La fin d'après-midi habillait la région de Lanelle de ses lueurs orangées, nimbant subrepticement le Domaine Zora d'une teinte dorée. D'ici à peine une heure, les hautes silhouettes des montagnes environnantes allaient plonger le lac dans une pénombre précoce et révéleraient ainsi toute la luminescence issue de la gemme nox. Mais, durant quelques précieuses minutes, la dorure du soleil couchant se mêlerait à cette extraordinaire lueur bleutée incomparable, leur reflet miroitant sur les eaux calmes et profondes dévoilant un spectacle qui avait envoûté l'âme de nombreux poètes à travers les âges.
Contempler cette splendeur fugace était pourtant relégué très loin dans la liste des préoccupations de Link. Les bras chargés d'un plateau rempli de nourriture, il traversait le hall de l'auberge d'un pas affirmé et s'arrêta devant l'un des battants de bois ouvragé qui en tapissait les murs. Délicatement, il frappa trois fois et attendit une réponse, qui ne vint pas.
Link sentit l'inquiétude se répandre dans sa poitrine comme un poison échappant à tout contrôle. Il ignorait encore tout de l'entretien qui s'était tenu entre la Princesse Royale et le Roi Zora. Lorsqu'elle en était sortie, Zelda avait un regard hanté où se mêlaient tristesse, nostalgie, espoir et douleur, et Link aurait été bien en peine de déterminer l'émotion qui supplantait les autres. Sans dire un mot, elle avait traversé le domaine en glissant des sourires transparents aux rares zoras qui lui en adressaient, avant de trouver refuge dans les ombres de sa chambre.
Elle n'avait pas invité Link à la suivre.
Il avait donc attendu, plus ou moins patiemment, accroupi au bord des bassins du grand hall vide pendant que les heures défilaient. En vain. Zelda ne s'était plus montrée. Il n'avait quitté son poste que récemment pour partir en quête d'un repas pour lui et sa protégée. Selon toute évidence, aucune réception n'était à prévoir pour clore cette première journée de négociation. Si au cours de son entrevue avec le roi, Zelda était parvenue à inverser un tant soit peu le cours des évènements, ils n'en étaient pas encore à rompre le pain ensemble. Les paroles d'Etorpe résonnaient encore aux oreilles de Link comme une sentence qu'il ne comprenait pas. Vous n'êtes pas la bienvenue au Domaine Zora. Jamais il n'aurait imaginé entendre de tels propos de la part du peuple qui l'avait élevé. Car ce qui s'appliquait à Zelda, était valable pour lui aussi.
Il avait donc cuisiné quelques saveurs pour la princesse dans la marmite de l'auberge et profité de l'occasion pour prendre la température des ragots auprès de Kodah. Le visage fermé, la zora lui avait confié que le sénat s'était rassemblé dans la salle du trône dès que Zelda en était sortie, et que la réunion durait encore. Selon la rumeur, les débats étaient houleux, des exclamations se faisaient entendre, et le peuple zora était inquiet. Rares étaient les fois où le corps exécutif avait paru aussi divisé, plus rares encore les fois où des altercations aussi vives s'étaient faites entendre.
De retour au sein de l'auberge, Link était convaincu que Zelda avait raison. Mieux valait qu'elle demeure tapie dans les ombres de sa chambre en attendant le verdict final et que les tensions s'apaisent à son égard. Pour autant, l'idée de la savoir enfermée en tête à tête avec ses pensées pendant plusieurs heures ou jours ne le rassurait pas.
Il entra dans la chambre.
Refermant délicatement le battant derrière lui, il laissa son regard s'imprégner de la pièce illuminée des derniers reflets orangées du jour. En leur absence, Kodah avait arrangé leurs espaces respectifs avec un soin appréciable. Les draps avaient été changés, la baignoire nettoyée et les serviettes humides retirées, sans qu'aucune de leurs affaires personnelles ne soient déplacées.
La princesse, elle, n'était visible nulle part.
Link ne pouvait pas se contenter de poser son plateau et de repartir aussi discrètement qu'il était venu. Veiller sur le bien-être de Zelda faisait tout autant parti de ses prérogatives que d'assurer sa sécurité physique. Dans les pires moments de leur relation, il estimait que si la princesse avait assez d'énergie pour lui sauter à la gorge, c'était qu'elle ne se portait pas si mal. Une absence de réaction était toujours plus inquiétante qu'une bonne dispute. Aujourd'hui, son silence ne le rassurait toujours pas.
Un léger courant d'air frais porta son attention vers l'extérieur où il distingua enfin la silhouette de celle qu'il cherchait. Toujours vêtue de sa tenue royale, Zelda était accoudée à la rambarde du balcon et laissait son regard errer sur les chutes d'eau qui entouraient le domaine. Les lumières du soleil couchant dansaient avec les étoiles de sa robe et les douces couleurs arc-en-ciel des eaux alentours y jouaient subrepticement de leurs teintes envoûtantes.
Link déposa le plateau sur la commode et rejoignit Zelda sans un bruit. Il se contenta de se poster dans l'encadrement de la porte, sans s'inquiéter de la surprendre: la princesse avait toujours intuitivement su lorsqu'il se trouvait à proximité. Pourtant, Zelda ne réagit pas, silhouette immobile se nourrissant de l'apaisante musique de l'eau dégringolant des falaises alentours. Des mèches de cheveux blonds virevoltaient autour de son visage sans qu'elle ne paraisse s'en soucier le moins du monde, l'esprit noyé dans ses pensées sombres. Trop sombres.
«Je pensais que tu viendrais plus tôt», dit-elle doucement au bout d'un long moment.
Elle pivota légèrement la tête pour montrer son profil à son chevalier, et poursuivit sans lui laisser le temps de se demander si elle aurait voulu qu'il la rejoigne plus tôt.
«Merci d'avoir attendu.»
Link sortit des ombres de la chambre et la princesse reprit sa contemplation morose. Bien que subreptice et à contre-jour, il avait eu le temps de remarquer les paupières légèrement rougies. Zelda avait pleuré.
«J'ai une bonne nouvelle, souffla-t-elle d'une voix tremblante, en contradiction totale avec ses propos. Suppa n'aura bientôt plus besoin de se fatiguer à nous attaquer. Pourquoi perdre des hommes au combat quand je lui livre moi-même tout ce qu'il faut pour me détruire, n'est-ce pas?»
Les sourcils froncés, le chevalier s'accouda à son tour à la rambarde. Ses yeux étaient rivés sur le profil fermé de la jeune hylienne qui refusait de le regarder. Étrangement, distinguer la présence du petit lézard de Pouvoir blotti dans son cou le rassura, sans qu'il puisse vraiment se l'expliquer. Poussant un soupir à pierre fendre, Zelda baissa la tête sur ses doigts fins, faisant pivoter un de ses bracelets d'argent sur son poignet machinalement.
«Pourquoi?»
La princesse sursauta de surprise tant elle était habituée à parler seule. Oh, Link l'écoutait, il l'écoutait toujours, mais il n'intervenait pour ainsi dire jamais. Elle réalisait qu'elle n'avait finalement aucune idée des pensées du jeune hylien lorsqu'elle se lançait dans ses longs monologues. Épuisée, elle ferma les yeux.
«Il va me falloir plus d'informations ce soir si tu veux une réponse, Link, dit-elle doucement en se frottant les tempes.
— Pourquoi s'occuper de ta réputation ?»
Zelda croisa les bras sur sa poitrine, mal à l'aise de devoir mettre toutes ses craintes en mots alors qu'elles paraissaient déjà suffisamment angoissantes en pensées. Ce n'était pas comme si elles les avaient ressassées pendant toute l'après-midi, après tout.
«Suppa veut ma mort, mais s'il peut éviter de faire de moi une martyre à la cause d'Hylia, ce serait encore mieux. Je représente la déesse, Link, et lui Ganon. Je suis le bien, il est le mal. Imagine un seul instant si les gens pensent que me laisser prendre la tête du royaume hylien signifie un plus grand danger encore que le Fléau lui-même.»
Une moue peu convaincue s'afficha sur les traits du jeune hylien. Zelda ne put s'empêcher de sourire tant il semblait convaincu qu'elle imaginait le pire. Hélas, elle ne savait que trop lequel d'entre eux avait raison.
«Souviens-toi que je suis la princesse dont l'incompétence est la cause de milliers de morts et de la chute du royaume, reprit-elle sombrement. Souviens-toi que je suis la princesse irresponsable qui faisait tout sauf s'atteler à éveiller son pouvoir. Des centaines d'écrits sont là pour le rappeler.
— Tu as vaincu Ganon.
— Ce qui signifie que je suis devenue encore plus puissante que lui, donc encore plus dangereuse, affirma-t-elle en se retournant pour s'adosser à la rambarde. La mémoire des peuples est quelque chose de si facile à manipuler, Link… Une seule victoire n'efface pas des archives de récits centenaires. Il suffit simplement que quelqu'un les leur rappelle, et Suppa le sait. Regarde la facilité avec laquelle les kyohis se sont imposés. Pourtant, je suis prête à parier que d'ici un mois, ils auront pratiquement disparu. Suppa n'a plus besoin d'entretenir le doute sur mon identité s'il a les moyens de la retourner contre moi.»
Une larme coula malgré elle sur sa joue et elle la chassa prestement d'un geste agacé.
«Sans Impa pour arbitrer, les zoras sont les seuls qui peuvent se porter garant de mon intégrité auprès des autres tribus, ragea-t-elle en crispant ses mains posées sur la rambarde derrière elle. Si je suis trop affaiblie, même les gorons ne pourront pas se permettre de se ranger derrière moi. Mon avenir repose donc entièrement sur un peuple qui après un siècle entier ne m'a pas pardonné la mort de leur princesse héritière. Doréfah semble s'être rallié à ma cause, mais même lui ne pourra rien faire si le sénat ne m'accorde pas officiellement tout son soutien. Si je n'obtiens pas un geste fort de leur part…»
Sa voix se brisa sur ses mots, et le peu de Pouvoir qu'elle contrôlait lui échappa. La chaleur rassurante de la petite créature dans son cou disparue, elle se sentait soudain si vide, si abandonnée… Elle serra les poings, et ses yeux s'humidifièrent à nouveau. Elle ignorait s'il s'agissait de larmes de tristesse ou de colère, ou bien des deux. Depuis le début, elle savait qu'elle jouait une partie délicate, dangereuse. Mais jamais elle n'avait envisagé devoir essuyer un revers comme celui d'aujourd'hui.
Le pire étant qu'elle était incapable de définir ce qu'elle ressentait vraiment à l'idée d'échouer. Une grande part d'elle se morigénait d'avoir pu se montrer si présomptueuse, d'avoir cru un seul instant qu'elle était capable de reconstruire tout un royaume et même, peut-être, de faire mieux que son défunt père. Car oui, elle était assez honnête avec elle-même pour savoir qu'une petite fille au fond d'elle espérait ainsi regagner les faveurs du roi par delà de la mort. Qu'elle se montrerait enfin digne de lui et laverait son image de princesse incompétente.
Tout ceci n'était qu'une chimère. Un siècle entier n'avait pas suffi à changer sa nature profonde. Elle demeurait indigne du pouvoir royal, tout comme du pouvoir d'Hylia.
Mais, sous toute cette honte qui lui collait à la peau comme une huile rance, une petite voix lui murmurait qu'en cas d'échec, elle pourrait enfin vivre cette existence simple et paisible qu'elle réclamait tant. En toute bonne conscience. Alors pointait l'inquiétude que son chevalier, si primordial dans ce tableau d'un bonheur tranquille, tourne le dos à la princesse qui aurait une nouvelle fois échoué.
Par Hylia, elle était si perdue, si déchirée par ces sentiments tous plus contradictoires les uns que les autres… Et au milieu de toutes ces incertitudes, flottait cette crainte sourde qu'être perçue comme une menace pour la sécurité d'Hyrule, faisant d'elle une cible à abattre.
