Chapitre XXIV: La Plus Loyale

Janvier 1996,

Résidence Avery.

Ils atterrirent en catastrophe dans le salon d'une demeure luxueuse. Le portoloin les projeta violemment au sol, leur arrachant un gémissement étouffé. Pris dans l'élan, ils s'effondrèrent les uns sur les autres dans un enchevêtrement de corps désorientés. Bellatrix jura, sa voix étouffée sous le poids conjugué de Rodolphus et Rabastan. Dans un murmure d'excuses à peine audibles, ils roulèrent doucement sur le côté, lui rendant enfin son souffle. Mais elle resta immobile, les paupières closes.

Elle sentait la texture épaisse d'un tapis sous ses paumes. L'odeur du bois brûlé dans la cheminée. Le tic-tac régulier d'une horloge. Les râles et soupirs des hommes encore sonnés autour d'elle. Il faisait délicieusement chaud dans la pièce.

Mes amis…

La voix était froide, sifflante, tranchant le silence comme une gorgée d'eau après une traversée du désert.

Bellatrix fut secouée d'un frisson violent. Une vague d'émotions incontrôlables la submergea, mais, en tête de liste, plus flamboyants que tout : un bonheur fulgurant, un amour dévorant, et un soulagement capable de la faire fondre en sanglots. Cette voix, à elle seule, suffisait à balayer la douleur, l'épuisement, le désespoir des années passées.

Autour d'elle, les Mangemorts se redressèrent sur leurs avant-bras et rampèrent en direction du sorcier qui se tenait là, immobile. Drapé de noir, il se fondait presque dans l'ombre, si ce n'était ce visage d'une pâleur irréelle, détaché sur la lueur mourante du crépuscule. Des murmures entrecoupés de sanglots montaient dans la pièce.

— Maître… sanglota Mulciber en se prosternant, les lèvres pressées contre l'ourlet de sa robe.

Un mur de corps agenouillés séparait Bellatrix de lui. Mais rien ne pouvait l'arrêter. Avec l'ardeur d'un chaton cherchant la chaleur de sa mère, elle se fraya un passage, ignorant les épaules et les dos qui entravaient sa progression. Enfin, elle atteignit son but et, à son tour, pressa ses lèvres contre le tissu sombre.

Elle aurait voulu relever la tête, croiser son regard, mais son corps ne lui obéissait plus. Sa tête pesait trop lourd. Sa nuque était trop faible.

— Mes chers amis… reprit Lord Voldemort d'un ton doucereux, ses yeux plongés dans les siens. Vous seuls m'avez été fidèles. Vous seuls serez récompensés au-delà de vos espérances.

Des sanglots emplirent la pièce tandis que les Mangemorts continuaient d'embrasser l'ourlet de sa robe. Un frémissement incontrôlable la parcourut. C'était plus fort qu'elle.

Dans un effort désespéré, elle leva les yeux, aveuglée par les larmes. Il la regardait. Elle, et elle seule. Un frisson plus intense encore la saisit, l'ébranlant jusqu'à la moelle.

— Maître… souffla-t-elle d'une voix rauque.

Tout était flou, indistinct. Mais même dissimulé dans l'ombre, elle perçut le changement. Il n'était plus exactement le même homme. Était-il même un homme? Il avait l'allure d'un dieu. Et pourtant, il restait immédiatement reconnaissable : ce teint marmoréen, ces yeux de velours insondables. Quelque chose, une force plus terrible, plus obscure encore, semblait tapie dans l'expression de ce visage.

Bellatrix fut aussitôt captivée. Séduite, envoûtée, plus attirée que jamais par cette aura qui l'éclipsait tout entière. Il était là, inéluctable, seul repère dans son monde en chaos.

— Mais avant toute chose, vous avez besoin de repos, reprit le Seigneur des Ténèbres.

D'un geste souple, il leva la main. Dans un bruissement feutré, des silhouettes émergèrent de l'obscurité.

— J'ai fait venir vos familles et vos proches. Ils prendront soin de vous.

Un père, une mère, une sœur, un frère… Parfois un fils, une fille. Un à un, ils vinrent chercher les prisonniers, encore étendus au sol, les soulevant avec précaution, les serrant contre eux. Des murmures de réconfort, des sanglots étouffés. Il y avait quelque chose de poignant à entendre ces hommes endurcis sangloter comme de petits garçons, blottis dans les bras de ceux qu'ils aimaient.

Mais Bellatrix ne voulait personne. Personne d'autre que son Maître. Elle enroula son poignet dans le bas de sa robe et s'évanouit.

XxXxXxX

Quatorze ans plus tôt,

Azkaban.

Elle se disait que les débuts seraient les plus difficiles.

Les premiers mois, Barty n'avait cessé de pleurer. Au gré des rafales s'engouffrant dans les escaliers de pierre de la forteresse, ses cris résonnaient jusque dans le couloir glacial et humide où elle avait été enfermée. Puis, un jour, il n'y eut plus ni cris ni pleurs. Dolohov et elle en conclurent qu'il était probablement mort.

Dolohov occupait la cellule la plus proche de la sienne, sur sa droite, et il était le seul qu'elle connaissait. Dans leur couloir, six cellules en tout. Bellatrix se trouvait au milieu. Dans les premières, face à face, étaient enfermés deux hommes détenus depuis plusieurs décennies, dont elle n'avait jamais entendu le son de la voix. Seule l'odeur pestilentielle de la première cellule, à gauche de la sienne, l'avait incommodée des mois durant, jusqu'à ce qu'elle finisse par s'y habituer.

Elle ne pouvait distinguer les visages que de deux prisonniers.

Le premier se trouvait en face de sa propre cellule, visible à travers le petit œilleton percé dans la porte. Cette cellule abritait un loup-garou hirsute et hideux, à la carcasse décharnée, dont les yeux semblaient vides de toute émotion – à l'exception de cet éclat carnassier qui s'animait à l'approche de chaque pleine lune.

Le second, face à celle de Dolohov, était un petit homme édenté, sombrant lentement dans la folie. Chaque nuit, il hurlait pendant des heures à travers la lucarne de sa porte. Bellatrix avait eu toutes les peines du monde à le supporter, incapable de se plonger dans les exercices de méditation qu'elle avait appris dans les ouvrages de Ludmilla Thenn. Dolohov et elle avaient beau lui crier de se taire, l'insulter de tous les noms, rien n'y faisait. Ses beuglements redoublaient, ponctués de sanglots incohérents et de vociférations zozotées, sans queue ni tête.

