C'était le « vrai » premier jour de Chloé St Laurent à la BSU. Elle avait été contrainte de remonter quelques jours sur Paris pour intervenir lors d'un procès. A la suite de son témoignage, Candice avait insisté pour qu'elle prenne quelques jours off pour se remettre de ses émotions. Elle, qui intervenait occasionnellement au tribunal pour rendre compte de ses enquêtes, connaissait bien la portée émotionnelle de ces événements. Mais Chloé était Chloé… et le mardi matin, elle était là. Prête pour une nouvelle enquête.

N'ayant toujours pas envie de croiser Antoine et d'entendre ses excuses ou ses justifications, Candice passait sa vie au commissariat. Même Attia lui avait fait remarquer. Avec son style bien à elle, la commissaire lui avait signifié qu'elle prenait enfin à cœur son rôle de commandante et que ce n'était pas trop tôt. Surtout lors d'une affaire aussi sensible que celle qui les occupait actuellement. Joie et bonheur cette commissaire … Mais Candice ne comptait pas maintenir ce rythme indéfiniment car mine de rien, être trop assidue dans son travail lui pesait réellement. Elle ne voyait qu'occasionnellement ses enfants et ses amies et surtout la fatigue commençait à s'accumuler. Il fallait dire qu'elle ne dormait pas beaucoup la nuit … Son esprit tournait et retournait encore et encore les événements de ce week end.

Retenant un bâillement, elle faussa compagnie à son amie pour aller leur chercher une bonne tasse de thé au jasmin. Chloé partageait ce trait de caractère avec Candice. Toutes les deux détonnaient dans cette culture du mauvais café ingurgité en un trait, chère aux policiers. Mais ça leur correspondait tellement bien, que plus personne ne trouvait à redire sur leur manie. Antoine avait même offert à Candice un ensemble de thés floraux lors d'une soirée chez elle. Elle en avait d'ailleurs été très touchée.

Chloé était seule dans l'open space de la BSU, face au tableau transparent quand elle entendit du mouvement dans son dos. Mais perdue dans ses pensées, elle ne daigna même pas se retourner pour accueillir le visiteur. Enfin, la visiteuse car c'était Chrystelle qui arrivait, débutant sa journée de travail.

« Hé ! Qu'est-ce que vous faites là ? C'est une enquête confidentielle ! Je vais vous demander de sortir ! cria Chrystelle en direction de la criminologue.

Pas de réponse.

- Hé ! Vous m'entendez ou pas ? Vous sortez d'ici maintenant ! retenta la lieutenant.

Pas de réponse.

- Bon ça suffit ! Je vous arrête pour obstruction à la justice dans une volonté de divulguer des preuves. 2 ans d'emprisonnement et 7500 euros d'amende, ça va vous remettre les idées en place, rugit Chrystelle en s'avançant vers Chloé et en lui attrapant le bras.

- Vous n'aimez pas beaucoup la nouveauté, n'est-ce pas ? lui répondit Chloé avec un léger sourire en coin.

- Hein ? Comment ça ? lui répondit Chrystelle complètement éberluée par la remarque de l'intruse.

- Ben, c'est pas difficile à voir, reprit lentement Chloé. Vous n'aimez pas qu'on marche sur vos plates-bandes et vous optez sans réfléchir pour la violence, pour un ton courroucé. Quelqu'un de plus tranquille, de plus au calme avec ses émotions, m'aurait gentiment demandé si je m'étais perdue ou si je cherchais quelque chose. Mais vous, non, vous avez tout de suite pensé que je cherchais à mal faire.

- Mais qui êtes-vous pour me parler comme ça ? Vous ne me connaissez même pas ! lui retourna la lieutenante.

- Chrytelle, bonjour ! A ce que je vois, tu as déjà fait la connaissance de Chloé, sourit Candice.

- Heu non… Pas vraiment… tu la connais Candice ? répondit-elle.

- Bah oui, heureusement ! rigola Candice. C'est notre nouvelle venue sur l'enquête de l'arracheur d'yeux. Je te présente Chloé St Laurent, criminologue au sein de la 3e DPJ de Paris. Nous nous sommes toutes les deux rencontrées quand je travaillais au 36, et les intuitions de Chloé avaient fait mouche pour résoudre l'enquête. Et comme ici, on manque à la fois de renfort et de pistes, je me suis permise de faire venir Chloé.

- D'accord… Candice, tu aurais pu me prévenir non ? demanda Chrystelle avec véhémence.

- Vous voyez, vous n'aimez pas beaucoup le changement … l'interrompit Chloé.

- Vous, je ne vous ai pas parlé !

- Bon, bon, calmons-nous ! tempéra Candice. Nous sommes toutes présentes dans un seul et unique but : trouver qui est le cinglé qui arrache les yeux de ses victimes et l'arrêter. Je te propose donc de faire un point sur l'enquête afin de mettre Chloé à jour. Ok ?

