la nuit alors que la princesse avait juré le contraire, elle ne donnait pas cher de sa crédibilité. À la place, elle préféra ne pas laisser Riju s'appesantir sur cette question trop longtemps.

« Il souhaitait m'informer qu'une nouvelle attaque avait eue lieu au Bazar Assek hier, reprit-elle comme si elle n'avait pas été interrompue.

— Le capitaine Teake m'en a informée, lui répondit Riju avec une certaine réserve. »

Zelda acquiesça, ravie de ne pas être le mauvais messager de l'histoire.

« Il n'a pas été difficile de tirer les conclusions de ces attaques régulières, Riju. Et je ne vais pas être la seule à le faire. Si les autres tribus l'apprennent…

— Je sais, l'interrompit la jeune chef en se laissant tomber sur le fauteuil au centre du dôme. Mais je ne sais pas comment faire pour la débusquer. Elle est parvenue à déjouer tous nos pièges jusqu'ici.

— Je le ferais à votre place. »

La gerudo lui lança un regard surpris. Elle ne s'attendait certainement pas à une telle suggestion de la part de la Princesse Royale.

« À notre place ?

— Passons un accord, proposa la jeune hylienne avec une assurance qu'elle ne ressentait pas. Vous ne parlez pas de la nature de mon âme au conseil cet après-midi, et je vous livre votre espion dès ce soir. Si j'échoue, vous pourrez faire ce que vous voulez des informations que vous détenez.

— Zelda, cet espion est une ombre depuis de nombreux mois, nota Riju en secouant la tête. Comment voulez-vous réussir en une demi-journée là où nous échouons depuis tant de temps ?

— Ça, c'est mon problème, Riju. »

Elle tendit une main à l'attention de la jeune fille tout en lui adressant un franc sourire.

« On a un accord ? »

Riju observa un instant la paume tendue, puis le regard rassurant que lui adressait la princesse devant elle. Elle n'avait rien à perdre dans cet arrangement, et tout à gagner. Alors pourquoi hésitait-elle ?

Elle s'empara de la main de Zelda, et la serra avec moins de conviction qu'elle ne l'aurait voulu.

« On a un accord. »

Harnachés à leurs morses des sables, Link et Zelda sillonnaient le désert à toute vitesse sous la morsure du soleil brûlant du début d'après-midi. La princesse avait préféré louer leurs montures à Fressah, refusant d'attraper des morses sauvages pour plus de discrétion. Les morses domestiqués étaient plus rapides, plus dociles et surtout attendaient sagement leur cavalier. Les sauvages avaient quant à eux la fâcheuse manie de leur fausser compagnie à la première opportunité. Zelda n'avait aucune intention de revenir à pied jusqu'à la cité à la nuit tombée. Elle avait beau s'entraîner régulièrement, elle était loin d'avoir l'endurance de Link. Et elle était attendue.

Le trajet jusqu'au poste d'observation s'en était trouvé rallongé de presque une demi-heure afin de dissimuler leur véritable destination à d'éventuels curieux. Officiellement, la princesse s'en allait contempler les statues des sept héroïnes qui s'élevaient en contrebas du Roc de la Longue-vue. Ils étaient donc partis plein-est et n'avaient bifurqué vers le poste d'observation qu'une fois rendus hors de vue de la cité, dans les Friches d'Erpel. Lorsqu'ils arrivèrent enfin au pied de la bâtisse gerudo, l'après-midi était déjà bien avancée et leurs tenues ne les empêchaient pas de ressentir la pesanteur du soleil ardent.

« Tu connais l'identité de ton informateur ? demanda Zelda à Link tout en détachant le harnais de traîne de sa taille.

— Saum, oui, lui répondit-il sans même la regarder.

— C'est elle qui t'a dit que quelqu'un souhaitait me parler, n'est-ce pas ? »

Le chevalier acquiesça alors qu'ils gravissaient les marches qui menaient au poste d'observation. À peine les deux jeunes gens en eurent-ils atteint le seuil que la porte s'ouvrit brutalement, deux mains puissantes et brunes émergeant de la pénombre pour les saisir par le col et les précipiter à l'intérieur.

« Entrez vite ! s'exclama une voix grave et féminine. Il ne faut pas qu'on vous voit ! »

Link et Zelda trébuchèrent contre les nombreuses caisses alentours et la porte se referma avec fracas derrière eux. La princesse, stupéfaite du brutal accueil, leva les yeux sur la solide soldate qui se dressait devant elle. Elle était si massive et impressionnante que la petite pièce semblait presque trop petite pour la contenir. Armée de pied en cap, ses deux yeux d'un vert profond brillaient d'une lueur grave et alerte.

« Vos morses sont bien cachés ? » s'enquit-elle d'une voix étouffée par son lah'djar.

Link, à nouveau vêtu de sa Tenue de prodige des sablons, confirma et massa sa nuque douloureuse. À se demander si Saum avait un minimum conscience de sa force vu la façon dont elle les avait malmenés, lui et la princesse. Le regard de la guerrière se posa sur Zelda, et elle inclina respectueusement la tête en plaquant son poing sur sa poitrine dans un bruit mat.

« Mes hommages, altesse. Désolée de vous avoir bousculée. Je craignais que vous ne soyez repérés.