Bellatrix était la seule femme de son couloir. Elle était même peut-être la seule femme enfermée à Azkaban.

Et puis, bien sûr, il y avait les Détraqueurs. Très vite, Bellatrix comprit que leur emprise sur elle était d'une intensité terrible. Rien de ce qu'elle avait appris auprès de son Maître en matière d'Occlumencie ne pouvait endiguer leurs assauts d'une violence inouïe. Elle était à leur merci, condamnée à revivre sans cesse ses pires souvenirs.

Elle se répétait, pour tenir, que les débuts seraient les plus difficiles.

Elle dut revivre ses viols en boucle. Tous. Un par un.

Cela ne lui était plus arrivé depuis les années suivant son abduction, lorsqu'elle restait seule, en apnée dans son lit, revoyant les mains de l'Auror sur elle. Elle se noyait dans ses cauchemars, incapable d'échapper aux visions qui l'assaillaient nuit après nuit. Il lui avait fallu des mois pour leur résister – des potions de sommeil, la subjugation violente de ses ennemis, et même cette potion d'Eros que son Maître lui avait administrée à son insu. Petit à petit, elle avait appris à dominer ses peurs, jusqu'à ce que les sursauts nocturnes s'estompent petit à petit.

Puis, un jour, ils avaient complètement disparu.

C'était le jour où son Maître avait commencé à partager son lit de façon permanente.

Elle n'avait jamais ressenti le besoin d'être protégée. Pas avant son abduction. C'était idiot, mais dans ses bras, son esprit était en paix, scellé au maximum. Elle se avait goûté au réconfort d'être aux côtés du sorcier le plus puissant du monde, à cette magie écrasante, sombre et volatile qui s'insinuait partout sans la moindre politesse et qui, pourtant, ne manquait jamais de la faire se sentir complète et en sécurité.

À Azkaban, elle ne pouvait pas retrouver la sensation de ce réconfort – seulement la certitude qu'elle l'avait un jour éprouvé. Elle luttait pour ne pas sombrer dans la folie. Toute son énergie était tournée vers la méditation – un effort continuellement interrompu par les visions de ses viols et les braillements suraigus de l'homme édenté.

Un jour, elle apprit que son cousin, Sirius, était enfermé quelque part dans la forteresse. Dolohov affirma avoir entendu des cris provenant de l'étage inférieur. Il y avait un Black dans la prison.

« Qui ? Qui ? » s'était écriée Bellatrix, frénétique.

Il fallut encore plusieurs semaines avant que, à travers le vacarme du vent hurlant, un nom lui parvienne enfin.

Sirius.

Cela n'avait aucun sens. Il avait fait partie de l'Ordre du Phénix, elle le savait pertinemment. Queudver s'était empressé de rapporter cette information au Seigneur des Ténèbres, et bien que devenu avare de ses secrets, Lord Voldemort le lui avait révélé au cœur de la nuit, quelques semaines avant le 31 octobre 1981. Peut-être estimait-il qu'elle avait le droit de le savoir – Sirius était de sa famille, après tout. Ou peut-être voulait-il simplement lui suggérer l'idée que son cousin était responsable de la disparition de Regulus que plus personne n'avait vu depuis deux ans. La nouvelle l'avait mise en rage. Encore aujourd'hui, elle se demandait si Sirius avait pu tuer son propre frère. Elle-même n'aurait jamais pu tuer Andromeda malgré son immense trahison. Sirius et Bellatrix pouvaient-ils donc être si différents?

Malgré la douleur, Bellatrix s'était dit que, quoi qu'il eût fait, Sirius, son cousin, le dernier héritier des Black, ne méritait pas d'être enfermé ici. Cette lueur de compassion s'éteignit bien vite cependant. Balayée, comme tout le reste, par les Détraqueurs, fracassée contre les vagues glaciales et sifflantes de la mer du Nord.

Deux années de torture faillirent lui faire perdre pied.

Un jour, ses souvenirs s'échappèrent ailleurs, jusqu'au Sanctuaire de son Maître. C'était là, dans cet endroit sombre et lugubre, que son cœur avait été brisé, que son corps avait subi des souffrances innommables. Après son abduction, les pires tourments de son existence étaient ceux qu'il lui avait infligés.

De toutes ses forces, Bellatrix se raccrocha à ces pensées. Elles étaient parmi les plus terribles de sa vie, et pourtant, elles portaient en elle la trace d'un plaisir inavouable. Son Maître. Lui, insaisissable. Si peu de souvenirs résistaient aux assauts des Détraqueurs, mais ceux-là… Ceux où il la torturait, l'insultait, la possédait, demeuraient gravés en elle.

« Heureuse d'être une putain, Bellatrix ? »

Les Détraqueurs amplifiaient chaque frisson d'horreur, chaque douleur transperçant son cœur. Leur pouvoir était implacable. Et pourtant, c'était là, dans ces instants où il la haïssait, qu'elle trouvait une forme d'extase. Son parfum, sa peau contre la sienne, la perfidie de sa voix… Elle pouvait presque les sentir.

Elle se répétait sans cesse : Le Seigneur des Ténèbres va revenir. Lucius, George Nott, Ralph Avery, les Carrow, Corban Yaxley… Ils étaient libres. Ils allaient l'aider. Puis, inévitablement, la peur l'engloutissait. Idiote. Il est mort. Il t'a laissée seule. Il est mort. Il ne reviendra pas. Tu ne le reverras jamais… jamais… jamais…

Trois ans après son arrivée à Azkaban, les Détraqueurs réussirent à la briser.

« Nous ne nous reverrons plus, Bellatrix. »

Le monde se dématérialisa.

Elle ne voyait plus rien. Rien d'autre qu'un brouillard blanc, opaque. Et ces pleurs, perçant la brume et les montagnes comme des échos d'un pays lointain.

Andromeda. Des sanglots.

Des babillements. Des pleurs aigus. Ce n'étaient pas ceux de l'homme édenté.

Douze années passèrent.

Elle s'était dit, pour tenir, que les débuts seraient les plus difficiles.

XxXxXxX

— Lestrange ! fit une voix rocailleuse dans son rêve.

Il lui disait : Il s'agit probablement de la mission la plus importante que tu n'accompliras jamais pour moi. Tu ne devras jamais révéler ceci à qui que ce soit.

Elle esquissa un sourire en se rappelant son corps nu et blanc sous elle, tandis que son regard restait fixé sur le Médaillon. Un souffle de vie émanait de l'artefact.

