Les portes du Kadjar noir ne tardèrent pas à se claquer dans un bruit sourd simultané. Au-dessus d'eux, les lumières du salon de Paul semblaient éteintes. Et la porte d'entrée définitivement verrouillée, constatait Antoine après l'avoir saisie avec fougue.
«Bah y a personne? s'étonna-t-il.
- Ça a l'air… J'essaye de l'appeler, lança Candice avant de grimacer. Il est sur messagerie directe en plus, observa-t-elle en retirant son portable de son oreille.
- Rassure moi, t'as les clés quand même?
- Ouais, j'ai un double que tonton m'avait filé.»
Et c'est une blonde étonnée de l'absence de son oncle qui déverrouilla la porte d'entrée. Les deux grimpèrent rapidement les quelques escaliers avant de constater le silence des lieux. Bon, Paul n'était donc pas encore rentré alors… Candice lui laissa un sms et observa son amoureux zyeuter la cuisine.
«Tu crois que je peux me servir un truc dans le frigo? Je meurs de soif…
- Bah oui! Bien sûr! Et je me disais d'ailleurs qu'on pourrait peut-être lui préparer un apéro… Histoire de le remercier quand même…
- Oui pourquoi pas!
- La supérette est pas loin, fit remarquer Candice avant de bailler bruyamment. Je passe par la salle de bain et on y va après si tu veux.
- Tu sais quoi? Le… Le mieux c'est que j'y aille, comme ça toi, tu prends un peu de temps pour toi.
- T'es sûr?
- Ouais! T'inquiète, je gère.
- Ok!»
Antoine lui sourit en retour avant de la voir disparaître au fin fond du couloir. L'idée était bonne, en effet… Mais elle était surtout réfléchie…! Et sans plus attendre, il avait remis son manteau sur son dos avant de quitter l'appartement au pas de course. Dehors, il arpenta cette rue qu'il ne connaissait que trop bien avant d'aviser la petite place sur sa droite. Il traversa et approcha un banc avant d'y déposer son corps, lui aussi éreinté par ces évènements compliqués. Il sortit le téléphone de sa poche et composa ce numéro sur son clavier. Et intérieurement, Antoine savait déjà comment cet échange allait se passer… Mais là, vu la tonne d'appels manqués et les SMS reçus qui respiraient la nervosité, il n'avait plus le choix. Alors il profita d'un semblant de courage qui semblait le gagner et joignit son portable à son oreille.
«Ah bah quand même! meugla une voix derrière le combiné. T'as pas eu mes messages ou quoi?!
- Bonjour à toi aussi maman, soupira Antoine en grimaçant.
- Oui bon!
- Désolé, j'ai eu quelques jours mouvementés… J'ai pas pu répondre.
- Ah bah c'est sûr que si t'es en priorité boulot, on est pas prêt de s'en sortir hein… Bon alors, ton costume?
- Oui je l'ai récupéré, ça va.
- Bien. Et les fleurs? J'attends toujours que tu m'envoies en photo ce que vous avez choisir…
- Je… continua-t-il sans courage.
- Et le bouquet surtout, il est comment?
- Bah il est fleuri, je sais pas moi, mentit-il sans originalité.
- Un bouquet fleuri, tu te moques de moi là?
- Non pardon, je… hésita-t-il à nouveau.
- Bon tu sais quoi? Je vais passer chez vous d'ici une petite demi-heure, comme ça on fera le point, ce sera plus simple…
- Non! Bah non! craqua-t-il de nerfs. Y a pas de point à faire. Y a plus besoin! continua-t-il la voix sanglotante.
- Hein? Qu'est-ce que tu racontes?
- Je… Je suis dans le nord en fait. Avec Candice. Les choses sont un peu compliquées…
- Dans le nord?! répéta-t-elle dans un cri de surprise. Mais à 2 semaines du mariage enfin!
- Je te dis que c'est compliqué! Candice va pas bien à cause de sa famille et… je voulais pas la laisser affronter ça toute seule…
- Eh bah c'est super! Comme ça rien ne sera prêt à temps! Autant pas vous marier à ce tarif-là hein…
- C'est ce qui est prévu, t'inquiète pas! laissa-t-il sortir sans réfléchir.
- Eh beh t'as plus besoin de moi alors, bonne soirée Antoine.»
Il ferma soudainement les yeux, conscient de son agressivité. Bah oui, sa mère se démenait tant bien que mal pour tout préparer et c'est comme ça qu'elle était remerciée ?! Non ce n'était pas possible... Puis heureusement qu'elle était là parce que sinon, les faire-part seraient encore dans leurs enveloppes d'origine.