«Je suis désolée, Link, reprit-elle d'une voix vacillante, à peine un murmure. À la réflexion, peut-être que me garder en vie va devenir sensiblement plus compliqué si les choses tournent mal. Sans même que Suppa n'ait à lever le petit doigt.
— Personne ne t'attaquera, affirma le chevalier avec cette confiance inébranlable qui le caractérisait. Et les zoras te soutiendront.
— Un rien peut faire pencher la balance, Link. Pense aux sheikahs, voués au royaume par Hylia elle-même et à qui nous devons tant. Ça n'a pas empêché leur bannissement définitif de la Plaine d'Hyrule il y a des siècles, parce que leur puissance faisait peur. Aujourd'hui encore, nous sommes incapables de comprendre ce qui a vraiment entraîné leur déchéance, mais n'oublie pas que c'est de là que viennent les yigas. Suppa connaît l'histoire de son peuple, Link, et la facilité avec laquelle certains être simples peuvent être conquis. Pense à des personnages aussi vulnérables et dangereux que Deza, si influençable! Combien considéreraient alors que ma mort sauverait Hyrule d'un nouveau cataclysme? Cette époque est si trouble, si incertaine, et il suffirait que…»
Le chevalier posa sa main sur celle de la princesse et la serra, coupant court au déferlement ininterrompu d'angoisses.
«Personne ne t'attaquera», répéta-t-il calmement, ses pupilles bleutés luisant de conviction rivés sur le profil inquiet de la Princesse Royale.
Vaincue, Zelda ferma les yeux et lui rendit son étreinte. Une larme dévala le long de sa joue alors qu'elle se nourrissait de tout le réconfort qu'elle pouvait y puiser. Elle aurait tant aimé qu'il ait raison. Qu'elle puisse expliquer à ceux qui la redoutaient que la nature même d'Hylia ne lui permettrait jamais d'emprunter le chemin de la mort et de la destruction. Leur avouer que c'était sa crainte d'aimer qui l'avait empêché de s'éveiller au pouvoir de la déesse pendant toutes ces années, et que jamais Hylia ne répondrait à l'appel de la haine et de l'ambition. Seuls l'amour, le don de soi et la générosité l'animaient. Pour Zelda, cette réalité était aussi vraie et palpable que la main de Link sur la sienne.
Il n'y avait qu'une seule inconnue qui la rongeait encore après toutes ces années: pourquoi la mort de son père n'avait pas suffi.
Elle retira sa main de celle de Link et se retourna pour s'accouder au garde-corps, enlaçant sa poitrine de ses bras.
«Doréfah m'a donné accès à la bibliothèque, dit-elle d'une voix claire, désireuse d'éloigner ses pensées de l'abysse qu'elles longeaient. Je m'y rendrai dès demain pour faire des recherches. Je refuse de passer mes journées enfermée ici à attendre leur décision en me rongeant les sangs.»
Link leva un sourcil avec intérêt.
«À vrai dire, je ne sais même pas par où commencer, soupira la princesse. J'espère juste y trouver quelque chose d'utile… Me rendre utile…»
Le jeune hylien observa sa protégée d'un air neutre tandis qu'elle s'enfonçait à nouveau dans ses réflexions. Depuis qu'il l'avait rejoint, il la sentait si fébrile et si perdue que le cheminement de ses pensées l'inquiétait. Zelda avait toujours eu cette fâcheuse tendance à projeter sa propre mésestime d'elle-même sur les autres. Preuve en était la désastreuse entrée en matière de leur relation. Visiblement, l'adversité que représentait les zoras avait réveillé les vieux démons de la princesse. Cet après-midi solitaire l'avait plongée dans un brouillard sombre dont elle ne parvenait pas à s'extraire. Peut-être était-il naïf, mais Link ne croyait pas une seule seconde que les grossières manœuvres de Suppa ne mettent véritablement en péril la vie de sa protégée, sauf peut-être de quelques illuminés qu'il ne peinerait pas à maîtriser. Ni même qu'elles aient un véritable effet sur la décision du peuple aquatique. Il était au contraire persuadé que Zelda gagnerait leur soutien. Il s'inquiétait seulement du prix à payer pour l'obtenir, et si la princesse était prête à toutes les concessions. Il n'osa pas lui poser la question.
Son regard s'attarda longuement sur les traits tirés d'angoisse de la jeune hylienne, sur les cernes sombres laissées par les trop nombreuses insomnies. Les légères rides sur son front trahissaient la migraine qui battait les tempes pâles.
Le chemin qui leur restait à parcourir était encore long et semé d'embûches. Zelda n'en sortirait pas indemne si elle ne s'accordait quelques moments de répit au milieu de cette avalanche de responsabilités, d'obstacles et d'inquiétudes. À l'instar de sa fleur favorite qui, en l'absence de nature, de soleil et de magie pour caresser ses pétales, se dessèche et se fane, Zelda avait besoin de légèreté, d'insouciance et de gaieté pour affronter la rudesse des épreuves que le monde lui imposait. Elle avait accepté malgré elle les obligations liées à son rang au nom du bien commun, au détriment total du sien. Hylia seule savait combien la princesse s'efforçait d'être à la hauteur et ce que cela lui coûtait. Elle qui avait déjà tant donné, et devait donner encore tant. Elle qui ne demandait qu'une vie paisible et insouciante dans une petite maison égarée et anonyme aux confins d'Hyrule.
Pourtant, une fois sa décision prise, Link savait que Zelda n'aurait de repos qu'une fois sa tâche terminée, qu'importe sa durée. Déjà à l'époque où elle s'acharnait à éveiller son pouvoir, ses journées n'étaient rythmées que de méditations et de recherches scrupuleuses, bien souvent solitaires. Elle n'avait aucun autre répit que le cocon de ses draps pour y épancher ses pleurs et ses rares joies. Lui-même n'avait découvert la légèreté dont elle pouvait faire preuve qu'après des mois de cohabitation, au gré de leurs errances à deux sur les routes d'Hyrule.
Ce soir, il était temps que la Princesse Royale cède un peu la place à Zelda, juste pour quelques heures. Demain, elle pourrait reprendre le fil de ses réflexions. Demain, elle aurait tout le loisir de se plonger dans les pages rêches et usées des livres et des monceaux de parchemins qu'elle affectionnait tant. Ce soir, il fallait que la princesse lâche prise, et Link savait que cela ne tenait qu'à lui.
Le chevalier n'était pas rompu à cet exercice. Autrefois, c'était Impa et Urbosa qui veillaient à ce que la princesse lève le pied de temps en temps. Les pitreries dont pouvaient parfois faire preuve les prodiges réunis étaient le moyen le plus simple, le plus naturel bien que rare, d'y parvenir.
Ce soir, il n'y avait que lui.
Sans plus un mot, Link pivota des talons et retourna à l'intérieur de la chambre. Zelda n'y prêta presque aucune attention et continua de laisser ses pensées suivre le dessin des crêtes montagneuses. Pourtant, l'entendre s'affairer derrière elle une paire de minutes plus tard l'extirpa de ses réflexions en une profonde inspiration. Elle resserra ses bras autour de sa poitrine et se tourna vers lui. Les sourcils froncés, elle le contempla en train d'étendre consciencieusement une couverture sur le sol et son regard fut vite attiré par le plateau à ses côtés.
«Oh Link, lui sourit-elle d'un air peiné, c'est gentil mais je n'ai pas très faim.
— Il faut manger.
— Je sais.
— Tu as beaucoup dormi.
— Je le sais aussi.»
Le ton n'était pas agressif, il était même plutôt doux, mais il n'en demeurait pas moins définitif. Pourtant, le chevalier n'en tint pas compte un seul instant et souleva le couvercle de la préparation. Un fumet divin monta brusquement aux narines frémissantes de la princesse et son ventre la trahit en applaudissant la nouvelle.
«Tu as fait des légumes marinés?» souffla-t-elle avec appétit.
Elle occulta sciemment le léger sourire victorieux qui flotta sur les lèvres de son chevalier, et préféra déporter son attention sur une petite boîte en bois posée à même le sol.
«Qu'est-ce que c'est?» demanda-t-elle en s'en emparant.
D'un geste de la main, Link l'invita à le découvrir par elle-même. Zelda souleva lentement le couvercle et se saisit d'un des petits objets qu'elle contenait avec perplexité.
«Des dés? Tu veux jouer aux dés?»
Le jeune hylien haussa les épaules sans la regarder, intimidé, et le silence s'installa. Inquiet, il jeta un coup d'œil à la princesse qui contemplait les objets métalliques d'un air penaud. La pénombre recouvrait peu à peu le domaine et éteignait les lueurs de sa robe comme un nuage dissimule les astres nocturnes.
«Link… Je… je n'y ai jamais joué…»
Il observa le profil gêné de la princesse et mesura une nouvelle fois toute la rigueur de sa jeunesse. Il avait vu plusieurs tables de jeux à la cour, savait que des soirées étaient organisées par la noblesse pour jouer à la raffle, au triga ou au guirguiesca avec des mises à rendre laquais le plus riche des barons.
Pendant ce temps, Zelda méditait, seule.
Avec un sourire rassurant, les yeux brillant de douceur, il posa le plateau de jeu entre eux en une invitation.
La princesse resta figée pendant quelques minutes d'un air perdu. Elle ne savait pas vraiment quoi penser de la proposition du chevalier. Elle en devinait la raison, bien sûr, et même si elle l'en remerciait, elle n'était pas sûre d'être suffisamment d'humeur pour ça. Son habituel mal de tête grondait dans ses tempes et elle sentait son corps bien trop tendu pour lui éviter une nouvelle insomnie.
Et puis, partager son quotidien avec Link était déjà mal aisé. Elle ignorait comment elle réagirait au cours d'un échange plus léger, plus amical. En toute sincérité, elle n'était pas vraiment certaine que la complexité de leur relation le leur permette.
Mais comment rejeter cette main tendue, ce moment d'apaisement au cœur de ses turpitudes? Peut-être que Link avait tout simplement raison d'agir ainsi. De prendre le positif sans y penser plus avant. D'accepter cet instant de légèreté qui lui offrirait, à tout le moins, un dérivatif à ses angoisses, et peut-être même un peu de sommeil.
Elle reposa la boîte sur le sol. Aucun mal ne pouvait en découler, après tout. Elle n'avait qu'un léger détail à régler auparavant.
«Link, je ne peux pas m'asseoir à même le sol en étant habillée de la sorte», dit-elle avec une moue gênée.
Le chevalier hocha la tête mais ne leva pas les yeux, occupé à disposer des couverts en bois sur la nappe improvisée.
«Link…», s'obstina Zelda avec une pointe d'impatience.
Le ton employé finit par attirer l'attention du jeune hylien qui redressa la tête, intrigué.
«Je dois me changer», répéta sa protégée avec plus d'insistance.
En voyant l'air perplexe qu'il affichait, elle leva les yeux au ciel, agacée de devoir fournir plus d'explications.
«Ma robe, Link.»
Une lueur de compréhension traversa les yeux du jeune hylien. Zelda eut à peine le temps d'apercevoir une légère rougeur envahir ses pommettes avant qu'il ne baisse la tête en se raclant la gorge. Il se leva avec précaution, l'air bien trop stoïque et distant, et s'effaça devant la porte pour laisser passer la princesse.
Un instant plus tard, Link défaisait gauchement les lacets de la tenue royale dans un silence de plomb. Ni l'un ni l'autre ne se faisaient à cette intimité malhabile. Pourtant, ils avaient conscience que cette scène ne ferait que se répéter encore et encore durant leur séjour au Domaine Zora.