Maître… ce souffle chaud, vivant, qui émane du Médaillon… C'est un peu comme la Coupe que vous m'avez demandée de cacher à Gringotts, n'est-ce pas ?

— Lestrange !

Nous ne nous reverrons plus, Bellatrix.

— LESTRANGE !

Bellatrix ouvrit brusquement les yeux. Le vent battait ses tympans, sifflant violemment contre elle, l'enveloppant d'un souffle glacial.

— Quoi ? fit-elle, mais sa voix n'était qu'un râle inaudible.

Elle essaya encore.

Quoi ?

— Regarde ton bras… dis-moi… putain, dis-moi que tu la vois aussi…

Elle cligna des yeux, hébétée. Dolohov. Azkaban. Sa cellule.

Elle baissa les yeux et retroussa sa manche, sans qu'il ait besoin de préciser lequel. Sa vision était trouble. Ses yeux, pleins de larmes. Le vent lui brûlait la cornée. Les Détraqueurs lui brûlaient le cœur. Elle les chassa d'un battement de cils.

Un crâne en filigrane. Pas tout à fait dessiné, les contours imparfaits, flous, mais là. Le serpent ne s'enroulait pas. Le serpent n'était pas là. Juste ce crâne, seul, isolé, la gueule ouverte.

Bellatrix se redressa d'un bond.

— Merlin… chuchota-t-elle.

— Tu la vois ? Tu la vois ? répéta Dolohov, presque suppliant.

— Oh, Merlin… Oui… Oui, je la vois ! s'exclama Bellatrix, et de nouvelles larmes roulèrent sur ses joues.

— Qu'est-ce que ça veut dire ? souffla Dolohov.

— QUÈ'CH'QUE CHA VEU' DI ? éructa une voix dans l'ombre.

— Ta gueule, le sans-dents ! siffla Dolohov à l'homme de la cellule d'en-face.

— Il va revenir ! Le Seigneur des Ténèbres va ressusciter ! Je le savais, je l'avais dit ! Je l'avais dit ! chanta Bellatrix, les larmes coulant sur les joues.

Aussitôt, les Détraqueurs recouvrirent les interstices, les fentes, les trous, les lucarnes – engloutissant sa joie, étouffant ses derniers espoirs. Dolohov sombra dans un silence fébrile, répétant en boucle, dans un souffle rauque : Il va nous sauver, il va nous sauver, il va nous sauver…

Bellatrix tremblait de tous ses membres. Les yeux embués, les lèvres posées contre ses genoux, recroquevillée sur elle-même. Son Maître. Était-il revenu ? Était-il vivant ? Dès ces pensées formulées, Les Détraqueurs s'étaient multipliés. Ils rampaient contre les murs, glissaient devant les cellules, plus denses, plus affamés. Elle perdit pied. Elle n'avait plus de voix pour hurler.

Les tissus des drapeaux et les bois des volets claquaient contre les murs. Le vent s'engouffrait à travers les interstices de pierre, beuglant ses vociférations aiguës à tous les étages de la forteresse. Ou bien était-ce déjà la pleine lune, et le loup de la cellule d'en face appelait les siens, le museau levé vers le ciel ? À travers le mortier, entre les moellons, Bellatrix distinguait un fragment de nuit – une vibration chromatique sur la toile noire d'un peintre impressionniste. Ou bien n'était-ce que l'écho lointain, entêtant et aliénant, des sempiternels pleurs d'un bébé enlevé par les nymphes ?

Bellatrix restait étendue à l'infini, fixant cette trouée dans la pierre, attendant que les astres se déplacent. Elle espérait apercevoir une étoile, un angle de constellation, un éclat de lumière trahissant la présence de sa famille. Sirius s'était éloigné. Elle ne l'avait plus vu depuis des mois. Regulus ne brillait plus. Andromeda était trop grande pour qu'elle puisse la voir tout entière. Il ne restait que sa propre étoile, froide et éternelle, revenant à elle tous les hivers, désireuse de lui rappeler qu'elle existait encore.

Tout comme sa Marque.

Pendant des mois, Bellatrix avait observé le dessin fragile sur son bras s'assombrir, lui picoter la peau, jusqu'à raviver la douleur fantôme d'un lien immémorial et sacré. Les yeux emplis de larmes, elle s'endormait le visage posé contre sa Marque, écoutant sa brûlure comme un réseau de racines souterraines, profondément ancrées sous la forteresse, cherchant la lumière du soleil.

L'appel eut lieu un soir au début de l'été.

La douleur, vive et entêtante, fit jaillir en elle une avalanche de souvenirs.

Dolohov se réveilla en sursaut, son cri résonnant en écho dans les étages inférieurs de la citadelle. Des dizaines de voix s'enchevêtrèrent, se superposèrent, se mêlèrent à la sienne, tandis que les plus fidèles Mangemorts de Lord Voldemort hurlaient son retour parmi les vivants.

Malgré les Détraqueurs qui s'agglutinaient autour de sa cellule comme des mouches sur un dessert abandonné, Bellatrix sentit poindre dans son cœur un éclat de bonheur, brillant aussi fort qu'un soleil. Une seconde. Cela ne dura qu'une seconde avant que le désespoir ne la rattrape, implacable. Chaque Détraqueur d'Azkaban était en poste devant sa cellule, sentinelles des abysses, aspirant voracement sa joie immense, trésor précieux dont ils ne se repaissaient plus depuis treize ans et demi. Dans son esprit, les cris étouffés des autres Mangemorts résonnaient encore en sourdine quand Bellatrix perdit conscience encore une fois.

XxXxXxX

Bellatrix attendit que son Maître vienne la sauver. Ses mots, son rire, à la fois cruel et doux, résonnaient doucement dans son esprit. Il lui disait : « Ma Bella, je plaisante… crois-tu vraiment que je te laisserais croupir à Azkaban ? » Elle pouvait le voir parfaitement, adossé contre le dossier du canapé dans son boudoir, au deuxième étage du manoir Lestrange. Une autre vie. Dans ses yeux noirs, parcourus d'éclats rougeoyants, s'agitait une lueur amusée, presque mesquine, mais étrangement adoucie, comme les dernières flammes d'un feu mourant.

« Mon idiote de Gryffondor. »

Elle accédait de plus en plus facilement à ces souvenirs, ceux qui lui avaient été inaccessibles jusqu'alors. Les souvenirs de son Maître alangui à ses côtés, nu, désarmé, la caressant distraitement du bout des doigts en lui dévoilant un plan, une idée, un souvenir.

