Chapitre XXII: La Protectrice

Les parias. C'était ainsi qu'on les appelait désormais au sein de l'Ordre des Ténèbres. Bellatrix et Rodolphus étaient assignés à domicile, l'une sous peine de mort par ordre du Seigneur des Ténèbres, l'autre par exclusion sociale. Plus aucun Mangemort ne l'invitait, et inversement, plus personne n'acceptait ses invitations.

À la fin du mois de mai, le jour de l'anniversaire de Rodolphus, les époux Lestrange essuyèrent même l'affront de voir leur invitation purement et simplement ignorée. Pas même Rabastan ne se montra, se contentant d'une lettre d'excuses au ton vaguement coupable et mal à l'aise, lui qui était pourtant leur seule source d'information depuis leur exclusion.

Ils célébrèrent donc l'anniversaire en tête-à-tête, à une table dressée pour vingt couverts. Bellatrix s'efforça de ne pas trop se moquer. Elle garda pour elle toutes ses réflexions dédaigneuses, se contentant d'un sourire railleur en savourant le menu en sept plats concocté par Meeney.

Rodolphus, lui, passa le repas à marmonner des insanités, tranchant furieusement son haggis aux petits navets dodus. Par moments, quelques réflexions échappaient à sa mâchoire serrée, et leur douce mélodie réchauffait le cœur de Bellatrix :

— Ces ingrats !

— Dire que je les ai élevés à la seule force de mon bras...

— Bella, sans moi, ils seraient encore tout en bas de l'échelle à quémander une miette de l'attention du Seigneur des Ténèbres. UNE MIETTE !

Bellatrix haussa les sourcils quand il éleva la voix, et se contenta de répondre d'un vague « mmh, mmh ». Les états d'âme de Rodolphus lui importaient peu. Il goûtait enfin à ce qu'elle subissait depuis toujours.

Les Mangemorts ne l'avaient jamais supportée. Sans raison valable, sinon parce qu'elle était une femme et leur était supérieure en tout. Ils exultaient de la voir tomber – et de voir Rodolphus chuter avec elle. Cela lui servirait de leçon. Il y réfléchirait à deux fois avant de placer sa confiance en ces arrivistes sans honneur.

Son ascension fulgurante – de simple fils d'un Mangemort de la première heure à membre du cercle restreint en seulement deux ans – avait aigri bien des jaloux. Mais s'il avait été trop idiot pour s'en apercevoir, Bellatrix n'allait certainement pas le plaindre.

Et puis, sa situation n'était pas si désespérée. Certes, le Seigneur des Ténèbres ne le portait plus en haute estime, mais il était toujours Mangemort. Lui, au moins, Lord Voldemort ne l'avait pas menacé de lui trancher le bras pour lui retirer sa Marque.

Se remémorer ces paroles était une torture. Bellatrix s'efforçait donc de ne pas y penser. Elle n'avait toujours pas récupéré sa baguette. Elle vivait comme une Moldue, sentant ses capacités s'éroder à mesure qu'elle ne les exerçait pas. Tout en elle brûlait de s'entraîner, de sortir, de courir après son Maître – comme l'avait si délicatement formulé sa mère.

Un soir de juin 1974, Rodolphus et Bellatrix jouaient aux cartes explosives dans le salon, échangeant leurs habituelles rengaines pleines d'amertume.

— Et on en parle, de Lucius ? Qui l'a fait grimper dans les rangs des Mangemorts, sinon moi ? Oserait-il seulement glisser un mot au Seigneur des Ténèbres en ma faveur ? Non, bien sûr que non ! Quel lâche !

— Rod, Lucius est le fils de l'homme le plus influent du pays. C'est la seule raison pour laquelle il a gagné aussi vite son estime… D'ailleurs, ça me fait penser… T'a-t-il jamais dit à quoi servait le journal intime que le Seigneur des Ténèbres lui a confié ?

— Il ne m'a jamais dit que le Seigneur des Ténèbres lui avait confié un journal intime. Qu'est-ce qu'il a, ce pauvre Lucius ? Des petits états d'âme à coucher sur papier ? Quelle tapette.

Bellatrix laissa passer l'insulte, sans relever qu'il venait, par association, de traiter leur Maître à qui appartenait le journal en premier lieu de « tapette ».

— Non, mais Bella ! Si seulement c'était Lucius, le problème… Tu veux savoir qui sont les plus grands traîtres ? Les pires opportunistes de tout l'Ordre des Ténèbres… ?

— Ethan Rosier, évidemment.

— Non, les Carrow ! Depuis leur arrivée, je n'ai cessé de les faire monter en grade, j'y ai mis toute mon énergie.

— Surtout avec Alecto, c'est sûr.

— Exactement, surtout avec elle !

Bellatrix lui jeta un regard éloquent, un sourcil levé.

— Rodolphus, es-tu assez naïf pour croire qu'Amycus voyait ta relation avec elle d'un bon œil ?

Rodolphus balaya la remarque d'un geste de la main.

— Il n'a jamais rien dit à ce sujet…

— Et comment aurait-il osé ? Faire une remarque à Rodolphus Lestrange ? Le fils de Reginaldus Lestrange ? Et surtout… le mari de Bellatrix Black ?

Rodolphus eut un sourire en coin.

— Me voilà réduit à être le mari de Bellatrix, c'est charmant.

— Mais c'est ce que tu es, mon petit mari.

— Je suis entré dans le cercle restreint à seulement vingt ans, je te rappelle.

— Et moi, je n'avais pas encore dix-neuf ans.

— À quelques jours près…

— Désolée de te l'apprendre, mais dès le début, j'étais bien au-dessus de toi.

Le bruit de cartes que l'on battait s'interrompit. Un soupçon d'hésitation traversa les yeux de Rodolphus. Tout sourire avait disparu.

— Quand es-tu devenue Mangemort, exactement ?

— Quelques jours après ma sortie de Poudlard.

Rodolphus hocha lentement la tête, comme s'il s'en était douté, tout en peinant à l'accepter.

— Et… quand est-ce que tu as couché avec lui pour la première fois ?

— La nuit de notre mariage.

— Tu veux dire que… tu as passé ta nuit de noces avec lui ? Dans ta chambre, chez tes parents ?

Bellatrix lui décocha un sourire éclatant.

— Exactement.

— Pourquoi ? Comment… comment a-t-il pu… Est-ce qu'il baise toutes les femmes Mangemorts à son service, ou juste la mienne ?

— Juste la tienne, j'en ai bien peur, Rodolphus. Et tu baisais déjà la seule autre femme à son service.

— Charmant, vraiment.

Une ombre boudeuse passa sur son visage. Bellatrix adorait le tourmenter, mais elle ne voulait pas qu'il nourrît trop de ressentiment à l'égard du Seigneur des Ténèbres. Elle se décida donc à s'expliquer davantage.

— C'était en quelque sorte la faveur que je souhaitais après mon intronisation… J'avais simplement demandé à ce que nos fiançailles soient rompues. Il a refusé. Puis, il a vu dans mon esprit que je le désirais… à ma plus grande honte. Il s'est moqué de moi et m'a laissée là-dessus. Mais la nuit de nos noces, contre toute attente, il m'a rejointe dans ma chambre.

— Ah. Donc vous baisez ensemble depuis le début… marmonna Rodolphus en mélangeant de nouveau furieusement ses cartes.

— Non. Ça devait être une seule et unique fois. Une récompense. La deuxième s'est produite deux ans et demi plus tard, et j'ai dû pratiquement l'agresser pour que cela arrive. En fait, non… je l'ai bel et bien agressé.

Rodolphus la fixa, bouche bée, un sourcil levé.

— Comment ça… agressé? Tu es complètement folle… murmura-t-il en secouant la tête.

Bellatrix leva les yeux au ciel. Ils jouèrent une partie, qu'elle remporta au grand dam de Rodolphus. Puis, sans prévenir, il aborda un sujet qu'elle avait soigneusement évité ces six derniers mois.

— Est-ce que tu penses qu'il a tué mon père ?

— Il te vient des idées saugrenues.

— J'ai eu cette conversation avec lui. Il a nié, et je l'ai cru sur le moment. Mais je sais aussi que mon père était devenu complètement enragé. Il ne supportait pas que tu sois devenue Mangemort. Cela faisait des mois qu'il me tannait pour que je t'engrosse…

Il eut un air gêné, puis il reprit:

— Une fois, après que Mirepoix t'a régénéré les ovaires, il m'a même dit : « Si tu n'es pas capable de lui mettre un Lestrange dans le ventre, je pourrais le faire à ta place. »

La réplique, parodiant l'accent caractéristique du patriarche, résonna dans la pièce avec un écho malaisant, presque ridicule.