Pour la première fois, la princesse désira plus que jamais retrouver le luxe d'avoir une habilleuse rien que pour elle. Elle se disait également qu'une partie de dés ne pouvait finalement avoir que des conséquences bien plus innocentes que ça.
Lorsqu'elle rejoignit enfin son chevalier, cheveux aux vents, pieds nus et sobrement habillée de l'une des robes de laine d'Elimith, le tableau qui s'offrit à elle la toucha plus qu'elle ne pouvait décemment le montrer. Dans l'atmosphère bleutée, douce et féerique du domaine où ne raisonnait que la délicate musique de l'eau, les bougies allumées par le jeune hylien nimbaient le balcon d'un halo chaud et douillet, éclairant les coussins et l'épaisse couverture qui faisaient office de table rustique. Link avait profité de son absence pour se changer à son tour, revêtant cette ample chemise de lin qu'il affectionnait tant et son vieux pantalon si souvent recousu qu'il en était informe. Du coin de l'œil, Zelda aperçut le fourreau de l'Épée de Légende dont les ornements brillaient à la lumière des cierges, à portée de main du prodige.
L'ensemble de la scène dégageait une atmosphère de chaleur et d'intimité qui lui rappelait immédiatement la maison d'Elimith. Le seul endroit au monde à lui avoir procuré la sensation d'un foyer. D'un chez-soi où il faisait bon vivre, que l'on était content de retrouver et qui invitait à la détente.
Elle savait, au plus profond d'elle-même, que ce sentiment n'était pas étranger à la présence de Link à ses côtés. Pour cette raison entre autres, aucun argument n'était assez puissant pour lui interdire cette douceur pour le reste de ses jours: elle n'avait besoin que de ça pour pouvoir affronter tous les obstacles qui se dresseraient immanquablement sur sa route! Savoir que le soir venu, quelques soient les épreuves de la journée, elle retrouverait cette intimité qui n'appartenait qu'à eux, et dans laquelle se dissiperaient tous ses tourments diurnes, ainsi que le masque de la Reine d'Hyrule.
Zelda secoua la tête pour chasser ces pensées futiles. Elle devait apprendre à profiter simplement de ces moments volés et reléguer le reste à plus tard. Link avait raison: se morfondre et ruminer tout ce qui n'allait pas ne changerait rien à la situation.
«Vas-y, explique-moi les règles», lança-t-elle en s'installant sur le coussin en face au chevalier.
Devant elle reposait une assiette encore fumante – la déesse seule savait comment Link s'y était pris pour garder la nourriture au chaud – et elle ne demanda pas son reste avant d'en dévorer son contenu. Le subtil mélange de miel et d'épices goron, l'ingrédient secret du chevalier, rendaient les légumes délicieusement fondants et parfumés. Une seule bouchée semblait emporter toutes ses angoisses en un répit primaire, succinct, et salvateur.
«Ô Hylia… Tu devrais vraiment songer à ouvrir une auberge, murmura-t-elle la bouche pleine. Tu ferais salle comble à chaque repas.»
Link secoua la tête à la négative en extirpant trois dés de la petite boite en bois.
«Trop personnel»
Zelda évita de s'attarder sur la réponse du chevalier, préférant reporter son attention sur le petit sac de velours vert qu'il venait de poser entre eux dans un bruit de cailloux s'entrechoquant.
«Au 421, commença Link, le gagnant est celui qui se débarrasse de toutes ses pierres. On les donne à ses adversaires en faisant les meilleures combinaisons de dés.
— J'aime le principe, sourit Zelda d'un air malicieux. Et je suppose que 4-2-1 est la meilleure?
— Et 2-2-1 la pire», acquiesça-t-il en s'emparant d'une poignée de pierres qu'il lui tendit.
Une paire d'heures plus tard, la réalité avait déserté le petit balcon de l'auberge du Poisson-Lune sur la pointe des pieds. Elle y avait abandonné deux jeunes gens dans une fragile bulle d'innocence hors de l'espace et du temps. Pendant un bref instant, Link et Zelda oublièrent qui ils étaient, et ce qu'ils étaient. Les plats, vidés, reposaient à leurs côtés en une pile approximative, vite négligée. Le public silencieux des constellations s'était levé à leur insu et observait leurs jeux d'un air complice. L'atmosphère intimiste, chaleureuse, l'étroitesse du balcon, leur connivence, tous ces éléments entrelacés et bien d'autres encore avaient progressivement ressuscité jeunesse et insouciance de leurs cendres centenaires. Avec cette sensation propre à l'adolescence que rien n'a d'importance, Link et Zelda avaient, à nouveau ou peut-être pour la première fois, dix-sept ans.
Ils jouaient, riaient, se taquinaient, se charriaient, sans autre pensée et sans crainte des conséquences.
Ni l'un ni l'autre ne souhaitait voir s'interrompre ce moment qu'ils avaient construit ensemble sans trop savoir comment. Ils n'avaient pas besoin de le dire ou de le montrer. L'évidence faisait de cet instant volé un bien à la fois si précieux et si fragile qu'ils craignaient de le briser d'un mot, d'une parole ou d'un geste maladroit. Même la petite bise froide qui s'éleva tard dans la nuit à en faire frissonner la jeune hylienne ne les ramena pas à la chaleur de leurs chambres. L'idée n'effleura même pas leur esprit un seul instant.
«Trois six! s'exclama avec ravissement la princesse en s'emmitouflant dans la couverture que Link venait galamment de lui apporter. Sept pierres pour toi si tu ne fais pas mieux!»
Alors qu'il se réinstallait, le jeune hylien scruta la surface des dés d'un air faussement désabusé. Ses yeux bleus brillaient sauvagement à la lumière des bougies. Une fois les règles acquises, Zelda s'était révélée une redoutable adversaire, voire même un peu mauvaise. Elle avait l'esprit revanchard alors qu'elle bénéficiait généralement de meilleurs lancés de dés que le chevalier. Link, bien que toujours peu bavard, avait fini par abandonner son sérieux et son légendaire stoïcisme au profit d'un sourire mutin et d'un regard calculateur.
Il commençait à être agacé par l'habilité débutante de Zelda. Piquante, elle ne manquait jamais une occasion de le railler sur sa mauvaise chance. Cette fois à nouveau, la princesse stoppa son jeu dès son premier lancé, l'obligeant à faire de même et réduisant ainsi ses chances de faire une meilleure combinaison qu'elle. Pour cette raison, son lancer de dés fut un peu trop enthousiaste. Les petits cubes roulèrent, roulèrent, jusqu'à ce que l'un d'eux bascule dans les eaux du Lac Zora des mètres en contrebas.
Le premier réflexe de Zelda fut de pouffer de rire devant la mine déconfite du jeune hylien.
«Je crois qu'on peut dire que j'ai gagné!» lança-t-elle d'un air goguenard, redoublant d'hilarité.
Link lui adressa un regard peu amène. Il se leva d'un bond et s'engouffra avec raideur dans la chambre sous les éclats de rire ravis de la princesse. Mais ceux-ci s'étranglèrent dans sa gorge lorsqu'il réapparut un instant plus tard et qu'elle identifia le vêtement dont il était vêtu. Composé d'un tissu bleu sombre qui moulait son torse aux muscles fins, des écailles brunes de dragon protégeaient ses biceps. Les épaulettes et les canons d'avant-bras artistiquement ouvragés en acier argenté luisaient à la lueur tremblante des bougies et la tablette sheikah lui battait son flanc. Le pantalon informe que le jeune hylien avait conservé dénotait complètement avec la magnificence de l'armure zora, et son allure en était rendue étrange, presque comique. Zelda évita soigneusement de s'attarder sur l'écaille blanche de Mipha qui luisait dans la pénombre.
«Tu ne vas pas faire ça!?» croassa-t-elle d'un air incrédule.
Sans prendre la peine de répondre, Link enjamba le garde-corps et plongea la tête la première. À la fois ébahie et amusée, Zelda abandonna sa couverture et se précipita derrière lui juste à temps pour voir la gerbe d'eau provoquée par l'arrivée du prodige dans les eaux calmes. Elle ragea de ne pas réussir à distinguer ses faits et gestes dans la pénombre. Elle distingua juste un instant un point rosé et une lueur jaunâtre qu'elle identifia comme l'activation du module Polaris. Évidemment, les dés étaient métalliques. Link ne laissait jamais rien au hasard.
Puis ce fut le néant. Pendant plusieurs minutes, Zelda chercha l'esquisse d'un mouvement, un bruit. Mais rien ne perçait la noirceur de la nuit des mètres et des mètres plus bas.
«Link?» appela-t-elle timidement.
Une gerbe d'eau l'éclaboussa brutalement de la tête au pied, la figeant de froid au beau milieu du balcon. Link, trempé mais un grand sourire aux lèvres, atterrit souplement en un salto à ses côtés, émergeant de l'une des cascades qui s'écoulait depuis la salle du trône.
La princesse lui lança un regard noir, son corps grelottant décrédibilisant immédiatement son effet assassin. L'air innocent, le chevalier se saisit de la tablette et brandit devant elle le dé rose qui flottait dans le halo doré du Module Polaris.
Abasourdie, Zelda contempla les quatre points triomphants devant elle, et glissa son regard sur les deux autres cubes demeurés sur le sol du balcon. Deux. Et un As. 4-2-1.
«Tu as triché», déclara-t-elle abruptement.
Link haussa un sourcil circonspect, désignant la tablette du doigt pour rappeler qu'il avait veillé à ne pas tourner la face du dé en remontant la cascade.
«Ce dé était hors-jeu.»
Un deuxième sourcil rejoignit le premier sur le front de son adversaire.
«Et de toute façon, enchaîna-t-elle en lui montrant le sol d'un mouvement du menton, ton arrivée aussi délicate que celle d'un octocoffre a mélangé toutes les pierres. Impossible de savoir qui en avait le plus.»
Pour toute réponse, Link se désigna en relevant fièrement le menton, l'air outrageusement satisfait.
«Et tu espères que je vais te croire sur parole? rétorqua la princesse. Tu triches, tu perds, Link. Accepte ta défaite et je saurais me montrer magnanime. Je ne te tiendrais pas rigueur du fait que tu ais tenté de me duper. »
Une lueur querelleuse éclata dans les iris du chevalier tandis qu'il laissait tomber le dé incriminé sur le sol dans un bruit métallique. Son mouvement suivant fut léger, presque imperceptible… Mais suffisant pour alerter Zelda, qui ne put retenir un sourire joueur d'apparaître sur ses lèvres.
«Link… Link, je te préviens, si tu…», dit-elle en se reculant instinctivement.
Trop tard. Le chevalier bondit sur elle en projetant de nouvelles gouttelettes d'eau sur sa peau glacée, et la princesse laissa échapper un petit cri suraigu en se retranchant prestement à l'intérieur de sa chambre. Mais Link ne comptait pas s'arrêter là. Dans la pénombre nocturne, sa silhouette se découpa dans l'encadrement de la porte-fenêtre, menaçante.
«Non non, Link, s'il-te-plaît…, supplia Zelda, hilare. Accepte simplement d'avoir perdu et on en parle plus…»
Mais visiblement, cette proposition ne convenait pas au jeune hylien. Il s'élança sur elle tel un loup sur le gibier acculé et la suite ne fut qu'une succession de chassé-croisé à travers les deux chambres, le chevalier pourchassant la princesse comme deux enfants jouant à chat. Ils s'efforçaient d'être discret sans vraiment y parvenir, traversant les pièces d'un pas tantôt feutré tantôt bruyant, étouffant le plus possible les ricanements essoufflés de la jeune hylienne aux joues rosées. Jusqu'à ce que, après seulement quelques minutes, Link coinça Zelda entre le lit et la baignoire, sans aucune surprise. Le regard alerte, essoufflée autant par la course poursuite que par ses éclats de rire, la princesse comprit vite qu'aucune échappatoire n'était possible.