« As-tu seulement idée du pouvoir que tu as sur moi… ? »

Depuis quelques étés déjà, son père, Cygnus, ne lui rendait plus visite dans le ciel. Autrefois, il veillait sur elle, distant mais indéfectible, un éclat pâle au milieu de la nuit, semblant toujours à la même place, inaltérable. Puis, il avait disparu, avalé par le froid.

Mais le ciel ne restait jamais vide bien longtemps. Bientôt, la douceur des températures céda la place à l'automne, et avec lui vint une autre lumière, fugace mais éclatante. Bellatrix reconnut le changement de saison à l'arrivée fracturée Andromeda – fuyante, insaisissable, presque moqueuse dans son éclat. Elle n'avait plus vu sa sœur depuis des années, mais dans le silence glacial d'Azkaban, elle apparaissait au-dessus d'elle, intouchable et pourtant là, suspendue entre passé et présent.

Puis vint l'hiver. Un hiver glacial, où le froid s'insinuait jusque dans ses os, où le vent gémissait à travers les murs de pierre comme une plainte venue du fond des âges. Orion, son oncle décédé, vint l'annoncer. Sa lueur sévère brillait d'un éclat figé, presque austère, rappelant les histoires de grandeur et de chute qui avaient bercé son enfance.

Et puis, il y avait elle.

Sa propre étoile, plus vivace que jamais. Bellatrix. Toujours là, brûlante, vibrante, obstinée. Même derrière les barreaux d'Azkaban, même sous l'ombre des Détraqueurs, elle tenait bon.

Son étoile ne s'éteignait pas.

Pas encore.

« Tu es irrésistible, comme ça, ma Bella. Tu es toujours si heureuse de me retrouver. C'est comme si tu avais été faite pour moi… »

— Il ne va pas venir nous chercher, sanglotait Dolohov.

Bellatrix, elle, espérait toujours.

Les souvenirs que les Détraqueurs gardaient autrefois jalousement enfermés dans leur cœur putride lui revenaient peu à peu, plus clairs, plus accessibles. Les Détraqueurs reculaient, voguant doucement loin au-dessus des flots.

Au cœur de l'hiver, avec son étoile en toile de fond, les Détraqueurs ouvrirent la porte de sa cellule.

Comme dans un rêve, Bellatrix et Dolohov avancèrent dans le couloir glacial, balayé par des rafales de vent violentes. Leurs jambes tremblaient sous eux. S'appuyant l'un sur l'autre, ils descendirent l'escalier en colimaçon, ses marches de pierre rendues glissantes par la houle.

— Il nous a libérés, chouina Dolohov, de grosses larmes perlant sur ses joues.

À mi-chemin, il lâcha prise. Rodolphus prit sa place d'un côté, Rabastan de l'autre. Anselm Mulciber, Rookwood, Travers, Jugson, Gibbon, Rowle. Elle les connaissait tous. Et pourtant, ils étaient méconnaissables dans leurs guenilles grises. Rodolphus et Rabastan la soutenaient presque entièrement, mais eux-mêmes vacillaient, leurs jambes flageolantes sous leur propre poids.

Ils se regroupèrent en cercle, se scrutant dans le blanc des yeux, leurs visages ravagés, leurs corps décharnés. Ils tremblaient de tous leurs membres. Les Détraqueurs leur remirent leurs baguettes et un Portoloin.

XxXxXxX

— Ils ne peuvent pas rester ici, Cissy, dit une voix masculine et distante, tout près d'elle. C'est trop risqué.

— Oui, oui, je sais. Laisse-moi gérer la situation.

Bellatrix ouvrit les yeux, mais la pièce lui sembla irréelle. Le halo doré d'un chandelier inondait la pièce d'une lumière vive. Où était-elle ?

— Maître…

Sa voix s'étrangla dans un souffle. Aucun son ne sortit.

Narcissa apparut aussitôt à son chevet. Bellatrix avait espéré voir son Maître, mais la vue de sa sœur, son expression mêlant surprise et soulagement, lui réchauffa le cœur. Narcissa arborait une beauté froide, préservée des ravages du temps, et plus altière que jamais. Elle n'était plus la jeune femme qu'elle avait connue.

— Chut, garde tes forces, murmura Narcissa en posant une main légère sur son bras.

— Où suis-je ? souffla Bellatrix, la gorge douloureuse.

— Chez moi, au manoir Malefoy.

— Où est Rodolphus ?

Sa voix était rauque, méconnaissable.

— Rodolphus et Rabastan sont dans une autre chambre, répondit Narcissa. Mirepoix les examine.

Une main froide effleura son bras.

— Je vais demander aux Carrow, fit une voix grave, les pieds faisant des allers retours sur le plancher.

Bellatrix tourna légèrement la tête et aperçut Lucius Malefoy, debout près de Narcissa. Lui avait vieilli en revanche. Ses traits tirés exprimaient une inquiétude teintée d'agacement.

— D'accord, souffla Narcissa avant de reporter son attention sur sa sœur.

Lucius Malefoy sortit de la pièce d'un pas raide.

— Tu as besoin de soins. Viens avec moi dans la salle de bain.

Narcissa l'aida à sortir du lit. La voix était douce, le geste patient, mais Bellatrix sentit immédiatement sa réticence, et lut sur son visage cette expression qu'elle lui connaissait trop bien : elle ressentait du dégoût, à peine dissimulé. Narcissa marmonna un Récurvite du coin des lèvres, espérant sans doute que Bellatrix était trop affaiblie pour s'en apercevoir.

Mais elle s'en aperçut.

La honte s'abattit sur elle comme une chape de plomb. Jamais elle ne s'était sentie aussi sale. Maintenant que l'effet des Détraqueurs commençait à s'estomper, sa conscience s'éveillait brutalement : sa peau noircie par la crasse, ses ongles brisés et souillés, l'odeur pestilentielle qui s'accrochait à elle malgré le sort de récurage.

— Pardon, murmura-t-elle, la voix brisée.

— Ne t'en fais pas, ce sera vite oublié.

Narcissa l'aida à avancer lentement vers la salle de bain. Une fois à l'intérieur, elle fit glisser les haillons de Bellatrix sur le sol et, d'un ton détaché, annonça qu'elle allait les brûler.

— Je te fais couler un bain.

Bellatrix ne l'écoutait déjà plus.

Debout, nue, au milieu du marbre immaculé, elle fixait son reflet dans l'immense miroir en pied et encadré de bois, près de la baignoire. L'image qu'elle vit lui arracha un sanglot.