Bellatrix le regarda de sous ses cils épais, les joues rouges de colère.

— C'est une plaisanterie ?

— J'aurais aimé que ce le soit. Je lui avais pourtant dit que tu avais besoin de temps après ton enlèvement. J'ai même cherché un moyen pour t'aider à aller mieux, jusqu'à envisager d'en parler au Seigneur des Ténèbres.

Il eut un rire amer, se remémorant sans doute à quel point il avait été désespéré. Bellatrix, elle, se garda bien de lui révéler qu'elle avait vu cette scène dans la pensine de son Maître, et qu'elle l'avait trouvée absolument répugnante. Oser évoquer ses traumatismes devant Ethan Rosier, Antonin Dolohov et Rabastan ! Quel goujat.

Elle ne lui révéla pas non plus que, finalement, le Seigneur des Ténèbres avait accédé à sa demande – à son insu – en versant une potion d'Éros dans son jus de citrouille.

— Si j'avais ma baguette, tu aurais perdu une testicule ou deux, Rodolphus. Ton père t'a vraiment menacé de me violer ?

— Ou de prendre mon apparence. Je ne sais pas exactement ce qu'il avait en tête à ce moment-là.

— Ça resterait un viol, contra Bellatrix, indignée.

— Je lui ai évidemment dit d'aller se faire voir. C'était probablement plus une menace sans fondement qu'autre chose. Mais quelques semaines plus tard, il a appris que tu étais à mon service, et il est devenu encore plus dingue.

— Il l'était depuis le début. Trop imbu de lui-même, à force de se croire intouchable grâce à sa position privilégiée auprès du Seigneur des Ténèbres. Ça l'a rendu négligent. Fabian Prewett n'a eu aucun mal à le tuer.

Le mensonge de Bellatrix était venu avec une facilité déconcertante. Elle et son Maître pouvaient être en mauvais termes, mais jamais elle ne trahirait les secrets qu'il lui avait confiés. En elle brûlait encore l'espoir ardent de regagner sa place à ses côtés. Un jour, il comprendrait qu'elle ne l'avait jamais trahi. Il saurait qu'elle était la plus loyale, la plus dévouée.

Et maintenant qu'elle apprenait cette chose abominable sur feu son beau-père, elle ne pouvait nier une certaine satisfaction à l'idée que son Maître l'eût tué. Plus encore, elle mourait d'envie de savoir comment cela s'était déroulé. L'avait-il torturé avant de l'achever ? Elle l'espérait du plus profond de son âme. Si elle avait le pouvoir de le ressusciter une heure pour le soumettre à son Doloris, elle le ferait avec délectation.

Ce chien avait envisagé de la violer.

Au regard de toutes les manigances dont elle avait été la cible, elle commençait à croire qu'elle l'avait totalement obsédé. Il l'avait haïe avec une intensité ahurissante, dont elle n'avait même pas eu conscience de son vivant.

Rodolphus ouvrit la bouche pour répondre, mais Meeney les interrompit en s'approchant, un plateau d'argent à la main, sur lequel reposait une lettre.

— Un hibou vient d'apporter ce courrier, Maître.

C'était une lettre de Rabastan. Rodolphus la prit et la lut à voix haute.

Mon cher frère,

Le Seigneur des Ténèbres nous a tous fait parvenir des missions cet après-midi, à tous ses Mangemorts, me semble-t-il. Enfin, sauf à toi. («Sympa !» commenta Rodolphus d'un ton ironique.)

J'ai vraiment l'impression que le but est de nous tenir occupés ces prochains jours. La plupart de ceux à qui j'ai parlé ont été envoyés à l'étranger.

La mienne n'est malheureusement pas aussi passionnante. Elle consiste à trier des lettres interceptées entre Molly Weasley et ses frères. Mais ces lettres ne parlent que de deux marmots insupportables et du travail de ce débile d'Arthur Weasley. C'est d'un ennui insupportable. Je suis toujours coincé au château des Rosier avec la tâche la plus ingrate et inutile qui soit.

Le Seigneur des Ténèbres a aussi précisé que personne ne devait le solliciter ces prochains jours car il serait absent et à l'étranger. Et que si un événement majeur survenait, par exemple… la mort d'un Auror, nous devions contacter Ennius Rosier.

C'est intrigant à souhait. On se demande tous ce que notre Maître prépare. Amycus pense qu'il va enfin provoquer Dumbledore en duel.

Lucius, lui, prétend qu'il va peut-être convoler en justes noces avec une amante cachée. («Tu as raison, c'est vraiment une tapette», s'indigna Bellatrix.) Je crois qu'il dit ça parce qu'il ne s'est toujours pas remis de son voyage de noces avec sa dulcinée.

Mais le plus drôle, c'était encore Alecto. Elle a supputé que notre Maître allait s'offrir quelques jours de vacances sur la Côte d'Azur. On a tous ri.

Je te tiens au courant de la suite.

Mes amitiés à Bella.

Rabastan.

— Comme c'est étrange… marmonna Rodolphus en laissant négligemment tomber sa lettre au sol. Il ne nous a jamais fait une chose pareille.

Bellatrix ne répondit rien.

XxXxXxX

Deux jours plus tard, Bellatrix et Rodolphus eurent la surprise de voir Rabastan accourir au Manoir Lestrange, l'air hagard et le souffle court. Ses vêtements étaient froissés, et un filet de sueur perlait à ses tempes.

— Rodolphus, vite, chez les Rosier ! Ils nous attaquent ! Ils sont plus nombreux que nous ! Viens !

Sans même prendre la peine de répondre, Rodolphus bondit sur ses pieds. Bellatrix l'attrapa par le bras avant qu'il ne suive son frère jusqu'au sas de transplanage.

— Emmène-moi avec toi !

— Tu n'as pas ta baguette, Bellatrix ! Lâche-moi !

Sans un regard en arrière, les deux frères se précipitèrent hors du salon, laissant Bellatrix seule. Un sifflement strident retentit dans son cerveau, comme l'appel lancinant d'une panique sourde menaçant de l'envahir. Les couleurs et le bruit revinrent à elle, et lorsque les reliefs de la pièce se firent saillants, elle se mit en mouvement.

Elle ne comptait pas rester là. Elle se dirigea d'un pas décidé vers le laboratoire de potions de Reginaldus Lestrange au sous-sol du manoir, et se servit de trois potions différentes. Une potion de Désillusion pour être moins repérée, une fiole de Pattes-de-Chat pour adoucir le bruit de ses pas et de l'Essence de Zébulon pour affuter ses réflexes. Elle camoufla aussi une dague serrée contre sa cuisse.

— Meeney !

L'elfe de maison apparut aussitôt, trottinant à toute vitesse sur ses courtes jambes, le regard levé vers sa maîtresse avec déférence et inquiétude.

— Emmène-moi au Château des Rosier, ordonna Bellatrix.

— Oui, Maîtresse.

L'instant d'après, elles se matérialisèrent dans le grand salon de la demeure ancestrale, à côté d'une imposante cheminée sculptée.

La Mangemort n'eut qu'une fraction de seconde pour se jeter au sol. Un éclair vert fusa au-dessus d'elle et alla pulvériser un candélabre qui s'écrasa dans un fracas assourdissant. Roulant sur le côté, elle se glissa derrière un sofa recouvert de velours cramoisi, son cœur battant à tout rompre. À ses côtés, Meeney se tassa sur elle-même, tremblante.

La salle était un champ de bataille. Les Mangemorts et les Aurors s'affrontaient avec une férocité démente, projetant des éclairs de toutes les couleurs sur les tapisseries anciennes. Un Mangemort masqué fusa à travers la pièce, son manteau noir tourbillonnant dans son sillage, en duel avec un Auror aux cheveux grisonnants qui lui opposait une défense habile.

— Expulso !

L'attaque fit voler en éclats une table de banquet, projetant des vases et des échardes aux quatre coins de la pièce. Plus loin, un duel s'engageait sur l'estrade où se tenait autrefois l'orchestre lors des réceptions. Un autre Mangemort s'écroula contre le mur, son masque fendu en deux, tandis qu'un sortilège rouge vif envoyait un autre valser contre un pilier sculpté.

Bellatrix ne reconnut pas les visages inertes des deux Mangemorts, affaissés contre le mur, l'un avait le masque fendu en deux, l'autre avait une large traînée de sang qui maculait sa tempe. Ils semblaient tous deux simplement assommés mais la blessure avait dû faire mal.

— Maîtresse, nous devons partir ! C'est trop dangereux!

