Petite annonce :

Depuis environ un an maintenant, je poste les chapitres de mes récits de Caught in The Middle sur . Même si les reviews sont rares, je pars du principe que peut-être cela plaît tout de même, et je n'ai de toute façon aucun intérêt de simplement les garder dans mon ordinateur. Et je ne suis moi-même pas très douée en review de ce que je lis. (Mea Culpa aux auteurs)

Seulement voilà, les seuls messages que je reçois sans cesse sont des fakes de personnes anglophones qui soit disant ont lu mes récits en utilisant Google Trad (c'est presque vexant) et veulent surtout me vendre des artworks que je ne demande pas. Maintenant que j'ai supprimé les MP, les voilà qu'ils me relancent via les reviews, m'obligeant à les signaler.

Cette situation n'est pas ce que je recherche en postant mes récits, dans un but de partage et d'échange et certainement pas d'agacement. Aussi, j'envisage de terminer de publier Time For Wisdom (il reste trois chapitres) et d'interrompre les publications sur ce site. Ceux qui le souhaitent trouveront la troisième partie sur un autre site de fanfictions (il vous suffit de taper le titre et mon pseudo dans votre barre de recherche) où je publie également mes écrits.

Si ceux qui me lisent souhaitent vraiment que je continue de poster la troisième partie ici, je vous laisse m'en faire part dans les reviews, et j'aviserai à la fin de la publication de Time For Wisdom.

Je regrette vraiment cette situation, et j'ai bien conscience que les modérateurs n'y peuvent rien puisque ces messages sont toujours très polis. Mais j'aurais besoin d'une vraie motivation pour continuer à les endurer.

Merci à tous de votre compréhension, et de votre présence pour ceux qui me lisent.

Maintenant, revenons au plus important, et place à la lecture ! Pour un chapitre qui, je pense, est probablement très attendu... :D

Enjoy !


D'épais nuages gris sombre recouvraient le ciel d'Hébra et déversaient sans discontinuer leurs larmes blanches sur les plus hautes montagnes d'Hyrule. Dans l'atmosphère feutrée qui précède l'aube, elles traversaient l'air immobile en un doux ballet hypnotique, avant de se poser délicatement sur le manteau blanc créé par leurs cousins des jours, des mois, voire des siècles précédents.

Au sud de l'imposant massif se trouvait le cratère d'un vieux volcan, éteint depuis bien longtemps. Dernier enclos de verdure printanière avant que la neige n'assoupisse toute vie naissante, la fonte des glaciers l'avait peu à peu rempli d'une eau claire et pure. Plusieurs promontoires rocheux à la forme surprenante et décharnée s'élevaient fièrement au-dessus du lac. Au sommet du plus haut d'entre eux, l'ombre endormie de Vah'Medo se dressait, gigantesque oiseau de proie veillant sur le peuple ailé installé sur les flancs de son perchoir rocheux.

Les températures y étaient douces et agréables, bien qu'un vent glacial vienne parfois s'y égarer depuis les montagnes voisines. Seul le flanc nord du cratère n'était pas épargné par le climat éternellement hivernal de la région. Quelques arbres moribonds s'y maintenaient vaillamment dans une petite prairie blottie à flanc de montagne. Hormis le terrain d'entraînement des Piafs, il n'y avait pas âme qui vive sur cette terre hostile, si ce n'étaient quelques bêtes errantes et affamées.

Serrant les bras contre son torse, Zelda y traçait pourtant son chemin dans la neige d'un air hagard. Elle puisait dans ses dernières forces pour avancer dans l'épais tapis où elle s'enfonçait jusqu'au genou. Seul le craquement de la poudreuse sous ses bottes troublait le silence pur de la montagne, et son souffle s'échappait de ses lèvres en un nuage glacé.

Comment en était-elle venue à finir cette interminable journée dans cet environnement réfractaire à toute vie, elle n'aurait su le dire. L'épuisement, tant physique qu'émotionnel, la rendait étrangement docile et elle posait un pied devant l'autre sans parvenir à réfléchir. L'atmosphère autour d'elle était si sombre et si épaisse qu'elle était incapable d'estimer l'heure qu'il était, et le rythme délirant de ces dernières quarante-huit heures lui interdisait de se fier à l'horloge de son corps déboussolé. Elle savait seulement que la nuit devait toucher à sa fin, et que le chemin qu'empruntait le chevalier n'était pas celui auquel elle aspirait.

Trébuchant de fatigue, Zelda jeta un regard fugace sur la silhouette vêtue de blanc qui sillonnait la neige devant elle, bien que rendue imprécise par l'épais voile de flocons silencieux. Un soupir agacé lui échappa.

«Link, pourquoi nous emmènes-tu dans la direction opposée au Village Piaf au juste?» lança-t-elle d'un ton aigre, frigorifiée.

Elle était pourtant vêtue de manière à se protéger du froid, mais sa fatigue était telle que son corps ne parvenait plus à lutter. Au grand dam de la couturière, Kornuieh s'était vue obligée de reproduire à l'identique la tenue duveteuse que Zelda portait il y a cent ans. La princesse n'avait rien voulu retoucher de ce vêtement à la fois beau et utile, avec son pantalon noir, épais, et ses bottes fourrées des premières plumes piafs. Son long gilet blanc était doté d'un doux col si haut qu'elle pouvait y enfouir le bas de son visage lorsqu'elle avait trop froid, et elle adorait ça.

«Il faut dormir», lui répondit Link sans se retourner, le son de sa voix étouffée par la neige qui continuait de tomber.

Zelda fusilla du regard le dos du jeune hylien. Se reposer ! Link n'avait plus que ce mot à la bouche depuis près de vingt-quatre heures et c'était bien là la seule chose sur laquelle elle s'accordait avec lui. Mais plutôt que de traîner ses guêtres dans la neige, elle s'imaginait davantage trouver refuge au village où l'attendait un bon lit de plumes. Alors seulement, elle pourrait s'y enfouir et espérer tout oublier. Oublier ses dernières quarante-huit heures. Oublier l'attaque d'Elimith. Ses responsabilités, son passé, son avenir. Et même, avec un peu de chance, son identité.

Mais surtout, surtout oublier le chevalier.

«Raison de plus pour se rendre au Village Piaf», grommela-t-elle en enterrant son menton dans le col duveteux.

Cette remarque ne récolta rien d'autre que du silence, sans surprise, et la princesse ravala sa colère. Si Link avait décidé de l'emmener quelque part, rien ne l'en ferait changer d'avis, et elle était de toute façon bien trop lasse pour se disputer une énième fois avec lui. Pourtant, la perspective d'une telle perte de temps avant d'entamer les négociations avec le doyen Kaï l'ulcérait: maintenant quela princesse savait où débusquer les assassins d'Impa, elle ressentait le besoin impérieux de se lancer à leur poursuite.

En se rappelant la manière dont tout s'était imbriqué dans son esprit, Zelda éprouva une pointe de satisfaction malgré son intense fatigue. Elle n'avait eu de cesse de relire encore et encore le poème yiga au cours du dernier mois, aussi parcellaire fut-il, sans jamais parvenir à y discerner le moindre sens. Rejetée par tous... Humiliée... Tapie là où le soleil ne luit jamais... En son sein la chaleur du foyer des fidèles... Cette phrase l'avait vaguement orientée en quête d'une statue d'origine yiga, datant vraisemblablement de l'époque du schisme sheikah. Rentrer les mains vides après les nombreuses heures dépensées au sein de la Bibliothèque Zora dans ce seul objectif commençait à engloutir toute forme d'espoir, et la faisait douter de son raisonnement.

Pourtant, Zelda avait vu juste. Cette statue existait bel et bien, mais elle n'avait jamais été construite par les yigas. Et c'était là ce que Klavieh lui avait fait comprendre.

Pour l'heure, l'amertume qui la dévorait étouffa rapidement la flammèche d'allégresse naissante. Seule la nécessité de s'éloigner de Link l'emplissait. Sa proximité la hérissait: elle avait désespérément besoin de panser les plaies qu'il lui avait infligé.

