Toujours mue par cette main incandescente, Candice se laissa diriger vers un petit bistrot typiquement provençal. Quelques tables sous de grands arbres lézardaient à l'ombre en attendant les clients et, espéraient de grandes conversations bruyantes avec les mains. Au vu du mobilier, le troquet semblait être resté coincer quelques décennies en arrière. Les tables en formica rappelaient des souvenirs à Candice. Ils en avaient une à la cuisine, chez elle, à Valenciennes. Une table bleue qui avait assisté à de sacrés scènes. Pour parfaire l'atmosphère à la Pagnol, un homme sans âge essuyait des verres en écoutant la radio. Du foot.

Guidée par Antoine, Candice prit place à une table. Il tenait toujours sa main solidement fixée à la sienne. Comme s'il ne voulait pas la lâcher. Il avait un sourire scotché jusqu'aux oreilles. Il rayonnait. Il semblait vraiment heureux d'être ici. C'est sur ces entre-faits que le serveur arriva à leur table.

« Oh Tonio ! Ca faisait longtemps ! s'exclama le serveur en donnant une tape dans le dos d'Antoine.

- Oui, avec mon job, j'ai pas trop le temps de revenir… Mais je suis heureux de te revoir Fernand ! sourit le capitaine.

- Tu travailles trop … Je suis heureux de te voir aussi petit ! sourit tendrement Fernand. Tu ne me présentes pas Tonio, dit-il en regardant Candice.

- Si si bien sûr ! Fernand, je te présente Candice. Candice, voici Fernand. C'était le meilleur ami de mon grand-père. Je ne te raconte pas le nombre d'heures que j'ai passé ici à les écouter tous les deux raconter leurs histoires !

- Enchantée, répondit Candice à la poignée de main chaleureuse que lui tendait Fernand.

- Vous voulez boire quoi ? C'est ma tournée ! leur demanda Fernand en tapant dans ses mains. Tonio, une tomate ?

- C'est quoi une tomate ? demanda Candice intriguée.

- Ahhhhh la boisson préférée de mon Tonio ! Qu'est-ce qu'il a pu en boire minot.

- C'est de l'Orangina avec du sirop. C'est un peu ma madeleine de Proust, sourit le capitaine. Va pour une tomate ! Et toi Candice ?

- Va pour une tomate alors ! sourit Candice »

Fernand, après une nouvelle tape dans le dos d'Antoine, s'était dirigé vers son comptoir pour préparer leurs boissons. Candice regardait autour d'elle cet environnement typiquement provençal. Encore un peu et elle se serait crue dans un épisode de Plus Belle la Vie ! Outre le côté pittoresque de l'endroit, c'était surtout le sourire rayonnant d'Antoine qui lui faisait chaud au cœur. Elle prenait plaisir à le regarder sourire, la tête dans ses souvenirs. Décidemment, ce week end, Antoine lui ouvrait la porte d'un monde qu'elle ignorait. Lui ouvrait son monde à lui. Et ça, venant d'un grand pudique comme lui, c'était inestimable.

« Tenez les jeunes ! réapparut Fernand. Je vous ai mis une part de fougasse. Tonio tu aimes toujours ça ?

- Évidemment ! répondit Antoine en souriant. Goûte Candice, c'est la meilleure de la région !

- Et depuis 30 ans ! répondit fièrement le bistrotier. Je suis là-bas, si vous avez besoin de quoique ce soit !

- Je ne pensais pas t'amener ici ce week end Candice. Mais quand j'ai vu qu'on était à quelques kilomètres d'ici, j'ai pas pu résister. Tant qu'à être dans le week end nostalgie, autant en profiter ! reprit Antoine en caressant la main de Candice.

- Tu as bien fait ! C'est vraiment joli, et Fernand semble t'adorer, sourit Candice.

- Oh, il me connaît depuis tellement d'années aussi ! Bien qu'issus de deux mondes différents, ils étaient comme larrons en foire avec mon grand-père. Inséparable. Et comme j'ai passé mon enfance ici, Fernand est devenu comme un tonton. C'est avec lui que j'ai bu ma première bière d'ailleurs ! A 14 ans…

- 14 ans ? s'exclama Candice. Mais c'est hyper tard Antoine ! Dans le nord, on te fait tremper les lèvres dans la bière avant 10 ans. Bon, ma famille n'était peut-être pas une référence en matière d'éducation… répondit-elle en baissant les yeux.

Elle était soulagée qu'Antoine ne rebondisse pas sur ces dernières paroles, quand il reprit la conversation.

- Et tu sais, que c'est là, sur ce banc, lui montra-t-il, que j'ai eu mon premier baiser.

- Et tu avais quel âge ? 18 ans ? le taquina Candice.

- T'es méchante ! 11 ans je te ferais dire ! Dans le nord, on est plus précoce ? la titilla-t-il.

- Continue, sourit Candice en lui caressant à son tour le dos de la main.