— Ce n'est rien, Saum, lui sourit-elle pour tenter d'apaiser la tension sourde qui émanait de la gardienne. Je suis ravie de faire votre connaissance, Link m'a beaucoup parlé de vous. »

Elle balaya le petit espace du regard en fronçant les sourcils.

« Je croyais que nous devions rencontrer quelqu'un… ?

— Pas ici, répondit Saum, la main posée sur la garde de son cimeterre. Rouka est notre meilleure éclaireuse, elle connaît le désert mieux que les rues de la cité. Elle ne voulait pas prendre le risque de convenir d'un lieu de rendez-vous à l'avance, les tempêtes de sable sont trop imprévisibles pour ça. Elle vous attend à l'Oasis du Sud. »

À ses mots, Link jeta un coup d'œil inquiet par l'unique petite fenêtre de la pièce.

« Il y a une tempête, là-bas, remarqua-t-il prudemment.

— Pas sur l'Oasis, seulement sur le chemin pour y aller. Elle vous dissimulera efficacement des regards. »

Alors que le chevalier se renfrognait à l'idée de traverser une tempête de sable en compagnie de la princesse, Zelda adressa à la guerrière un de ses sourires dont elle avait le secret.

« Je ne vous remercierais jamais assez des risques que vous prenez, Saum, lui dit-elle avec douceur. J'espère pouvoir faire vraiment votre connaissance lorsque les circonstances le permettront.

— Je ne veux pas vous manquer de respect, altesse, mais je le fais surtout pour mon peuple. »

La soldate se tourna vers Link, plongé dans ses pensées en retrait derrière la princesse, et le désigna du menton.

« Le petit hylien nous a libéré de Vah'Naboris, et vous nous avez libéré de Ganon. Si quelqu'un peut démasquer cette sale traîtresse, c'est bien vous. »

Du coin de l'œil, la princesse vit son chevalier se balancer d'un pied sur l'autre, impatient de quitter cet endroit. Elle se mordit l'intérieur de la lèvre. Elle n'aimait jamais soutirer une information à quelqu'un de loyal et s'en détourner aussi rapidement sans rien chercher à connaître de lui. Elle trouvait ça irrespectueux et hautain, mais n'avait pas toujours le choix d'agir comme bon lui semblait.

« Qu'importe vos raisons, conclut-elle en s'adressant à la guerrière, sachez que je vous suis redevable, Saum. »

Sur ces paroles, les deux hyliens sortirent précipitamment de la bâtisse. Ils se faufilèrent le plus discrètement possible jusqu'à leurs montures en contrebas. Tandis qu'ils se harnachaient à nouveau, Link observait pensivement le gigantesque nuage jaune qui les séparait de leur destination.

« Tu en as déjà traversé ? » demanda Zelda avec appréhension en le rejoignant.

Il hocha la tête lentement, sans quitter la tempête des yeux.

« Cap sud-ouest. Sans dévier. »

Il se détourna et posa son sac à terre, fouillant dedans pendant plusieurs secondes. À chaque fois qu'elle le voyait faire, Zelda se demandait si cette besace avait réellement un fond, au vu de tout ce qu'il y stockait minutieusement. Combien de korogus avait-il bien pu rencontrer pendant son périple pour pouvoir y stocker tant de choses ?

Un jour, il faudra bien qu'elle se résigne à lui confier la véritable de nature des noix korogus…

Lorsque le chevalier s'approcha d'elle avec une corde dans les mains, elle leva docilement les bras, sans chercher à dissimuler son étonnement.

« Ce n'est pas dangereux si l'un de nous tombe ? demanda-t-elle tandis que Link nouait le chanvre tressé autour de sa taille fine. Ne vaut-il pas mieux nous attacher par les harnais des morses ? »

Le jeune hylien se recula et entreprit d'attacher la corde autour de sa propre taille.

« Pas au cas où le harnais casse sous la force des vents », répondit-il stoïquement.

La gorge de Zelda se noua à l'idée d'affronter des bourrasques aussi puissantes, mais ses pensées s'en écartèrent rapidement en voyant Link lui tendre un lah'djar blanc. Elle ne chercha pas à savoir comment le chevalier était entré en possession d'un accessoire exclusivement réservé aux guerrières gerudos. Au cœur d'une tempête, le sable s'infiltrait partout et rendait l'air irrespirable. S'en protéger était une question de survie.

Quelques minutes plus tard, les morses s'élançaient en direction de la tourmente sans la moindre réticence. Zelda se félicita doublement d'avoir opté pour des animaux domestiqués. Elle doutait sérieusement que des morses sauvages aient suffisamment foi en leurs cavaliers pour se lancer aveuglement là où leur instinct leur criait de fuir. Plus ils s'avançaient, et plus la princesse sentait une chaleur brûlante et moite l'assaillir. Les saphirs composant sa tenue la protégeaient difficilement de la morsure du vent qui charriait des monticules de sables sur son sillage. La tempête, véritable mur de sable de plusieurs mètres de haut, s'élevait devant eux d'un air menaçant qui lui nouait la gorge et les privait peu à peu de l'éclat du soleil. Cherchant à se rassurer, elle jeta un œil dans la direction de Link, mais la gravité qu'elle lut dans ses yeux ne fit que renforcer ses craintes.