Elle ne se reconnaissait pas.

Son corps n'était qu'une ombre de lui-même : pâle, squelettique, des os effilés sous une peau cireuse. Ses seins avaient disparu, aplatis contre ses côtes proéminentes. Son visage, creusé à l'extrême, n'était plus qu'un masque blafard où deux yeux noirs, enfoncés dans leurs orbites, brillaient d'un éclat mouillé.

— Allons, Bella, ça va aller, murmura Narcissa en faisant disparaître le miroir d'un coup de baguette impatient. Plonge dans le bain.

Bellatrix hocha la tête et s'exécuta sans réfléchir.

L'eau était parfaite, ni trop chaude, ni trop froide. Elle accueillit son corps meurtri dans une étreinte douce, parfumée à la rose, agrémentée de sels et d'une mousse argentée. Narcissa, méthodique, lança trois sorts de récurage sur ses cheveux emmêlés, puis disposa autour du bain une sélection de produits luxueux, avant de s'éclipser en silence.

Bellatrix observa sa silhouette blonde et longiligne s'éloigner, le ventre noué. Puis, lentement, elle se tourna vers les pots d'albâtre contenant sels marins et poudres d'alun. Elle entreprit un gommage, frottant sa peau noircie bien au-delà du raisonnable, cherchant à effacer les stigmates d'Azkaban, la crasse incrustée dans chaque pore. L'eau devint opaque. Elle la changea. Puis, minutieusement, elle lava chaque centimètre de son corps avec un savon d'Iram des Piliers qui laissa sa peau douce et veloutée. Sur son visage, elle appliqua un masque d'argile, qu'elle laissa poser quelques minutes tandis qu'elle s'attaquait à sa tignasse lourde et emmêlée.

Le démêlage fut une épreuve. Ses bras, affaiblis, tremblaient sous l'effort, et elle dut finalement céder à l'évidence : d'un geste las, elle attrapa sa baguette pour achever la tâche. Puis vinrent plusieurs baumes, avant d'enduire ses cheveux d'une pâte de miel et de lait. Encore une fois, elle changea l'eau. Un dernier lavage, et enfin, elle sortit de la baignoire.

Elle s'affaira ensuite à ses dents, lançant sorts et appliquant des onguents pour leur redonner leur éclat. Elle les brossa longuement, savourant le plaisir oublié de sentir l'émail propre sous sa langue. Enfin, elle étala sur son corps et son visage toutes les huiles magiques à sa disposition, espérant que leur effet effacerait sa maigreur effrayante, lui rendrait ses seins, ses fesses, la courbe de son corps d'autrefois. Sur un tabouret, une robe de nuit propre l'attendait, chaude et douce au toucher. En l'enfilant, Bellatrix se sentit un peu mieux.

Ses longs cheveux, démêlés et encore lourds d'huile parfumée, coulaient en mèches lisses jusqu'en dessous de ses fesses, domestiquant ses boucles sauvages d'autrefois. Il faudrait les couper.

Elle fit réapparaître le miroir.

L'image qui lui revint était toujours celle d'une femme amaigrie, des joues creusées, des lèvres trop fines. Mais sa peau pâle brillait à présent, ses joues avaient retrouvé un éclat rosé, et ses cheveux noirs, gorgés d'eau, reflétaient des nuances bleutées. Dans la robe sobre, réchauffée par une pelisse blanche, elle paraissait moins spectrale. Et surtout, elle sentait divinement bon. Un réconfort immédiat.

Dans la chambre, Narcissa l'attendait.

— J'ai changé tes draps et fait apporter ton dîner. Tu as l'air beaucoup mieux déjà.

— Merci, Cissy, murmura Bellatrix en clopinant vers le lit.

— Mange avant de dormir.

Bellatrix hocha la tête avec sincérité… mais à peine sa tête toucha-t-elle l'oreiller qu'elle sombra, happée par une fatigue écrasante – non sans percevoir, au loin, Narcissa qui déposait un baiser sur sa joue.

XxXxXxX

Narcissa se tordait les mains, mal à l'aise. Lucius, lui, évitait leur regard, feignant une indifférence polie. Les trois Lestrange étaient attablés dans la salle à manger, silencieux, tentant de retrouver leurs manières et un semblant de dignité. Chaque bouchée de nourriture leur pesait sur l'estomac comme une pierre, et pourtant, ils s'efforçaient de manger.

— Je suis désolée… vraiment, souffla Narcissa. Mais nous ne pouvons pas vous garder ici.

Rodolphus releva la tête, l'air hagard.

— Mais où pouvons-nous aller ? Notre maison a été confisquée.

Lucius se racla la gorge avant de déclarer d'un ton mesuré :

— Les Carrow ont accepté de vous héberger.

Bellatrix sentit un frisson lui parcourir l'échine. Elle se souvenait d'une entrée poisseuse et crasseuse, battue par les vents. Elle n'y était restée que brièvement, mais l'endroit ne lui avait pas laissé un souvenir impérissable.

— Cette chaumière est affreusement froide et délabrée… grogna Rodolphus en jetant un regard en biais à Bellatrix.

— Nous ne pouvons pas vous garder, répéta Lucius, faussement contrit.

— Pourquoi ? C'est bien le Seigneur des Ténèbres qui nous a assignés ici, non ?

— C'est vrai. Mais j'ai parlé au Seigneur des Ténèbres, et il a convenu que votre présence au Manoir Malefoy pourrait nous compromettre. Nous jouissons d'une excellente réputation. Nous avons le Ministère à la botte, et le retour du Seigneur des Ténèbres doit rester secret. Chez les Carrow, vous serez en sécurité. Leur demeure est isolée, sur l'île de Dùn, loin au large des côtes écossaises.

Rodolphus serra la mâchoire.

— Vous ne pourriez pas au moins garder Bellatrix ici ? Je connais leur maison, et je vous assure qu'elle n'a rien de confortable.

— Le Seigneur des Ténèbres a tranché, Rodolphus. Je suis désolé.

Il n'y avait rien de sincère dans cette dernière phrase. Sur ces mots, Lucius reporta son attention sur son assiette, et le silence retomba, seulement troublé par le bruit sec de son couteau tranchant le rôti.

Bellatrix échangea un regard avec Narcissa. Un étrange sentiment d'abandon lui noua la poitrine. Cela faisait une semaine qu'ils séjournaient au manoir Malefoy. Elle se sentait toujours faible, engourdie, comme si elle évoluait dans un brouillard persistant. Elle avait sincèrement cru qu'elle pourrait rester ici et s'était installée dans l'une des chambres sans y réfléchir.