Meeney tirait sur sa robe, la voix tremblante, son regard paniqué passant de Bellatrix aux Aurors qui quadrillaient désormais la salle.

— Chut, tais-toi, Meeney. Tu peux partir. Laisse-moi ici.

L'elfe hésita, ses grandes oreilles frémissant d'angoisse, puis disparut dans un léger plop.

Bellatrix, toujours accroupie derrière le sofa, scruta la salle d'un regard fébrile, cherchant à évaluer la situation. Les Aurors avaient pris l'avantage. Les derniers Mangemorts encore debout se repliaient, et elle aperçut deux capes noires disparaître derrière une porte dérobée.

Il n'y avait plus que des Aurors.

Son cœur battait violemment alors qu'elle s'aplatissait davantage contre le sol, tentant de contenir son souffle.

— Où est l'entrée ? demanda une voix tranchante et féminine, gagnée par la frénésie du combat.

— Il faut chercher un escalier dissimulé qui mène au sous-sol. Rosier a dit que l'entrée donnait sur un salon.

Celui qui avait parlé était un grand blond à l'allure rigide et aux yeux bleu translucide. Bellatrix le reconnut aussitôt. Il était l'un de ceux qui l'avaient interrogée au Quartier des Aurors deux ans auparavant.

— Ce n'est pas ici ! Où est Rosier ? Il pourrait nous indiquer où se trouve ce foutu escalier ! s'impatienta un autre Auror, à la voix rocailleuse.

— Il s'occupe de son père à l'étage…

— On n'a pas de temps à perdre ! D'autres Mangemorts vont rappliquer ! Il faut trouver ce Lord de mes deux, et vite !

L'Auror à la voix rauque avait lâché ces mots avec un mépris hargneux. Bellatrix retint un hoquet de stupeur de justesse. Son Maître était-il ici, au Château des Rosier?

— On veut tous la même chose, Maugrey. Dispersez-vous. Utilisez des sorts de détection.

Les Aurors sortirent par les différentes portes de la pièce. Bellatrix jeta un coup d'œil à la salle de réception dévastée : des corps inanimés, des tapisseries arrachées, des gravats éparpillés sur le dallage fissuré.

Bellatrix attendit une dizaine de minutes, figée dans l'ombre, chaque muscle tendu, écoutant le moindre bruit. Son refuge précaire ne la protégerait pas plus longtemps. D'autres Aurors pouvaient arriver, et elle était déterminée à découvrir ce que les Aurors cherchaient.

Au loin, semblant provenir des méandres du château, un cri retentit :

— On a trouvé !

Un frisson lui parcourut l'échine. Elle se redressa lentement, le cœur battant à tout rompre. Sortir vivante de ce bourbier relevait de l'impossible. Mais une sourde intuition lui hurlait de rester là.

Petite, elle était venue plusieurs fois dans ce château avec sa mère. Elle se souvenait encore des après-midis passés à jouer à cache-cache avec son cousin Ethan Rosier, courant dans les corridors sous le regard indulgent des statues de marbre. Mais cela remontait à des années. Depuis, les familles Black et Rosier s'étaient éloignées, rongées par des querelles familiales mesquines. Elle serait bien en peine de retrouver son chemin dans ce labyrinthe de pierre à ce jour.

Mais elle se souvenait d'une pièce. Un salon discret, idéal pour y cacher un passage secret, situé au rez-de-chaussée et utilisé pour les réunions les plus confidentielles entre sa mère, ses tantes et sa grand-mère avant son décès. Si un passage secret existait quelque part, c'était là.

Elle s'engagea dans les couloirs sombres, sans un bruit. Le château exhalait l'odeur rance des vieilles pierres et du bois ciré. Ici et là, des armures d'apparat se dressaient comme des sentinelles silencieuses, leur acier terni par les siècles. L'écho lointain des pas des Aurors résonnait dans les galeries, amplifié par la hauteur des plafonds voûtés.

Elle progressa, se faufilant entre les imposants buffets sculptés et les fauteuils de velours dont les accoudoirs étaient griffés par l'usure du temps.

Lorsqu'elle atteignit enfin la porte du petit salon, elle entra avec précaution. L'endroit était somptueux mais intime, bien différent de la salle de réception grandiose où elle et Meeney étaient apparues. Ici, le faste se faisait plus discret : des murs lambrissés d'acajou sombre, un parquet brillant qui renvoyait les lueurs tamisées de lustres d'argent.

Un immense miroir, serti dans un cadre ouvragé, dominait une cheminée propre où aucun feu n'avait dû y brûler depuis des décennies. Mais ce qui attira immédiatement son attention, ce fut la trappe béante au centre de la pièce.

Le tapis luxueux qui l'avait dissimulée avait été roulé en arrière, révélant une ouverture sombre plongeant dans les entrailles du château.

Bellatrix retint son souffle.

Les Aurors avaient trouvé quelque chose. Un souffle glacé s'éleva des profondeurs, charriant une odeur saumâtre de pierre humide. Des cris retentissaient dans un fracas épouvantable, mêlés aux éclats des sortilèges qui s'entrechoquaient. Les Avada Kedavra se succédaient en une litanie terrifiante.

Ils étaient des dizaines, là-dessous.

Des bribes de désespoir lui parvinrent.

— Appelle du renfort !

— MAUGREY, PAR LA DROITE !

Appelle-le !

Inspirant profondément et priant pour que les potions qu'elle avait prises suffisent à la protéger, elle descendit avec précaution l'interminable escalier pentu qui s'enfonçait sous terre. Elle atterrit dans un couloir glacé et poisseux, faiblement éclairé par des torches fixées aux murs. Après quelques pas, une brusque prise de conscience lui serra le cœur. Elle connaissait cet endroit. C'était le couloir menant au Sanctuaire. Tout au bout, une volée de marches conduisait à la salle de réunion. Elle avait trouvé l'entrée du Quartier Général du Seigneur des Ténèbres.

C'était de la salle de réunion que provenaient l'agitation, les cris, les éclats de lumière dont certains ricochaient dans l'angle de l'escalier. Bellatrix s'avança prudemment, le cœur battant à tout rompre.

— Vous êtes cernés ! Rendez-vous ! lança une voix rocailleuse qu'elle identifia aussitôt comme appartenant à un certain Maugrey.

— Votre Maître n'est pas là pour vous tirer de ce pétrin ? railla un autre Auror, goguenard.

D'un pas vif, elle gravit les quelques marches qui la séparaient du la salle du dessus. À l'approche du sommet, elle s'accroupit, ne laissant dépasser que sa tête dissimulée par la potion de Désillusion.

Immédiatement devant elle, un rang compact de quinze Aurors lui tournait le dos, baguette levée vers le fond de la salle. Tous avaient les yeux rivés sur trois Mangemorts acculés : Rabastan, Rodolphus et Antonin Dolohov.

Entre eux, quelques corps gisaient au sol, évanouis ou morts. Avec horreur, Bellatrix constata qu'ils portaient tous un Masque. Les Aurors dominaient la situation. C'était un désastre.

— Allez vous faire voir ! éructa Rodolphus avant de lancer un maléfice de magie noire vers celui qui s'était moqué d'eux, mais un bouclier d'une qualité remarquable neutralisa l'attaque.

Les échanges de sorts reprirent aussitôt, mais l'avantage numérique des Aurors était écrasant. La pièce rectangulaire, dépourvue de tout meuble hormis l'immense table de réunion, n'offrait aucune couverture, aucune issue. Même les lourdes portes derrière les trois derniers Mangemorts encore debout menaient à un cul-de-sac. Bellatrix le savait : derrière se trouvait un long couloir desservant les appartements privés de Lord Voldemort ainsi que son laboratoire de potions.

Rabastan fut le premier à tomber. Projeté contre la porte, il la fit s'ouvrir, dévoilant un puits d'ombre qui sembla l'engloutir tout entier lorsqu'il s'effondra, ne laissant dépasser que ses pieds de l'embrasure noire.

Bellatrix était impuissante. Si les Aurors se retournaient contre elle, elle n'aurait aucune chance.

Dolohov parvint à neutraliser un Auror avant d'être stupéfié à son tour et de s'effondrer, inerte.

Il ne restait plus que Rodolphus, seul, le souffle court, l'œil vif, au centre de la salle. Les Aurors s'approchèrent, l'encerclant comme une meute refermant son piège sur une proie.

— Allez, dis-nous, le masqué, où se cache ton Maître ?

— Chez ta mère pour la baiser, Londubat, cracha Rodolphus.

Un rire glacial, semblant jaillir des quatre coins de la pièce, résonna soudain. Tous sursautèrent. Un frisson de plaisir parcourut Bellatrix. Elle aurait reconnu ce rire entre mille.