Le temps d'un clignement de paupières, et les deux hyliens se retrouvèrent soudain plongé en plein cœur de la tourmente. Leur vue était bouchée à moins de deux mètres par des tourbillons de poussière astringente. Les morses scindaient vaillamment le sable, leur allure ralentie par les millions de grains qui s'élevaient dans l'atmosphère et qui fouettaient la peau de leurs cavaliers comme des centaines de lames aiguisées. Ils luttaient contre la force des vents qui s'efforçaient de les désarçonner de leur bouclier, les chahutant de droite et de gauche comme de vulgaires brins d'herbe. L'air était irrespirable et Zelda sentait ses yeux pleurer des larmes sèches tant ils étaient irrités.

Ses longs cheveux s'envolaient dans tous les sens devant ses yeux, et elle était incapable de discerner quoique ce soit aux alentours. Elle ignorait s'ils se dirigeaient toujours dans la bonne direction, s'ils ne tournaient pas en rond au risque de ne jamais s'en sortir. Cette perte de repère l'angoissait plus qu'elle ne voulait bien l'admettre. Elle était incapable de définir depuis combien de temps ils avançaient à l'aveuglette quand soudain, une gigantesque bourrasque vint assaillir le chevalier par le flanc.

« LINK ! » s'écria Zelda en voyant sa silhouette disparaître de son champ de vision.

La corde à sa taille se tendit brutalement, manquant de la faire chuter et elle se retint in extremis à la sangle qui la reliait à son morse. La princesse grimaça. Le chanvre qui la rattachait à Link mordait sa chair et brûlait sa peau. Les muscles de son dos protestaient contre la résistance qu'elle exerçait pour ne pas dévier de sa route. Une larme de douleur coula sur sa joue, vite séchée par la fournaise qui l'environnait. Elle ne devait pas s'écarter, elle devait rester cap sud-ouest, quitte à y tirer Link jusqu'à ce qu'ils soient sortis de là, sains et saufs.

Mais le chevalier était tombé. La bourrasque avait été si violente qu'il n'avait pas réussi à se maintenir sur son bouclier. Link n'était plus qu'une poupée de chiffon englouti dans le sable rendu meuble par la tempête. Chahuté par les irrégularités du sol, il tentait vainement de respirer, étouffé par les grains rêches qui s'infiltraient dans sa bouche et dans ses poumons, persuadé qu'il allait s'y noyer. Malgré tous ses efforts et l'adrénaline qui lui battait le sang, il était incapable de se relever, la taille écartelée entre son morse affolé qui le tractait en tous sens, et la corde qui le reliait à Zelda.

Il devait couper l'une ou l'autre s'il voulait avoir une chance de s'en sortir.

Il tendit la main et s'agrippa au harnais qui l'attachait au morse. Il s'empara du couteau qui pendait à sa ceinture et, non sans ressentir une angoisse maladive l'envahir, sectionna la corde d'un coup sec.

Lorsque la tension se relâcha brutalement sur son flanc, Zelda fit une dangereuse embardée tant elle fut surprise. Mais au soulagement physique se succéda rapidement la peur panique.

« LINK ! » appela-t-elle désespérément.

Elle savait bien que le chevalier n'avait aucune chance de l'entendre tant le mugissement du vent était puissant autour d'elle. Si seulement il pouvait se taire !

« LINK ! » hurla-t-elle malgré tout à en perdre la voix.

Elle scruta la tempête, guettant l'apparition miraculeuse du jeune hylien, quelque part. Mais il n'y avait rien. Elle n'avait aucune idée de la direction qu'elle prenait ni même si elle regardait encore du côté où le chevalier avait disparu. La corde à sa taille, livrée à elle-même, était depuis longtemps secouée dans tous les sens par les vents qui rugissaient aux alentours.

Si seulement cette maudite tempête pouvait s'arrêter !

« LIIINK ! » répéta-t-elle inlassablement, au comble du désespoir.

Aucun signe ne lui répondit, pas un son, pas une ombre. Affolée à l'idée de perdre son précieux chevalier, la princesse sentit soudain quelque chose se briser en elle. La formidable puissance qui la submergea comme un raz-de-marée l'aveugla un instant. Un courant électrique grisant parcourut ses veines à une rapidité affolante, et une forme de chaleur s'accumula au bout de ses doigts. Zelda ne s'en soucia pas et s'efforça d'occulter ce déchaînement de sensations. Tout ce qui comptait, c'était son chevalier. Rien d'autre.

« LIIIINK ! »

Elle devait le retrouver. Il n'y avait aucune autre alternative. Une simple tempête ne pouvait réussir là où une armée de gardiens, le Fléau et même l'écoulement du temps avaient échoué.

« LIIINK ! »

Le Pouvoir du Sceau la carbonisa soudain de l'intérieur. Zelda se recroquevilla en gémissant, les poings serrés contre sa poitrine douloureuse. Son morse poursuivit son avancée à travers la tempête sans la moindre guidance, mais Zelda n'y pensait même plus. Quelque chose battait en elle, tambourinant ses tempes à les briser, mais elle devait résister. Elle se moquait de ce qui pouvait lui arriver, elle étudierait cela plus tard.

Tout ce qu'elle voulait, c'était retrouver Link.

La tempête devait cesser.

Maintenant.

La vague de pouvoir l'engloutit brutalement. Zelda, transpercée par tant de puissance, écarta les bras vers le ciel en un hurlement. À travers la tempête, sa voix s'amplifia et se répercuta à travers le nuage en une vague inextinguible, ses cheveux lui fouettant le visage. Une gigantesque onde de lumière aveuglante explosa autour d'elle en un rugissement terrible.

