La semaine après « l'incident Émilie » comme l'appelait Chloé, ressembla à une partie de cache-cache. Antoine comptait et Candice se cachait. Tous les deux n'étaient absolument pas sur la même trajectoire, sur la même ligne spacio-temporaire.

Afin de faire taire sa douleur, Candice avait décidé de se concentrer à 100% sur son enquête. Et de ne penser à rien d'autre. Vu que sa vie amoureuse était un fiasco, autant être focus sur ce qu'elle maîtrisait le mieux : ses enquêtes. Et dans ce domaine, elle se jugeait pas trop mauvaise. Bon, même très douée, il fallait l'avouer. Alors avec Chloé à ses côtés, elles allaient à coup sûr, l'arrêter ce criminel !

Candice se faisait un devoir de partir au bureau aux premières heures du jour et de rentrer tard chez elle. Comme ça, aucune chance de croiser Antoine ou Émilie ! Ses nuits étaient des plus chahutées. Elle alternait phases d'éveil, où les yeux grands ouverts, elle repensait au déjeuner familial, et phases de sommeil, où elle voyait en direct live Antoine et Émilie s'embrasser, et même aller un peu plus loin… Ces images, étaient imprimées dans sa tête, si bien qu'à chaque fois qu'elle fermait les yeux, elle les rejouait dans son esprit.

Pour voir ses enfants, elle les avait invités à tour de rôle à déjeuner. Bien qu'ils rechignèrent, au début, à déjeuner avec leur vieille mère, ils furent ravis de manger un bon gros burger sur la plage ou bien des sushis en terrasse. Tant pis pour sa ligne, elle y penserait plus tard. Et puis, elle n'avait personne devant qui se déshabiller en ce moment, alors un ou deux bourrelets de plus, qu'est-ce que ça pouvait bien changer ! Les enfants avaient bien senti que quelque chose clochait dans l'attitude leur mère et dans sa relation avec Antoine. Les aînés avaient bien tenté de l'interroger à plusieurs reprises. Mais, elle avait à chaque fois, esquivé la question. Et ses enfants, la connaissant parfaitement, surent qu'ils ne pourraient rien tirer de leur mère.

Antoine, quant à lui, essayait désespérément d'intercepter Candice le matin avant qu'elle ne parte ou bien le soir à son retour. Mais à chaque fois, elle partait un peu plus tôt que la veille ou rentrait un peu plus tard. Il voyait très bien que la commandante cherchait par tous les moyens à l'éviter. Et ça fonctionnait. La culpabilité rongeait ses jours et ses nuits, lui remémorant sans cesse son erreur. Il n'arrivait pas à croire que Candice, sa Candice, ne veuille même plus lui parler, l'écouter ou même le voir. Et pour cela, elle en arrivait même à sacrifier ses habitudes, sa vie de famille et son temps de repos. Elle lui avait bien dit un soir quand il l'avait croisée brièvement que son enquête accaparait tout son temps. Mais il était bien placé pour savoir que, même ultra impliquée, sa commandante ne négligerait jamais ses enfants.

Il n'avait pas pu cacher sa peine lors d'un goûter de retour d'école. Les enfants se racontaient entre eux ce qu'ils avaient fait cette semaine, et surtout ce qu'ils avaient mangé. Les jumeaux s'extasiaient du super méga gros burger qu'ils avaient dévoré sur la plage et Jules, des sushis d'anguille et de thon mariné. Antoine, participant activement à la conversation, leur avait demandé où ils avaient déjeuné et avec qui. Quelle ne fut pas sa surprise quand les jumeaux lui révélèrent que leur mère les avait invités à tour de rôle pour déjeuner ! Emma, devant sa mine déconfite, avait bien essayé de lui raconter un bobard, comme quoi, ils seraient passés la voir à la DPJ, finissant plus tôt, et elle les aurait emmenés déjeuner. Rompu aux suspects les plus coriaces, le capitaine voyait bien qu'Emma lui mentait… Il fit comme si de rien n'était mais garda le silence tout le reste du goûter.

Ses pensées étant focalisées sur Candice, et uniquement sur Candice, il ne réalisa même pas que son premier rendez-vous avec Émilie, depuis l'incident, avait lieu le matin même. Ce n'est que quand l'infermière sonna à la porte, qu'il se remémora son entrevue avec elle. Et là, avant d'ouvrir, il poussa un long, très long soupir. Comment dire à Émilie qu'il n'était pas intéressé par elle et qu'il s'était servi d'elle ? Vaste question …

« Bonjour Émilie, entre … l'accueillit Antoine en la laissant entrer.

- Bonjour Antoine ! Comment vas-tu aujourd'hui ? lui demanda Émilie, toute guillerette. Elle joint le geste à la parole en accompagnant sa phrase d'une caresse sur l'épaule. Mal à l'aise, Antoine, s'éloigna aussitôt.

- Euh… ça va, mentit-il. Bon à moitié hein, car si ce n'était pas vrai moralement, physiquement, il allait de mieux en mieux.

- Tu es sûr ? Tu as une petite mine… Tu dors bien ? le sonda Émilie en l'observant attentivement, chose qui mit Antoine sacrément mal à l'aise.

- Émilie, sois tranquille, je te dis que ça va ! riposta Antoine, un peu plus sèchement qu'il ne l'aurait voulu. Excuse-moi… rajouta-t-il aussitôt.