- Elle s'appelait Juliette, et c'est mon premier amour de vacances. Elle avait l'habitude de rester chez ses grands-parents pour les mois d'été. On avait fait connaissance à la maison de la presse en bas de la rue. J'avais plus de matériel à dessin et elle, venait acheter un livre. Elle m'a taquiné sur mon t shirt plein de tâches de peinture, et moi sur ses lectures. Et c'était parti ! On ne s'est pas quitté de tout l'été. Les adieux ont été terribles…

- Et tu l'as revue ? demanda Candice.

- Même pas ! Ses grands-parents ont vendu peu de temps après leur maison pour se rapprocher de la ville. Sa grand-mère avait des problèmes de santé. Bref mon premier amour, sourit Antoine.

- C'est mignon, s'exclama tendrement Candice. Les premiers papillons dans le ventre, les premières mains qui se frôlent, … et les premiers baisers ! Inoubliables !

- Tu as dû en faire tourner des têtes ado ! la taquina Antoine.

- Pas plus que ça. Tu sais mes parents ne me laissaient pas trop sortir, et j'ai rencontré Laurent tôt…

- Et bien, si je t'avais croisée ici un été, ça aurait été toi que j'aurais embrassée sur ce banc ! renchérit-il en la regardant tendrement dans les yeux. C'est fou quand même, de me retrouver après toutes ces années, ici, avec la femme que j'aime ! »

Et là, ce fut comme si un uppercut avait frappé Candice dans le ventre. Une telle déflagration quand elle avait entendu son amoureux prononcer ces mots. Son cœur avait clairement raté un battement. Bien sûr, ils s'étaient tous les deux avoués leurs sentiments dans le bureau de Candice, mais là, c'était autre chose. Antoine lui avait dit qu'il l'aimait. Qu'il l'aimait ! Et surtout, comme ça, le plus naturellement du monde. Et c'est cela qui toucha le plus la commandante. Sans cérémonial cucul où se dire je t'aime était scénarisé avec des roses, un repas aux chandelles ou des chocolats. Un peu comme Laurent s'était déclaré, le repas et les roses en moins. Antoine, quant à lui, s'était exprimé de la manière la plus naturelle possible. Et tout prenait sens. Il l'avait emmenée dans son jardin secret, s'était révélé, lui avait raconté sa vie… Il ne le ferait pas à une femme de passage. Candice le savait. Et cela fit bondir son cœur dans sa poitrine, impossible de le maîtriser. Tout comme le sourire éclatant qui s'était installé sur son visage.

« Je rêve, ou Monsieur Dumas, vous m'avez dit à l'instant que vous m'aimiez ? lui demanda Candice, en jouant exprès la carte du vouvoiement. Elle voulait être certaine de n'avoir pas rêvé.

- Bah oui !

- Bah oui, qu'il me dit !

- Bah oui ! Je t'aime depuis tellement longtemps, que ça me semble normal de le dire… Après toi, si tu n'es pas encore prête, je ne te force à rien hein !

- Depuis quand ?

- Depuis quand quoi ?

- Depuis quand m'aimes-tu réellement ?

- Après l'affaire des cookies…

- Et bien, ils nous auront marqués ces cookies ! rigola Candice.

- Tu sais, le lendemain au commissariat, tu es sortie quelques minutes sur le bord de mer rejoindre ton kiné.

- Hervé.

- Oui Hervé. C'est en te voyant l'embrasser que je me suis rendu compte que j'aurais tout donné pour être à sa place, à ce moment-là.

- Oh !

- Voilà voilà… reprit Antoine mal à l'aise.

- Moi c'était chez JB et Audrey. Après cette enquête sur le vétérinaire. J'ai bien vu que ce soir-là, tu ne m'avais pas fait venir uniquement pour mes talents de baby sitter ! Tu avais quelque chose derrière la tête. Tu voulais que je me confie à toi. Et, quand, devant mon mutisme, tu as dit que tu m'écoutais, que tu m'écouterais toujours, j'ai su.

- Oh ! Et tu n'as rien laissé paraître !

- Bah toi non plus je te ferais dire !

- Bah moi, tu m'attirais déjà depuis un bout de temps… Bon, pas la première fois avec ton uniforme ! Mais, ton physique ne me laissais pas insensible…

- On est deux ! rigola Candice. Mais ton mauvais caractère a joué en ta défaveur !

- Moi, je te trouvais belle malgré TON mauvais caractère !

- Normal, t'étais pire que moi !

- Je ne répondrai même pas à ce mensonge.

- Moi aussi Antoine, je t'aime. Et je suis heureuse de pouvoir te le dire. Comme tu sais, je ne veux pas aller trop vite dans notre relation. Alors, j'ai cru que si je te le disais la première…

- On est deux compliqués dans la vie, mais deux compliqués qui s'aiment, sourit Antoine en se levant pour capturer les lèvres de Candice »