Elle n'avait pas revu le Seigneur des Ténèbres. Cette pensée l'obsédait. Elle gardait un souvenir flou de son retour d'Azkaban. C'était comme si cela ne s'était pas passé. Elle avait besoin de le sentir vivant, de le toucher, de le respirer.

— Je vais demander à père et mère de m'héberger, si ce n'est que ça, déclara Bellatrix en haussant les épaules.

Narcissa eut un sursaut, comme si sa sœur venait de commettre un blasphème. L'horreur se peignit sur son visage, mêlée d'un malaise évident.

— Bella…

Sa voix se brisa. Elle ouvrit la bouche, mais aucun son n'en sortit d'abord, ses yeux s'écarquillant comme si elle était prise au piège d'un sort impardonnable.

— Bella, papa et maman… Oh, Merlin… Je pensais que tu le savais. Vous ne recevez pas ce genre de nouvelles, à Azkaban ?

Sa panique était palpable. Elle chercha instinctivement du soutien auprès de Lucius, mais il détourna les yeux, préférant fixer un point imaginaire sur la nappe.

Un froid mordant envahit Bellatrix. Son estomac se noua douloureusement, et ses doigts, crispés sur ses couverts, tremblèrent.

Elle hocha la tête. Sa mâchoire tressaillit un instant avant qu'elle ne reprenne le contrôle.

— Quand ? souffla-t-elle.

— Il y a quatre ans… de la scrofulite…

— La scrofulite ? répéta-t-elle, incrédule.

C'était ridicule. Que des Black, des sorciers de sang-pur, meurent d'une affection aussi banale tenait de l'absurde. Elle aurait presque préféré une mort plus tragique, plus noble, quelque chose digne d'une lignée comme la leur.

— Qui d'autre est mort ? demanda-t-elle enfin, d'une voix dure et glaciale.

Une main chaude, étonnamment chaude, se posa sur sa cuisse. Un geste de réconfort. Rodolphus.

— Tante Walburga… souffla Narcissa. C'était en 1985.

Bellatrix tourna lentement la tête vers elle, le cœur battant douloureusement contre sa cage thoracique.

— Que lui est-il arrivé ?

Le silence s'épaissit. Narcissa baissa les yeux, visiblement gênée.

— Elle a été brûlée vive par un dragon, intervint Lucius d'un ton neutre, voyant que sa femme n'osait pas répondre.

Bellatrix cligna des yeux.

— C'est une blague ? persifla-t-elle.

Voilà une mort peut-être un peu trop noble et tragique.

— Non.

— Comment est-ce arrivé ? Il y a des dragons maintenant au 12, Square Grimmaurd ?

— Elle était partie en voyage en Roumanie, expliqua Narcissa, la voix hésitante. Tu sais comme elle et Oncle Orion étaient devenus friands de voyages, après sa mort… Elle a voulu continuer seule. Et apparemment… elle a été inattentive, et un dragon… Un Noir des Hébrides, jeune et fougueux…

Un silence s'installa. Bellatrix posa son regard sur Rabastan, assis en face d'elle. Il mâchait lentement sa viande, fixant Narcissa d'un air vide, comme s'il assistait à une conversation hors du temps. L'absurdité de tout ce qu'elle avait appris la frappa de plein fouet.

Elle fut prise d'une envie irrépressible d'éclater de rire.

— Inattentive ? Ou complètement inconsciente ? siffla Lucius, cassant l'instant. Le dragonologiste a affirmé qu'elle avait refusé de reculer malgré ses avertissements.

Bellatrix baissa les yeux sur son assiette. Elle ne savait pas si elle voulait rire ou hurler.

Plus tard, alors qu'ils regagnaient leur chambre, Rodolphus l'attira dans ses bras. Bellatrix se laissa faire, savourant la chaleur de ce contact humain, la sensation d'un corps autour d'elle.

— Ça va bien se passer, murmura-t-il à son oreille. On a connu pire.

Puis, il déposa un baiser sur sa joue avant de se détourner. Elle le regarda s'éloigner, puis, sur un coup de tête, posa une main sur son bras.

— Tu sais… tu peux… dormir dans ma chambre, si tu veux.

Il eut un sourire, un peu triste.

— Rabastan fait des cauchemars toutes les nuits… Je ne peux pas le laisser.

Bellatrix baissa les yeux. Elle aussi faisait des cauchemars, mais elle n'osait pas l'avouer. Pourtant, Rodolphus le devina sans peine.

— On pourrait… se serrer un peu, si tu veux.

Elle hésita. L'image était étrange : une femme, son mari, et le frère de son mari dans le même lit. L'idée aurait pu être cocasse, si elle n'avait pas été si fatiguée. Elle acquiesça. Ils regagnèrent la chambre ensemble.

Rabastan était déjà allongé, la couette remontée jusqu'au menton, et leva un sourcil en la voyant entrer.

— Bouge-toi un peu, Rab, lança Rodolphus en se glissant au centre du lit, soulevant la couette pour Bellatrix.

— Euh… vous faites quoi, là ?

— On dort, répondit simplement Rodolphus, tapotant son oreiller pour le mettre à son goût.

Rabastan soupira.

— On devient vraiment une famille bizarre…

Bellatrix s'installa au bord du lit, savourant la chaleur douce sous la couette en plumes d'oie. Elle plissa fort les yeux, comptant dans sa tête jusqu'au fond des constellations pour ne pas fondre en larmes. Maman, Papa, Tata, Tonton, Regulus.

XxXxXxX

Février 1996,

Chaumière des Carrow,

Île de Dùn, St. Kilda.

— Quand viendra-t-il nous voir ? murmura Bellatrix dans l'obscurité.

Le silence lui répondit d'abord, seulement troublé par le souffle du vent et le fracas des vagues contre les falaises. Un rayon de lumière, blafard et aveuglant, balaya la chambre avant de disparaître. Alecto avait dit que cela venait du phare moldu sur une île voisine.

Ils étaient enfermés dans cette maudite chaumière, dans une chambre au plancher irrégulier et au plafond trop bas. Les murs de chaux, autrefois blancs, étaient désormais couverts de moisissures noirâtres et de champignons aux teintes verdâtres et brunes, suintant d'humidité. L'air de la pièce en était imprégné, chargé d'une odeur âcre de terre mouillée et de pourriture rampante. Il y avait quelque chose d'étouffant dans cet endroit perdu sur l'archipel de Saint-Kilda, quelque part dans l'océan Atlantique. Parfois, dans l'obscurité, Bellatrix avait l'impression d'être toujours à Azkaban.