«D'accord, d'accord, se rendit-elle les mains levées en signe d'apaisement. Tu as gagné, Link. J'accepte le 421 et tu as gagné.»
Le regard que le jeune hylien adressa à sa protégée était sans pitié. Il continua son avancée, lente, prédatrice.
«Link… Link, s'il-te-plaît, je t'assure que tu as gagné, tu as même gagné toutes les parties de la soirée, s'il-te-plaît-s'il-te-plaît-s'il-te-pl… AAAH!»
Elle poussa un cri haut perché lorsqu'il se jeta sur elle et la plaqua contre ses vêtements trempés et glacés. Emportés dans leur élan, ils chutèrent sans retenue sur le lit attenant, rebondissant sur le matelas à eau comme sur un trampoline dans un concert d'éclats de rire qu'ils s'efforçaient de contenir, sans aucun espoir de réussite.
Quelqu'un frappa à la porte avec insistance.
«Votre altesse! Tout va bien?» s'enquit la voix inquiète de Kodah à travers le battant.
Les deux jeunes gens se figèrent. Après un bref regard à son chevalier, Zelda se dégagea prestement de son étreinte, jeta un coup d'œil paniqué alentour et se précipita vers le miroir de la coiffeuse pour observer son reflet d'un air dubitatif.
«Votre altesse? insista Kodah en frappant à nouveau.
— Une minute!» répondit la jeune hylienne.
Elle s'empara de son peignoir de soie noir et intima d'un geste à Link de disparaître dans sa chambre. Avec une vélocité silencieuse digne des plus grands guerriers sheikahs, le jeune hylien avait déjà allumé une des lampes de chevet en forme de croissant de lune, défait le lit du côté où Zelda avait l'habitude de dormir, fermé la porte-fenêtre du balcon et tiré les rideaux afin de dissimuler les objets compromettants qui s'y trouvaient. Alors qu'il refermait leur porte commune sans un bruit, la princesse arrangea une dernière fois sa tenue, espérant que ses cheveux en bataille confirmeraient ses dires au lieu de la trahir. Elle entrouvrit la porte de sa chambre en s'efforçant d'adopter une expression ensommeillée.
«Tout va bien votre altesse? demanda la zora, les sourcils froncés d'inquiétude. Je vous ai entendu crier…
— Un cauchemar, Kodah, lui sourit Zelda d'un air qu'elle voulait rassurant. Rien de plus.
— J'ai entendu des bruits…» insista la zora en s'efforçant de distinguer l'intérieur de la chambre.
La jeune hylienne se déplaça légèrement, prenant soin de lui bloquer la vue. «Je suis tombée du lit.
— Vous ne vous êtes pas fait mal au moins?
— Pas du tout, rassurez-vous.
— Vous voulez que je vous fasse chauffer une tisane, quelque chose?
— C'est très gentil à vous, Kodah, assura Zelda sans se départir de son sourire, mais ça va aller, merci beaucoup.
— Vous voulez que je vous tienne compagnie?
— Ce ne sera pas nécessaire, je vais me rendormir.
— Vous êtes sûre? insista la zora en faisant un pas vers la porte.
— Certaine, assura la princesse en refermant légèrement le battant d'un geste réflexe.
— Vous avez l'air gelé, remarqua l'aubergiste tandis que Zelda laissa échapper un frisson. Souhaitez-vous une couverture supplémentaire? Que nous allumions un feu? L'air est humide au sein du domaine avec toute cette eau, alors quand on n'est pas habitué…»
La jeune hylienne maudit intérieurement Link d'avoir mouillé sa robe de laine mais s'efforça de rester impassible.
«Tout va très bien Kodah, je vous assure. Un simple cauchemar.»
Authentiquement inquiète, la zora serra ses mains sur sa poitrine et se pencha en avant d'un air concerné.
« Oh je suis navré! C'est que vous en faîtes souvent?»
Zelda tiqua malgré elle en entendant la question. Elle ignorait quelle réponse lui apporter. Elle craignait que l'une comme l'autre ne prolonge encore cette conversation qu'elle voulait écourter plus que tout. Indécise, elle resserra convulsivement son peignoir qu'elle maintenait fermé haut pour dissimuler cette robe qui la trahirait.
La déesse soit louée, Kodah interpréta son silence d'une toute autre manière.
«Que mes nageoires demeurent humides, s'exclama-t-elle, c'était tellement indiscret de ma part! Je vais vous laisser, votre altesse. Pardonnez-moi encore!
— Ce n'est rien, la rassura la jeune hylienne d'un sourire. Bonne nuit, Kodah.
— Nageoires fraîches et eaux vives, votre alt –»
Zelda ne la laissa pas finir qu'elle s'empressa de refermer la porte. Soulagée, elle s'adossa au battant avec un soupir et laissa sa tête basculer en arrière en fermant les yeux. Elle n'était pas certaine d'avoir convaincu Kodah avec ses explications hasardeuses, mais elle n'aurait jamais pu faire mieux en si peu de temps. Si jamais la zora avait le moindre doute, le plus infime soupçon sur ce qui s'était réellement déroulé dans cette chambre, comment les zoras allaient-ils réagir? Comment allaient-ils interpréter que la princesse et son chevalier jouent comme des enfants au beau milieu de la nuit, pendant qu'eux-mêmes se déchiraient à leur sujet? Qu'ils s'interrogeraient sur leur dangerosité? Par Hylia, ce moment avec Link avait été une imprudence. Une pure folie. Mais ce qu'il était grisant d'agir sans réflexion ni contrainte, juste quelques minutes… Terriblement grisant, et profondément bon, par toutes les déesses d'or! Au Fléau les regrets, elle en avait déjà bien assez pour toute une vie.
Un grincement sur sa droite lui fit lever une paupière. Le visage de son chevalier se glissa dans l'entrebâillement de la porte, un sourire amusé fiché sur ses lèvres fines. Rien qu'en voyant son expression, Zelda ne put contenir plus longtemps le fou-rire qui la guettait. Elle fut vite imitée par le taciturne chevalier qui s'appuya au chambranle en tentant de garder son hilarité silencieuse. Au nom de la déesse, elle adorait partager ce moment, elle adorait s'amuser comme une enfant et si quelqu'un avait quelque chose à en redire, qu'il aille voir au Crépuscule si elle y était.
«J'ai cru qu'elle n'allait jamais partir, murmura-t-elle entre deux hoquets, essuyant le coin de ses yeux où perlaient des larmes de rire. Oh par Hylia c'était mémorable!»
Seul le pétillement dans les pupilles de Link lui répondit alors qu'il s'efforçait de contrôler son amusement, les lèvres pincées en un sourire contenu. Son armure humide luisait sous la lumière diffuse de la lampe de chevet. Ses cheveux blonds encore trempés de son bain nocturne étaient nonchalamment repoussés vers l'arrière et les ombres jouaient avec les méplats de son visage totalement dégagé.
«Allons, il est temps d'aller dormir, conseilla finalement Zelda à mi-voix, les traits toujours empreint de gaieté. Mais il faudrait ranger le balcon avant.
— Déjà fait.»
Reconnaissante envers son chevalier toujours si prévenant, la princesse lui adressa un simple sourire. Un silence hésitant vint doucement prendre sa place, les deux jeunes gens échangeant un regard qui en disait bien plus long que ce qu'il devrait. Ni l'un ni l'autre ne savait comment mettre un terme à cette soirée si particulière.
Au bout d'un long moment, le chevalier se résolut à rompre le charme d'un simple hochement de tête, et tira la porte derrière lui.
«Link?»
La main sur la poignée, le chevalier posa ses pupilles sombres sur la princesse toujours adossée à la porte. Son peignoir ouvert flottait autour de sa robe de laine humide. Ses cheveux étaient en désordre et ses joues conservaient encore un peu de rosé de leur course-poursuite.
«Merci…, chuchota-t-elle dans un mélange de douceur et d'émotion. Pour cette soirée… pour tout…»
Elle ne reçut qu'un simple sourire en réponse, mais il lui suffit. Une fois le jeune hylien disparut derrière le battant de bois, Zelda laissa échapper un profond soupir.
Elle se demandait si Link avait conscience de combien il lui compliquait les choses, parfois.
Le lendemain matin, sur les coups de dix heures, Link et Zelda se présentèrent dans le petit hall extérieur de l'auberge en espérant que leur présence demeure aussi discrète que possible. À leur arrivée, Gama se contenta des formules de politesse habituelles, leur demandant si leur nuit avait été bonne ou s'ils souhaitaient manger quelque chose. Il se mura ensuite dans un silence mal aisé, blotti derrière son comptoir. La princesse le devinait partagé entre son devoir d'hôte et sa loyauté envers son peuple. Elle ne lui en tint pas rigueur.
Toujours vêtue de sa tenue royale – aucun autre vêtement n'était envisageable pour le moment – elle tourna résolument le dos à l'entrée de l'auberge. Elle observa le chatoiement des rayons du soleil sur le lac en contrebas, refusant de faire face aux yeux curieux qui s'approchaient sournoisement pour tenter de l'apercevoir parmi les ombres. Link, fidèle à lui-même, se posta contre le mur attenant et scruta les alentours de son œil vigilant et alerte. Zelda avait été profondément soulagée en le voyant à nouveau vêtu de sa tunique de chevalier servant. Une façon de mettre en avant son allégeance envers elle et non son attachement aux coutumes zoras. Elle avait beau connaître les inclinations de son protecteur, ce petit geste anodin la réconfortait et la faisait se sentir un peu moins seule au milieu de l'adversité environnante.
Plusieurs minutes s'écoulèrent avant que Link ne distingue une silhouette zora se détacher de toutes les autres et se diriger vers eux d'un pas fier et décidé. Il se racla discrètement la gorge afin d'attirer l'attention de sa protégée. Aussitôt, Zelda pivota des talons vers l'entrée pour accueillir leur visiteur.
«Nageoires vives et eaux fraîches ! s'exclama le garde zora en franchissant le seuil de l'auberge. Ravi de vous revoir, votre altesse! Vous ne devez pas me reconnaître, mais moi je me souviens très bien de vous! Il faut dire que vous n'avez pas changé!
— Je me souviens aussi de vous, Sébass, lui sourit Zelda en s'avançant vers lui, mais en beaucoup plus petit!»
Cette remarque arracha un léger rire au grand zora aux écailles d'un marron sombre. Son armure couvraient son nez proéminent et ses épaulettes brillaient sous les rayons de soleil. La princesse était un peu perplexe de l'engouement dont faisait preuve le garde à son égard. Elle s'attendait à plus de retenue, mais elle n'allait pas s'en plaindre. Leur seul spectateur était Gama, et Zelda le devinait si pointilleux du respect envers sa clientèle qu'elle était certaine qu'aucune indiscrétion ne franchirait ses lèvres. Au contraire de sa femme, par exemple, qui était une véritable machine à cancans. Elle songea soudain que Kodah devait justement être en train de répandre les évènements de la nuit autour d'elle. Ce qu'elle pouvait en dire et la déformation inévitable provoquée par le bouche-à-oreille l'inquiéta un instant.
«Je suis capitaine de la garde zora, aujourd'hui, poursuivit le fidèle Sébass non sans fierté. Et je le dois en grande partie à Link! C'est pour ça que j'ai accepté sans hésiter lorsque le roi m'a demandé de remplacer Jitato pendant qu'il siège au sénat.
— Vous m'en voyez ravie.»
C'était sincère. Zelda était bien à son aise d'avoir un guide aussi agréable et bien disposé envers eux plutôt que l'irascible bibliothécaire. Aucun visiteur, aussi prestigieux fut-il, ne pouvait accéder à la Bibliothèque Zora sans être accompagné par une personne désignée par le roi ou le sénat en personne. Leurs savoirs et leurs connaissances étaient si sacrés à leurs yeux que le commis devait se porter garant du strict respect du lieu et de ce qu'il renfermait. Jitato en ayant la charge au quotidien, c'était tout naturellement qu'il devenait également responsable des visiteurs. Personne n'aimait l'idée de devoir lui rendre des comptes en cas de problème. À cette pensée, Zelda trouva encore plus étrange la désinvolture avec laquelle le capitaine zora prenait cette responsabilité sur ses épaules.