Dans l'encadrement des doubles portes, une silhouette encapuchonnée émergea de l'ombre, glissant sans un bruit à côté du corps inerte de Rabastan. Drapé d'une simple robe et d'une cape noire dont les attaches à l'avant étaient restées ouvertes, il avançait à pas lents, mesurés.

— Reformez-vous ! hurla Maugrey.

Rodolphus leva un bouclier juste à temps pour dévier un Expelliarmus qui fonçait droit sur lui. Mais déjà, presque tous les Aurors s'étaient détournés de lui pour pointer leur baguette vers la silhouette qui venait d'entrer. Seul Londubat resta en position, les mâchoires crispées, prêt à en découdre.

Tandis que Rodolphus et Londubat engageaient un duel en périphérie du groupe, les autres Aurors se regroupèrent, formant un mur impénétrable face au Seigneur des Ténèbres.

— Rendez-vous ! ordonna Maugrey d'une voix grondante.

Un autre rire s'éleva, plus menaçant encore, mais à peine amorcé, il se mua en un souffle feutré, comme s'il s'était dissous dans l'air lui-même. Lord Voldemort s'était figé, droit, impassible. Bellatrix retint son souffle. Il n'y avait pas la place pour les duels. Les Aurors étaient trop nombreux.

D'un geste fluide, la baguette de Lord Voldemort s'éleva.

L'instant d'après, un épais brouillard noir déferla dans la pièce comme une vague d'encre vivante, engloutissant tout sur son passage. Un cri jaillit, puis un autre, suivi d'une cacophonie de hurlements paniqués. L'obscurité n'était pas seulement visuelle : elle s'insinuait dans les chairs, dans les esprits, tordant la perception, fragmentant le réel.

Bellatrix porta les mains à sa tête. Un sifflement perçant déchira ses tympans, résonnant jusque dans son crâne comme une vrille invisible cherchant à le fendre en deux. Elle chancela, aveuglée, ses sens brouillés, incapable de discerner la moindre silhouette dans le chaos ambiant.

Puis, aussi soudainement qu'il était apparu, le brouillard se dissipa.

Lorsqu'elle ouvrit de nouveau les yeux, cinq Aurors gisaient au sol, inertes. Dix tenaient encore debout, mais leurs traits étaient marqués par la panique et la confusion.

— Prends Londubat et son acolyte à droite. Je m'occupe des autres, dit Voldemort à Rodolphus.

Huit Aurors contre lui seul. Même pour le plus accompli des mages noirs, cela semblait beaucoup. Si seulement elle avait sa baguette !

Le combat reprit. Les sorts fusèrent de toutes parts.

Bellatrix n'hésita plus. Elle tira son couteau et le lança à travers la pièce. La lame fendit l'air en un éclair et se logea droit dans le cœur d'un Auror. Elle l'avait soigneusement choisi. Le blond. Celui qui l'avait interrogée.

— Plus que sept pour vous, mon Seigneur, chuchota-t-elle.

Un instant de flottement s'empara des Aurors. Leurs regards s'agitèrent, cherchant un ennemi invisible dans leur dos. Ce moment d'hésitation suffit. Lord Voldemort frappa sans merci, abattant un autre adversaire.

Plus que six.

À la périphérie, le duel entre Rodolphus, Londubat et son acolyte faisait rage. Galvanisé par la présence de son Maître, Rodolphus redoubla d'agressivité.

Voldemort dominait la scène, terrifiant dans son ascendant. Une puissance brute émanait de lui, plus volatile, plus féroce que jamais. Tout, de sa posture à ses réactions vives, inflexibles et frénétiques, ramenait Bellatrix au souvenir dont elle avait été témoin dans la pensine : ce combat saisissant contre les six mages noirs du Club des Sept Sorciers, alors qu'il n'était encore qu'aux prémices de son ascension.

Il baignait dans cette même aura de toute-puissance, une force déchaînée, empreinte d'une fièvre incandescente, comme si son pouvoir incommensurable flirtait avec les limites du contrôlable. Il ne restait jamais statique, glissant entre ses ennemis, enchaînant des maléfices inconnus, inarrêtables.

Sa capuche tomba, révélant son visage pâle et anguleux. Sa peau semblait plus brillante que d'ordinaire, presque luisante, comme couverte de sueur.

Trois autres Aurors s'écroulèrent.

Rodolphus, lui, était venu à bout de l'acolyte de Londubat, mais ce dernier devenait de plus en plus vif, ses attaques de plus en plus précises. Un Stupefix bien placé fendit sa défense, et Rodolphus s'effondra au sol.

Voldemort se figea un instant. Un maléfice de magie noire jaillit dans un crépitement strident, zébrant l'air comme un feu d'artifice avant de s'abattre sur Maugrey. Sa jambe explosa dans un craquement abominable.

L'homme hurla. Son cri rauque suspendit le combat.

— On bat en retraite ! On vous couvre ! hurla une femme.

Londubat se précipita vers Maugrey, le hissant sur ses épaules avant de le traîner vers la sortie, en direction de l'escalier où Bellatrix était toujours tapie.

Les trois derniers Aurors, encore aux prises avec Voldemort, reculèrent à leur tour, couvrant la fuite de leurs alliés.

Londubat tenait Maugrey d'un bras, sa baguette fermement serrée dans la main droite.

— On pourra transplaner dès qu'on aura rejoint l'étage supérieur ! haleta-t-il.

Lord Voldemort s'avança, grand et implacable, prêt à achever les fuyards.

Mais soudain, il s'arrêta.

Même à cette distance, Bellatrix vit immédiatement que quelque chose n'allait pas. Il n'était plus aussi droit, son corps légèrement courbé comme s'il peinait à se maintenir. Ses cheveux noirs, d'ordinaire impeccables, retombaient en mèches éparses sur son front. Il gardait les yeux baissés vers le sol.

Elle laissa passer Londubat, soutenant Maugrey par la taille, tandis que les cris de souffrance de ce dernier résonnaient dans la salle. Derrière eux, les trois derniers Aurors – une femme et deux hommes – les suivaient de près, protégés par d'énormes boucliers d'une teinte presque opaque tant leur puissance était concentrée.

Lorsqu'ils disparurent dans l'escalier, Bellatrix se précipita vers son Maître.

Il était essoufflé, les paupières closes, et une fine pellicule de sueur brillait sur son front pâle. Autour de son cou pendait un médaillon en or massif, serti de la lettre S et de petites émeraudes.

— Mon Seigneur…

— Qu'est-ce que tu fais là, Bellatrix ?

— Vous n'allez pas sérieusement me le reprocher ?

— Tu n'as pas ta baguette.

— Donnez-la-moi, alors.

— Elle est dans ma chambre.

La voix était un filet sibyllin.

Bellatrix fronça légèrement les sourcils. Pourquoi ne la faisait-il pas venir d'un simple sortilège d'attraction ? Doutait-il donc encore de sa loyauté ? Une colère sourde monta en elle.

Il ouvrit les yeux, et ceux-ci étaient d'un rouge profond, une tache d'encre aux contours indéfinis qui débordait sur la sclérotique, semblable à une marée de lave plus sombre encore que le sang. Au centre, la pupille n'était pas tout à fait ronde ; ses bords semblaient vaciller, onduler, comme les reflets tremblants d'un mirage éclatant au cœur du désert, un soleil ténébreux surgissant en pleine nuit.

— Bella, où est Ethan Rosier ?

— Les Aurors ont dit qu'il était à l'étage, auprès de son père.

— Ennius…

— Maître, le traître peut arriver d'un instant à l'autre, avec du renfort.

Lord Voldemort vacilla légèrement. Bellatrix réagit aussitôt, agrippant ses avant-bras avant de glisser ses mains autour de sa taille, les yeux levés vers lui.

— Qu'est-ce qui vous arrive, Maître ? chuchota-t-elle.

— Rien, répliqua-t-il sèchement. Mes Mangemorts à terre doivent être mis à l'abri.

— Je n'ai pas ma…

— Qui est mort ? l'interrompit-il.

Bellatrix le relâcha et s'éloigna pour examiner les corps. Rabastan et Dolohov respiraient encore, mais restaient inertes malgré ses secousses. Deux autres Mangemorts, en revanche, ne bougèrent pas du tout. D'un geste rapide, elle souleva leurs masques et vit Voldemort baisser la tête. Elle en avait reconnu un, mais pas l'autre. En passant devant l'Auror blond, elle récupéra la dague qu'elle avait logé dans son cœur.

— Rodolphus peut être réveillé, mais les autres ont besoin de soins plus poussés, dit-elle une fois près de lui.

— Réveille Rodolphus.