Rodolphus et elle tentaient de dormir, mais comme chaque nuit, le sommeil leur échappait. Un cauchemar ou les beuglements d'Alecto les tiraient invariablement de leur demi-sommeil. La sorcière avait bien changé. Elle et son frère buvaient jusqu'à s'écrouler, éructant des insanités entre deux gorgées. Minuit n'était jamais passé sans que des éclats de voix ne résonnent dans la chaumière.

— Je ne sais pas, finit par répondre Rodolphus.

Elle perçut le froissement des draps, puis sentit son regard sur elle. Ses yeux sombres, deux cavités noires enfoncées dans leurs orbites, brillaient à la lueur diffuse du phare.

— Il te manque ? chuchota-t-il.

— Oui…

Le mot était dérisoire face à l'ampleur de son absence.

— Tu sais, je suis sûr qu'il tolérerait ton appel, s'il venait de toi.

Elle y avait pensé. Mille fois. Appuyer sur sa Marque. L'appeler. Le supplier de venir. Mais jamais un Mangemort n'avait osé une telle folie. Pas même elle lorsqu'elle avait été sa plus proche fidèle. Il fallait toujours une raison valable.

— Tu crois ? souffla-t-elle.

La tentation était grande.

— Oui. Et s'il s'énerve, tu pourras toujours dire que c'était mon idée.

Elle rit doucement.

— Je déteste cet endroit, dit-elle.

— Moi aussi. C'est un taudis.

Un silence, puis Bellatrix ajouta d'un ton narquois :

— Alors, qu'est-ce que ça t'a fait de revoir ton ancienne maîtresse ?

Rodolphus eut un rire rocailleux.

— C'est devenu un sacré laideron. Je ne sais pas ce qui lui est arrivé.

— Alecto a toujours été très moche, rétorqua Bellatrix. Mais tu ne t'en es jamais rendu compte.

— Elle avait un bon gros fiak et des miches énormes. Maintenant c'est un tonneau.

Bellatrix leva les yeux au ciel.

— Et nous, on peut parler avec nos têtes d'inferi, maugréa-t-elle, cherchant à masquer la vulnérabilité qu'elle sentait poindre dans sa voix.

— Tu es toujours belle, répondit Rodolphus, sa voix grave et posée.

— Arrête. Je n'ai plus de fesses et mes seins ressemblent à des gants de toilette.

— Tu pèses quarante kilos, c'est normal. Mais tu vas reprendre du poids. Pas même Azkaban ne pourrait t'enlever ta beauté.

Il marqua une pause avant d'ajouter, d'un ton un peu théâtral :

— Tu as toujours ces cheveux magnifiques, doux et brillants. Ces jambes interminables, ces os fins et délicats, cette peau douce, ces grands yeux noirs ourlés de cils épais… et bien sûr, les pommettes de la reine sorcière, Néfertiti.

Bellatrix pouffa dans ses draps, feignant de ne pas être touchée par ses mots.

— Oui, Néfertiti après son embaumement.

— Tu es une magnifique momie alors, répliqua Rodolphus, un grand sourire aux lèvres. Si tu es Néfertiti, ça fait de moi Akhenaton.

Bellatrix explosa de rire.

— Non, toi tu es le malheureux courtisan qui a été enfermé vivant avec sa maîtresse dans son tombeau.

— Sympa. C'est qui ton Akhénaton, alors? Lord Voldemort?

— Chut! Comment oses-tu dire son nom? rouspéta Bellatrix, le giflant au passage.

Rodolphus attrapa sa main et déposa un baiser sur son poignet.

— T'as peur de ne plus être à son goût, n'est-ce pas ? demanda-t-il, la relâchant.

— Je ne sais pas… C'est étrange qu'il ne soit pas venu nous voir, admit Bellatrix, son sourire s'effaçant.

— Il veut juste qu'on se repose.

— Il m'a vue dans un état pitoyable.

— Avec tout le respect que je lui dois, tempéra Rodolphus, ce n'est pas un canon de beauté non plus. Il est encore plus squelettique qu'avant, chauve et son nez a… disons… complètement disparu.

— Il est magnifique, haleta Bellatrix d'un ton empreint de dévotion.

Rodolphus eut un sourire en coin.

— Ça au moins ça n'a pas changé. Azkaban n'a eu aucune prise sur toi.

— À part les cauchemars… bougonna-t-elle. Mais je me trouve bien moins changée que ces idiots de Carrow. Ils ont passé quatorze ans à boire et à s'empiffrer. Peux-tu imaginer si nous avions été libres ? Nous aurions retrouvé le Seigneur des Ténèbres bien avant Wormtail, ce gros rat puant. Il n'aurait pas perdu des années à errer dans les bois, seul, abandonné de tous.

Elle serra les dents.

— Je les hais tous. Même Lucius. Quelle chiffe molle.

— Il nous a virés de chez lui comme des malpropres, abonda Rodolphus, hochant vigoureusement la tête.

— Je n'y crois pas, à ce qu'il a dit sur le Seigneur des Ténèbres, grogna Bellatrix.

— Je doute qu'il en ait quelque chose à faire de nos solutions d'hébergement, pour être honnête, confirma Rodolphus.

Il marqua une pause avant d'ajouter :

— J'ai vu Walden. Il m'a dit que le Seigneur des Ténèbres était très occupé ces derniers temps. Pas de bonne humeur du tout. Il a une idée fixe… quelque chose en rapport avec le Département des Mystères. Mais il ne peut pas s'y rendre lui-même sans risquer d'être repéré.

— Comment ça ?

— Macnair m'a dit que deux premières tentatives ont échoué. Lucius a placé Sturgis Podmore sous Imperium cet été, mais ce crétin s'est fait repérer alors qu'il essayait de forcer l'entrée du Département des Mystères et a fini à Azkaban. Ensuite, Lucius a, assez brillamment je dois dire, réussi à contrôler ce Langue-de-Plomb, Broderick Bode.

— Et alors ? lança Bellatrix, peu encline à reconnaître la prouesse de son beau-frère.

— Quelque chose d'étrange s'est produit à l'intérieur du Département des Mystères. Bode a fini à Sainte-Mangouste… se croyant être devenu une théière. Walden a dû lui envoyer un petit cadeau de Noël pour s'assurer qu'il ne cafte rien quand les guérisseurs lui ont fait reprendre du poil de la bête.

Bellatrix haussa un sourcil.