«Allons, ne traînons pas, les invita Sébass avec un sourire, si mes souvenirs sont bons, vous allez nous faire rester là-dedans pendant des heures!»
Link et Zelda emboîtèrent donc le pas au zora. Pourtant d'un naturel visiblement amical, il se mura dès leur sortie de l'auberge dans un silence révélateur du malaise entourant la présence de la Princesse Royale au sein du domaine. Ils poursuivirent donc leur chemin sans un mot, subissant les regards et les chuchotements tandis qu'ils traversaient la place principale. Arrivés sur le Grand Pont Zora, Sébass plongea la tête la première dans le lac situé en contrebas. Link aurait pu suivre son exemple, mais, en parfait chevalier servant, il s'approcha de l'échelle accrochée à la rambarde de l'édifice.
Descendre les très nombreux barreaux les séparant des eaux sombres s'avéra un exercice particulièrement compliqué pour la princesse. Sa longue robe l'encombrait et elle n'avait d'autres choix que de se tenir à une main, l'autre relevant le tissu pour éviter d'y faire le moindre accroc. Une déchirure dans la tenue royale aurait été du plus mauvais genre, et Zelda n'osait imaginer la réaction de Kornuieh en voyant les dégâts dans ce qu'elle estimait être son chef d'œuvre. Elle descendit ainsi les premiers mètres dans une posture chancelante jusqu'à ce que Link apparut soudain de l'autre côté de l'échelle. Les yeux rivés dans les siens, il desserra lentement la prise crispée de Zelda sur le tissu étoilé pour rendre à la princesse sa liberté de mouvement.
Cette technique permit à la princesse d'arriver en bas bien plus vite qu'elle ne l'avait imaginé. Sébass y patientait tranquillement en polissant son trident d'un air absent, assis sur l'un des nombreux îlets qui affleuraient la surface du lac. Ces terrains, certains élevés naturellement, d'autres grâce à l'ingénierie zora, servaient de supports aux colonnes massives qui soutenaient l'intégralité du domaine. Leur importance cruciale n'entraînait cependant aucun délaissement artistique, bien au contraire. Comme l'ensemble de l'architecture zora, ils étaient finement taillés dans cette extraordinaire pierre bleutée et pourtant particulièrement résistante qu'était la gemme nox. Au centre, un pilier dix fois plus large que les autres servait de soutènement au cœur même de la construction: la place principale, les échoppes et la salle du trône.
Observé au loin depuis le Pont de Larutho, le Domaine Zora dégageait une impression de légèreté, d'élégance et de finesse. Comme s'il était sculpté dans la dentelle. Depuis ses piliers fondateurs par contre, la massivité de la construction qui les surplombait s'imposait avec force et puissance.
Aux côtés de Sébass flottait un petit radeau muni d'une voile et d'un éventail korogu à l'attention des deux hyliens. Le garde préféra évidemment se jeter dans les eaux sombres pour rejoindre le pilier central en l'espace de quelques secondes. Lorsqu'ils eurent accosté à leur tour, Link et Zelda l'y rejoignirent. Le zora pressa sa main écaillée sur l'un des grands losanges qui le décorait, et la pierre s'enfonça en grinçant dans les ombres du soutènement, puis pivota sur le côté pour leur dévoiler un passage. Ici, il n'y avait ni toboggan ni eau pour faciliter la descente du peuple aquatique. Rien qu'un bon vieil escalier tout ce qu'il y avait de plus classique. L'humidité était une maladie bien trop dangereuse pour la conservation des ouvrages pour que les zoras prennent un tel risque, même s'ils étaient encore loin de la bibliothèque elle-même.
«Je préfère vous prévenir, intervint Sébass en s'employant à allumer une torche, y'en a pour un moment.
— Je m'en rappelle, oui», acquiesça Zelda.
Elle réprima un frisson devant l'antre sombre qui se dessinait dans le pilier. Sans un regard en arrière, le capitaine s'y engouffra et entraîna les deux hyliens dans son sillage. À peine eurent-ils fait quelques pas que la porte derrière eux pivota. Un noir d'encre se referma sur eux où ne brillaient plus que la flamme de Sébass et celle de la torche que Link brandissait derrière la princesse. Déboussolée, Zelda se mordit l'intérieur de la joue et serra les poings. Elle s'efforça de contrôler au mieux sa respiration et son rythme cardiaque tout en maudissant Ganon de lui avoir infligé tant de faiblesses. Ses tendances claustrophobes menaçaient brutalement de l'engloutir, de la figer sur place.
Un frôlement sur sa paume, et elle s'agrippa à la main de Link sans réfléchir.
Avec pour seule compagnie la résonance de leurs pas sur la roche alentours, le petit groupe s'enfonça dans les entrailles du monde. En bas des marches, ils poursuivirent leur chemin dans un goulot un peu plus large et taillé dans une roche ocre et sombre. La paroi en était parfaitement lisse, autant sous l'action des ans que du travail pointilleux des zoras qui entretenait le passage avec un zèle inégalé. Zelda s'efforça d'occulter ce que la couleur de la roche autour d'elle signifiait. Au-dessus d'eux se trouvaient à présent les milliers de litres d'eau qui remplissaient le Lac Zora. Elle détestait cette idée, même si le couloir était parfaitement sec et n'avait jamais connu d'éboulement depuis sa création des milliers d'années auparavant. Elle resserra sa poigne sur la main de Link, inspirant une grande bouffée de cet air froid si caractéristique d'une grotte peu aérée pour tenter de s'éclaircir les idées.
La bibliothèque zora était assurément le lieu le plus sûr et le plus secret de tout Hyrule. Fierté du peuple aquatique, sa construction remontait à des temps immémoriaux et sa localisation exacte demeurait sujet à bien des conjectures. Le seul élément sur lequel les historiens s'accordaient était l'existence d'un ancien accès via le vieil oratoire situé au nord du domaine, mais personne n'était parvenu à retrouver sa trace dans les profondeurs du Lac Toto. Selon la légende, à cette époque, la bibliothèque était accessible à tous, sans la moindre restriction. Les zoras restaient extrêmement discrets sur les raisons qui avaient poussés leurs ancêtres à transformer la bibliothèque en un lieu aussi secret. À présent, ce passage étroit, libéré uniquement au contact d'une main couverte d'écailles, à un endroit précis du pilier et avec une certaine pression, demeurait la seule et unique entrée de ce sanctuaire. Le peuple aquatique veillait jalousement sur les trésors qu'il renfermait. Y avoir accès était un honneur pour tout érudit et Zelda mesurait sa chance.
Ceux ayant eu accès à l'intégralité de la collection à un moment dans l'histoire se comptaient sur les doigts de la main, et aucun n'était en vie pour pouvoir en témoigner. Impa avait été la dernière représentante de cette caste privilégiée. Zelda, elle, n'avait jamais eu accès qu'à la salle de consultation, où Jitato apportait les textes qui devait selon lui correspondre à ses demandes. Ce fonctionnement avait toujours été hautement frustrant pour la jeune hylienne. Comment s'assurer que le vieux bibliothécaire n'omette pas un ouvrage qui pouvait s'avérer crucial pour elle? Elle se demandait d'ailleurs comment Sébass allait s'y prendre. Jitato était le seul, à sa connaissance, à savoir se repérer au sein des milliers d'ouvrages qu'il couvait comme un pigeon flamboyant sur sa progéniture.
Alors qu'ils poursuivaient leur avancée, les murs autour du petit groupe se ciselèrent davantage. La roche adopta une teinte plus sombre avec des reflets d'un bleu cobalt, indiquant qu'ils s'enfonçaient à présent dans les entrailles des montagnes encerclant le domaine. À défaut de litres d'eau, c'étaient à présent des milliers de tonnes de roches qui les surplombaient. Zelda ne se détendit pas davantage.
Près d'une heure plus tard, ils atteignirent leur but et entrèrent dans une pièce de petite taille, sombre et basse de plafond. Sébass et Link en firent chacun le tour pour en allumer les torches. Quatre tables de pierres y étaient taillées à même la roche afin de permettre aux invités d'y effectuer leurs lectures et recherches. Aux murs, de nombreuses affiches rappelaient les consignes et le règlement de consultation des ouvrages. Le puits de lumière creusé en hauteur assurait la circulation d'un air plus pur et d'une clarté diffuse qui soulageaient Zelda, aussi futile que cela puisse être. En face, une porte de bois massive et aux solides ferrures parfaitement huilées portait un avertissement explicite dans toutes les langues d'Hyrule: «Interdit à toute personne étrangère à la bibliothèquesous peine de bannissement définitif ».
Sébass posa son trident contre l'une des tables de pierres polies et s'avança jusqu'à la porte. Il s'empara d'un trousseau de trois clés en fer épais accroché à sa ceinture et les inséra soigneusement dans chacune de serrures.
«Je vous attends ici», dit-il en se reculant.
Zelda écarquilla les yeux. Elle fixa d'un air interloqué le garde zora qui revenait avec nonchalance s'installer sur la chaise à côté de son arme.
«Nous attendre ici?
— Le roi vous a donné accès à la bibliothèque, non?»
La princesse resta figée comme du marbre, incrédule. Ce battant de bois dissimulait le berceau de nombre de ses espoirs d'érudite. L'ensemble de la collection zora, tout leur savoir accumulé depuis des millénaires était là, à portée de main, et ce sans personne pour la censurer. Elle avait la sensation de vivre dans un rêve éveillé. Un rêve éveillé et parfaitement illogique.
«Qu'est-ce que vous ne me dîtes pas?» lança-t-elle avec méfiance.
Obtenir un accès consultatif était déjà un privilège. Avoir un accès libre et total à l'intégralité de la bibliothèque était tout simplement insensé. Seul l'exécutif zora avait ce pouvoir, et sa relation avec le Sénat était bien trop dégradée pour acquérir un tel passe-droit.
Sébass posa ses coudes sur la petite table devant lui. Ses pupilles noires se posèrent sur la princesse en une expression sérieuse, presque sévère.
«Tout le monde ne vous perçoit pas comme une menace, votre altesse, répondit-il sombrement. Moi, j'ai confiance en vous, et il semblerait que ce soit également le cas de notre roi.»
Les paroles sensiblement identiques du Prince Sidon raisonnèrent aux oreilles de la princesse. Toujours sur la réserve, elle observa attentivement le capitaine en face d'elle.
«Le Sénat n'est pas dans l'obligation de tout savoir», ajouta-t-il.
Ainsi, Doréfah avait agi seul. Que Sébass soit dans la confidence témoignait de la confiance qu'il avait en son capitaine. À cette idée, Zelda finit par capituler et laissa un franc sourire de gratitude se dessiner sur ses lèvres.
«Je saurais m'en rappeler, Sébass, lui promit-elle.
— Tout le plaisir est pour moi, votre altesse. Nous vous sommes redevables de bien plus encore. Vous avez libéré Hyrule.»
Préférant esquiver toute réponse, Zelda hocha la tête avant de se retourner. Link lui emboîta le pas tandis qu'elle se rapprochait de l'impressionnante porte de bois massif gardant l'entrée de la bibliothèque. Ce vantail était bien moins imposant que l'ancienne porte de la Citadelle. Pourtant, les secrets qu'il renfermait le dotait une connotation mystique qui n'avait rien à voir avec sa construction elle-même.
Les paumes moites d'anticipation, la jeune érudite poussa le lourd battant dans un mélange d'avidité, d'impatience et de retenue… et elle eut soudain la conviction que l'un de ses rêves d'enfant prenait vie sous ses yeux ébahis.