— Maître, je n'ai pas ma…

Il tressaillit légèrement et lança un «Ennervate» entre ses dents serrées.

Rodolphus se précipita vers Voldemort, manifestement inquiet.

— Maître, nous devons partir. Rosier est encore ici. Les Aurors vont revenir en nombre. Peut-être même Dumbledore.

— Emmène les blessés chez les Carrow. Utilise un Portoloin.

— Très bien, Maître.

Rodolphus fit léviter les corps vers le centre de la salle de réunion et transforma un débris en Portoloin.

— Bellatrix, aide-moi jusqu'à ma salle des potions, reprit Voldemort, les yeux de nouveau clos.

Rodolphus sursauta et se tourna brusquement vers Bellatrix. Elle était toujours dissimulée par la potion de Désillusion, mais maintenant qu'il savait qu'elle était là, il semblait en percevoir les contours, une silhouette floue trahie par de subtiles distorsions dans l'air.

— Qu'est-ce que…

— Dépêche-toi, l'interrompit Voldemort d'un ton glacial.

Ni Rodolphus ni Bellatrix ne surent à qui il s'était adressé, mais cela n'avait pas d'importance. Elle glissa aussitôt un bras autour de sa taille, le soutenant alors qu'ils se dirigeaient vers les doubles portes. Dès qu'ils eurent avancé de quelques pas dans le couloir, loin de Rodolphus qui s'affairait toujours, elle sentit son poids peser davantage contre elle. Son souffle se fit plus rauque, irrégulier. Puis, soudain, son corps se déroba.

Il s'effondra à genoux dans un gémissement de douleur.

— Mon Seigneur… souffla-t-elle, les larmes aux yeux.

— Aide-moi jusqu'à ma salle des potions, répéta-t-il froidement, se hissant de nouveau sur ses jambes.

Lorsqu'ils entrèrent dans la salle des potions, une odeur épouvantable s'éleva des multiples chaudrons, un mélange âcre de souffre, de métal et de chair corrompue.

Un cadavre gisait au sol, les bras et les jambes en croix, au centre d'un cercle de sang. Son corps démembré formait un dessin haché, chaque membre disposé à quelques centimètres des autres, comme un puzzle sinistre. Au-dessus de lui, une tête barbue, grisonnante, flottait dans les airs, les yeux écarquillés, la langue pendante.

C'était grotesque. Spectaculaire.

Lord Voldemort sortit un sac sur lequel il apposa un sort d'extension. À peine la formule franchit-elle ses lèvres qu'un grognement sourd lui échappa.

— Maître…

— Je ne suis pas ton maître.

Vous êtes impossible ! Où est ma baguette ? Vous souffrez, laissez-moi vous aider.

Il ne l'écoutait pas.

D'un geste brusque, il enchaîna les «Accio» à un rythme effréné, vidant des étagères entières. Des fioles, des grimoires et des artefacts jaillirent de leurs places, bondissant vers le sac en jute qu'il avait laissé ouvert sur les dalles noires et luisantes.

Accio Pensine. Accio Potions LTLV. Accio La Magie noire et ses maléfices Volume I, II, III, IV, V…

Un bruit de pas précipités retentit sur le seuil. La porte s'ouvrit à la volée, percutant violemment le mur, et Ethan Rosier surgit, l'œil fou, l'air hagard.

Bellatrix n'avait pas besoin de voir sa baguette levée pour comprendre. Elle le savait déjà. Tu te montres enfin, sale traître… se dit-elle, le cœur battant.

— C'est terminé, déclara-t-il d'une voix rauque. Vous êtes faible. Seul. Vous allez mourir ici.

Dans un mouvement brusque, il brandit sa baguette.

— Avada Kedavra !

L'éclair vert jaillit, fulgurant. Voldemort le contra d'un geste presque négligent.

— Tu crois pouvoir affronter Lord Voldemort, Rosier ? railla-t-il. Où est ton père ?

— Mort. Je l'ai tué.

Un nouveau jet de lumière verte fusa, ricochant contre les murs avant de pulvériser un meuble dans un fracas de cendres.

— Les Aurors vont revenir ! Vous êtes cernés ! J'ai attendu ce moment des années durant.

— Que t'ont promis ces imbéciles du Ministère ? murmura Voldemort.

— Rien. Tout cela est… personnel.

Un sourire tordu étira les lèvres de Rosier. D'un geste vif, une flamme jaillit de sa baguette, s'étirant en une langue incandescente avant de prendre forme : un dragon rugissant, son corps d'or et de pourpre crépitant dans la pénombre. Le Feudeymon.

Voldemort recula d'un pas, tenant la créature à distance.

— Diffindo! hurla Rosier.

La lame invisible fendit l'air, tranchant les flammes. Voldemort eut à peine le temps d'esquiver qu'une entaille s'ouvrit sur son bras gauche.

Bellatrix n'attendit pas davantage. Profitant de l'affrontement, elle contourna Rosier, qui ne l'avait toujours pas remarquée, et s'élança hors de la pièce.

Ses pas résonnaient violemment dans les couloirs déserts tandis qu'elle filait vers la chambre de Voldemort. Une porte, un claquement sec. D'un regard vif, elle balaya la pièce en quête de son bien le plus précieux.

Sur la table de nuit, du côté où il dormait, elle la vit enfin. Reposant entre deux livres, à peine dissimulée. Elle s'en empara d'un geste sûr, savourant un instant la brûlure exquise du bois de noyer, si familier contre sa paume. Sa baguette.

Son regard glissa sur l'autre table de nuit. Quelques-unes de ses propres affaires étaient toujours là, intactes. Les deux tomes de la trilogie de Ludmilla Thenn qu'elle n'avait pas pris chez elle. Une brosse. Des boucles d'oreille. Un frisson ténu lui traversa l'échine. Elle attira le tout à elle, même les livres de son Maître, et les fit rapetisser avant de les glisser dans la poche de sa robe.

Lorsqu'elle revint dans la salle des potions, le chaos l'engloutit aussitôt.

Les flammes déchaînées du Feudeymon s'étaient propagées, léchant les murs, dévorant les étagères, réduisant en cendres les grimoires séculaires. Au centre de cet enfer incandescent, Rosier et Voldemort se livraient un duel à mort.

Le feu projetait des gerbes d'étincelles, et les fondations du château tremblaient sous la violence du sortilège. Un craquement sinistre retentit au-dessus d'eux.

Bellatrix n'hésita pas. Elle pointa sa baguette sur Rosier.

— Endoloris !

Un hurlement déchira l'air. Rosier s'effondra à genoux, les doigts crispés sur son crâne, les yeux révulsés.

Il leva la tête vers elle, la haine la plus pure déformant ses traits.

— Igor aurait dû te tuer, sale catin.

— Oui, il aurait dû, murmura-t-elle.

— Ne le tue pas, dit Voldemort avant de continuer à enfouir ses effets personnels dans le sac de jute.

Rosier tenta de lever sa baguette. Elle ne lui en laissa pas l'occasion.

Le corps du traître s'effondra, inerte.

Le rugissement du Feudeymon s'amplifia. Une voûte céda dans un fracas assourdissant.

— Maître ! hurla Bellatrix en se précipitant vers Voldemort.

Il était à bout de forces, le souffle erratique, sa silhouette chancelante agenouillée près du cadavre décapité dont la tête à la langue pendante oscillait encore dans un lent mouvement grotesque.

— On doit emporter Rosier. Je veux l'interroger.

— Maître, tout s'effondre…

Un pan de mur se fissura, et un nuage de poussière les enveloppa.

— Fais ce que je te dis.

Bellatrix fit léviter le corps de Rosier jusqu'à eux.

— Maître, je ne peux pas nous faire transplaner d'ici.

— Je vais le faire.

Voldemort referma une main sur chacun de ses Mangemorts, Bellatrix sur le sac de jute, et le vortex les emportèrent loin du brasier et des pierres tombantes.

XxXxXxX

L'endroit où ils atterrirent ressemblait à un vestibule étroit et faiblement éclairé. La porte d'entrée, entièrement de bois, était parcourue de larges fissures, laissant filtrer un vent sifflant et chargé d'iode. Trois autres portes, du même bois élimé, restaient closes, les enfermant dans une pénombre presque réconfortante après le chaos qu'ils avaient laissé derrière eux.

Sur les dalles crasseuses gisait Lord Voldemort. Il frissonnait.

Agenouillée à ses côtés, Bellatrix lui prit doucement la main. Dans la lueur blafarde, elle distingua la pâleur maladive de sa peau contre la sienne. Elle se rendit alors compte que les effets de la potion de Désillusion s'étaient dissipés.