- Ok… répondit Chrystelle, mal à l'aise devant cette femme qui l'avait sondée en 5 min. Par certains égards, elle lui faisait penser à Candice. Dans ce côté très intuitif, dans ce style vestimentaire fantaisiste, pour ne pas dire ridicule, et dans sa manière de dissimuler les choses. Une Candice c'était déjà beaucoup, mais alors deux… Chrystelle arrivait seulement à supporter les méthodes de sa commandante… Antoine, à l'aide ! »

Chrystelle posa ses affaires sur son bureau et prit place face au tableau transparent, à côté des deux femmes. Elle écouta Candice résumer les points de l'enquête.

- Bien. Nous sommes en présence de deux meurtres dans le milieu du cinéma. Le premier, celui de Sacha Tregan, 38 ans, mariée à Mathilde Rousseau et directrice de casting. Le second, celui de Nicolas Copola, 52 ans, réalisateur célèbre, célibataire, sans enfants. Tous les deux ont été tués à 10 jours d'intervalle et de la même manière.

- Non Candice, le tueur avait donné du GHB au réalisateur et pas à la directrice de casting, intervient Chrystelle.

- Bien vu Chrystelle, sourit Candice. Et l'une a été retrouvée dans un petit cinéma d'art et d'essai et l'autre dans une école de théâtre. Donc tout tourne autour du cinéma vous l'avez compris.

- Un milieu où il y a beaucoup d'appelés et peu d'élus … soupira Chloé.

- Tout à fait ! D'ailleurs, la directrice de casting avait reçu beaucoup de lettres de menace suite au casting du film « Les 3 mousquetaires », un succès apparemment, reprit Candice.

- Jamais entendu parler… reprit Chloé.

- Ca ne m'étonne pas .. marmonna Chrystelle.

- Bref, reprit Candice, on en est là. Donc Chloé, si tu as une idée fulgurante, c'est le moment ! Surtout que notre commissaire nous attend au tournant … politique et personnes connues, tout ça tout ça …

Tous les visages, enfin ceux de Candice et Chrystelle, se tournèrent vers Chloé, plein d'espoir. Cette dernière prit le dossier de l'enquête, sa tasse de thé et s'assit par terre en tailleur. Chrystelle haussa les yeux au ciel, découragée d'avoir, avec elle, une autre collègue bizarre, peut être même, encore plus ! Antoine, à l'aide ! Elle l'appellerait pour tout lui raconter, pas moyen qu'il manque ça !

- Je m'imprègne et je reviens vers vous. Mais en tout cas, si j'étais vous, j'irais demander à l'école les listings de leurs élèves. Il y a une dimension familière, affectueuse presque nostalgique avec les établissements scolaires. Presqu'une bulle pour ceux qui s'y sont plu. Je parie que notre tueur n'a pas choisi ce lieu au hasard et qu'il y a été élève.

- L'école existe depuis Georges Brassens, ça en fait des élèves … marmonna Chrystelle.

- Et bien, c'est une bonne piste ! tempéra Candice. Ca ne coûte rien, Chrystelle tu y vas.

- Ok, ok … maugréa la lieutenante »

Aussitôt installée dans sa voiture, enfin la voiture de fonction d'Antoine, Chrystelle appuya sur la touche appel de son téléphone pour appeler ce dernier.

« Allo Antoine, c'est Chrystelle.

- Salut Chrystelle, il y a un problème avec Candice ? la coupa le capitaine.

- Non relax, elle va bien ! Elle décabanne avec sa copine criminologue, je voulais te raconter ! Je te dérange ?

- Non, non ça va ! C'est pas comme si j'étais très occupé en ce moment …

- Et mais, pourquoi tu as tout de suite cru que Candice avait un problème ?

- Non, non, pour rien, comme ça …

Le capitaine se garda bien de répondre honnêtement à sa collègue. De lui dire que Candice était crevée, à bout, à cause de la situation dans laquelle il l'avait mise, de ses interminables journées et de la pression d'Attia. Il craignait donc qu'elle fasse une bêtise ou qu'il lui arrive quelque chose. Heureusement, que Chrystelle et Chloé étaient là pour veiller sur elle. Car s'il lui arrivait quelque chose, là maintenant, il ne se le pardonnerait pas.

- Bref, tout va bien avec ta commandante préférée ! Même trop bien, maintenant … J'ai deux Candice pour le prix d'une.

- Toi, tu as rencontré Chloé, rigola Antoine.

- Tu la connais ? Tu aurais pu me prévenir quoi …

- Elle est venue quelque fois à la maison. Elle est dans son monde mais très perspicace à ce que j'ai vu. Elle a de très bons états de service en terme de résolution d'enquêtes.

- A la maison ? tiqua Chrystelle.

- Oui, ben chez Candice. Bon Chrystelle, ça m'a fait plaisir de t'avoir au téléphone mais je dois te laisser, mon infermière arrive. Bon courage avec les deux Candice, mais je suis sûre qu'elles apporteront beaucoup à l'enquête et que tu apprendras des tas de choses. Bye ! »

Et Antoine raccrocha. Il ne voulait pas s'étendre sur son lapsus, et surtout pas devant Chrystelle… Ca lui avait échappé. Il fallait dire qu'il se trouvait tellement bien chez sa supérieure. Bon… avant qu'il fasse une connerie et que tout dérape… Il avait besoin d'en parler à quelqu'un et JB apparut comme étant la personne idéale !