La caverne qui se révélait à elle était gigantesque, incommensurablement immense. De l'entrée, il était impossible de distinguer ni la paroi opposée ni le plafond, tous deux plongés dans une lointaine pénombre mystique. L'espace central, lui, était rempli de centaines et de centaines de rayonnages qui se dressaient à perte de vue, sculptés tels des colonnes ouvragées dans la roche cobalt et luisante. Leur hauteur tutoyait celle du plafond invisible et se perdait dans ses limbes. Toutes les étagères sans exception étaient remplies à ras-bord d'ouvrages divers, rangés dans un ordre soigné qui témoignait de l'amour que leur portaient leurs gardiens. Des livres et encore des livres, gros, petits, larges, hauts, fins, massifs, à reliure de cuir ou de bois, ou encore des parchemins, roulés ou bien entassés avec soin. Le long des murs et à intervalles réguliers des coursives, des lanternes se dressaient à hauteur zora, surmontées d'une flamme bleutée et vacillante qui dansait langoureusement sur le cobalt translucide des étagères et assurait une chaleur douce, réconfortante, parfaite. Un silence unique, profond et respectueux, nimbait l'atmosphère.
Zelda porta une main à son cœur, déboussolée.
Elle avait l'extraordinaire impression d'avoir ouvert la porte du temple le plus sacré d'Hyrule. Le Temple du Savoir. Le Temple Millénaire de la Mémoire d'Hyrule. Gigantesque, mystique, impressionnant. Émotionnellement bouleversant.
Elle se sentit soudain si petite, si ridicule face à cette immensité sculpturale. La bibliothèque la ramenait à sa condition d'hylienne éphémère au regard du Temps, des Dieux, et des Astres. Qu'importe qu'elle eut cent dix-sept ans par Hylia, c'était si peu au regard de l'Histoire des Mondes!
Les bras ballants le long de son corps, la bouche entrouverte de ravissement, la Princesse Royale s'avança au milieu des impressionnants rayonnages d'un pas chancelant. Elle tournoya sur elle-même, scrutant le plafond pour tenter de distinguer le sommet des sculpturales étagères. Elle inspira profondément pour se gorger de la fragrance inimitable des milliers d'ouvrages anciens qui reposaient là, odeur qui avait toujours été si apaisante pour elle.
Elle était à la fois grisée face à l'ampleur des savoirs qui s'offrait soudain à elle, et attristée à l'idée de tout ce qui y était perdu. Il y en avait tant et tant qu'il était totalement impossible à quiconque, même à un zora, d'en appréhender plus qu'un dixième le temps d'une vie. Pour l'érudite qu'elle était, rien n'était plus enrageant que d'avoir autant de connaissances à sa portée tout en sachant qu'elle ne pourrait jamais toutes les absorber, en tirer tout leur potentiel. Peut-être qu'entre ces milliards de pages, se trouvait la phrase qui aurait évité le massacre du siècle dernier, perdue telle une larme dans cet océan de mots. Cela la mina tant qu'elle se refusa d'y penser plus de quelques secondes.
Elle réalisa surtout combien les hyliens avaient pu se montrer ridiculement prétentieux avec leur petite Bibliothèque Royale. Face à cet immense puits de savoirs millénaires, la princesse comprit enfin pourquoi l'arrogance de son peuple avait pu ulcérer à ce point les dignes zoras.
Très rapidement, elle repéra l'organisation précieuse des millions d'ouvrages, tous scrupuleusement répertoriés par tribu, époque et domaine de connaissance. Elle caressa du bout des doigts les tranches de cuir soigneusement graissées des livres rangés sous l'intitulé «Sociologie et Coutumes du Peuple Ailé». Elle avait actuellement remonté le temps parmi les Piafs quelques deux mille ans en arrière.
Le long des étagères se trouvaient d'étranges mécanismes. Leur ingénierie rappelait tant les anciens sheikahs que les hyliens n'eurent aucun doute sur l'identité de leurs concepteurs. Ainsi donc, les anciens protecteurs de la Famille Royale avaient œuvré à la construction de ce lieu gardien de la Mémoire d'Hyrule. Intriguée, Zelda appuya délicatement sur une surface luisant du turquoise si caractéristique. Un bras articulé s'anima dans un bruit métallique et elle se recula, surprise. Un écran semblable à celui produit par Cherry, la pierre-guide de Faras, se matérialisa devant elle. Elle parcourut avec avidité les nombreux thèmes qui y étaient apparu à côté d'un onglet clignotant intitulé «mots-clés». Au hasard, la princesse y inscrivit le terme «Dynastie» et aussitôt une longue liste d'ouvrages s'étala sous ses yeux émerveillés.
Un frôlement sur son épaule et Zelda reporta son attention sur son chevalier, ses yeux brillant d'une émotion difficilement contenue. Sans un mot, Link lui désigna le fond de la caverne d'un mouvement du menton. Elle suivit son regard et plissa les yeux pour tenter de distinguer ce qui l'avait interpelé. Au loin, au beau milieu des rayonnages, luisait une puissante lumière bleutée surmontée d'une silhouette massive mais indiscernable.
Les sourcils froncés, Zelda désactiva le bras archéonique et s'avança vers la lueur d'un pas prudent. Le chatoiement des flammes autour d'elle jouait avec les constellations de sa robe. Elles lui donnaient un indice précieux sur ce qui pouvait se trouver au bout du chemin, mais elle peinait à y croire. Cependant, lorsqu'ils débouchèrent de la coursive pour contempler ce qui trônait au centre de la caverne, elle ne pouvait plus douter de la nature de ce qu'elle voyait.
Ils avaient atteint le cœur de la bibliothèque où l'ensemble des étagères y rejoignaient une grande place circulaire, comme les innombrables rayons d'un cercle parfait. En son centre, une sculpture colossale de la déesse Hylia, aussi grande et imposante que celle du Temple Oublié de la Gorge Tragite, trônait fièrement, resplendissante. Au contraire des représentations connues de la déesse, elle était intégralement peinte de couleurs riches et vivaces, comme si elle en avait été enduite la veille. Les dorures y étaient nombreuses et attrayantes. Hylia était ainsi vêtue d'une robe d'un bleu profond semblable à la tenue royale de la princesse, ses longs cheveux blonds tranchant dans la pénombre de la caverne. Son visage penché sur les deux hyliens était empreint d'une douceur et d'une spiritualité envoûtante. La légère ressemblance avec la princesse n'échappa pas à Link, mais il préféra ne rien en dire, surtout lorsque son regard glissa au pied de la gigantesque idole.
Pour la première fois, à sa connaissance, Hylia n'était pas représentée seule. Autour de ses chevilles tournoyait une étrange farandole disparate où dansaient main dans la main toutes les peuplades d'Hyrule. Gerudo, sheikah, zora, goron, hylien et ce qui paraissait être un sonau sautaient d'allégresse mais également, et c'était le plus surprenant, un bokoblin, un moblin, un lézalfos et un hinox s'étaient joint à l'improbable danse.
Au milieu de cette joyeuse assemblée, sous le regard bienveillant de la déesse protectrice, était sculpté un couple dont la représentation perturba grandement ses deux spectateurs. La jeune hylienne était blonde et richement vêtue d'une robe blanche ornée du sceau royal. Sa main reposait délicatement dans celles d'un jeune sonau accroupi devant elle, vêtu d'une tunique d'un vert sombre, au visage buriné mais doux. L'épée ceinte dans son dos était reconnaissable entre toutes. Les deux protagonistes échangeaient un regard à la tendresse et à la dévotion si évidentes que l'artiste avait visiblement tenu à les mettre en exergue. Au-dessus de leurs mains jointes, s'élevait dans un éclat doré, orgueilleux, le symbole triangulaire du Pouvoir du Sceau.
Par toutes les déesses d'or, ce que la ressemblance entre cet étrange couple et les deux hyliens qui les observaient était perturbante.
La gigantesque sculpture s'élevait sur un socle taillé dans la pierre noire commune à tous les ouvrages des anciens sheikahs. Des arabesques d'un or sombre en décoraient l'ensemble. En son sein, au creux d'un foyer profond, brûlait cette flamme éternelle et bleutée que les héros reconnurent sans difficulté.
«Un fourneau antique…, souffla la princesse une fois le choc de la découverte passé. La rumeur de son existence dans cette région circule depuis longtemps mais les zoras l'ont toujours niée…»
Sans se départir de son air émerveillé, elle zigzagua entre les tables et chaises d'études qui entouraient le monument. La puissance du feu illuminait sa peau diaphane de l'intérieur et son regard s'y noyait avec expectative.
Le bruit caractéristique de l'acier glissant hors de son fourreau la ramena brusquement à la réalité. Alertée, elle se retourna vivement, le souffle court. Link, le regard noir, maintenait la pointe flamboyante de la lame purificatrice sur la gorge d'un vieux sheikah au dos courbé.
«La raison du silence des zoras est assez évidente, jeune fille», grinça l'inconnu.
Un sourire léger et un peu moqueur se dessina sur ses lèvres fripées, puis il poursuivit:
«Et je suis sûr que tu l'as déjà devinée...
— Qui êtes-vous ? demanda Zelda d'une voix froide et méfiante.
— Ce n'est pas très poli de répondre à une question par une autre. Impa te l'a dit des centaines de fois, j'en suis sûr. Elle détestait l'impolitesse.»
Les sourcils froncés, Zelda détailla le vieillard en face d'elle et tenta d'occulter le choc d'entendre aussi soudainement le nom de sa nourrice. Si âgé que le poids des ans lui faisait courber l'échine, ses doigts tordus entrelacés sur sa canne en bois noueux étaient couverts de tâches d'encre noir. Vêtu du kimono beige aux bordures rouges de son peuple, l'inconnu en avait également les cheveux blancs coiffés selon la tradition ancestrale des sheikahs. Sa bouche aux lèvres presque inexistantes était décorée d'un bouc pointu soigneusement entretenu. Au cœur de ce tableau rassurant, deux pupilles rouges luisaient d'intelligence au-dessus d'une paire de lunettes en forme de croissants de lune.
Cela seul suffisait à maintenir la méfiance de Link et de Zelda.
«Mon père aurait voulu utiliser la puissance du feu antique pour combattre Ganon, finit par répondre la princesse d'une voix sourde. Cela aurait mis en péril le fonctionnement millénaire de cette bibliothèque, et nous aurions été incapable de la réparer.»
Un sourire mutin se dressa au milieu de la fine barbe. Le vieux sheikah ne semblait pas s'inquiéter un seul instant de l'acier qui caressait la peau flasque de son cou.
«Impa ne se leurrait donc pas sur ton intelligence, sussura-t-il. Je suis Grenadoh, le gardien de ce Temple. Maintenant, dis à ton chevalier de baisser cette épée. Je ne suis pas dangereux.
— Comment en être sûr? rétorqua Zelda. Tout le monde peut prétendre avoir connu Impa. Vos yeux ne plaident pas en votre faveur.»
Cette caractéristique était propre aux sheikahs dit de sang pur. À Cocorico, leurs descendants s'étaient trop souvent mélangés à leurs cousins hyliens au fil des siècles pour que cette couleur persiste, à part chez de trop rares enfants. Il était notoire que les yigas se targuaient que leurs yeux étaient tous dotés de cette couleur derrière leur masque. Cette particularité les désignait naturellement comme les dignes héritiers du savoir de leurs ancêtres, selon eux.
Personne n'avait pu vérifier cette rumeur. Pourtant, les deux hyliens ne pouvaient pas écarter le risque qu'un sbire du gang se dissimule derrière ces rides trop rassurantes. Les sheikahs comme les yigas savaient depuis longtemps apprivoiser l'usure de leur corps pour demeurer des guerriers véloces et redoutables.
