Candice était restée enfermée dans son bureau toute la journée et une bonne partie de la soirée à chercher un indice, un semblant de piste à propos de l'affaire de l'arracheurs d'yeux. Mais rien n'y faisait, elle tournait et retournait mille et une théories dans sa tête, son esprit restait vide, bloqué. Malheureusement, son entrevue avec le directeur de l'école de théâtre avait été vaine et ne lui avait pas apportée de nouvelles informations… Si Candice n'arrivait pas à trouver une piste, le tueur pourrait faire une autre victime, une troisième … Et ça, c'était hors de question ! Elle ne se le pardonnerait pas !

Soudain, elle pensa à Antoine. Qu'est-ce que son adjoint aurait fait à sa place ? Quelle piste aurait-il exploré ? Tous les deux formaient une sacrée bonne équipe sur le terrain, l'un stimulait l'autre et vice-versa. Antoine faisait ressortir le meilleur de Candice et avec lui les idées fusaient, même – souvent – les plus insensées. Il faut dire que Candice se faisait un malin plaisir de contredire son adjoint et de réfuter quelques-unes de ses théories. Cela l'amusait grandement d'argumenter encore et encore avec lui. Mais responsabilités oblige, Candice savait aussi reconnaître les bonnes idées d'Antoine et suivre son intuition. Mais là, il n'y avait plus d'Antoine, plus de JB… Chrystelle avait beau donner le meilleur d'elle-même, elle n'avait pas l'expérience des deux garçons ni la même perspicacité… Mais il faudra bien faire avec en attendant le retour d'Antoine ou l'arrivée d'une nouvelle recrue.

Candice était en train de se tapoter le front avec son index quand une idée lui vint subitement à l'esprit. Ca y est, elle savait comment résoudre cette enquête vite fait bien fait ! Et ça n'allait pas être triste…


Devant chez Candice, dans sa voiture.

« Encore merci d'être venue me prêter main forte ! Tu ne peux pas savoir comme je galère sur cette enquête, je ne trouve pas le début d'une piste… Et tu me connais, je n'en dors plus ! résuma Candice à sa passagère.

- C'est pas souvent que la commandante Renoir demande de l'aide alors ça m'a intriguée… sourit la jeune rousse. Et puis, ça me change de Paris !

- Bon allez, je te fais visiter ! Et je t'expliquerai le dossier devant un verre de rosé.

- Je te suis ! »

Candice devança la jeune femme et lui ouvrit la porte d'entrée. Il était 18h, elle était partie tôt du bureau afin de récupérer sa collègue à la gare de Montpellier. Elle ne voulait pas lui faire prendre une correspondance pour Sète, elle lui devait bien ça. 18h, les enfants devaient être rentrés maintenant et Antoine aussi. JB l'avait emmené faire son bilan à l'hôpital cet après-midi et les deux potes en avaient profité pour passer un peu de temps ensemble. Les deux hommes se manquaient et puis ça faisait du bien à Antoine de voir d'autres personnes que la famille Renoir ou bien Emilie, son infirmière. Quoique, ça n'avait pas l'air de le déranger plus que ça de passer du temps avec elle…Candice pris alors une profonde inspiration pour chasser cette idée de sa tête. Non, ce n'était pas le moment de retomber dans ses cogitations, elle avait d'autres chats à fouetter !

« Et voilà ma maison ! annonça Candice en montrant l'intérieur de la demeure. Tu es ici comme chez toi ! Toutefois, pour que tu sois plus tranquille, je t'ai réservé une chambre d'hôtel pas très loin d'ici. On est nombreux ici...

- Il fallait pas Candice, mais j'apprécie, sourit la jeune femme. En tout cas, c'est splendide chez toi ! Ca me change de mon petit appart à Paris…

- Merci … la remercia Candice. Oh tu sais avec Laurent quand on a débarqué à Paris, on avait un petit studio sous les toits. C'était la vie de bohème. Avec l'arrivée des enfants, on a pris plus grand mais comme je n'ai jamais voulu aller en banlieue, on était un peu serré à 5… se remémora avec nostalgie Candice.

- Candice ? C'est toi ? questionna une voix rauque et sexy.

- Oui, Antoine c'est moi !

- Antoine ? demanda la jeune rousse avec un sourire en coin. Tu m'en as caché des choses…

- Chut ! Je t'expliquerai… chuchota Candice. Antoine, j'ai une amie à te présenter »

Le capitaine quitta la terrasse pour se diriger en direction de l'entrée de la maison. Il appréciait de passer de longs moments sur la terrasse à lire. Il prenait comme il pouvait son mal en patience, lui l'homme de terrain habitué à bouger. Alors il lisait et s'était même remis à dessiner. Mais ça, il le faisait discrètement dans sa chambre, à l'abris des regards indiscrets. Il avait bien avoué à Candice qu'il dessinait mais n'était pas encore prêt à lui dévoiler ses œuvres. Et comme beaucoup la représentait, ce n'était pas demain la veille ! Mais la reprise de cette activité lui faisait beaucoup de bien et lui permettait de se vider la tête ou bien de mettre en image les choses qui le tourmentait. Il reproduisait les mécanismes mis en place durant son enfance. Dessiner pour se plonger dans son jardin secret et oublier le monde extérieur. Ainsi, il mettait à distance les disputes de ses parents, les sermons des instituteurs, les moqueries de ses frères et le peu d'affection qu'il ressentait de la part de ses parents. Un crayon à la main et il se sentait dans son monde, le capitaine de sa vie. Il était libre de s'inventer une autre destinée, de nouvelles aventures.

« Antoine, je te présente Chloé St Laurent, la meilleure criminologue de Paris ! Que dis-je de France ! présenta Candice.

- Toujours aussi modeste Candice… rougit Chloé. De Paris, c'est déjà pas mal.