«Si je n'ai pas un lit confortable à l'arrivée, menaça-t-elle, je te jure que je chevaucherai Silhad jusqu'au village, avec ou sans toi.»

Link lui lança une vague œillade par-dessus son épaule, mais ne répondit pas ni ne ralentit sa marche. Il savait, tout comme elle, qu'elle n'était pas assez déraisonnable pour mettre sa menace à exécution. Une petite voix dans sa tête morigénait même un peu son attitude puérile, mais il n'était pas difficile de la faire taire. Il lui suffisait de se rappeler que tôt ou tard, le jeune hylien partirait définitivement vivre avec les zoras. Tôt ou tard, il la laisserait seule et elle ne pourrait plus compter sur lui. Alors, autant commencer dès maintenant, avant que la colère ne s'efface, et ne cède la place aux regrets.

Et en cet instant, se séparer de Link lui paraissait une perspective particulièrement attrayante.

Du moment où elle avait dû le toucher pour se téléporter, elle avait su qu'elle n'était pas prête à cohabiter à nouveau avec lui. Sa trahison était trop récente et la plaie en elle suppurait trop. Elle ne pouvait pas tolérer sereinement un tête à tête, une proximité. Si elle avait découvert avec soulagement qu'il suffisait de se tenir la main pour que la téléportation fonctionne, elle avait surtout compris qu'elle devait à tout prix se tenir loin du chevalier. Elle devait rejoindre le Village Piaf et laisser Link dans un coin, comme elle le faisait si facilement il y a cent ans. Sauf si elle voulait céder à ses pulsions et l'écharper une bonne fois pour toutes.

La tentation était grande. Mais, tout comme il y a cent ans, se passer de lui n'était pas une option à sa portée. Pas encore. Et cela la rendait malade.

Après une demi-heure de marche laborieuse, les deux hyliens finirent par discerner une forme trapue au cœur de la grisaille. Link esquissa un sourire satisfait. Devant eux se trouvait le Refuge de la Vallée, petite maison de bois blottie dans un creux de montagne, dernière étape avant que les plus intrépides n'accèdent aux Monts Enneigés par le Col de Térel tout proche. La roche autour de lui le protégeait des vents glacés qui tournoyaient dans le cratère et permettait ainsi de gagner un ou deux degrés précieux. Il s'agissait du seul refuge inhabité de la région. Une hylienne du nom de Selmie se chargeait de son ravitaillement, avant de rejoindre son propre refuge du côté du Pic d'Hébra.

Link y entra en premier et Zelda se précipita à sa suite en quête d'un peu de chaleur, espoir vite étouffé dans l'œuf. Le refuge était sommairement meublé d'un petit lit blotti contre le mur de droite et d'une table de bois usée à son opposé. Le reste du mobilier n'était composé que de caisses, étagères et armoires où s'entassaient des produits de première nécessité, couvertures, fioles, et plantes médicinales séchées. Selon toute vraisemblance, les lieux n'avaient pas été occupés depuis longtemps. La cheminée dans laquelle pendait une gamelle en fonte était vierge de toute cendre et l'atmosphère était aussi glaciale qu'au dehors.

«Link, tu crois vraiment que je vais pouvoir me reposer dans un endroit pareil?» s'insurgea la princesse, son regard noir balayant la pièce.

En réalité, c'était surtout l'idée de rester dans un lieu aussi exigu en compagnie du chevalier qui la faisait réagir. Cette perspective lui semblait intolérable. Au-dessus de ses forces.

Link hocha la tête, les traits impassibles.

«Mais cette cabane est digne du Crépuscule!» s'exclama-t-elle.

Sans prendre la peine de répondre, le jeune hylien s'empara des bûches entreposées dans un coin et d'un silex qu'il jeta dans la cheminée. Le débat était clos.

Zelda parcourut à nouveau son environnement sans conviction, le cœur au bord des lèvres. Elle refusait de reconnaître qu'elle était bien trop fatiguée pour chevaucher jusqu'au village comme elle avait menacé de le faire. Elle était bien en peine de comprendre pourquoi Link avait choisi ce chalet parmi tous les lieux d'Hyrule, mais elle avait vécu dans des conditions bien pires que celles-ci. Si on exceptait la présence entre ces quatre murs de celui qu'elle n'était pas loin de considérer comme son pire ennemi.

La vive flambée qui éclaira subitement la petite pièce la fit presque sursauter. Link s'écarta spontanément du feu bégayant et céda la place à une Zelda qui soupira de contentement lorsque la chaleur vint lécher la peau rougie de son visage. Il pivota des talons vers la table en défaisant les sangles de son baudrier. Il y déposa précautionneusement chacune de ses armes, et ne garda qu'un simple coutelas à sa ceinture. Il avait lui aussi revêtu sa tenue duveteuse d'un blanc éclatant à présent ornée des insignes royaux, dont il dénoua le pagne rouge sombre qui couvrait ses hanches, puis les lacets du poitrail de cuir et des bras d'armure. À présent qu'il était certain que les yigas ne les attendaient pas dans cet endroit reculé, il se sentait en relative sécurité. En tout cas, suffisamment pour ce qu'il avait prévu.

Libéré de son harnachement, Link inspecta les différentes caisses et tonneaux qui étaient stockés aux quatre coins de la pièce. Un instant plus tard, il jetait dans la marmite une paire de champignons, herbes et piments pikpik afin de confectionner un plat qui les aiderait à lutter contre les températures polaires. Si le feu était à présent généreux et les braises rougeoyantes, la bâtisse avait été inhabitée si longtemps qu'il suffisait de s'éloigner du foyer de quelques pas pour que le froid ne se ressente.

Cela ne retint pas Zelda. Glacée et mal à l'aise, elle entreprit de s'activer le plus loin possible de lui. Elle secoua la couverture du lit qui, comme elle le craignait, sentait la vieille poussière. Elle préféra ne pas réfléchir à la dernière fois où les draps avaient été changés. Certes, l'ensemble du chalet paraissait propre et entretenu, mais elle n'avait aucune certitude que le linge ait été changé depuis son dernier occupant. Cette idée la fit frissonner, et elle préféra troquer toute la literie au profit d'une nouvelle trouvée dans un placard. Elle y dégotta même, à son grand soulagement, une chaufferette en fonte afin d'acclimater les draps à une température plus acceptable. Elle songea que quelques mois auparavant, elle aurait été incapable de réaliser ces tâches autrefois dévolues à ses servantes. Elle en ressentit une étrange fierté qu'elle résolut de garder pour elle.

Son esprit traître ne pouvait s'empêcher de noter avec quelle aisance Link et elle s'organisaient dans les tâches quotidiennes, comme si cette vie à deux était la chose la plus naturelle qu'il fut. La colère l'envahit de nouveau. Ce n'était qu'un énième point qui trahissait toute la complexité de leur relation. S'ils n'étaient pas qui ils étaient, ils ne se seraient probablement jamais rencontrés. Pourtant, rien n'était plus évident que ce «deux» qu'ils formaient ensemble. Leur identité, leur rôle, leurs responsabilités, étaient à la fois ce qui les réunissaient et ce qui les séparaient.

Malgré cela, Link s'était détourné d'elle sans frémir. Et elle le détestait pour ça.

Zelda avait parfaitement conscience de la volatilité de ses sentiments à l'égard du chevalier mais elle s'en moquait. Elle expérimentait dans la douleur combien le passage de l'amour à la haine était aisé. Comme il y a cent ans, elle redressait consciencieusement toutes les barrières qu'elle avait élevées pour le tenir à distance, et que Link, à l'époque, avait réussies à briser.

Elle veillerait à ce qu'il n'y parvienne pas une seconde fois.

Lorsqu'ils s'attablèrent devant la généreuse poêlée de légumes pikpik, chacun à un bout de la table, le silence sinistre qui les drapa n'était rompu que par le raclement des couverts en bois et par le crépitement du feu. L'ambiance pesante était si éloignée de celle de leurs récentes soirées au Croissant de Lune que Zelda se sentit encore plus mal. Si tant était que cela fut possible.