«Non! Attends… la retint-t-il dans un désespoir sans mesure. Pardon je… C'est juste que je suis complètement perdu… Je…
- Mais qu'est-ce qui se passe enfin!
- Candice veut plus se marier, souffla-t-il en étouffant des larmes menaçantes.
- Pardon?!
- Elle… Elle sait plus… En fait… tu sais, c'est à cause de sa mère et… elle a réussi à lui remettre le doute. Et moi je… bah je sais pas quoi faire…
- Donc quoi? Elle annule tout comme ça et te plante au dernier moment?!
- Elle dit qu'elle a besoin de temps…
- Du temps?! Non mais la bonne blague…
Soucieuse, ses yeux se froncèrent davantage lorsqu'elle entendit son fils renifler derrière le combiné, devinant trop bien ce qu'il se passait dans sa tête.
Qu'est-ce que tu vas faire? osa-t-elle demander.
- Je sais pas… Au fond de moi, j'ai toujours l'espoir qu'elle change d'avis, je…
- Mais même si elle change d'avis Antoine… Je veux pas te miner mais… rien n'est prêt. Elle a pas de robe, pas de bouquet…
- Et si on décale?
- Mais ça se décale pas comme ça un mariage, enfin. Et puis admettons qu'on décale et qu'elle refait le même coup…
- Je sais, encaissa-t-il en ravalant ses larmes.
- Vous rentrez quand?
- Candice veut rester ici ce week-end. Mais on avait convenu un déjeuner avec les enfants pour préparer le mariage… Je sais pas trop quoi faire.
- Parce qu'elle leur a rien dit?!
- Ah bah non! Je l'ai appris ce matin moi, figure-toi. Elle dit qu'elle veut attendre de rentrer pour leur annoncer…
- Non mais on rêve là! Vraiment, son égoïsme la tuera, c'est pas possible…
- Je… J'crois que le pire, c'est que j'imagine la tête de Suzanne quand je vais lui dire… Ça me… imagina-t-il la gorge nouée.
- C'est normal… Et pour ce week-end, c'est toi qui vois, Antoine…
- Ouais!
- Si jamais tu décides de rentrer tu me fais signe, on dinera ensemble demain soir.
- Ok, ça marche.
- Allez, haut les cœurs mon chéri! Ça va aller...
- Merci maman. »
Antoine raccrocha, surpris du surnom qu'il venait d'entendre. Il avait dû se montrer bien mal en point pour recevoir un tel honneur, ironisa-t-il intérieurement. Et en même temps, sa mère aussi devait être triste… Après tout cet investissement réduit à néant, il y avait de quoi…! Il esquissa un bref sourire, se rappelant encore du moment où il avait annoncé à Isaure qu'il allait se marier. Des éclats de joie étaient sortis de sa bouche, des paillettes éclataient dans ses yeux et un sursaut d'excitation l'avait conduit à récupérer de vieux carnets vierges au fin fond de son bureau. Tout se devait d'être parfait! Et en plus, Antoine comblait enfin l'espoir de sa mère de voir l'un de ses deux fils se marier. Pierre étant pacsé, ses rêves avaient été réduits en poussière alors elle avait tout reposé sur les épaules de son autre fils au caractère volatile… Mais quand enfin ce dernier s'était décidé à se poser, elle n'avait pas chômé! Elle s'était lancé bille en tête dans la préparation de cet évènement, faisant appel à ses contacts pour obtenir quelques privilèges, peut-être un peu trop même… Et Isaure n'avait absolument pas écouté les recommandations de son fils: «simple, convivial et chaleureux». Non, non… Elle, était plutôt partie dans les grandes fastes…! Enfin, tout cela ne servait plus à rien, maintenant, se désolait le commissaire en se rendant vers la supérette sans grande conviction.
...
«C'est moi! cria Antoine en débarquant au salon sacs en main.
- Ah, s'exclama Candice en faisant apparition devant lui. Mais t'as été super long…
- Euh ouais, sourit-il difficilement. J'avais besoin de… de réfléchir un peu…
- Ok, acquiesça Candice sans entrain. Et tu réfléchissais à quoi?
- A ce week-end… Je pense que je vais rentrer Candice. C'est pas contre toi mais, je crois que j'ai besoin de me retrouver avec ma fille pour digérer…
- Ok, lâcha-t-elle de déception. Je comprends…
- J'ai prévenu ma mère pour le mariage aussi. Elle arrêtait pas de m'envoyer des messages, je… fallait que ça cesse.
- Qu'est-ce qu'elle a dit? osa-t-elle d'une petite voix.
- Bah elle était déçue et… elle comprend pas bien comment quelqu'un qui fait sa demande en mariage peut arriver à cette conclusion juste avant le jour-j, quoi…
- Elle doit me détester, souffla-t-elle en baissant la tête.