Des pas résonnèrent derrière l'une des portes.

— Aide-moi à me relever, murmura-t-il.

Glissant un bras autour de sa taille, elle l'aida à se redresser. Il lui parut plus frêle, plus léger qu'auparavant. À hauteur de son regard, le Médaillon battait contre la poitrine de son Maître, irradiant une énergie curieuse.

— Maître ! Bella ! s'exclama Rodolphus en apparaissant. Que s'est-il passé ?

Son regard glissa ensuite vers le corps inerte d'Ethan Rosier, toujours sous l'emprise du Stupéfix.

— Le traître est vivant ? demanda-t-il.

Bellatrix hocha la tête.

— Le Seigneur des Ténèbres veut l'interroger. Il a tué son père.

— Enferme-le chez les Malefoy et surveille-le jusqu'à mon retour, ordonna Voldemort d'une voix qu'il s'efforçait de garder ferme, bien que sa main crispée contre le mur poisseux trahît son état dégradé.

— Ce sera fait, mon Seigneur.

— Qui est mort ? demanda Voldemort brusquement.

— Agron Yaxley et… Charles Mulciber, Maître.

Charles Mulciber était un autre de ses Mangemorts de la première heure. De son groupe d'amis à Poudlard, il ne restait plus qu'Antonin Dolohov et George Nott.

— Et les blessés ?

— Alecto s'en occupe. Ils s'en remettront.

Bellatrix hésita une fraction de seconde avant d'ajouter d'une voix plus basse, presque hésitante :

— Maître… je crains qu'il y ait d'autres morts dans l'éboulement du château. J'ai vu aux moins deux Mangemorts assommés dans la salle de réception avant de descendre au sous-sol.

Un silence s'installa, troublé seulement par la respiration quelque peu laborieuse de Voldemort.

— Maître, si je peux me permettre… vous n'avez pas l'air en pleine forme, hasarda Rodolphus, son regard détaillant son Maître des pieds à la tête.

— Je vais bien, mentit Voldemort. Mais j'ai besoin d'un endroit calme, sûr, pour me régénérer.

Il ferma les yeux, réprimant un frisson.

— Les Carrow ont-ils été compromis avec Rosier ? Leur… demeure… est-elle sûre ? demanda Bellatrix, articulant le mot avec un mépris non dissimulé tandis que son regard glissait sur les murs de chaux aux reliefs irréguliers, jadis blancs, mais désormais striés de larges traînées noires.

— Je pense, oui. À ma connaissance, Rosier connaissait Rabastan et moi en tant que Mangemorts. Toi aussi, bien sûr. Pas les Carrow.

— Ajoute Nott, et peut-être Karkaroff, ajouta Bellatrix.

— Oui, Dolohov aussi.

— Et Lucius ?

— Non, assura Rodolphus. Lucius n'a jamais été présenté à lui autrement que comme mon beau-frère. À ma connaissance, ils n'ont jamais eu de mission ensemble.

Il chercha confirmation auprès de son Maître.

— C'est exact, souffla Voldemort, les paupières closes. Mais nous ne savons pas ce qu'Ennius a pu révéler à son fils. Il en savait beaucoup.

— Vous ne pouvez donc pas rester ici? s'inquiéta Rodolphus.

— Oui…Trop dangereux… Je dois être seul… Loin de tous.

Sa voix s'éteignit peu à peu.

Rodolphus sembla réfléchir. Bellatrix peinait à envisager un lieu suffisamment sûr pour le Seigneur des Ténèbres. Le monde moldu était exclu : son apparence susciterait inévitablement des réactions, et il ne pourrait pas user de magie sans se faire remarquer. Or, son état suggérait qu'il avait besoin de soins. Quant aux demeures des Mangemorts, elles étaient toutes susceptibles d'être surveillées.

— Je vais trouver une solution… reprit Voldemort, la voix légèrement sifflante. Emmène Rosier chez les Malefoy…

Il s'apprêtait à transplaner, mais Bellatrix, toujours fermement accrochée à lui, ne bougea pas d'un pouce.

— Mon Seigneur, si vous croyez que je vais vous laisser seul dans cet état, vous vous trompez lourdement, déclara-t-elle. Je vous ferai transplaner où bon vous semblera.

— Je n'ai pas besoin d'aide, répliqua-t-il fermement.

Bellatrix leva les yeux au ciel.

— Rodolphus, tu as bien une maison de famille vacante du côté français ? Chez Edgar Mirepoix, peut-être ?

Son sourcil se haussa d'un air venimeux en prononçant ce nom. Elle se souvenait parfaitement de ce médicomage débauché par Reginaldus Lestrange en France pour réparer ses ovaires.

— Il y a bien le château de Rochebrume, à Noirlac, près du lac d'Annecy, admit Rodolphus. Il appartenait à la famille de ma mère. J'en ai hérité à sa mort. C'est isolé et confortable.

— Parfait. Dépêche-toi de préparer un Portoloin ! vociféra Bellatrix.

Rodolphus chercha un instant le regard de son Maître, mais celui-ci avait les paupières closes, et ses lèvres entrouvertes laissaient échapper un souffle faible. Bellatrix le maintenait fermement contre elle.

— Très bien.

Il tendit le Portoloin à Bellatrix, qui l'attrapa d'une main, l'autre toujours enroulée autour de Voldemort.

— Non… fit enfin Voldemort, se redressant d'un pied sur l'autre. Je ne peux pas partir à l'étranger… Je dois… m'occuper… murmura-t-il faiblement.

— On doit d'abord s'occuper de vous, mon Seigneur, trancha-t-elle d'un ton sans réplique.

Puis, se tournant vers Rodolphus :

— As-tu des provisions à nous envoyer ?

— À vous envoyer?

— Je pars avec lui, déclara Bellatrix d'un ton sans appel.

Il y eut un silence. Lord Voldemort ouvrit lentement les yeux. Des pupilles noires et oblongues entourées de rouge se fixèrent sur Rodolphus sans dire un mot.

— J'enverrai Meeney vous apporter tout ce dont vous aurez besoin, bredouilla Rodolphus.

Le Portoloin devait s'activer dans quelques secondes.

— Pas un mot de cela à qui que ce soit, ordonna Voldemort d'une voix basse mais autoritaire, passant un bras autour de Bellatrix.

— Promis, Maître, chuchota Rodolphus.

Puis, posant un regard appuyé sur Bellatrix, Rodolphus ajouta:

— Prends soin de lui.

XxXxXxX

Sur la colline densément boisée, un château étroit mais imposant s'étirait dans la brume, ses tours de pierre claire s'étirant vers le ciel, surmontées de toits d'ardoise grise aux pointes effilées. Par-delà la colline, des montagnes grandes, sombres et menaçantes, coiffées d'un léger voile de neige, dominaient une forêt profonde.

Dans leur dos, un vaste lac noir faisait miroiter les rayons galopant d'un soleil levant, dont l'élongation paresseuse faisait chasser la brume flottant sur la surface scintillante de l'eau. Sur le perron d'une entrée à colombages, Bellatrix et son Maître observèrent un instant le paisible domaine.

D'un «alohomora», la vénérable porte ouvragée s'ouvrit et les deux sorciers entrèrent à l'intérieur. Le sol, un parquet ancien en chevrons, grinçait légèrement sous les pas, alors qu'ils se dirigeaient vers la première chambre.

Les murs étaient entièrement recouverts de tapisseries anciennes aux teintes profondes – verts denses, ors patinés et bruns chaleureux – représentant des scènes sylvestres, où se mêlaient créatures magiques et paysages brumeux.

Trônant au centre, un immense lit à baldaquin en ébène, aux colonnes sculptées de volutes gothiques, était encadré de lourds rideaux de velours d'or. Lord Voldemort s'effondra sur les draps beige crème, s'enfonçant dans le matelas moelleux avec un soupir presque imperceptible.

— J'ai froid, dit-il sèchement.

Bellatrix se détourna vers l'un des murs et, d'un geste précis, fit jaillir un feu dans la cheminée de marbre noir, dont le manteau était surmonté d'un blason monumental aux armoiries d'or. Une inscription latine, à moitié effacée par l'usure du temps, s'y devinait encore : Quod Nebula Occultat, Saxum Servat. Ce que la brume cache, la roche garde.

Elle revint vers son Maître. Un rayon de soleil filtrant à travers la grande fenêtre projetait une lueur pâle sur son visage émacié, révélant une peau tirée, presque cireuse.

Il tremblait toujours.

Sans un mot, Bellatrix s'agenouilla et l'aida à se déshabiller, ses mains parcourant son corps fin, ses os saillants et sa peau froide. Dès qu'il fut libre de ses vêtements, il se glissa prestement sous les couvertures.