Elle devait prendre sur elle et mettre fin à ce ballet muet et malhabile. Elle était certes incapable d'aborder le sujet qui trônait entre eux comme un hinox dans un champ de fleurs, mais il était primordial qu'ils retrouvent rapidement un semblant d'équilibre. Sans cela, jamais elle ne parviendrait à mener sa mission à bien, et elle ne laisserait pas Link détruire la dernière chose qui lui restait en ce monde: l'anéantissement du gang. Elle n'avait plus d'autre but dans son existence, et elle s'y accrochait de toutes ses forces pour ne pas sombrer. Maintenant que le chevalier avait choisi de se retirer de sa vie, Zelda se sentait plus seule que jamais dans ce siècle où il ne lui restait rien de ses attaches passées. Pru'ha la reniait, Faras ne la voyait plus comme une amie, et Impa était morte. Mises à part ses responsabilités envers l'avenir, rien, strictement rien ne la rattachait à cette nouvelle existence qui lui était imposée. Et que l'exercice du pouvoir allait rendre plus solitaire encore, elle le savait.

Pour cette raison, elle acceptait d'enterrer la hache de guerre jusqu'à ce que le sang de ce monstre de Suppa coule à son tour. Ensuite… elle rendrait à Link cette liberté qu'il avait choisi, plutôt que de rester auprès d'elle. Peut-être avait-il eu raison de le faire.

Zelda savait que la première étape pour elle était de taire son amertume et sa colère. Elle devait aller à l'encontre de tous ses réflexes de protection les plus primaires… et se confier une dernière fois au chevalier.

Elle serra les dents en contemplant la nourriture dans sa gamelle. Manger lui donnait soudain la nausée.

«Link, il faut qu'on parle.»

Le jeune hylien leva un œil surpris tandis que son ventre se tordait d'appréhension. Par Hylia, déjà? Il n'était pas prêt! Et le ton… Le ton de la princesse était à la fois froid, et incertain. Pas du tout l'intonation à laquelle il s'attendait pour évoquer sa trahison envers elle…

«Je sais que tu as compris, reprit Zelda avec distance, sa cuillère jouant distraitement avec les restes de son repas. Pour le Pouvoir. Tu sais que son contrôle… m'échappe…»

Link reprit un peu précipitamment une bouchée malgré le goût de cendre qui se répandait sur sa langue. Il devait garder une contenance, se forcer à maîtriser au mieux ses expressions pour que ses émotions restent secrètes: un mélange de déception, de peur, de culpabilité, et de soulagement. Il aurait tant préféré que la princesse soit la première à parler, tout en redoutant qu'elle le fasse. Lui, n'était pas sûr d'être à la hauteur.

Mais la disparition du Pouvoir était un sujet important, primordial, inquiétant. Depuis que ses doutes s'étaient confirmés à Elimith, il avait rongé son frein en attendant que la jeune hylienne en parle d'elle-même. Le sujet avait finalement complètement disparu de ses préoccupations après les évènements survenus parmi les zoras.

Alors à toutes ses émotions s'ajouta un peu de honte, et une étrange souffrance un peu sourde. Zelda n'avait apparemment aucune difficulté à garder son esprit alerte dans l'intérêt du royaume. Contrairement à lui.

Quelle place avait-il alors réellement à ses yeux?

La méritait-il seulement?

«Je le ressens depuis l'attaque de Cocorico, poursuivit la princesse en abandonnant son assiette encore à moitié pleine. Mais je n'en ai vraiment pris conscience que lors de notre excursion dans le repaire yiga… J'ai voulu appeler le Pouvoir mais… il ne m'a pas répondu. Et ça ne fait qu'empirer. À présent, lorsqu'il se manifeste, je ne suis même pas sûre d'être celle qui l'invoque. C'est…»

Elle ne termina pas sa phrase, incapable d'expliquer ce qu'elle ressentait sous le déchaînement du Pouvoir ces derniers temps. Un rapide coup d'œil – le premier – à son chevalier, et elle délaissa son tabouret en direction de l'âtre flamboyant.

«Et toi? questionna-t-elle avec ce qu'elle espérait être de la nonchalance. Est-ce que Fay te parle encore?»

La chaleur du plat pikpik se répandant doucement en elle, elle défit les boutons nacrés de son épais gilet. Elle le jeta sur le lit avec désinvolture, révélant une tunique écrue parée de broderies d'or qui luisaient à la lueur du feu, sa taille fine marquée par une ceinture de cuir souple.

«Un murmure, répondit enfin le jeune hylien dans son dos, haussant les épaules. Quand tu es en danger.»

La princesse l'observa à la dérobée tandis qu'il sauçait sa gamelle à l'aide d'un bout de pain. Toute son attention semblait accaparée par le nettoyage minutieux de son assiette et elle eut le plus grand mal à retenir une remarque acerbe. Comment pouvait-il être aussi flegmatique, alors qu'elle-même brûlait de rage à l'intérieur, qu'elle se faisait violence pour se livrer à celui qui l'avait si récemment trahi?

Comment pouvait-il être aussi serein quand elle-même avait si mal?

Elle secoua la tête et s'efforça de recentrer ses pensées. Les yigas. Elle ne devait penser qu'aux yigas, et plus à Link. Jamais.

«Visiblement, la déesse nous abandonne tous les deux…», dit-elle en s'efforçant de conserver son sang-froid.

Elle s'épaula au montant de la cheminée le plus éloigné de Link et abandonna un soupir, ses pensées errant au rythme des flammes ronflantes de l'âtre. À présent que les températures y étaient plus supportables, le chalet lui paraissait d'une rusticité presque confortable et chaleureuse – s'il n'avait pas eu le mauvais goût de ressembler aussi outrageusement à un autre, à peine plus grand, situé pour sa part près d'une certaine muraille en Necluda.

Intérieurement, Zelda reconnaissait que Link avait peut-être eu raison, finalement: peut-être avait-elle besoin d'un intermède comme celui-ci avant de s'en aller affronter les piafs. Hylia seule savait l'accueil que ce peuple particulièrement susceptible lui réservait, après tout. Mais qu'il eut raison sur ce point ne réglait rien du malaise qui entourait sa présence et l'envie presque irrépressible que Zelda ressentait de lui hurler dessus. Elle n'avait aucune idée de la façon dont elle allait pouvoir se reposer en le sentant dans la même pièce, si proche et à la fois si loin. Sa compagnie avait perdu tout son pouvoir apaisant, pour se transformer en une lente et cuisante torture.

Link avait tout détruit.

«Peut-être que Grenadoh pourrait trouver une réponse dans les ouvrages de la Bibliothèque, souffla-t-elle, plus pour elle que pour Link. Je lui enverrai un message dès que j'en aurais fini avec Kaï. Si tout se passe bien, il devrait accepter de me prêter le concours d'un de ses piafspour ça.»

Demeuré assis à la petite table, Link acquiesça sans un mot. Son repas terminé, il regardait obstinément le bois usé de la table où il dessinait des arabesques imaginaires. En dépit de tous ses efforts, il ne parvenait pas à se concentrer sur la conversation pourtant si grave. La perte du Pouvoir rendait Zelda plus vulnérable que jamais, et le silence de Fay questionnait l'éventualité de la puissance déclinante de la Lame Purificatrice. Si la princesse avait déjà fait l'amère expérience d'être privée du soutien d'Hylia, il n'en allait pas de même pour Link. Certes, il avait dû affronter de nombreuses épreuves avant de réveiller pleinement l'Épée de Légende: mais depuis le moment où il avait brandi l'arme au milieu des Bois Perdus, sa présence palpitante n'avait jamais totalement disparue. Comment vivrait-il une perte pareille? Parvenait-il seulement à l'imaginer?

Et comment protégerait-il la descendante en titre d'Hylia sans Fay à ses côtés? Était-il seulement encore légitime pour ce rôle ?

Pourquoi la Déesse se détournait-elle d'eux? Avaient-ils commis un impair, éveillé sa colèresans le savoir? Ou cela signifiait-il seulement que, contrairement à ce qu'ils pensaient, à ce qu'Impa pensait, leur temps à tous deux était finalement révolu, ce siècle n'ayant jamais été le leur?