Rien, ni personne, n'aurait pu la contenir.

Zelda se laissa tomber sur le sable, son morse à ses côtés. Épuisée, elle tenta d'apaiser les tremblements qui parcouraient son corps meurtri. Elle se sentait engourdie, presque nauséeuse tant la vague de pouvoir avait été forte. Elle retira prestement son lah'djar dans l'espoir de reprendre son souffle. Les yeux clos, elle chercha à entrer en contact avec cette âme millénaire qui sommeillait en elle, et qui s'était brutalement réveillée. À peine effleura-t-elle la douce chaleur de la déesse que la princesse comprit : Hylia non plus n'avait pas aimé l'idée de perdre son héros d'une manière aussi stupide. Zelda esquissa un sourire, pas mécontente que la déesse et elle puissent s'entendre sur ce point précis. Cela posé, une manifestation un peu moins violente ne l'aurait pas dérangée.

Elle rouvrit lentement les paupières, contemplant l'azur du ciel et le soleil resplendissant qui agressait la terre de ses rayons brûlants. Il n'y avait plus le moindre souffle de vent, plus le moindre bruit. Elle se redressa sur ses coudes, le corps perclu de courbatures, et balaya l'horizon du regard. Elle se trouvait en contrebas d'un haut rocher qu'elle reconnut sans difficulté, l'oasis se trouvant à son sommet. Autour d'elle, quelques rocs émergeaient tristement de la mer de sable, si calme, si immobile. Il n'y avait plus aucune trace de la tempête qui faisait rage un instant auparavant. Ni de la tempête ni de quoique ce soit d'autre, d'ailleurs.

Le silence qui régnait sembla presque agressif pour Zelda, renforçant l'absence du chevalier à ses côtés. La peur resurgit de plus belle et elle se redressa prestement, grimaçant lorsqu'elle sentit le harnais qui la reliait à son morse tirer sur sa taille meurtrie. Elle défit prestement la sangle ventrale, la corde de chanvre pendante à sa taille lui serrant le cœur quand elle s'en saisit. Elle tira fébrilement dessus jusqu'à trouver le bout qui avait été sectionné. La coupure était franche et nette. Ce n'était ni un animal, ni un rocher saillant qui les avait séparés. C'était Link lui-même.

« Non, non, non, non ! » gémit-elle désespérément.

Paniquée, elle s'élança dans le désert, le regard parcourant en vain l'horizon. Elle ne savait même pas à quel endroit elle l'avait perdu dans le tourmente, elle ne savait même pas où chercher. Son cœur battait la chamade, son souffle était court.

« LINK ! LIIINK ! » appela-t-elle en vain en tentant de discerner ce qu'elle espérait tant voir apparaître.

Le beuglement de son morse derrière elle détourna un instant son attention et elle pivota la tête, les sourcils froncés.

« Qu'est-ce que… »

L'animal venait de sauter dans le sable, effrayé, et filait dans le lointain. Zelda se demandait ce qui avait bien pu provoquer une telle réaction chez une espèce aussi docile et habituée au désert. Un bruissement de plus en plus fort sur sa gauche l'alerta.

Un monticule de sable de près de deux mètres de haut se déplaçait à toute vitesse dans sa direction. Quelque chose de gigantesque, de monstrueux se précipitait sur elle. Elle n'avait pas besoin d'un expert pour savoir que ce n'était pas pour lui présenter ses hommages. Une terreur sans nom s'empara de la princesse. Elle n'avait aucun moyen d'échapper à un assaillant de cette taille, quel qu'il fut.

Quelque chose la heurta brutalement par le flanc et l'emporta loin de la trajectoire du monticule de sable. Atterrissant dans un roulé-boulé où s'entremêlaient ses membres à celui de son sauveur, Zelda glissa sur le sable jusqu'à finir à plat ventre, crachant le sable qui lui avait empli la bouche dans sa chute. Elle grimaça de douleur et porta instinctivement sa main à sa taille d'où émergeait une douleur lancinante et aiguë. Son ventre avait été lacéré par la corde de chanvre en une longue brûlure, et le sable qui s'y était infiltré attisait la plaie comme si quelqu'un y posait un fer incandescent.

Sans avoir le temps d'assimiler ce qui se passait, elle se sentit violemment soulevée de terre.

« Sur le rocher ! lui ordonna Link en la poussant dans la direction d'un petit promontoire.

— Link ! s'exclama-t-elle avec soulagement, l'esprit un peu égaré par la rapidité des évènements. Tu es viv –

— MONTE ! » hurla-t-il d'une voix où transperçait la peur.

Peu habituée d'entendre une telle intonation chez lui, la jeune hylienne s'exécuta sans discuter et se hissa sur la plateforme, le chevalier à sa suite. À peine eurent-ils posé le pied sur la surface plane que le sol s'éventra à l'endroit où ils se tenaient la seconde précédente, laissant apparaître la gueule gigantesque d'un animal monstrueux qui s'éleva puissamment dans les airs.

Le corps long, couvert d'écailles brunes, la bête avait de tous petits membres palmés et une longue queue massive hérissée de pointes, tout comme sa dorsale. Son menton était une sorte de gigantesque pelle en os plat lui permettant de fendre les sables les plus denses. Sa bouche d'où émergeaient des dents pointues et inquiétantes était surmontée de deux petits yeux rouges.