— Où est le sac de jute ? demanda-t-il.

— Juste là, mon Seigneur.

— Sors la Pensine… et détruis-la.

Elle eut un instant d'hésitation.

— Oui, Maître.

XxXxXxX

Un parfum évanescent d'encaustique et de vieilles roses fanées flottait dans l'air. Bellatrix observa longuement les nuages dessiner des ombres mouvantes sur la toile blême du visage de son Maître.

Ses doigts effleurèrent ses tempes, ses lèvres, la ligne acérée de sa mâchoire. Il était profondément endormi.

Autour du lit, quelques meubles d'époque se fondaient dans la pénombre : une petite commode aux tiroirs incrustés de nacre, un secrétaire dont la patine usée trahissait les années, et un fauteuil de velours d'or, placé non loin de la cheminée.

Bellatrix s'y installa, les deux tomes de la trilogie de Ludmilla Thenn entre les mains. Elle n'avait pas besoin d'en tourner les pages, tant elle en connaissait chaque ligne par cœur. Les yeux dans le vague, ses doigts effleuraient les paragraphes, redessinant la calligraphie de pratiques anciennes, oubliées et interdites.

Meeney fit irruption silencieusement, déposant un panier rempli de victuailles : fruits frais, volaille dorée, pain croustillant, confitures maison, jus et thé fumant. Bellatrix tenta de nourrir le Seigneur des Ténèbres, mais il repoussa tout d'un geste, les sourcils froncés, le visage crispé.

— Maître, je n'étais pas la traîtresse. Vous l'avez vu, n'est-ce pas ? chuchota-t-elle alors que le jour était presque mort.

Un éclat sombre, une pupille noire cerclée de rouge, apparut brièvement sous ses paupières mi-closes.

— Où étais-tu le 29 août ?

Sa voix était perçante, brisée. Bellatrix haussa les épaules dans un geste d'impuissance.

— Je ne sais pas. Je ne sais plus.

Elle s'allongea précautionneusement près de lui, se retenant de laisser glisser ses doigts sur son bras nu, le désir enfoui sous une inquiétude presque douloureuse. Le Médaillon brillait toujours à son cou, étonnamment éclatant, pulsant d'une énergie puissante.

Plus tard, bien plus tard, peut-être au milieu de la nuit, elle approcha sa main avec précaution. Le Médaillon tressaillit presque sous son toucher lorsqu'elle posa la paume sur le métal chaud, réconfortant.

— Qu'est-ce que c'est ? souffla-t-elle.

— Je ne sais pas. Je ne sais plus, dit-il sur le même ton qu'elle avait adopté.

Elle leva les yeux au ciel, même s'il ne pouvait pas la voir dans la pénombre. Un feu ronflait toujours dans la cheminée.

Elle s'était entièrement déshabillée, glissant ses bras et ses jambes nus contre son corps glacé, tentant en vain de lui rendre un peu de chaleur.

Elle était pratiquement dans ses bras.

— Vous devez aller mieux si vous êtes capable de plaisanter.

C'était un mensonge. Il était au plus mal. D'ailleurs, il ne répondit pas.

— C'est à cause du Médaillon que vous êtes dans cet état ? demanda-t-elle encore.

— Non… répondit-il en frissonnant. C'est à cause de la magie déployée après l'avoir ensorcelé.

— Pourquoi ?

Elle n'aurait jamais cru qu'il lui répondrait, tant la douleur semblait l'envahir. Mais elle aurait dû savoir que Lord Voldemort, en bon professeur, ne résistait jamais à l'envie de partager son savoir.

— J'ai usé de la magie la plus noire pour… ensorceler le Médaillon. C'est une magie hautement… maléfique… qui exige un lourd tribut. Puiser encore dans mes pouvoirs après l'avoir ensorcelé… c'était tout ce qu'il ne fallait pas faire…

— Est-ce la raison pour laquelle vous avez demandé à vos fidèles de vous laisser tranquille quelques jours ?

— Mmh…

— Pensez-vous que Rosier a échafaudé son plan parce qu'il savait que vous seriez moins en mesure de riposter ?

— Ethan, non, mais Ennius savait certaines choses…

— Je le hais.

— Il paiera.

— Vous étiez déjà familier des effets secondaires de cette pratique magique ?

Il ne répondit pas. Bellatrix avança la main et effleura le Médaillon.

— C'est le Médaillon de Salazar Serpentard, n'est-ce pas ?

— Oui.

— Je l'ai vu sur un vitrail à Poudlard. Celui dans les cachots, celui qui donne sur le lac. Serpentard le portait autour du cou.

Presque sans s'en rendre compte, Voldemort se blottit un peu plus contre elle.

— Oui.

— Maître… ce souffle chaud, vivant, qui émane du Médaillon… C'est un peu comme la Coupe que vous m'avez demandé de cacher à Gringotts, n'est-ce pas ?

Il ne répondit pas, mais ses doigts effleurèrent la chute de ses reins, esquissant un air lent et mille fois répété le long de chacune de ses vertèbres, comme sur les touches nacrées d'un piano.

— La Coupe appartenait à Helga Poufsouffle, dit-elle, presque distraitement.

— Oui, murmura-t-il, sa voix si proche qu'elle sentit son souffle lui glisser dans le cou, déclenchant une vague de frissons le long de sa peau.

— Vous collectionnez les artefacts magiques ayant appartenu aux Fondateurs ?

— Oui.

— Qu'avez-vous d'autre, mon Seigneur ?

— La bague de Salazar Serpentard et le diadème de Rowena Serdaigle.

— Le diadème perdu ? s'étonna Bellatrix. L'avez-vous… avez-vous eu le temps de les attirer dans le sac de jute ?

— Ils sont cachés. Depuis longtemps.

— Oh. Comme la Coupe de Poufsouffle…

— Bella…

— Oui, mon Seigneur ?

— Pourquoi refuses-tu de me dire la vérité ?

Dans sa voix, elle sentit poindre une vulnérabilité qu'elle n'avait jamais entendue auparavant.

— Je ne m'en rappelle vraiment plus, Maître… Je ne comprends pas très bien. J'essaie de me souvenir, mais tout est devenu flou.

Elle le sentit se redresser légèrement, son regard ancré au sien.

— Maître, vous ne devriez pas.

Il hésita. Elle l'observa longuement, scrutant cette pupille aux contours estompés, cette teinte presque pourpre qui imprégnait à présent ses iris, bordés de cils noirs et épais. Lentement, elle lui caressa le visage.

— Maître, je vous laisserai parcourir tout mon esprit lorsque vous irez mieux. Je vous le promets. Je n'ai aucun secret pour vous.

Un rire amer s'éleva.

— Crois-tu que je t'aie enfermée quatre mois dans mes cachots pour mon bon plaisir ?

Bellatrix haussa les épaules.

— Vous avez cru que j'étais la traîtresse. Maintenant, vous savez que je ne le suis pas.

— Tu me caches quelque chose… et tu le sais. Peu importe ce que tu t'inventes… pour t'alléger de ta culpabilité.

Il retomba lourdement sur le lit après ces mots, comme si les prononcer l'avait vidé de toute énergie. Un peu gémissant, il se tourna sur le ventre, le visage tourné vers sa Mangemort.

Elle ne sut quoi répondre. Elle-même trouvait étrange de ne plus se souvenir du 29 août, alors qu'elle avait pourtant la sensation d'en avoir encore eu le souvenir lors des innombrables interrogatoires au Sanctuaire. Mais à présent, tout était vaporeux.

Elle se tut.

Voldemort s'était de nouveau blotti contre elle, tremblant, crispé.

— Peut-être devrions-nous appeler Mirepoix pour qu'il vous ausculte ?

— Non. Il n'existe pas de remède. Je dois souffrir… c'est tout.

— Combien de temps ?

Il lui fallut quelques secondes pour répondre, comme s'il rassemblait ses forces.

— Si je n'avais pas usé de ma magie, un ou deux jours seulement. Et cela aurait été moins douloureux. À présent… je n'ai aucune idée du temps qu'il me faudra pour me régénérer.

— Que puis-je faire pour vous aider, mon Seigneur ?

— Distrais-moi. Parle-moi.

Un silence. Puis Bellatrix murmura :

— Allez-vous me couper le bras, Maître ?

Voldemort tressaillit légèrement.

— Quoi ? siffla-t-il, déconcerté.

— Vous avez menacée de me le couper lors du mariage de ma sœur…

— Oh… oui, c'est vrai. Mais non. Je n'y tiens pas.

Il marqua une pause avant d'ajouter, plus doucement :

— Je l'aime assez, à vrai dire.