Toutes ces questions étaient primordiales, plus importantes que toute autre considération, et Link le savait. Mais il n'en détenait pas les réponses. Aussi, ses pensées se tournaient irrésistiblement vers un autre sujet, un sujet qu'il devait et qu'il pouvait résoudre, et par la crainte sourde qui pulsait de plus en plus fort dans sa poitrine à cette simple perspective.

Le moment était venu. Ils étaient installés, ils avaient mangé, ils avaient chaud. Ils étaient seuls. Toutes les conditions étaient réunies.

Visiblement, Zelda avait la ferme intention de ne pas parler de ce qui les dévoraient l'un et l'autre. C'était donc à lui de le faire. Il s'en doutait depuis le début, mais il n'avait pas pu s'empêcher d'espérer. Zelda était tellement plus à l'aise que lui avec tout ça. Lui, il n'était rien de plus que le chevalier muet, si malhabile avec les mots: où allait-il trouver la force et le courage d'agir? Pouvait-il vaincre ses propres peurs, et ne pas écouter son instinct qui lui criait de garder ses distances, du moins tant que Zelda serait auréolée de cette colère froide qui le paralysait dans tous ses élans?

Link n'était pas idiot et il connaissait sa protégée. Il la connaissait même mieux que quiconque, peut-être même mieux qu'elle-même. Pire encore que lorsqu'elle s'en prenait à lui, il avait lu dans ce sourire qu'elle avait arboré toute la journée, dans ces rires qui sonnaient si faux à ses oreilles, sans même parler de cette conversation aux accents si froids, combien il l'avait blessée. Oh bien sûr, il avait toujours su que sa décision lui ferait mal, mais jamais il n'aurait pu imaginer de pareilles conséquences. Là où il s'était attendu à une véritable tornade de colère, le mutisme et la distance de la jeune hylienne lui semblaient plus dangereux encore.

Pouvait-elle lui tourner définitivement le dos? Était-il, finalement, moins important pour elle qu'il ne l'avait cru?

Face à toutes ses craintes, il ne lui restait plus que l'espoir. L'espoir que malgré la blessure cuisante qu'il lui avait infligée, Zelda saurait l'écouter, et comprendrait. Mais cet unique allié lui semblait soudain bien futile. Par Hylia, comme son plan était prétentieux!

Il glissa un œil hésitant sur la princesse toujours épaulée au montant de la cheminée. Son regard sombre se perdait dans l'âtre rougeoyant et ses longs cheveux blonds, libres de toute attache, la drapaient dans une couverture orangée et chaude. La danse des flammes redessinait les traits de son visage d'une douce chorégraphie entre ombre et lumière. Il y lisait la fatigue harassante dans les cernes noirs, la préoccupation sur les rides du front. Mise à part la sieste ridiculement courte que Zelda s'était octroyée dans la bibliothèque, ni l'un ni l'autre n'avait dormi depuis deux jours, restant éveillés à coups de remèdes et de plats régénérants. Ils avaient tous les deux urgemment besoin de repos. Mais avant de l'envisager, Link devait trouver le courage de crever l'abcès qui les gangrenait.

Il ne supportait plus de sentir le regard blessé et accusateur qu'elle posait sur lui dès qu'il avait le dos tourné. Certes, Zelda avait fait l'effort d'entamer une conversation presque polie. Sa posture empreinte de retenue criait quant à elle que quelque chose était brisé entre eux, et combien cela lui avait coûté.

D'un geste qui trahit son hésitation, Link sortit un livre de cuir rouge de sa besace et en contempla la couverture pendant quelques secondes. Il avait parfaitement conscience que l'emprunt de cet ouvrage millénaire ne serait pas sans conséquence. Pourtant, il avait à peine hésité avant de le glisser dans son sac.

Ce livre contenait la concrétisation de ses rêves les plus fous, et il entretenait à son égard un étrange sentiment de possession, aussi illogique soit-il. Avec un soin précautionneux et presque exagéré, il l'ouvrit à la page 283 et laissa son regard parcourir la page jaunie. Non, il ne regrettait pas de l'avoir pris. Sans lui, il aurait été incapable de retranscrire à la princesse son précieux contenu dans toutes ses nuances. Il n'aurait jamais pu répondre à toutes les questions que l'esprit toujours éveillé de la jeune hylienne n'aurait pas manqué de soulever.

Link observa une dernière fois la silhouette féminine avec plus d'appréhension encore que lorsqu'il s'était dressé seul face à Ganon. Un combat, même face à un ennemi aussi puissant, il y avait été entraîné toute sa vie. Cette bataille-ci, en revanche, aucune formation au monde n'aurait pu l'y préparer. Pourtant, elle lui semblait plus cruciale encore. Pour lui, tout du moins.

Zelda avait toujours été son adversaire le plus coriace, et le plus inflexible.

Les mains moites et la bouche sèche, il se leva et fit un pas vers sa protégée avec peut-être encore plus de discrétion que d'habitude. La princesse, plongée dans ses pensées, ne sembla pas s'en apercevoir. S'efforçant de ne pas y voir un mauvais présage, Link se racla la gorge et la jeune hylienne sursauta. Elle rectifia immédiatement la distance qui les séparait d'un net mouvement de recul qui le blessa. Le regard noir et les joues rouges, elle s'apprêta à lancer une de ses remarques assassines dont elle avait le secret, puis elle remarqua le vieux livre que Link lui tendait.

Zelda, en parfaite érudite, ne pouvait résister à un pareil appel.

«Qu'est-ce que…»

Elle saisit l'ouvrage grand ouvert avec une délicatesse respectueuse naturellement acquise au fil de ses études. Aussitôt, le jeune hylien se recula et se fondit dans les ombres de la pièce, le regard figé et distant. Un peu perplexe, Zelda reporta son attention sur les lignes manuscrites et elle fronça les sourcils lorsqu'elle comprit ce qu'elle tenait entre ses mains.

«Link! s'exclama-t-elle, indignée. Ce livre n'aurait jamais dû sortir de la bibliothèque! Qu'est-ce qui t'a pris?»

À peine discernable au milieu des ombres, le chevalier désigna l'ouvrage du menton, sans oser la regarder, elle.

«Link, tu ne –

— S'il-te-plaît.»

Le ton du jeune hylien était si suppliant qu'il stoppa l'envolée dans la gorge de Zelda. En elle, l'érudite se hérissait de son comportement irrespectueux envers un aussi vieux livre, tandis que la Princesse Royale se demandait déjà comment rattraper cet impair auprès de Grenadoh et de l'ensemble du sénat. L'hylienne, quant à elle, scrutait d'un air circonspect la fragilité inhabituelle des traits de son chevalier dans la pénombre. Son regard fuyant. Son geste incertain.

Jamais, ô grand jamais elle n'avait vu Link si peu sûr de lui, et malgré sa colère, elle s'en alertait. Elle avait compris que ce livre était la véritable raison de leur présence dans ce chalet isolé. Que le jeune hylien cultive un tel secret et une telle prudence autour de l'œuvre l'intriguait autant qu'il l'inquiétait.

En tout cas, sa curiosité en était définitivement éveillée.

Vaincue, Zelda se résigna à plonger dans la lecture des pages jaunies entre ses doigts frêles, non sans pousser un soupir exaspéré pour faire bonne mesure.

Le temps ralentit sa course, et les minutes défilèrent si lentement que Link fut persuadé que Zelda relut la page 283 au moins une dizaine de fois. Le silence qui les enveloppait avait pris une teinte angoissante, accentuée par les crépitements du feu à leurs côtés. Link sentait la sueur couler dans son dos. Il retira un à un ses vêtements duveteux, mais même la finesse de sa tunique noire semblable à la tenue sheikah ne suffit pas à le rafraîchir.

Lorsque la Fille d'Hyrule finit par prendre la parole, il était incapable de savoir s'il en était soulagé, ou désespéré.