« Un moldaquor…, souffla Zelda. Je n'en avais jamais vu...

— Parce que les gens y survivent rarement », répondit Link d'un ton amer.

La bête replongea dans le sable en provoquant un mini-séisme. Un dernier souffle apparut à la surface, et le moldaquor disparut de leur vue dans un silence qui n'existait que dans le désert. Suspendant leur respiration, les deux jeunes gens parcoururent les alentours d'un œil alerte, à l'affût du moindre signe du monstre.

Le monticule réapparut finalement quelques mètres plus loin, s'éloignant rapidement vers l'autre versant de l'Oasis.

La princesse soupira de soulagement et se laissa tomber sur la surface rocheuse, épuisée. Entre sa nuit blanche, la traction de la corde qui lui avait mordu la chair, la puissance du pouvoir d'Hylia et enfin Link qui se jetait sur elle à la vitesse d'un cheval au triple galop, elle serait heureuse de réussir à atteindre la cité en un seul morceau le soir venu.

Alors qu'elle se massait les tempes en fermant les yeux, elle sentit deux mains chaudes tâter légèrement sa blessure ventrale, lui arrachant une grimace.

« Link, dit-elle en tournant la tête, qu'est-ce que… »

Le regard du chevalier lui fit ravaler ses objections. Docilement, la princesse posa ses mains en arrière pour lui faciliter l'accès à son flanc. Avec une douceur qu'il manifestait rarement, il posa ses mains en coupe autour de la plaie, et ferma les yeux. Une lueur bleutée rayonna soudain entre les paumes du chevalier, et Zelda ne put retenir un gémissement soulagé en sentant une douce chaleur se répandre dans ses chairs meurtries.

Une seconde plus tard, sa peau était intacte. La prière de Mipha avait fait son œuvre.

« Merci, sourit-elle au chevalier qui lui tendait la main pour l'aider à se relever. Mais garde des réserves pour toi, tu veux ? »

Une fois debout, elle épousseta sa tenue et laissa son regard parcourir les environs.

« C'est étrange, j'imaginais les moldaquors plus tenaces…, dit-elle posément, ne distinguant plus la moindre menace à proximité.

— Il va revenir. »

La princesse fronça des sourcils en regardant le chevalier. Celui-ci, le visage stoïque, le corps tendu comme un arc, observait attentivement l'autre extrémité de l'Oasis.

« Il réagit aux vibrations, expliqua-t-il.

— Alors on est coincé ici ? »

Il secoua la tête en défaisant à son tour ce qui restait de corde à sa taille, puis dégaina la lame purificatrice.

« Prends la tablette. »

La jeune hylienne s'empara de l'artefact à sa ceinture sans broncher malgré le ton péremptoire qu'il avait utilisé. En matière de combat, elle n'avait aucune difficulté à se laisser commander par le chevalier. Il n'y avait que lui pour réussir à abattre un monstre pareil.

« Module bombe à distance, ordonna-t-il stoïquement.

— Ronde ou… ?

— Carré. »

La princesse actionna le module, et un instant plus tard, un bloc rempli de l'énergie bleutée propre aux sheikahs palpitaient entre ses mains frêles. Au même moment, le bruissement caractéristique de l'approche du moldaquor se fit entendre au loin. Zelda releva la tête pour voir le monticule qui revenait vers eux, fendant le sable dix fois plus vite qu'un morse.

« Quand il aura passé ce rocher, indiqua Link en montrant l'emplacement du doigt, lance la bombe juste devant lui.

— Et après ?

— Je te dirai quand l'activer. »

La sueur glissant sur ses tempes pour une raison totalement indépendante de la chaleur, Zelda scruta la course du monstre, le cœur battant à tout rompre dans sa poitrine. Dans trois, deux, un…

Le chevalier hocha la tête.

Elle lança l'artefact de toutes ces forces, le plus loin qu'elle put. La bombe toucha le sol dans un bruit mat. Le monticule se figea quelques instants, puis se précipita sur l'objet. À nouveau le sol trembla, s'éventra. La gueule de la bête apparut juste en dessous de la bombe et avala l'artefact en se propulsant dans les airs.

« Maintenant ! » hurla Link pour couvrir le grondement du monstre.

Zelda appuya sur la tablette et la bombe, enfouie dans la bouche du moldaquor, explosa. Le corps de la bête demeura en suspend l'espace d'une seconde, et retomba brutalement sur le sol dans un bruit sourd.

Link sauta du rocher pour se précipiter sur le monstre, l'épée luisante de pouvoir au poing. Arrivé à la hauteur du ventre de la créature encore sonnée, il lui assena des coups puissants et rageurs de toutes ses forces, entaillant progressivement la prodigieuse carapace du moldaquor. Accroupie au bord du rocher, Zelda scrutait le monstre avachi devant elle. Malgré la puissance de la bombe, elle voyait bien que sa poitrine s'élevait encore au rythme de sa respiration. Il ouvrit les yeux…

« Link ! Attention ! »

Le chevalier frappa la bête d'un ultime coup et s'élança pour rejoindre la princesse. Alors que Zelda attrapait son avant-bras pour l'aider à se hisser, le moldaquor s'agita en un beuglement de souffrance, et s'enfouit de nouveau dans le sable meuble pour disparaître de leur vue.

« Il est parti ? » demanda-t-elle, pleine d'espoir.