«Mes yeux sont précisément la raison pour laquelle tu devrais me faire confiance, jeune fille, rétorqua celui qui disait s'appeler Grenadoh. Je les ai transmis à la seule personne aux yeux rouges que tu n'aies jamais connue.»
Zelda se figea. Son teint prit une teinte livide, ses lèvres devenues sèches.
«Let'cah…, souffla-t-elle. Vous êtes… le père de Let'cah?»
D'un geste fébrile, elle indiqua à Link d'abaisser sa lame. Le chevalier s'exécuta avec réticence, mais ni ne recula, ni ne la rangea. Ses muscles demeuraient crispés, prêts à bondir au moindre mouvement suspect. Il n'avait jamais connu la fille d'Impa, mais il ne considérait pas que prononcer son nom lavait le vieux sheikah de tout soupçon.
Zelda n'était pas vraiment plus rassurée que son chevalier. Grenadoh demeurait un inconnu dont Impa n'avait jamais mentionné son existence. Progressivement, la jeune hylienne se remémorait combien le secret de l'identité de cet homme avait été un poids dans sa relation avec sa nourrice. Malgré toutes ses suppliques, la sheikah avait toujours conservé un voile sur cette partie de sa vie.
Tout en demandant à la princesse d'en faire partie.
Zelda entrouvrit une paupière et étudia son environnement d'un air curieux. De faibles rais lumineux filtraient à travers les lourds rideaux de sa chambre à coucher, révélant l'aube pointant tout juste à l'horizon d'Hyrule. À cette vue, une poussée d'adrénaline parcourut brutalement ses membres encore engourdis de sommeil et acheva définitivement de la réveiller.
Le corps vibrant d'anticipation, elle bascula sur le dos et s'enfouit avec délectation dans le moelleux de draps épais. Un sourire inconscient se jucha sur ses lèvres. Elle n'avait dormi que quelques heures, mais son esprit surchauffé ne lui laissait pas le loisir de retrouver la quiétude du sommeil. Elle attendait cette journée depuis trop longtemps pour pouvoir se rendormir.
Huit longs mois qu'elle ne l'avait pas revue. D'aussi loin qu'elle se souvienne, elles ne s'étaient jamais quittées aussi longtemps. Le plus dur avait été d'ignorer la durée de cette séparation, de savoir à quel moment elles allaient se retrouver. Par Hylia, Impa lui avait tant manqué. Sans elle, Zelda s'était sentie si seule, abandonnée au regard calculateur et parfois franchement hostile de tous ces pontes de la cour. Sans parler de son père…
Fuyant le sombre souvenir de la veille au soir, la princesse se leva vivement et agita la petite cloche pour faire venir son habilleuse. Son père lui avait accordé une semaine de répit, et elle comptait bien en profiter.
Aussi pressée de quitter le château que de revoir son amie, Zelda ordonna aux domestiques d'accélérer les préparatifs. Elle souhaitait franchir la porte des écuries avant que le palais ne soit totalement réveillé. Ainsi, elle espérait éviter les regards peu amènes ou les explications futiles. Elle ne déjeuna pas, emportant un en-cas dans ses sacoches de selle, et recommanda aux soldats qui l'accompagnaient d'en faire de même. Il n'y aurait aucune halte avant d'atteindre le village des sheikahs.
Elle savait que beaucoup trouveraient totalement déraisonnable de faire dix heures de voyage sans s'interrompre, mais Zelda n'en avait rien à faire. Elle alternerait galop, trot et marche aux côtés de son têtu d'étalon qu'était Le'dian, mais elle ne perdrait pas une minute en voyage oisif. Son répit était déjà bien assez court.
La petite troupe atteignit ainsi Cocorico au moment où les derniers rayons du soleil caressaient encore les Monts Plumage. L'arrivée de la Princesse Royale ne provoqua qu'un faible émoi parmi la population tant elle était habituée à sa présence. Certains agitèrent négligemment la main avec un sourire avant de reprendre leurs tâches quotidiennes. Rien de plus, et Zelda en était heureuse.
Rendue au milieu de la place centrale, la princesse démonta prestement en voyant la silhouette d'une jeune sheikah aux longs cheveux blancs apparaître en haut des marches de la demeure principale. Un instant plus tard, Zelda et Impa s'étreignaient puissamment l'une et l'autre avec un gigantesque sourire sur les lèvres, heureuses de se revoir enfin.
«Par Hylia, Impa, comme c'était long! s'exclama la princesse. J'espère que tu as une bonne excuse pour m'avoir laissée seule pendant aussi longtemps!»
La sheikah lui adressa un sourire attendri et s'écarta légèrement. Ses yeux noirs scrutaient les traits de la princesse et elle rangea une mèche de cheveux blonds derrière l'oreille en pointe en un geste tendre.
«Et moi j'espère surtout que tu n'as pas eu la folie de faire le voyage d'une traite, petite sœur, répondit-elle d'un ton faussement réprobateur. Tu arrives tôt. Trop tôt.»
Elle se détacha de la princesse pour s'approcher de l'étalon perlino et passa sa main sur l'encolure couverte de sueur.
«Zelda… Ne te montreras-tu donc jamais raisonnable si je ne suis pas là pour tempérerton fichu caractère ?
— Tu risquerais de croire que je n'ai plus besoin de toi, rétorqua la jeune fille, mutine.
— Ça, souffla Impa en levant les yeux au ciel, ce n'est pas près d'arriver, rassure-toi!»
Les deux amies échangèrent un regard amusé et éclatèrent de rire. Ni l'une ni l'autre n'était capable de compter le nombre de fois où elles avaient eu cette dispute, et Zelda était tout simplement ravie d'entendre à nouveau cette douce réprimande.
Elle s'empara du coude de son amie et, bras dessus bras dessous, l'entraîna vers le grand escalier qui menait à la demeure de la famille d'Impa.
«Alors raconte-moi, qu'est-ce que tu as fait de si important qui méritait de rester loin de moi et du royaume?
— Je te rappelle que je suis moi aussi la fille d'un chef de tribu, rétorqua Impa avec une certaine hauteur. Moi aussi, je suis une héritière, alors tu ne devrais pas être surprise de découvrir que j'ai quelques responsabilités!»
Le rose monta aux joues de la jeune hylienne tant elle se sentit honteuse.
«Je suis désolée, Impa, je ne voulais pas paraître… présomptueuse…»
La sheikah éclata de rire pour toute réponse alors qu'elle entrait dans la grande bâtisse, Zelda à sa suite.
«Présomptueuse, tu ne l'es jamais! Tu ferais même mieux de l'être un peu plus d'ailleurs, ça fermerait peut-être le clapet à quelques mégères de la Citadelle… Mais et toi, tu n'as donc rien à me raconter?»
Elle pivota des talons vers la princesse, le visage soudain grave et teinté d'inquiétude.
«J'ai entendu la rumeur…»
Zelda se rembrunit à son tour. Elle s'arrêta au milieu de la grande salle et acquiesça sombrement, sans un mot.
«Tu l'as rencontré?
— Pas encore, répondit la jeune fille en secouant la tête à la négative. Mais je n'en ai aucune envie.
— Pourquoi ?»
Zelda haussa les épaules d'un air dédaigneux, les yeux posés sur le sol devant elle.
«Je le déteste déjà.
— C'est peut-être quelqu'un de bien, Zelda. Tu devrais lui laisser une chance.»
La princesse croisa les bras sur sa poitrine et s'éloigna pour aller jouer d'un air absent avec l'un des objets posés sur les étagères murales, tournant le dos à sa confidente.
«Je me moque qu'il soit gentil ou pas, finit-elle par maugréer. Il a tiré l'Épée de son socle.»
Impa observa les épaules tendues de sa jeune amie avec un triste sourire sur les lèvres. Visiblement, la princesse n'était pas prête à envisager certaines choses.
«Quand doit-il se présenter à ton père?
— Dans la semaine, apparemment, répondit Zelda dans un souffle. Et sa présentation au peuple sera dans six jours. Il faudra qu'on soit rentrées avant.»
Être obligée d'écourter son voyage à cause du Porteur de l'Épée la rendait folle. Ce chuchu de chevalier lui mettait d'ores et déjà des bâtons dans les roues avant même de l'avoir rencontré! Ce qui se passait aujourd'hui était autrement plus important pour elle qu'un fichu soldat avec un morceau d'acier dans la main, aussi légendaire soit-il!
Perdue dans ses récriminations, elle ne vit pas Impa contenir difficilement une grimace et se mordre la lèvre avant de prendre la parole.
«Je ne vais pas pouvoir rentrer au château avec toi, Zelda. Pas tout de suite.»
Effarée, la princesse pivota des talons.
«Comment ça, tu ne rentres pas? Tu ne m'as pas demandé de venir te chercher?
— Si j'avais décidé de revenir à la Citadelle, j'y serais déjà, petite sœur, ricana la guerrière. Tu sais bien que je n'ai jamais eu besoin de personne pour traverser Hyrule.»
Zelda fronça les sourcils d'inquiétude. Dans sa tête, des millions d'hypothèses se formaient expliquant pourquoi son seul appui à la cour lui tournait le dos ainsi. Impa avait-elle fini, à son tour, par se lasser de servir de chaperon à une incompétente comme elle? Maintenant que le Porteur de l'Épée s'était fait connaître, il était évident que Ganon se réveillerait. Et qu'elle serait incapable de faire ce que l'on attendait d'elle.
Si seulement ce fichu chevalier pouvait ne pas exister. Il n'avait aucun droit de la condamner de la sorte, lui, un parfait inconnu. Il n'avait eu qu'à tirer une épée d'un rocher, lui. Elle, devait appeler un pouvoir qui n'existait pas. Pourquoi les choses avaient-elles dû être si faciles pour lui, et si difficiles pour elle? Pourquoi cette injustice?
Ne pouvait-il pas rester loin de cette forêt au lieu de s'y pavaner avec autant d'insouciance? S'il avait eu plus de jugeote, elle n'aurait pas eu cette discussion terrible avec son père la veille, elle ne sentirait pas ce poids si lourd sur ses épaules.
Elle ne serait pas en train de perdre sa seule amie et confidente.
«Arrête ça tout de suite, gronda la sheikah en lui lançant un regard réprobateur.
— Arrêter quoi? rétorqua la jeune hylienne dans un réflexe défensif. Je n'ai rien dit.
— De penser que je vais t'abandonner. Tu ne te débarrasseras jamais de moi, fais-toi une raison! termina-t-elle dans un sourire. Suis-moi, maintenant. Si je t'ai fait venir jusqu'ici, c'est pour te présenter quelqu'un.»
La sheikah se retourna et emprunta l'escalier derrière elle, la démarche souple et pressée à la fois. Intriguée, Zelda lui emboîta le pas sans comprendre. Qui donc voulait-elle lui présenter de si important?
Lorsqu'elle émergea au premier étage de la bâtisse, son regard parcourut rapidement le lit simple dans un coin, la commode, le bureau et… le berceau?
«Bonjour mon petit litchi, chuchota la guerrière, penchée sur le lit d'enfant. Tu as déjà fini ta sieste alors?»
Elle plongea les mains dans le landau et en sortit un paquet de langes avec la délicatesse de quelqu'un maniant ce qu'il a de plus précieux au monde. Elle l'enveloppa de ses bras, et au milieu du tissu immaculé, Zelda vit apparaître un petit visage tout rond et encore fripé de sommeil, un fin duvet blanc revêtant le haut de son crâne juvénile.
«Zelda, je te présente ma fille, Let'cah.
— Ta… ta fille?!»
Zelda se figea de stupeur, les pupilles écarquillées en contemplant le tableau qui se peignait devant elle. Impa, mère. Impa avait eu un enfant. Son absence à la cour pendant huit longs mois prenait soudain un tout autre sens, tout comme son incapacité à quitter le village alors que sa fille était encore si jeune.