«Link, murmura-t-elle sans quitter le livre des yeux, qu'est-ce que… que-ce que tu…»

Sa voix se brisa et Zelda se tut. Sa pensée était trop floue pour parvenir à formuler une phrase cohérente. Les mots sous ses yeux dessinaient une étrange chorégraphie que son cerveau ne pouvait pas suivre, ne voulait pas suivre. Ce qu'elle en déduisait était si insensé, tellement à mille lieux de sa réalité qu'elle ne parvenait pas à l'intellectualiser. C'était impossible. Et pourtant…

«C'est une demande ?» souffla-t-elle du bout des lèvres, le cœur dans la gorge.

Elle posa son regard d'un vert printanier sur le chevalier. Une lueur indescriptible d'espoir et de crainte les faisaient briller dans la pénombre. Déglutissant avec peine, Link demeura immobile. Le rouge sur ses joues ne devait plus rien aux températures ambiantes et tout à l'intensité des pupilles fixées sur lui.

Avec la sensation que son cœur faisait des sauts périlleux dans sa poitrine trop étroite, il hocha finalement la tête. Jusqu'au dernier moment il avait hésité. Jusqu'au dernier moment, il avait cru qu'il ne trouverait jamais le courage, se sentait présomptueux. À présent, il était trop tard pour reculer.

Non pas qu'il l'eut vraiment voulu. Ou peut-être que si.

Une subite humidité remplit les yeux de la princesse et elle reporta prestement son attention sur les pages qu'elle tenait entre ses paumes devenues moites. Lentement, elle caressa les lettres devant elle, sur ce texte oublié depuis près de huit mille ans que Grenadoh – c'était forcément lui – avait fait renaître de ses cendres.

«Je veux être lié au Royaume d'Hyrule», expliqua Link.

Le cœur de Zelda rata un battement et elle redressa vivement la tête, les yeux écarquillés d'incompréhension. «Au Royaume d'Hyrule?»

Link acquiesça, un air satisfait se dessinant sur ses traits fins.

Mais à sa grande surprise, une kyrielle d'émotions parcourut le visage de la princesse en l'espace de quelques secondes, avant de se figer sous un masque de froideur polaire. Perplexe, il la contempla refermer soigneusement le livre de cuir rouge dans une gestuelle glaçante et se détourner pour le poser sur le matelas à côté de son gilet.

«Si c'est là ta seule motivation, dit-elle en détachant soigneusement chaque syllabe, tu peux t'épargner cette peine.»

Link fronça les sourcils, perdu. Le phrasé de la jeune hylienne était aussi tranchant qu'un cimeterre du Clair de Lune, chaque syllabe aussi mortelle qu'un coup de poignard en plein cœur. La sauvage et indomptable Zelda était toutes griffes dehors, et elle n'était pas prête de les rétracter.

Par Hylia, qu'avait-il dit pour provoquer cela? Link se maudissait de ne pas savoir s'exprimer comme tout le monde, d'être si maladroit, si gauche.

«Non, déclara-t-il fermement, à défaut d'autre chose.

— Non? s'exclama Zelda en pivotant vers lui, les traits durs. Tu crois vraiment parvenir à me convaincre de faire une chose pareille?»

Dans la poitrine de la princesse, à la blessure originelle s'ajoutait une seconde qui avait le goût amer du mépris et de la honte. Elle avait cru… Elle ne voulait pas s'attarder sur ce qu'elle avait cru, mais certainement pas que le chevalier puisse lui faire une pareille proposition. Pas pour répondre à quelque chose d'aussi bassement terre à terre qu'un problème d'allégeance.

Elle refusait de salir d'un quelconque impératif royal la seule chose qu'elle désirait en propre. Que Link, lui, puisse l'envisager lui donnait la nausée. Était-ce cela, sa solution magique? Comment avait-il pu imaginer une seule seconde qu'elle y consentirait?

Elle devait vraiment cesser de penser comme une stupide adolescente. Elle avait plus de cent ans, au nom de la déesse, n'apprendrait-elle donc jamais?

«Tu es la Reine», lança Link en guise d'explication.

Prise de court au milieu de ses tourments, Zelda braqua sur lui ses pupilles d'un vert si sombre et si orageux qu'elles semblaient noires.

«C'est bien ça le problème, non?», rétorqua-t-elle plus vivement que prévu.

Totalement démuni, le chevalier joua avec un morceau de paille du bout de sa botte. Il avait imaginé cet instant des millions de fois, et jamais ça ne s'était déroulé aussi mal. Son esprit lui avait joué un bien vilain tour en le faisant meilleur orateur qu'il n'était. Pour l'heure, il ne savait plus comment s'expliquer, comment formuler les choses.

«Tu dois être la Reine», reprit-il, incapable de mettre d'autres mots sur sa pensée.

Zelda l'observa sans comprendre. Son esprit fatigué tentait de mettre du sens aux propos confus du chevalier tout en ramassant les morceaux de son cœur en miettes. Et pourtant, elle sentait cet infâme filet d'espoir palpiter au milieu des ruines de son âme, tenace.

Il fallait qu'elle l'étouffe.

«Link, je le sais bien, soupira-t-elle. Pourquoi me le répètes-tu sans cesse?»

Elle se frotta les tempes avec lassitude. La migraine sourdait à nouveau dans son crâne, comme un signal d'alarme l'informant d'un trop plein émotionnel. Ce qui était loin d'être une révélation.

«Qu'est-ce que tu attends de moi, Link? poursuivit-elle. Même en étant reine, je ne peux même plus t'anoblir. Tu as prêté allégeance aux zoras.»

Link secoua la tête à la négative d'un air stupéfait, ce qui eut pour seule conséquence d'agacer encore davantage la jeune hylienne.

«Alors quoi!? Tu as échafaudé ce plan et pris des décisions irrévocables en partant du principe que je l'accepterais sans broncher? Tu croyais vraiment que j'allais adhérer à un projet aussi fou!? Je t'ai dit que je ne ferai jamais ça pour des raisons pol –

— Je sais!»

L'exclamation à la fois soudaine et désespérée du chevalier interrompit net le monologue de la princesse, et le silence retomba tout aussi brutalement sur la petite cabane isolée. De part et d'autre de l'âtre brûlant, les deux hyliens s'observèrent avec la même angoisse latente.

Zelda était incapable de bouger. En elle, l'espoir et la peur se battaient âprement pour la terrasser. Elle ignorait qui elle voulait voir remporter la victoire. «Je sais». Ô déesse, ces quelques mots pouvaient signifier tant et tant de choses! Elle refusait de poser la question qui lui brûlait les lèvres, de prendre un tel risque. De se rendre si vulnérable, à nouveau. Elle était partagée entre le désir de comprendre et celui de ne surtout pas savoir. De le supplier d'arrêter de lacérer son cœur encore et encore à coups d'espoirs et de désillusions cruelles. Elle agonisait déjà à ses pieds, ne le voyait-il donc pas?

Le chevalier, lui, était terrifié. Il savait bien qu'il ne pouvait pas laisser la discussion s'éteindre ainsi. S'il faisait ça, s'il perdait tout courage maintenant, il les condamnait à jamais. Si ce n'était pas déjà fait.

Il écarta vivement cette pensée qui attisait sa terreur. Cette Terreur, celle que seule l'idée de perdre Zelda faisait naître. La pire de toutes.

Il observa la jeune hylienne si apeurée et blessée devant lui. Zelda semblait si loin, si distante en cet instant. Il ignorait comment l'atteindre à nouveau. Comme il s'était lourdement trompé en agissant comme il l'avait fait! S'il avait commis l'irréparable, il n'était pas certain de pouvoir se le pardonner un jour.

Ses mots ne suffiraient pas, il le savait. Ses mots étaient si pauvres et si maladroits. Jusqu'ici ils n'avaient créé que des impairs. Link était taillé pour l'action, c'était un chevalier, et qui plus est un chevalier qui avait abandonné l'arme de la parole depuis de nombreuses années. Pour se faire comprendre, il avait besoin de faire, d'agir. Mais comment?

Et alors, il se souvint.

Il se souvint d'une caresse dans la clarté du Désert Gerudo, d'une proximité à la limite de la décence dans la pénombre d'une chambre secrète. D'un regard brûlant, où il restait si peu de résistance. Ô Hylia, oserait-il…?