Link démentit son maigre espoir d'un mouvement de tête. Effectivement, le monstre ne comptait pas lâcher ses proies aussi facilement malgré ses blessures. Il revint à la charge un instant plus tard, se fit à nouveau leurrer par les vibrations de la bombe chutant sur le sol, et subit les nombreuses attaques de Link sur ses flancs avec impuissance. Face au spectacle de la bête immobile dont le sang noir ruisselaient de sa gueule et de ses flancs sur le point d'être éventrés, Zelda eut un pincement au cœur. Elle avait beau savoir que le moldaquor était une engeance de Ganon, que celui-ci n'aurait pas hésité à les dévorer à la première occasion, elle avait l'impression de sentir sa souffrance raisonner au plus profond de son être. Après tout, il n'était pas responsable de son essence et de la perversion de sa nature, comme aucun être vivant sur cette terre. Zelda se surprit à vouloir en finir avec cette boucherie, et vite. Mais le moldaquor était têtu, et beaucoup trop résistant pour son propre bien.

Elle ferma les yeux et plongea à nouveau en elle en quête de la déesse. Comptant sur sa manifestation récente pour la saisir plus aisément qu'à l'accoutumée, elle parvint avec soulagement à l'effleurer d'une pensée… et Hylia, aura douce et brillante en son sein, entendit sa peine.

Link s'acharnait sur le flanc du monstre, tentant en vain de fendre l'indestructible carapace qui commençait à suinter. Soudain, un rayon lumineux d'une faible intensité frappa le moldaquor en plein cœur. Bien que peu puissante, l'attaque suffit. Le regard du monstre se posa sur sa meurtrière avec ce qu'elle crut être une lueur de soulagement, puis il disparut dans un gigantesque nuage de poussière.

Link rengaina posément son arme dans son étui et observa sa protégée d'un air indéfinissable. Sans broncher, il s'empressa de ramasser les viscères et l'aileron que le monstre avait laissé derrière lui, ainsi que son bouclier enfoui dans le sable à proximité. Zelda l'en remercia intérieurement. L'une des qualités principales de Link était qu'il ne posait presque jamais de question : il n'avait pas dit un mot ni sur la disparition brutale de la tempête, ni sur sa décision de mettre un terme aux souffrances d'un monstre dévoué à Ganon.

Alors qu'il allait ouvrir le coffre qui était également apparu à la mort du moldaquor, le bruit d'un lent applaudissement les firent sursauter tous les deux. Link brandit prestement sa lame en pivotant des talons.

En haut du rocher de l'Oasis une silhouette armée de pied en cap se découpait dans l'azur du ciel. Les cheveux courts, la peau mate, elle était incontestablement d'origine gerudo, et une guerrière. Une combattante taillée par les épreuves de la vie, et non par un entraînement de garnison stricte. Un peu comme Link, qui rengaina sa lame de suite.

« Un bien beau combat, les félicita-t-elle d'une voix forte. Vasaaq, altesse.

Savotta, Rouka, la salua à son tour le chevalier.

— Comment sais-tu que c'est elle ? chuchota Zelda à ses côtés. Tu la connais ? »

Link acquiesça tandis que la voix rauque de la gerudo retentissait à nouveau du haut de l'Oasis.

« Venez ! Je vous ai préparé quelques douceurs pendant que vous finissiez. »

La guerrière se détourna et disparut de leur vue sans plus de préambule. Zelda poussa un profond soupir, épuisée.

« Tu aurais pu m'avertir que nous allions rencontrer quelqu'un d'aussi antipathique, grommela-t-elle, mécontente. Non seulement elle est restée à cuisiner sans nous aider, et maintenant il faut qu'on escalade ce fichu rocher pour la rejoindre. »

Pour toute réponse, le chevalier déplia sa paravoile. Le visage de la princesse blêmit en regardant le tissu paré du symbole d'Hyrule dans la main du chevalier. Elle sentit deux émotions contradictoires se précipiter en elle : la panique d'être dans les airs avec le souvenir de leur dernier vol funeste au-dessus du Lac d'Akkala, mêlé au désir bien présent de se blottir dans les bras du chevalier en toute impunité. Le tout permit à l'esprit de Zelda de parvenir à une simple et unique conclusion : c'était une très mauvaise idée.

« Oh non, s'exclama-t-elle en se reculant, ne compte pas sur moi pour m'envoler à nouveau. La dernière fois ne nous a pas franchement réussi. »

Link tendit la main vers elle.

« J'ai dit non, Link, tu ne me feras pas changer d'avis ! »

Le chevalier lâcha un léger soupir. Il posa un regard brillant d'émotion sur la jeune hylienne et esquissa un sourire doux et sincère. Lentement, il leva une main et lui effleura la joue d'un doigt calleux. Décontenancée, Zelda sentit son cœur s'emballer et ses pommettes chauffer comme un œuf sur une pierre de la Montagne d'Ordinn.

« S'il-te-plaît », murmura-t-il avec une expression qu'elle savait lui être exclusivement réservée.

Un instant plus tard, les deux hyliens s'élevaient dans les airs sous l'action de la Rage de Révali. Agrippée au chevalier avec la force de sa peur, le visage enfoui dans son cou, Zelda se disait qu'en jouant sur une certaine corde sensible pour obtenir ce qu'elle voulait la veille au soir, elle avait créé un précédent qui venait de se retourner contre elle. Parfois, elle oubliait que Link apprenait vite. Un peu trop même.