«Au nom d'Hylia, Impa…»
Maintenant qu'elle savait, Zelda lisait une fatigue et une rondeur sur les traits d'Impa qui lui avaient totalement échappé auparavant. Des signes qu'elle avait vu sur nombre de femmes à la cour à l'issue d'une grossesse. Des signes qu'elle connaissait par cœur, mais qu'elle avait été incapable d'associer à sa nourrice.
Cette image d'une beauté éphémère était tout simplement irréelle, improbable et son cerveau s'efforçait tant bien que mal d'en analyser les conséquences. Impa, son Impa, cet être sage, toujours responsable bien qu'un peu déluré, était pour elle l'incarnation du sacrifice auquel elle devait elle-même se soumettre. La sheikah savait depuis le plus jeune âge que sa vie devait être consacrée à la sécurité de la jeune princesse d'Hyrule. Jamais elle ne s'était écartée de sa destinée, étouffant rêves et désirs pour mener à bien sa mission auprès d'elle. Cette réalité infaillible apportait à la princesse la force de taire ses propres envies au nom de l'intérêt commun et de son rôle dans la grande trame d'Hyrule: celui d'éveiller le Pouvoir de Sceau et de sceller le Fléau pour l'éternité. Sous l'égide d'Impa, elle parvenait à accepter que son existence n'était rien face à cet impératif moral, car la sheikah elle-même faisait ce sacrifice pour elle.
Et la seule vision de ce poupon innocent, et tout se fissurait entre ses mains frêles. Impa, la grande Impa avait failli, avait cédé à la tentation des bras d'un homme au détriment de son devoir. Et probablement pas qu'une fois, puisqu'elle en portait aujourd'hui la conséquence blottie contre elle. Quelle folie l'avait prise?
«Elle est magnifique tu ne trouves pas? chuchota la sheikah, complètement imperméable aux remous émotionnels qu'elle provoquait chez sa jeune amie. Enfin, je sais que tous les parents disent ça, mais moi j'énonce un fait purement objectif, pas vrai?»
Impa s'approcha lentement de la princesse ébahie, son regard habillé de cette douceur maternelle typique rivé sur le nourrisson. Elle caressait amoureusement la petite main si fragile qui émergeait des couvertures. La fillette entrouvrit un peu ses lourdes paupières, et Zelda distingua avec stupéfaction la couleur de ses iris.
«Elle a les yeux rouges? souffla-t-elle.
— Elle les tient de son père. N'est-ce pas, mon petit litchi? Tu les tiens de ton papa? Mais tout le reste est à moi, hein, tu as pris le meill –
— Qui, Impa? l'interrompit Zelda. Qui, quand, pourquoi?
— Ta marraine pose beaucoup trop de questions, tu ne trouves pas? Mais tu verras, tu finiras par t'y habituer.»
La princesse sentit une boule d'émotions se former dans sa gorge.
«Ma… Marraine? répéta-t-elle, abasourdie. Tu veux que je sois sa marraine?
— Évidemment, rétorqua Impa en haussant les épaules, quelle meilleure protectrice pourrait avoir ma petite Let'cah que la Protectrice en titre de tout un Royaume après tout? La cérémonie aura lieu demain.
— Déjà?
— Je savais que tu n'aurais pas beaucoup de temps devant toi, répondit la sheikah tout en déposant soudain sa fille dans les bras de la jeune hylienne encore éberluée. Prends-la! Il est temps que vous fassiez connaissance!»
Zelda reçut maladroitement le poids si léger de la petite fille entre ses bras, et se sentit immédiatement fondre comme une motte de beurre pour ces grands yeux rouges et curieux. Dans le même temps, une irrépressible vague de tristesse l'envahissait. Impa, mère… Quelle folie l'avait menée là, quelle inconséquence avait poussé la sheikah à commettre la seule chose qu'elle ne pourrait jamais assumer?
Impa ne pourrait jamais veiller sur son enfant et sur la princesse en même temps. Et en levant son regard sur la jeune mère devant elle, Zelda eut la confirmation que son amie savait où l'emmenait son devoir.
Loin de sa fille.
«Impa n'a jamais voulu me dire qui était le père de son enfant, souffla la princesse en s'extirpant de ses souvenirs, son regard sombre ne quittant pas la silhouette du vieux sheikah devant elle.
— Mon existence ne doit pas être connue des autres tribus, expliqua Grenadoh avec évidence. Et de la Famille Royale encore moins.
— Pourquoi?
— Tu sais pourquoi.»
Zelda serra les mâchoires. La petite fille inconsidérément loyale en elle se révoltait à l'idée de ce que le vieillard l'obligeait à admettre. Même si c'était la vérité.
«Pour ne pas mettre à mal une nouvelle fois l'alliance entre les sheikahs et le trône d'Hyrule, lâcha-t-elle entre ses dents serrées. Pour permettre à Impa de continuer à veiller sur la réincarnation de la déesse.»
Et elle l'avait fait. Impa n'était resté que deux semaines de plus auprès de sa fille avant de la laisser à la garde vigilante de sa propre mère pour rejoindre Zelda. Même si elle revenait la voir aussi souvent que possible, la princesse savait combien son amie avait souffert de cette séparation, de manquer les premiers pas, puis les premiers mots, de la petite Let'cah. À présent, Zelda était à la fois heureuse de savoir qu'Impa avait pu profiter de sa fille pendant les années qui avaient suivi la Grande Calamité, et révoltée que celle-ci lui ait été enlevée si précocement par les sbires de ce maudit Ganon.
Qu'il sombre dans les ombres du Crépuscule pour l'éternité.
«Ton père était un bon roi, jeune fille, poursuivit le vieux Grenadoh sans quitter son interlocutrice des yeux, mais il était obnubilé par l'idée de sauver Hyrule du Fléau peu importe ce qui lui en coûtait – ce que nous pouvons difficilement lui reprocher. Tu es bien placée pour le savoir. En apprenant notre alliance secrète avec les zoras depuis des millénaires, il aurait pu décider de bannir définitivement la tribu de la cour, Impa et tous les scientifiques.
— Pourquoi garder le silence est-il si important? s'emporta Zelda. Pourquoi est-ce que ni les sheikahs ni les zoras ne nous font confiance alors que ma famille détient la clé de la victoire contre le Fléau!? Partager nos connaissances aurait pu nous assurer la victoire plutôt que le massacrequi a eu lieu !
— Une nouvelle fois, je n'ai pas besoin de te l'expliquer. Tu sais que cela dépasse une notion aussi primaire que la confiance entre deux peuples. Ta raison te le hurle même si ton cœur refuse de l'admettre. Tu es une hylienne, après tout.»
Étrangement, cette dernière phrase ne raisonna pas comme une insulte. C'était davantage l'énoncé d'un fait évident et incontestable. Zelda ferma les yeux en soupirant et préféra tourner le dos au vieux sheikah pour qu'il ne puisse voir les émotions qui la traversaient. Aux yeux des peuples dit à longue longévité, les hyliens avaient toujours parus hâtifs et impulsifs. Elle savait bien qu'il y avait là une part de vérité liée à leur propre nature. Les hyliens, pour maîtriser le Pouvoir du Sceau, devaient représenter le parfait équilibre entre les particularités de chacune des trois déesses d'or. En eux coexistaient la force et l'esprit guerrier de Din, le courage et l'impétuosité de Farore, au même titre que la discipline et la sagesse de Nayru. Si les zoras étaient le peuple affilié à la déesse de l'eau, les Sheikahs, eux, étaient les dépositaires et les gardiens de sa Sagesse, comme le représentait la larme s'écoulant de l'œil de leur symbole ancestral.
La déesse Hylia avait donc confié à chacun des deux peuples les responsabilités correspondantes à leur nature respective. La réactivité, la spontanéité dues à une existence courte et intense faisaient des hyliens les dignes possesseurs de la maîtrise du pouvoir du Sceau et de la Lame Purificatrice. La sagesse et l'abnégation des sheikahs les érigeaient quant à eux en protecteurs des réincarnations de la déesse, et en détenteurs du savoir millénairepermettant de sauver Hyrule à travers les âges.
Zelda elle-même était le parfait exemple de l'inaptitude des hyliens à concevoir le combat au-delà de leur propre existence, toute réincarnation de la déesse qu'elle fut. Elle avait beau savoir que les anciens sheikahs avaient prédit son échec, que celui-ci était inévitable pour leur assurer une victoire ultérieure et pérenne sur le Fléau, elle avait beau savoir que Link devait mourir, elle ne pouvait s'empêcher d'essayer de trouver la phrase, la connaissance, la faille qui lui aurait permis de réécrire l'histoire et de sauver les morts qui hantaient ses songes.
«Pourquoi avoir décidé de me révéler votre existence aujourd'hui, en détruisant des millénaires de silence? demanda-t-elle abruptement. Je ne suis certainement pas plus méritante que les centaines de Prêtresses Royales avant moi.
— Nos ancêtres avaient prédit cette défaite, mais sans connaître son ampleur ni la menace que représenteraient alors les yigas. En tout temps, la Princesse Royale a été conseillée par un représentant du peuple sheikah et il est impossible qu'il en soit autrement. Avec la disparition précoce d'Impa, moi et mes livres vont devoir finir ce qu'elle a commencé.»
La princesse s'efforça d'ignorer l'émotion qui avait fait trembler la voix du vieil hylien sur ces derniers mots. Son cœur, lui, se serra malgré elle. Cela paraissait si authentique…
«Y a-t-il toujours eu un sheikah pour veiller sur la bibliothèque? Les zoras n'en auraient donc jamais été les véritables dépositaires?
— Lorsque nous avons été bannis de la Plaine d'Hyrule, il nous a été devenu impossible d'assurer la sécurité de notre savoir. Les zoras, nos alliés naturels à travers le temps et par notre lien unique avec Nayru, nous ont proposé leur aide. C'est à cette époque que nous avons construit l'accès depuis le pilier de domaine et scellé définitivement celui depuis le Plateau Zoran. Depuis, à chaque génération, il y a toujours eu un sheikah destiné à vivre ici pour veiller sur la Mémoire d'Hyrule et l'entretenir. C'est la seule et unique raison de mon existence, tout comme ta protection était la raison d'être d'Impa.
— Qu'est-ce qui me prouve que vous êtes bien celui que vous prétendez être? rétorqua Zelda, sur la défensive. Vous pourriez très bien être un imposteur, peut-être même un yiga.
— Un yiga t'aurait déjà attaqué, répondit le vieillard avec dédain, malgré la présence de ton chevalier. Ils sont encore plus stupides qu'un octopierre. Mais tu as raison, rien ne te prouve mon identité. À part ça, peut-être.»
Il sortit un médaillon de sous son kimono que Zelda reconnut aussitôt, puisque c'était elle qui l'avait offert à Impa des années auparavant.
«Elle m'avait dit l'avoir perdu au cours d'un combat…, souffla-t-elle en s'en saisissant.
— Elle a longtemps hésité avant de me le donner, répondit le vieillard, mais elle considérait qu'il me serait encore plus précieux qu'à elle.»
Il entrouvrit le pendentif de forme rectangulaire, révélant la minuscule et précieuse peinture à l'intérieur représentant une petite fille aux cheveux blancs et aux yeux rouges. Let'cah, presque telle que Zelda l'avait vue pour la dernière fois.
Grenadoh referma le clapet et rangea hâtivement le médaillon sous le tissu beige, comme si ne pas sentir le métal contre sa peau l'empêchait de respirer convenablement.
«Maintenant que tu sais qui je suis, reprit-il fermement, explique-moi ce que tu viens chercher ici, jeune fille. Je ne sais pas combien de temps ce borné de Jitato va continuer de croire que c'est Sébass qui nous sert d'intermédiaire sans que tu ne mettes un pied entre ces rayonnages, mais il ne sera pas dupe très longtemps.»