Les mains moites et le cœur battant, Link se rapprocha lentement de la princesse blessée. Chaque pas semblait lui coûter toutes ses forces tant la tension entre eux était épaisse, palpable. Du corps de la jeune hylienne irradiait une sombre pulsation le défendant d'entrer dans son espace personnel, mais il devait franchir cet interdit. C'était leur seule chance.

Zelda ne le quittait pas des yeux. Son regard était aussi alerte que celui d'une proie scrutant la danse du prédateur autour d'elle. Ce regard qui demandait non pas s'il allait l'achever, mais comment il allait le faire. Si sa fin allait être rapide, s'il allait faire preuve de mansuétude.

Il haïssait ce regard.

«Je le veux», s'arracha-t-il d'une voix sourde.

Zelda se détourna prestement vers les flammes et serra les poings. Elle était trop fragile pour supporter le sens de ces mots. Quatre mois, par toutes les déesses d'or, quatre mois et un siècle qu'elle les espérait... Et maintenant qu'elle y était, ils étaient si teintés d'impératif royal que rien au monde ne lui semblait plus faux. Elle avait l'atroce sensation d'être écartelée. Sa tête et son cœur refusaient de s'entendre, et sa poitrine était sur le point d'imploser. Une larme s'échappa de ses paupières, mais elle l'ignora. Il était hors de question de montrer à Link avec quelle facilité il la touchait, de lui donner cette arme supplémentaire.

Désespéré, le chevalier effectua un nouveau pas hésitant vers l'inaccessible hylienne, à la lisière de l'invisible barrière qu'elle dressait entre eux. Leurs corps n'avaient plus été aussi proches depuis leur séparation sur le socle du sanctuaire Sha'Tawa et il redoutait qu'elle le repousse. S'il tendait le bras, il aurait pu toucher la peau de son visage, et essuyer cette larme qui sinuait sur sa joue. Mais il n'osa pas.

«Je le veux», souffla-t-il à nouveau à mi-voix.

La princesse ferma les yeux et se mordit la lèvre. Elle s'efforçait de contenir ce cœur qui se fracassait contre sa cage thoracique comme un forcené. Surprenant comment après autant de blessures, ce stupide organe pouvait demeurer si naïf.

Pauvre fou.

«Comment peux-tu imaginer une chose pareille, Link? geignit-elle d'une voix brisée. Comment te faire comprendre que je refuse que le devoir m'a… nous arrache ça aussi?»

Une nouvelle larme glissa sur les vallées de sa joue. Cette fois-ci, une douce caresse vint la cueillir et Zelda tressaillit malgré elle.

«C'est faux», répondit Link faiblement.

La princesse leva enfin un regard d'un vert d'une clarté troublante sur lui, et la lueur d'espoir craintif qui y transperçait le poignarda au plus profond de son être.

«Qu'essaye-tu de me dire, Link?»

Il acquiesça doucement, un sourire qu'il s'efforçait de rendre rassurant se dessinant sur ses lèvres. L'expression sur le visage de Zelda était insupportablement intense, le suppliant de la sécuriser alors que la terreur l'enchaînait dans ses rets putrides.

«Pourquoi? supplia-t-elle. Pourquoi ce serment fait-il toute la différence à tes yeux ?»

Link, gêné, détourna le regard à son tour. Il était incapable de trouver la manière d'exprimer tout ce qu'il ne savait pas dire sous le joug de ces yeux si insistant.

«Tu dois être la Reine», essaya-t-il à nouveau.

Et soudain, Zelda comprit.

«La Reine! souffla-t-elle, abasourdie. C'était donc ça qui te retenait? Le fait… le fait de devenir… Roi

Link acquiesça, une lueur presque soulagée dans le regard, qui faisait écho au sentiment qui emplissait la princesse. Cherchant à réaliser tout ce que cela signifiait, elle serra les bras autour de son corps menu et laissa son regard se perdre dans la danse des flammes.

Elle avait cru que Link reculait devant l'illégitimité d'une union à cause de ses origines. Mais elle s'était trompée, partiellement tout du moins: si le chevalier s'y refusait, c'était parce-qu'il ne voulait pas être nommé Roi d'Hyrule à ses côtés… et régner.

Ô Hylia! Sa dot n'était rien de moins que la couronne et la gouvernance d'un royaume en ruines! C'était une charge lourde. Très lourde. Une charge que Link était en droit de refuser, et qu'elle n'avait pas le droit de lui imposer.

Elle n'osait pas lui avouer qu'elle n'avait pas songé un instant à ce que le titre de roi pouvait signifier pour lui. Elle se sentait un peu misérable. Devenir roi, régner sur Hyrule… Elle-même, alors qu'elle avait grandi avec cet avenir tout tracé, avait repoussé cette responsabilité de toutes ses forces pendant des années. Comment avait-elle pu occulter que celui avec qui elle partagerait sa vie partagerait aussi ce fardeau?

Link, lui, y avait pensé.

Et il avait décidé.

Un frôlement sur sa joue, imperceptible, plus délicat qu'une plume, la tira de ses pensées et accéléra les battements de son cœur. Les doigts de Link étaient glacés, malgré le feu si proche.

«Tu es la Reine, chuchota-t-il. Et je peux… je veux être ton Chevalier Consort.»

Zelda ferma les yeux et expira lentement pour tenter d'apaiser les émotions qui s'agitaient dans sa poitrine. Au soulagement succéda une vive allégresse qu'elle s'efforça de réprimer tandis que les paroles de Link, prononcées sous la coupole du Domaine Zora quelques heures plus tôt, lui revenaient en mémoire.

Je jure de ne plus sceller aucune allégeance qui ne soit contraire à mon cœur et à mon âme…

Link ne l'avait pas trahi. Il avait accepté de devenir membre de la tribu zora uniquement parce qu'il connaissait déjà un autre serment qui le ramènerait à elle. Oui, à elle et pas à Hyrule. Un serment, trouvé quelques minutes à peine avant l'heure décisive, certes. Mais un serment qu'il voulait prononcer. Un serment, qui les lierait l'un à l'autre pour l'éternité.

Car aucune allégeance en Hyrule n'était supérieure au devoir de loyauté entre époux.

Époux. Cette simple pensée faillit briser définitivement les dernières résistances de la future reine. Elle sentait sa résolution vaciller, l'espoir grossir en son sein en s'acharnant à étouffer sa peur presque maladive d'un nouvel abandon alors qu'elle se livrait corps et âme.

Le souffle chaud du chevalier caressa soudain sa peau et elle trembla. Elle le devina si proche qu'elle aurait pu se jeter contre lui. Presque inconsciemment, elle pencha la tête pour lui demander d'approfondir la caresse sur son visage, mais elle garda les yeux clos. Elle refusait de prendre le risque de plonger dans ces yeux bleus qui lui feraient rendre les armes plus vite qu'elle n'était prête à le faire. Malgré ses paupières fermées, elle sentait leur intensité lui brûler la peau comme un fer incandescent.

Elle savait qu'il attendait, qu'il lui laissait le choix de réduire encore la distance entre eux ou au contraire, de l'augmenter. Par Hylia, comme il serait si simple et si doux d'abandonner dès maintenant, de répondre sans plus de souffrance et de question à ce que tout son être réclamait depuis si longtemps!

Mais Zelda ne le fit pas. Elle en était incapable. Si son cœur était imprudent, son esprit ne l'était pas. Elle ne pouvait pas se jeter sur cette voie sans y apposer un peu de sa raison, comme Link lui-même l'avait fait. Il ne s'agissait pas uniquement d'épousailles, aussi désirées soient-elles, mais de la place définitive que Link prendrait à ses côtés. Chevalier consort… Son chevalier consort… Comme ces mots sonnaient à la fois doux et terrifiant dans sa tête…

Serrant les dents, Zelda posa sa main sur le poignet du chevalier et le repoussa. Elle s'efforça d'ignorer son regard blessé alors qu'elle se reculait à une distance plus sûre.