Ils survolèrent le rocher de l'Oasis où la princesse découvrit une sorte de petit Saint Royaume comme seul le désert pouvait en dissimuler. Autour d'un point d'eau peu profond, une dizaine de palmiers s'élevaient haut dans le ciel, apportant une ombre appréciable. À leurs pieds poussaient quelques champis volt ainsi que des piments pikpik tandis que leurs ramures abritaient des noix de coco. La marmite posée à côté de la mare indiquait clairement que ce lieu était un abri pour tous les voyageurs au sein du désert. De leur hauteur, se dévoilait un panorama inégalé sur le paysage voilé par la chaleur écrasante, et pourtant somptueux. Le désert pouvait bien être totalement dépourvu de vie, il donnait une telle sensation d'immensité que sa contemplation ne laissait personne indifférent.

Ils se posèrent sur la roche brûlante et Zelda s'écarta prestement de son chevalier. Elle était profondément irritée, en partie pour une raison inavouable, certes, mais irritée quand même.

S'efforçant de contrôler ses humeurs, elle se rapprocha de Rouka, qui, accroupie près de la marmite, retournait consciencieusement ses bananes grillées.

« On peut dire que vous savez vous rendre inaccessible, déclara la princesse en se postant en bordure du point d'eau, les bras croisés. Saum savait qu'un moldaquor s'était établi autour de l'Oasis ?

— Je l'en avais informée, répondit la voix rauque derrière elle. Mais je lui ai demandé de ne rien dire.

— Et mettre autant d'obstacle entre vous et nous était-il vraiment nécessaire ? » s'agaça Zelda en se retournant.

Elle posa les yeux sur la gerudo qu'elle voyait distinctement pour la première fois. Elle s'étonna qu'une soldate ne porte pas le traditionnel lah'djar pour dissimuler son visage. Les cheveux coupés au carré au niveau du menton, les yeux du vert sombre de son peuple et le nez en pointe, la guerrière aurait pu être belle, ou l'avait été. Rouka était une soldate au physique musclé et puissant, et dont l'armure semblait avoir fusionné avec son corps tant ses gestes étaient aisés et souples. Sa peau tannée par le soleil était plus sombre que celle de ses compatriotes, couturée de cicatrices et rides laissées par les épreuves et les combats, trop nombreux. La rousseur de ses cheveux avait terni, les rayons de l'astre diurne les ayant martelés pendant trop de cycles. Pourtant, la gerudo à l'âge indéfinissable dégageait une sensation d'intensité qui envahissait l'atmosphère autour d'elle. Elle était à l'image de l'environnement dans lequel elle évoluait depuis si longtemps : dangereuse et aride, mais fascinante.

« Nécessaire pour dérouter tout poursuivant et pour s'assurer de votre identité, répondit la guerrière nonchalamment en remplissant de grandes feuilles de palmiers avec ses fruits grillés. Traverser une tempête de sable et affronter un moldaquor n'est pas donné à tout le monde, mais pour les deux prodiges, ça ne devait pas poser le moindre problème. »

Link arriva sur ces entre-faits et se saisit d'une feuille que lui tendait Rouka dans un remerciement. Après une légère hésitation, Zelda s'approcha à son tour et prit sa part en gage de paix. Au final, qu'une guerrière aussi expérimentée adopte un comportement si précautionneux l'intriguait, même si elle ne l'avouerait jamais.

« Quel renseignement avez-vous qui nécessite autant de vigilance ? » demanda la princesse en s'asseyant autour de la marmite aux côtés de Link.

Rouka prit le temps de s'installer en face d'elle et de mordre dans une banane avant de répondre, la bouche pleine.

« Saum m'a dit que vous cherchiez à démasquer l'espion parmi nous, dit-elle d'une voix mi-affirmative, mi-interrogative.

— Effectivement, confirma Zelda en mordant à son tour dans le fruit grillé. D'ici ce soir, si possible. »

Elle aperçut le regard surpris de Link se poser sur elle mais elle l'ignora. Elle ne lui avait rien dit de l'accord démentiel qu'elle avait passé avec Riju, parce qu'elle savait qu'il y aurait vu un pari intenable. Non pas qu'il ait eu tort, mais se l'entendre dire n'aidait en rien la princesse et n'était qu'une perte de temps. La traversée du désert et le combat contre le moldaquor leur en avait fait perdre suffisamment.

Rouka, pour sa part, ne put retenir un ricanement qui n'était probablement pas volé.

« Même si votre réputation vous précède, altesse, je ne vous imaginais pas si imbue de vos capacités, se moqua-t-elle. Mais qu'importe, le peu d'aide que vous pourrez nous fournir ne sera pas perdu…

— Quelles sont vos informations ? » interrogea la princesse pour toute répartie.

Que sa décision soit présomptueuse n'était peut-être pas faux, mais qu'une soldate en rit ouvertement devant elle en était une autre. Elle n'avait pas le temps de supporter ça.

« Je suis en charge de la surveillance du Désert depuis de nombreuses années, répondit placidement la guerrière. J'ai observé toutes les fois où les yigas nous ont pris de court, nous ont floués, et tous les convois qu'ils ont attaqués. Ça m'a permis d'en tirer quelques conclusions.

— Qui sont ?