— Vraiment ?

Elle leva gracieusement son bras, tendant ses longs doigts fins aux articulations délicates et effilées vers le ciel de lit, un sourire hautain aux lèvres.

— Qu'aimez-vous à propos de ce bras ?

— Lorsqu'il est sur moi.

Elle posa de nouveau sa main sur son visage glacé, repoussant quelques mèches sombres, traçant du bout des doigts ses arcades sourcilières, le contour de ses paupières. Une drôle de sensation se répandit dans son ventre.

— Qu'aimez-vous d'autre chez moi? demanda-t-elle.

— Ta voix.

Elle ne s'était pas attendue à cette réponse.

— Je vous ai manqué, Maître?

Malgré la pénombre dans la pièce, elle discerna le minuscule sourire qui apparut au coin de ses lèvres.

Ils se regardaient, les deux visages sur le même oreiller. Elle aventura sa main sous les draps, le long de son corps, toujours glacé et tremblant.

— Peut-être que je pourrais vous distraire autrement? proposa-t-elle, un sourire dans la voix.

— Bella… je ne crois pas que tu t'imagines la douleur qu'est la mienne en ce moment…

— Maître, vous m'avez soumise à vos Doloris, je sais ce qu'est la douleur.

— Ce n'est pas pareil. Crois-moi, c'est encore pire.

— Oh.

— Mais… Bella.

— Oui… Il y a quelque chose que tu pourrais faire, qui me distrairait grandement.

— Oui, mon Seigneur ?

Il fit glisser le drap beige qui recouvrait sa poitrine, révélant ses seins qu'il caressa d'une paume possessive. Elle entortilla une mèche de cheveux autour de son doigt, un sourire effleurant ses lèvres.

— Que puis-je faire pour vous, mon Seigneur ?

— Touche-toi pour moi.

Un éclat victorieux traversa son regard tandis qu'elle laissait échapper un rire léger. D'un mouvement fluide, elle s'extirpa entièrement des couvertures, veillant à ce qu'il demeure à l'abri de leur chaleur, et, plongeant ses yeux dans les siens, elle s'exécuta.

— Vous m'avez manqué aussi, dit-elle, le souffle court.

XxXxXxX

Les heures passaient, et Bellatrix ne percevait aucune amélioration dans l'état de son Maître. Il alternait entre des phases d'éveil et de quasi-coma, et rien ne semblait parvenir à le réchauffer. Elle insista pour qu'il s'hydrate davantage, ce qu'il accepta, plus par lassitude que par réelle envie.

Bellatrix jeta un œil au livre de Ludmilla laissé sur le fauteuil de velours près de la cheminée. Quand elle se tourna de nouveau vers Lord Voldemort, elle constata qu'il la regardait de ses yeux velours.

— Avez-vous déjà lu le chapitre Dix Remèdes pour Lutter Contre les Effets Secondaires de la Magie Noire, de Ludmilla Thenn?

Si la question impromptue le déstabilisa, il n'en laissa rien paraître.

— Oui… Je te l'ai déjà dit, oui, j'ai lu ses trois livres, il y a fort longtemps.

Bellatrix se mit à réciter le passage qu'elle connaissait par cœur:

— «Sacrificium Aeternum.

«Il est un don d'amour que l'on ne peut ravir,

Ni force, ni serment ne saurait l'acquérir.

Le sang et la magie, en une onde mêlés,

Raniment l'épuisé d'un souffle immaculé.

Le mage consentant, dans un pur abandon,

Dérobe à son essence un échantillon.

L'affaibli se dresse, arraché aux limbes,

Son corps renaît loin du gouffre et des tombes.

Mais gare aux cœurs souillés, aux serments imparfaits,

Car la magie jalouse exige son forfait.

Si l'échange est impur, si l'amour est trompeur,

La sentence s'abat : le néant en lueur.

Vidée de son éclat, sa force et son émoi,

L'ombre du donateur s'efface, sombre et froid.

Privé du feu sacré, banni des arts profanes,

Il n'est qu'un désert mort où la magie se fane.

Mieux vaut le lent déclin qu'un éternel exil,

Car qui perd sa magie devient l'ombre stérile.»

— Qu'est-ce que c'est que ça? s'étonna Lord Voldemort, quelque peu moqueur.

— C'est l'un des dix remèdes, le plus controversé. Il est inspiré des pratiques anciennes, des magies les plus primitives.

— Répète ce que tu as récité.

Bellatrix s'exécuta.

— C'est une abomination.

Pourquoi? Ça n'a pas l'air plus dangereux que ce que vous avez trafiqué avec le Médaillon.

— As-tu compris ce dont il s'agissait?

— C'est un transfert magique entre un donneur et un corps affaibli pour se remettre plus facilement des effets secondaires de la magie noire.

— Quiconque le raterait deviendrait un cracmol, gronda Voldemort de sa voix enrouée.

Bellatrix, allongée sur le côté, le fixa d'un regard courroucé, la main sous sa joue.

— C'est audacieux.

— C'est dangereux, corrigea-t-il.

— Osez dire que ce que vous avez fait n'est pas dangereux.

— Jamais je ne risquerais ma magie.

— Mais votre vie, oui?

— Pas ma vie non plus.

Alors, quoi…? pensa Bellatrix, déconcertée. Qu'est-ce qui pulsait dans ce Médaillon à quelques centimètres d'elle? Si ce n'était ni sa magie ni sa vie?

— De toute façon, il n'y a aucun risque. Le risque n'existe que si l'amour est trompeur. Le mien est sincère.

—Tu ne vas… Tu ne vas tout de même pas me dire que tu crois en ces…

Une toux l'interrompit.

— Que tu crois en ces inepties sur la magie ancienne et l'amour rédempteur ? murmura Voldemort, un rictus au coin des lèvres.

— Si!

Voldemort rit, un rire à la respiration un peu sifflante, vite avorté.

— Tu es beaucoup trop romantique pour ton bien, Bella.

— Laissez-moi essayer.

— Non, c'est trop dangereux.

— Mais si j'y parviens – et j'y parviendrai –, vous saurez que je suis sincère, que je vous aime plus que tout, que ma loyauté et mon dévouement envers vous sont absolus.

— Tant que je ne sonderai pas ton esprit pour m'assurer que ta soudaine perte de mémoire n'est pas un leurre, je ne pourrai en avoir la certitude.

— Justement. Ensuite, vous pourrez plonger dans les moindres recoins de mon esprit, et vous assurer ainsi de mon éternelle dévotion!

XxXxXxX

Il avait de nouveau fermé les yeux, et sa respiration laborieuse indiquait un demi-sommeil.

— Le rituel exige un contact direct, peau contre peau, et se scelle par une offrande de sang, murmura-t-elle, comme s'il pouvait encore l'entendre.

D'un mouvement fluide, elle sortit sa baguette et murmura Diffindo sur son doigt. Une perle de sang écarlate jaillit. Se pressant contre le corps toujours frissonnant de son Maître, elle effleura ses lèvres de ses doigts souillés de rouge.

— Je vais vous embrasser, mon Seigneur, et prononcer l'incantation, souffla-t-elle, consciente qu'il était peut-être déjà trop loin pour l'entendre.

Puis, plaçant sa baguette contre son propre cœur, elle déclama d'une voix claire :

— Fiat Communio, Fiat Immolatio.

La sensation d'un ruban doux glissant sur sa peau nue l'enveloppait, les cernant tous deux, tissant un fil invisible à l'intérieur de son cœur. Elle sentait ce filament la traverser, et pouvait presque voir le coton blanc du fil se teinter de rouge à mesure qu'il ressortait de l'autre côté de son corps pour s'enrouler autour de celui de son Maître.

Ses veines s'alourdissaient, sa magie s'effilochait en filaments ténus, arrachés à elle avec une douceur extrême. Un vertige la prit, mais au lieu de s'effondrer, elle sentit son être tout entier se cheviller à la présence implacable de cet être ténébreux auquel son corps nu était arrimé, comme un navire balloté par la tempête, malmené par les récifs. Elle se vidait, lentement, inexorablement, pour mieux se fondre en lui. Et dans cette offrande, il n'y avait ni regret ni peur.

Elle sombra dans la brume, par-delà les roches.


À suivre,

Les scènes de bataille sont un vrai cauchemar à écrire pour moi, et cela m'a pris beaucoup plus de temps que prévu. Pour les trois derniers chapitres, je vais peut-être avoir besoin d'un peu plus de temps également. Le chapitre 23 sera le dernier avant Azkaban. Merci infiniment à tous ceux qui lisent, et n'hésitez pas à laisser un petit commentaire ! :)

SamaraXX