«Je ne peux pas t'imposer ça, Link, décida-t-elle d'une voix d'une fermeté plus vacillante qu'elle n'espérait. Ce serait trop… injuste.»

Le jeune hylien demeura immobile, comme assommé. Malgré son mutisme, son incompréhension semblait percer les tympans de la princesse. Elle se concentra de toutes ses forces sur les flammes qui poursuivaient leur danse impudente, et elle sentit le froid s'insinuer à nouveau dans ses os. Elle savait que cela n'avait rien à voir avec un quelconque changement de température au sein du chalet, cette fois-ci.

«Tu resterais un de mes sujets, expliqua-t-elle. Un chevalier qui me devrait obéissance. Tu viens à peine de recouvrer ta liberté et… même si ça me fait mal… tu la mérites. Tu la mérites plus que n'importe qui.»

Elle humidifia ses lèvres sèches. Prononcer ces mots lui écorchait la langue comme du papier de verre.

«Tu ne me dois plus rien, aujourd'hui. Tu n'as plus à m'obéir, à me protéger, à me suivre partout, sauf… si tu le souhaites. Tu es libre.»

Certes, elle lui en avait voulu d'avoir brisé le serment d'allégeance qui le liait à elle, et en quelque sorte, elle lui en voulait encore. Mais elle savait à présent qu'elle était alors mue par ses insécurités profondes, et que cela n'en demeurait pas moins une relation inéquitable. Injuste.

Zelda ne voulait plus avoir le moindre pouvoir sur Link. Comprendre que son ascendant sur lui la rassurait l'avait mortifiée. C'était une perspective terrifiante, mais elle refusait de construire quelque chose sur la base de l'iniquité. Plus maintenant qu'elle en avait pris conscience.

«Ton amitié compte plus pour moi que tout le reste, Link, ajouta-t-elle dans un souffle. Je ne veux pas d'une relation aussi inégale entre nous.»

Elle sentait le regard figé du chevalier sur elle, impénétrable. Elle était incapable de deviner les émotions tapies derrière la statue de marbre, mais elle se garda bien de l'observer de trop près. Elle devait être forte pour deux. Pour lui.

«Non, lâcha-t-il brutalement, le dos raide et le regard fixe.

— Link…»

Il se rapprocha précipitamment d'elle, le pas assuré.

«Link, ne…»

Sa voix se coinça dans sa gorge lorsqu'il s'empara de sa main. Il posa un genou à terre et elle détourna vivement les yeux.

«Fais-le», implora-t-il dans un souffle.

Elle se mordit la lèvre presque jusqu'au sang pour ne pas capituler et se jeter dans ses bras. Entre les paumes du jeune hylien, elle sentait sa main moite se mettre à trembler.

«Tu as lu ce que ça signifie! Nous ne serons jamais à égalité. Tu redeviendras un chevalier à mes ordres, et le –

— Le seul avec le droit de t'aimer.»

Choquée par cette déclaration inattendue, Zelda braqua des pupilles perdues sur son chevalier. Elle scruta intensément la mâchoire volontaire et les iris d'un bleu sombre où palpitaient une émotion qu'elle refusait de déchiffrer. Ô Déesse, Link semblait si sûr de lui…

Et Link était effectivement sûr de lui. Des mois auparavant, la princesse lui avait demandé de réfléchir, et il l'avait fait. Longuement. Reconnaître qu'il aimait Zelda, qu'il était intrinsèquement lié à elle et ce depuis qu'il avait croisé son regard sur le Grand Pont Zora, avait été la partie la plus facile. Il lui appartenait et rien n'aurait pu changer ça. Surtout pas lui.

Mais Zelda n'était pas de ses femmes que l'on courtise sans songer aux conséquences pour autant. Dans les affaires de rois, l'amour ne suffisait pas. Une fois le royaume sur pied, les prétendants allaient être nombreux pour siéger aux côtés d'une femme aussi puissante, et dont la beauté n'était pas plus anodine que ne l'était son pouvoir. Le plus beau parti d'Hyrule.

Link savait qu'il ne supporterait pas de voir d'autres hommes tourner autour de la princesse – de la reine – dans l'unique but de vampiriser son pouvoir. Peu de temps avant l'éveil de Ganon, à l'aube de ses dix-sept ans, la question de son mariage avait commencé à agiter la cour. Link avait vu le changement dans le regard que certaines familles posaient sur la Princesse Royale. Un objet. Un trophée à conquérir. Un moyen d'arriver à leurs fins. Le moyen d'accéder à la couronne d'Hyrule.

Link n'accepterait jamais de revoir ça. Certes, la noblesse hylienne était morte un siècle plus tôt, mais le chevalier était assez sage pour savoir que cent ans ne suffisaient pas à purger un peuple de toutes ses pulsions vénales, qu'il soit de haut ou de bas lignage. Mais, paradoxalement, il était terrifié à l'idée de prendre lui-même ce titre si convoité à son compte. Un titre, qu'il n'arrivait même pas à énoncer dans sa tête tant cette perspective le paralysait.

Car qui était-il, lui, le petit zonaï, le chevalier sans nom, pour prétendre à une telle place dans la hiérarchie hylienne? Qui était-il pour prétendre ceindre une couronne qui ne lui revenait pas? Son rôle avait toujours été de veiller sur la Princesse Royale et sur les siens, de la soutenir et de les protéger jusqu'à son dernier souffle, blotti dans l'ombre du Sceau Royal. Mais en aucun cas il devait en être le dépositaire. Le seul et unique monarque d'Hyrule devait être Zelda, et personne d'autre.

Il avait eu beau retourner la situation dans tous les sens, Link ne voyait pas comment il aurait pu aimer la princesse sans s'obliger à être roi lui-même. Et alors qu'il se heurtait à cette voie sans issue, Grenadoh lui avait tendu le livre de cuir rouge.

Chevalier consort. La réponse à toutes ses questions, à ses tourments comme à ses rêves.

Le Serment. Celui qui ferait de lui son Rempart Éternel.

Une évidence.

«Le droit de m'aimer…, murmura enfin Zelda une fois qu'elle eut retrouvé son souffle. Est-ce suffisant contre une vie entière de servitude, Link?

— D'allégeance.»

Pour lui, le simple fait que Zelda refuse de prendre ce qu'il lui donnait de bon cœur lui prouvait qu'elle n'abuserait jamais du pouvoir qu'il lui donnait sur sa vie. Elle ne l'avait jamais fait. Rejeté oui, mais pas abusé.

«Je suis un soldat», affirma-t-il.

Il se redressa et tenta un nouveau rapprochement de leurs corps avec prudence. Leur chaleur corporelle s'entremêlait délicatement à travers les vêtements fins. Il posa leurs mains toujours liées sur sa poitrine dans un geste similaire à celui qu'il avait fait un siècle auparavant. Ses yeux bleus légèrement humides luisaient à la lumière des flammes. Subjuguée, Zelda frémit, et se détourna à nouveau, les joues rouges. Elle se sentait comme une marionnette entre ces mains chaudes et puissantes, incapable de résister tant son regard et sa proximité la troublait. Une marionnette bien trop consentante à son goût.

«Ton chevalier.»

Les doigts calleux vinrent caresser la peau d'albâtre d'un geste un peu plus appuyé que la fois précédente, puis s'égarèrent pour remettre une mèche de cheveux derrière l'oreille de la princesse. Son esprit traître nota malgré elle que Link, délesté de ses armes, ne sentait plus le cuir et l'acier. Elle en était presque déçue.

«Sans jamais vraiment t'obéir», ajouta-t-il dans un sourire.

Zelda ne put retenir un rire léger de franchir ses lèvres. Elle osa un coup d'œil au chevalier rendu si proche. Trop proche.

«C'est vrai que tu es un piètre exécutant, s'amusa-t-elle. Tu es un soldat très indiscipliné, on ne te l'a jamais dit?»

Link haussa les épaules pour toute réponse, et Zelda leva les yeux au ciel.