Émilie voyait bien que quelque chose n'allait pas chez son patient. Il n'était pas comme d'habitude, il semblait abattu et, même triste. Comme s'il avait perdu toute sa joie de vivre, comme s'il avait perdu ce qu'il aimait le plus. Car physiquement, tout allait de mieux en mieux. Il ne ressentait plus aucune douleur à l'épaule ni à la poitrine et tous ses contrôles à l'hôpital étaient rassurants. Seule persistait une légère raideur quand il attrapait des objets en hauteur. Et bien sûr, une belle cicatrice sur son torse. Une cicatrice qu'il caressait d'un geste songeur quand il réfléchissait le soir dans son lit. Elle s'y prêtait tout à fait, du fait de sa forme en croissant de lune.

- Tu es pardonné, lui répondit-elle en souriant. Tu veux faire quoi aujourd'hui ? Séance de massage ou du sport ?

- Du sport, sauta-t-il sur l'occasion. Moins il aurait de contacts physiques avec elle, mieux il se porterait. Et moins, il donnerait de faux espoirs à l'infermière.

- Très bien, alors c'est parti pour les haltères. Je te laisse aller les chercher… dit Émilie, légèrement déçue de ne pas passer un moment charnel avec le capitaine.

La séance se déroula dans un silence pesant. Antoine se força à se concentrer uniquement sur ses exercices, faisant mine d'être totalement absorbé par le nombre de tractions qu'il était en train de faire. Ca en était même comique. Émilie, devant ce spectacle, ne pipait mot, se sentait ignorée. Elle ne savait pas comment dérider son patient et aborder le déjeuner de ce week end… A la fin de la séance, elle prit pourtant son courage à deux mains.

- Antoine, tu as quelque chose de prévu ce midi ? J'aimerais te parler …

On y était, le point de non-retour était arrivé. Antoine devait prendre ses responsabilités.

- Émilie, il faut que je te parle également, répondit-il en regardant le bout de ses baskets.

- Je t'écoute ! renchérit-elle, heureuse du possible dénouement de la situation.

- Je voudrais revenir sur le déjeuner de ce week end et sur mon attitude. J'ai été en dessous de tout ce jour-là et je m'en excuse. Je n'avais pas à agir comme ça … lui dit-il piteusement.

- Hein ? Je ne comprends pas. Tu as eu la gentillesse de m'inviter à rester avec vous et tu as été charmant avec moi. Bon, plus distant à la fin c'est vrai…

- Je n'ai pas été sincère avec toi, je l'ai fait pour de mauvaises raisons…

- Comment ça de mauvaises raisons ? demanda Émilie, interloquée.

- Je t'aime beaucoup, j'aime passer du temps et discuter avec toi… mais en amis. Rien de plus…

Antoine était mal à l'aise au possible. Émilie, devant lui, le sondait de ses grands yeux bleus cherchant à comprendre ce qu'il était en train de lui dire. Il lisait en elle toute l'interrogation qu'elle ressentait à ce moment-là. Il essayait de se montrer le plus doux et diplomate possible afin de ne pas faire plus souffrir son infermière.

- En amis ? Je ne sais pas, samedi, j'avais l'impression que tu voulais plus… Tu étais si charmant, si attentionné… Je pensais que je te plaisais… tenta Émilie.

- Émilie, tu es parfaite. Adorable, jolie, drôle, dynamique et souriante. Tout ce qu'un homme peut désirer…

- Mais pas toi… le coupa l'infermière avec amertume.

- Mais pas moi… je t'ai invité pour de mauvaises raisons. Chloé m'a fait redescendre sur terre dans la cuisine et m'a fait comprendre que je mentais aux autres, et que je me mentais à moi-même.

- Tu es amoureux de Candice ? lui demanda soudainement Émilie. Sans crier gare, elle lui avait posé LA question qu'il redoutait. A lui, d'être honnête avec elle, cette fois.

- Je ne sais pas très bien ce que je ressens pour Candice. Mais ce que je sais, c'est que c'est plus que de l'amitié… Je n'arrive pas à mettre des mots sur mes sentiments car tout cela est si soudain. Mais, ce qui est sûr, c'est que je tiens beaucoup à elle.

- Et, elle aussi tient beaucoup à toi, ça se voit. Elle te regarde avec les yeux d'une femme amoureuse.

- Non, je n'en suis pas aussi sûre que toi… murmura-t-il.

- Antoine, je n'en reviens pas de dire ça, mais, si tu l'aimes, car oui, tu l'aimes, il faut lui dire ! Tout lui avouer, simplement. Car j'ai cru comprendre que votre relation était compliquée. Alors, sois juste honnête avec elle.

- Il faudrait déjà que je la vois… maugréa-t-il.

- Créé l'occasion alors ! Bon, je vais devoir te laisser Antoine, mes autres patients ont besoin de moi. Allez à plus !

- Hey Émilie, encore une fois, je suis désolé… Sans rancunes ?

- Sans rancunes ! Mon charme magnétique ne peut pas opérer à chaque fois … le taquina-t-elle. Allez bonne journée ! »

Antoine resta un long moment dans le salon, les bras ballants, repensant à sa conversation avec Émilie, qui ne s'était pas trop mal passée. Cette fille était étonnante et il se maudissait encore de l'avoir fait souffrir. Mais ce sont ses dernières paroles qui l'interrogeaient le plus : alors comme ça, Candice était amoureuse de lui ?