— La taupe communique aux yigas des informations de grandes valeurs détenues uniquement par un petit cercle d'initiés, comme les déplacements des troupes et des marchandises. Ce qui signifie qu'elle a accès à l'ensemble des détails logistiques de la cité. Commerciaux et militaires.

— Elle ne peut pas être issue du conseil, Rouka, rétorqua Zelda. J'y ai déjà réfléchi.

— Pas du conseil, c'est vrai. Mais il s'agit de quelqu'un qui peut assister aux décisions les plus importantes sans y être conviée.

— Une servante ? »

La guerrière secoua la tête à la négative et avala sa dernière bouchée. Zelda en fit de même, reconnaissant en son for intérieur que la cuisson des bananes était parfaite. Elle se garda bien de complimenter l'agaçante cuisinière.

« Être servante au palais est un devoir pour chacune d'entre nous, répondit Rouka. Chaque vaï de la cité, mise à part les soldates, se relaie tous les trois mois pour tenir l'intendance du palais. Notre espionne est active depuis plus longtemps que ça.

— Qui d'autre assiste à toutes les décisions sans en faire partie ? murmura la princesse en serrant ses genoux contre sa poitrine, les yeux dans le vague.

— Les gardes. »

Zelda tourna rapidement la tête vers son chevalier qui fixait le sol avec insistance. Link n'était jamais à l'aise quand il s'agissait de donner son avis, spécialement en public. Comme s'il craignait d'être raillé, ou que ce ne soit ni sa place ni son rôle. La princesse ne comprenait pas cette attitude chez quelqu'un d'aussi intelligent et vif d'esprit que lui. Elle se nota de lui poser la question, un jour.

« Les gardes ? répéta-t-elle.

— Elles sont là sans l'être, poursuivit-il à voix basse.

— C'est la conclusion à laquelle j'étais parvenue », confirma Rouka d'un ton amer, une expression de dégoût sur les lèvres.

Les deux jeunes gens comprenaient la réaction de la guerrière et compatirent. Bien qu'elle ressemblait davantage à un loup solitaire qu'à une soldate de l'armée gerudo, chaque combattante avait prêté serment et chacune d'entre elles se considérait comme une partie d'un tout. Comme l'un des muscles d'un gigantesque corps qui avait pour devoir de protéger leur chef, leur cité, leur culture et leurs coutumes. Que l'une d'entre elles puisse trahir ce pour quoi elles donnaient leur vie devait être difficile à avaler.

« Avant que vous ne vous posiez la question, rétorqua la guerrière avec froideur, je ne suis pas l'espionne. Je ne suis jamais à la cité et n'ait jamais monté la garde au palais.

— L'idée ne m'a même pas effleuré, Rouka », la rassura Zelda avec sérieux, mais le regard vague.

La gerudo lui répondit avec un léger sourire qui embellit soudain son visage. La princesse ne put s'empêcher de penser que plus jeune, la combattante avait dû faire des ravages lors de sa chasse aux voïs. Dans ses traits, elle eut comme une étrange sensation de déjà-vu, et elle se demanda si Rouka ne partageait pas un lien de parenté avec son amie la jeune Kornuieh. Si tel était le cas, savait-elle que la gerudo avait donné nais –

Une idée traversa l'esprit de la princesse à la vitesse d'une étoile filante.

« Rouka, demanda-t-elle brutalement, sais-tu quelles sont les dernières gardes du palais à être revenues de leur chasse aux voïs lorsque les informations ont commencé à fuiter ? »

La guerrière la regarda d'un air surpris et secoua la tête à la négative.

« Je ne crois pas qu'il y ait eu de départ récemment, mais je peux me tromper. Pourquoi ?

De la cité, vient la loyauté, de l'enfançon, la trahison, murmura Zelda à voix basse, pensive. Sais-tu si l'une d'entre elles est revenue de sa chasse avec un air étrange ? Peut-être même ces derniers mois ou années ?

— Je ne me préoccupe pas beaucoup de ces choses-là, altesse, répondit Rouka en secouant la tête à la négative. Si vous voulez des informations à ce sujet, il vaut mieux interroger Azhal, qui donne des leçons de séduction et de cuisine dans la cité. Elle est aussi la confidente des cœurs. Mais pourquoi ces questions ? »

Zelda se releva sous le regard perplexe des deux guerriers. Elle se posta à la pointe du rocher, les yeux rivés sur la silhouette de la cité, au loin.

« Le seul moyen de démasquer rapidement la taupe est de comprendre le mobile de sa trahison, finit-elle par expliquer sans se retourner. Or je ne connais aucune gerudo qui ne soit pas fidèle à sa patrie, au point de la trahir de la sorte. Encore moins au sein du corps armé. Il ne s'agit pas d'un simple mécontentement envers votre chef actuel, il s'agit de faire tomber toute la cité, y compris civile, en sapant ses principales richesses : son attractivité et son commerce. Sa cible, c'est le peuple gerudo lui-même. »

Elle pivota des talons et revint à proximité de la marmite. Elle riva ses yeux dans ceux de Rouka. La guerrière commençait à comprendre où elle voulait en venir, mais elle n'avait aucune envie d'aller sur ce terrain-là.

« Pour que cette vaï trahisse sa tribu et son armée, il lui faut une excellente raison, enchaîna Zelda calmement. Et il n'y en a pas de meilleure qu'une mère voulant protéger son enfant. »