- Chloé, je te présente Antoine, mon adjoint à la BSU de Sète.

- Enchanté Chloé, répondit Antoine en serrant la main que lui tendait Chloé. Ravie de vous rencontrer. Candice, tu aurais dû me dire que tu recevais une amie, je vous aurais laisser tranquille.

- Taratataa Antoine, tu peux rester. Chloé est venue en renfort sur l'enquête de l'arracheur d'yeux. Après avoir tourné et retourné l'affaire dans tous les sens, sans mauvais jeu de mots, je m'arrachais les cheveux… Alors j'ai pensé à Chloé pour cerner le profil du tueur et ainsi mieux le comprendre pour enfin l'arrêter !

- Et me voilà ! répondit Chloé. Bon, Candice, j'aurais aimé qu'on se revoit dans d'autres circonstances mais bon…

- Pose tes affaires et asseyons-nous au salon pour discuter. On est tranquille un petit moment avant que mes montres crient famine ! Rosé ?

- Volontiers ! accepta Chloé.

- Pas pour moi merci, ce n'est pas conseillé avec les antidouleurs… répondit Antoine. Ca sera un verre de jus d'orange.

Un ange passa dans le salon. Chloé avait mille questions en tête mais se mordait la langue pour ne pas les poser, pour ne pas paraître trop impolie, trop étrange. Pourquoi l'adjoint de Candice habitait-il ici ? Étaient-ils ensemble ? Pourquoi prenait-il des antidouleurs ?

De son côté, Antoine observait la jeune criminologue avec attention, pas trop non plus pour ne pas paraître impoli. Il comprenait pourquoi les deux femmes étaient amies : même passion du métier, même âge et surtout même grain de folie. Chloé portait une robe vichy bleue et blanche avec un petit boléro bleu marine, des bas résilles et des chaussures à talon argentées, comme celles des danseurs de tango. Elle n'avait clairement pas le look typique d'une consultante pour la police et encore moins parisienne. Mais si on se fiait uniquement au paraître, sa commandante n'avait pas non plus le look réglementaire avec son pantalon rose pâle, son pull framboise col en V et ses chaussures compensées. Mais, depuis deux ans, il avait appris que l'habit ne faisait pas le moine et donna donc une chance à Chloé.

- Antoine se remet d'une blessure dans l'exercice de ses fonctions. Un suspect lui a tiré dessus il y a quelques semaines… Rien que d'en reparler, ça me fait froid dans le dos, frissonna Candice.

- Candice a eu la gentillesse de m'éviter la maison de repos en me permettant de passer ma convalescence chez elle. Et je l'en remercie tous les jours car quel beau cadre ! répondit Antoine en regardant Candice droit dans les yeux. Il parlait de la maison bien sûr, mais surtout de la propriétaire qu'il prenait plaisir à admirer tous les jours. A toutes heures du jour, au petit déjeuner quand Candice trainait un peu le matin, le soir autour d'un bon repas où les week ends repos devant un film ou bien autour d'un jeu de société. Cet échange de regards ne passa pas inaperçu aux yeux de la psychologue.

- D'ailleurs, Chloé, j'ai appris pour Matthieu… reprit Candice en s'asseyant sur le canapé. Je suis désolée… J'ai suivi l'histoire de loin avec mes contacts sur Paris.

- Merci Candice… Ce n'a pas été une période facile je ne te cache pas… Mais maintenant je remonte la pente. Et puis, je me suis liée avec son successeur, le commandant Thomas Rocher. Sous ses airs bougons, c'est un vrai tendre et un professionnel hors pair !

- J'en connais un autre de bougon au cœur tendre, rigola Candice en désignant Antoine. Si tu savais la misère qu'ils m'ont mise à mon arrivée ! Surtout Antoine !

- Oui, bon ben c'est bon… c'est de l'histoire ancienne Candice, tenta maladroitement Antoine.

- Matthieu était pareil ! Les premiers temps, il n'écoutait aucune de mes idées et me prenait pour une cinglée. Et il avait réussi à déteindre sur son équipe. Fred ne pouvait pas me voir. Maintenant, tout va pour le meilleur des mondes mais j'en ai bien bavé pendant un an, se remémora Chloé.

- Paris, Sète, même combat ! se moqua Candice. Mais c'est pareil ici, tout est rentré dans l'ordre et avec Antoine on forme un très bon duo !

- Oui, je vois ça … sourit Chloé. Un très beau duo…

- Bon, Chloé je te sers un verre ? Et après, je vais te chercher le dossier d'enquête. Tu as pu consulter les documents que je t'ai envoyé par mail ?

- Oui, oui je suis à jour ! J'ai potassé dans le train en venant ma commandante »

Et c'est ainsi que les deux femmes échangèrent à bâton rompu sur l'enquête en cours. Candice expliqua à Chloé les circonstances des deux meurtres, le rituel qui consistait à ôter les yeux des victimes, la relation avec le monde du cinéma, les interrogatoires des proches des victimes, … Bref, tout ce qui pourrait aider Chloé à se faire une idée de l'enquête.

Antoine, quant à lui, prenait un malin plaisir à regarder les deux femmes échanger. L'une commençait une phrase et l'autre la terminait. L'une esquissait à peine une idée que l'autre lui disait qu'elle ne tenait pas la route. L'une écrivait scrupuleusement toutes les paroles quand l'autre retenait tout mentalement. Un vrai numéro ces deux-là pensa Antoine en souriant. Une Candice c'était déjà quelque chose mais deux, ils n'étaient pas au bout de leur peine au commissariat !

« MAAAAAMAAAAN ! J'ai faim ! On mange quand ? cria une voix depuis l'étage.

- Des amours je te jure, dit Candice en levant les yeux au ciel »