«Mais si tu –»

Il posa deux doigts sur sa bouche pour l'interrompre dans un geste d'une troublante intimité. La peau sur ses lèvres s'était réchauffée, et le contact était doux. Zelda se demanda à quel moment ils en étaient arrivés là, à quel moment elle lui avait donné son accord implicite pour abolir le peu de distance qu'elle parvenait à conserver. Mal, visiblement.

Elle saisit le poignet du chevalier et éloigna ses doigts autoritaires.

«Si tu t'opposes vraiment à moi Link, toi, mon premier sujet, comment veux-tu que le reste du Royaume me respecte? La situation va devenir impossible…»

Link planta ses yeux dans les siens pour toute réponse, une lueur mécontente, presque agacée, y luisant à la lueur du feu.

Si leurs corps presque enlacés se réclamaient l'un l'autre, leurs volontés, elles, s'opposaient fermement. Comment Zelda en était rendue à le repousser alors qu'il lui donnait ce qu'elle espérait depuis si longtemps, elle n'en avait aucune idée. Elle voyait simplement les choses autrement, comme si des œillères lui avaient été ôtées. Elle savait que c'était la bonne chose à faire. La seule. Même si cela lui faisait affreusement mal.

Maintenant qu'il ne s'agissait plus d'une rêverie d'adolescente, elle prenait conscience de tout ce qui se mettait en travers de cette union improbable, et encore plus des obstacles qui s'élevaient devant eux pour qu'elle fonctionne. Elle n'accepterait jamais de prendre le risque qu'ils s'autodétruisent l'un l'autre.

Mais Link, lui, ne fit que balayer l'argument d'un haussement d'épaules, et Zelda laissa échapper un soupir.

«Link, tu es…!?»

Une main de fer se referma sur son poignet et elle écarquilla les yeux devant l'assurance et la résolution qui brillaient dans le regard du jeune hylien. Puis, avant qu'elle ne songe à se libérer, il plaça une main sur ses reins et rapprocha leurs corps en un geste ferme.

«Link!»

Zelda freina leur rapprochement du mieux qu'elle put en posant ses paumes à plat sur le torse puissant. Les battements du cœur effréné du chevalier pulsèrent sous ses doigts incertains. Elle sentait leurs bassins collés l'un contre l'autre et un délicieux courant électrique se répandre sous sa peau. Une fragrance boisée, presque animale, envahit ses narines et elle tressaillit en réalisant que c'était sa véritable odeur. Celle habituellement dissimulée par celles des armes. Une odeur à la fois si chaude et si douce qu'elle mourrait d'envie de s'y lover entièrement, et de s'y perdre.

«Je ne te laisserai pas faire», souffla Link contre sa peau.

Tremblante intérieurement, Zelda se focalisa sur la tunique du chevalier et sur les dessins qu'elle y traçait timidement. Elle savait qu'elle devrait le repousser, elle le savait pertinemment. Mais elle s'en montra incapable. Alors, au plus profond d'elle-même, elle sut que Link avait d'ores et déjà gagné, que toute opposition ne serait plus que pure forme. Qu'en acceptant une telle proximité, elle avait tacitement adhéré à son point de vue, et avait presque capitulé. En même temps, comment aurait-elle pu résister alors qu'il se montrait si sûre de lui, si obstiné, et se jouait si aisément de toutes ses faiblesses?

Une dernière, une ultime crainte la retenait. Une seule.

«Et si tout s'écroule, Link? murmura-t-elle. Si j'échoue à reconstruire le Royaume, si –

— Je t'épouserai.»

La certitude inébranlable de la réponse du chevalier écroula ses dernières résistances, la bouleversant au plus profond de son âme. Les yeux embués, elle se résigna à abandonner sa contemplation du vêtement du jeune hylien au profit des traits posés sur elle, ces traits si tranquilles alors qu'elle-même se sentait prête à s'effondrer. Ces traits qu'elle avait cru ne jamais voir mûrir la dernière fois qu'elle les avait observés d'aussi près, il y a si longtemps. À présent, elle y discernait le léger duvet sur les joues, la carrure de la mâchoire plus marquée. Ces signes annonciateurs de la maturité qu'elle avait rêvé de voir étaient là, devant elle, offerts. Et ces yeux. Ces yeux bleus si expressifs, aussi profonds que le cœur de la Mer du Nord… Ces yeux qui la dévoilaient à elle-même, mettaient son âme à nu. Ces yeux bleus qui, eux, n'avaient en rien changé depuis cent ans.

«Sois sûr de toi, Link, chuchota-t-elle avec émotion. Souviens-toi qu'il n'y aura pas de retour en arrière possible.»

Le jeune hylien hocha la tête sans la moindre hésitation, et Zelda se mordit la lèvre. Le geste gauche et tremblant, elle agrippa la tunique de son chevalier. Lentement, elle rapprocha leurs visages l'un de l'autre. Leurs souffles se mélangeaient alors que leurs lèvres n'étaient plus qu'à quelques centimètres. Leurs respirations erratiques, saccadées tant l'anticipation les consumait.

«Je ne te permettrai jamais de changer d'avis, chuchota-t-elle sur ses lèvres. Jamais.»

Pour toute réponse, Link sourit et leva une main sur le visage de la Fille d'Hyrule, dessinant le contour de ses yeux de l'index, puis de sa pommette avec son pouce à la peau rêche. Savourant la douce caresse, Zelda posa son front sur celui de son chevalier.

«Link, je –»

Il posa à nouveau deux doigts sur sa bouche, remplissant le peu d'espace qui les séparait l'un de l'autre.

La paume du chevalier sur ses reins resserra à nouveau l'étreinte de leurs corps, forçant Zelda à se cambrer tout contre lui. Sa vue se troubla et elle sentit son sang répondre à cette proximité en vagues de pulsations brûlantes.

Vaï meets Voï, songea-t-elle béatement. Pourtant, la chaleur du cocktail qui l'avait consumée des semaines plus tôt faisait bien pâle figure à côté de ce qui la dévorait à présent. Tous ses sens semblaient exacerbés, électrisés. Son cœur battait trop vite, sa peau était trop sensible. Chaque parcelle de son corps en contact avec Link la brûlait comme des charbons ardents, et collée à lui comme elle était, il y en avait beaucoup.

Elle ne pouvait détacher son regard de celui du chevalier. L'intensité vibrante qu'elle y lisait la faisait frémir au plus profond de son être, plus expressive encore que les acquiescements assurés. Car par ses gestes, par son regard, Link lui assurait d'être toujours présent à ses côtés, ombre protectrice et vigilante, certaine, infaillible, inconditionnelle, que seule la mort lui arracherait. Un chevalier, un vrai, son chevalier servant, au sens le plus intime et unique du terme. Un serment certes silencieux, mais qui valait tous les mariages et toutes les paroles rituelles. Et Zelda comprit enfin ce que Link savaitdéjà : ses craintes étaient infondées. Cette fidélité infaillible, ce dévouement, cette loyauté indiscutable, elle les lui rendait déjà, pleinement, entièrement, à lui et à lui seul.

Depuis plus d'un siècle, ils étaient parfaitement égaux, par delà les titres et les mots.

Ils étaient la Princesse et le Prodige.

Ils étaient la Prêtresse et le Porteur de la Lame.

Ils étaient la Réincarnation d'Hylia, et le sang du Héros.

Ils étaient les Élus.

Mais avant toute autre chose, ils étaient Link et Zelda.

Et cela suffisait amplement.

La princesse écarta la main du jeune hylien d'un geste fébrile et posa ses paumes de chaque côté de son visage. Ses doigts frôlèrent les veines de son cou où un pouls puissant et rapide vibrait à l'unisson du sien.

«Link, souffla-t-elle dans un murmure saccadé à peine audible, acceptes-tu, au nom d'Hylia et… en ce jour et pour toujours… de devenir le Chevalier Consort de la Princesse Héritière d'Hyrule? Mon Chevalier Consort?

— Oui.»

Zelda ne put retenir un grand sourire de s'installer sur son visage. Des larmes s'échappèrent de ses paupières. Des larmes de joie, dont elle savoura le goût salé.

«Alors embrasse-moi», ordonna-t-elle.

Et Link s'exécuta.