- Moi ce que je voudrais surtout savoir, c'est si avant le discours de ta mère, t'avais déjà des doutes? lui demanda-t-il frontalement.
- Sur nous? Non… Mais sur moi, oui…
- C'est-à-dire?
- Bah je sais que… que je t'aime mais, j'ai peur à l'idée que ce mariage vienne tout gâcher quoi…
- Mais c'est toi-même qui disais que ça changerait rien, j'te jure Candice, je comprends pas…
- Mais je voulais juste que pour une fois ma famille me soutienne dans mon choix! Voilà! Qu'elle me rassure en me disant que je pouvais y aller les yeux fermés. Qu'elle soit là, à mes côtés.
- Mais ta famille c'est pas que ta mère, Candice! Ta famille c'est tes enfants, ton oncle, moi accessoirement… Me dis pas qu'ils t'ont pas rassuré, eux?!
- Si bien sûr…
- Et si t'attends l'approbation de ta mère pour m'épouser, je crois que tu peux oublier notre mariage. Elle aime personne à part elle, et surtout pas moi. Alors je sais pas, je suis peut-être trop gentil avec toi et elle est pas habituée, cracha-t-il sans réfléchir.
Face à lui, Candice écarquilla les yeux de surprise, ne s'attendant pas à une telle répartie.
Pardon, bafouilla-t-il. Je… J'voulais pas dire ça…
- Les enfants?! entendirent-ils depuis l'entrée du salon.»
Les deux firent volte-face et Paul se retrouva désormais face à un Antoine énervé et une blonde aux yeux larmoyants. Visiblement, l'oncle n'arrivait pas au bon moment et le pauvre dût s'imprégner du flot de gêne qui envahissait les lieux.
«On s'inquiétait, t'étais sur messagerie directe… éluda Candice en contournant son compagnon.
- J'étais chez ta mère.
- Hein?!
- Bah oui. Fallait bien venir la chercher à sa sortie d'hôpital vois-tu…
- Mais elle a pas appelé Geneviève?
- Elle a pas le permis! Alors quand on a plus personne, bah faut bien appeler son vieux frère qu'on a malmené, soupira Paul en retirant sa gavroche de sa tête. Mais c'est pas grave, au moins on a pu discuter et remettre les choses en ordre.
- Et alors?
- Ah bah Magda est dans une merde noire hein. En voyant les flics débarquer sur ses plates-bandes, Menaux a largué ta mère comme une merde. Et madame se retrouve toute seule dans une maison qu'elle peut plus payer!
- Comment ça se fait?
- Le crédit est devenu trop cher, puisque madame Müller a tout dépensé dans les fringues et les sacs à main… Puis bon, à mon avis, une bonne partie s'est envolée dans les poches de Menaux, si tu vois ce que je veux dire.
- Et qu'est-ce qu'elle va faire?
- J'en sais strictement rien!
- Et vous avez parlé de moi?
- Ah bah oui. Entre le sermon d'Antoine ce matin et mon discours agacé du soir… J'crois qu'elle a compris hein!
- Et donc?
- Elle voudrait te parler.
- Me parler?! répéta-t-elle dans un rire jaune. Mais la dernière fois elle m'a envoyé bouler !
- Je sais. Mais je pense que ce serait une bonne chose pour toi. Au moins après, tu pourras faire tes propres choix avec certitude. Non? osa-t-il en regardant Antoine.
- C'est elle qui décide. Mais en tout cas, ce sera sans moi…!
- Je vais y réfléchir, lança timidement Candice.
- Mais oui! La nuit porte conseil… lança Paul avec vigueur.
- Ouais! sourit faussement la blonde. En attendant, on a préparé un petit apéro… Antoine part demain.
- Ah bon? s'étonna Paul.
- Oui. Je dois retrouver ma fille…
- Ok! Bon bah on va profiter de cette dernière soirée tous ensemble alors… lança Paul en s'éloignant. Je vais me changer, je reviens!»
La blonde acquiesça avant de poser ses yeux sur son chéri qui semblait plongé dans ses pensées depuis cette escapade à la supérette. Émue, elle osa approcher à pas de loups et s'accrocha à sa taille pour un câlin réconfortant. Elle ne voulait pas qu'il parte… Pas maintenant alors qu'elle avait besoin de lui… Mais en même temps, elle ne pouvait que respecter sa décision, comprenant que lui aussi souffrait de la situation. Alors tant qu'elle l'avait encore à sa disposition, elle profitait pour s'imbiber de tout le courage dont elle avait besoin pour affronter sa mère demain. Et les choses ne s'annonçaient pas aisées…!