— Un cadeau ?

— Une plante tueuse. Il n'a pas survécu.

Un sourire cruel étira ses lèvres.

— Et presque au même moment, Arthur Weasley a été attaqué. Walden n'a pas su me dire comment, mais lui aussi a fini à Sainte-Mangouste.

— Oh… Il a survécu celui-là ?

— Malheureusement, oui.

Bellatrix claqua la langue, agacée.

— Pourquoi s'en prendre à Weasley ? s'étonna-t-elle.

— Walden n'a pas su m'en dire plus. Mais d'après les gars, le Maître cherche quelque chose au Département des Mystères. Une arme… ou un objet d'une grande importance. Peut-être que Weasley était simplement sur son chemin.

Bellatrix fronça les sourcils, pensive.

— Il n'était pas sous Imperium, donc il ne travaillait pas pour le Maître. Et on peut être sûrs que ce traître à son sang est au service de Dumbledore…

Elle releva brusquement la tête, un éclair de compréhension dans le regard.

— Il devait probablement garder l'entrée du Département des Mystères pour Dumbledore. Quoi que le Maître cherche à y trouver, Dumbledore sait de quoi il s'agit.

Le silence retomba.

Un vent glacial soufflait dehors, hurlant comme une bête affamée. Dans l'obscurité, Bellatrix fixait le plafond irrégulier, son esprit déjà ailleurs. Si le Seigneur des Ténèbres avait besoin de quelque chose… que ne donnerait-elle pour l'aider à l'obtenir. Peut-être pourrait-elle l'appeler invoquant cette excuse; ce n'était pas un mensonge.

Elle sentit les doigts de Rodolphus effleurer sa peau. Elle le repoussa fermement.

— Tu ne serais pas devenu nécrophile, tout de même.

— Ne t'avise pas de te moquer de ma momophilie, rétorqua-t-il avec un sourire en coin, se tournant vers elle.

Elle ne put s'empêcher de rire.

— T'en as envie ? demanda-t-il, sa voix perdant instantanément une octave.

Bellatrix s'interrogea. Son désir lui semblait aussi lointain qu'un rêve oublié. À Azkaban, il s'était dissous dans la douleur, la faim et les cauchemars. Son corps n'était plus qu'une enveloppe exsangue, décharnée.

Et pourtant…

Elle avait soif de contact. De chaleur. Rien que la présence physique de Rodolphus à ses côtés déclenchait en elle un précipice irrésistible d'émotions contradictoires.

— Pas de pénétration, d'accord ?

— À vos ordres, ma reine, souffla-t-il avant d'enfouir aussitôt sa bouche brûlante dans son cou.

XxXxXxX

Au réveil, Bellatrix était toujours indécise.

Elle descendit d'un pas lourd les escaliers de bois grinçants, se tenant fermement à la rambarde, et rejoignit la cuisine des Carrow. Alecto et Amycus étaient déjà là. Avachis sur leurs chaises, les traits gonflés, la peau rougie par une nuit trop arrosée, ils empestaient l'alcool rance.

La table en bois était poisseuse, collante du whisky pur-feu renversé, encombrée de cigares à moitié consumés, de bouteilles vides et de restes de nourriture de la veille.

— C'est une porcherie ici, grimaça Bellatrix, le nez froncé.

D'un mouvement sec, elle sortit sa baguette et lança un sort de récurage. Les bouteilles disparurent instantanément.

— Oh ! hurla Amycus. Tu vois pas que j'étais en train de finir mon verre ?!

Bellatrix l'ignora.

— Que mange-t-on ? demanda-t-elle d'une voix impérieuse.

Alecto lui jeta un regard torve, la bouche molle entrouverte, ses yeux ternes à demi clos.

— On a des poules dans le jardin. Elles auront peut-être pondu.

— Eh bien, va chercher ces œufs, ordonna Bellatrix d'un air hautain.

— Je ne suis pas à ton service, Bellatrix, cracha Alecto.

Bellatrix arqua un sourcil.

— Vous vivez comme des chiens, vous me servirez comme des chiens, déclara-t-elle en levant sa baguette. Va me chercher à manger, ou subis mon Doloris.

Alecto s'étrangla dans un rire jaune.

— Tu crois me faire peur avec ta dégaine de vieille harpie ?

Endoloris.

Elle n'avait pas prévu de faire durer le maléfice. Mais la fulgurance de sa magie l'engloutit aussitôt. Une chaleur délicieuse, une puissance brute traversant sa baguette, et se répercutant avec tant de satisfaction sur un amas de chair en larmes. Le cri d'Alecto s'éleva dans la chaumière, aigu, écorché, se répercutant contre les murs. Bellatrix ne voyait plus rien d'autre qu'elle, tordue au sol, la bouche grande ouverte sous l'effet du supplice. Elle n'entendit pas Amycus hurler d'arrêter. Elle ne vit pas non plus sa baguette se lever contre elle.

Ce fut Rodolphus qui, dévalant les marches derrière elle, stupéfia Amycus et l'empêcha de riposter. Puis il s'approcha doucement d'elle, glissant un murmure à son oreille. Bellatrix ne sut pas ce qu'il lui dit. Elle était partie bien trop loin pour cela. Mais sentir un corps humain contre elle, une chaleur dont elle avait tant manqué ces dernières années, la ramena brutalement à la réalité.

Elle relâcha le sort.

Alecto gisait au sol, pantelante, les membres convulsés sous les secousses résiduelles du Doloris. Bellatrix savait qu'elle avait tenu le maléfice bien plus longtemps qu'il n'était prudent de le faire. Elle aurait pu la rendre aussi folle que les Londubat.

Mais elle ne s'attarda pas pour s'assurer que l'esprit d'Alecto était indemne.

Se détachant brusquement de Rodolphus, sourde aux appels de Rabastan, elle quitta la chaumière sans un regard en arrière.

XxXxXxX

Bellatrix se réfugia sur la plage de l'île de Dùn.

La courte marche à travers les collines couvertes d'herbe lui prit au moins une heure. Le terrain était traître sous ses bottes, humide et glissant, et le vent soufflait en violentes bourrasques, la forçant parfois à s'arrêter. Elle atteignit le petit bout de plage, niché dans une baie encaissée, en contrebas d'une falaise battue par les vents, un peu avant midi. Le froid et la bruine auraient été pénibles à supporter si Bellatrix n'avait pas passé quatorze ans dans la pire prison du monde.

Elle savourait au contraire la sensation du froid lui fouettant les joues, les gouttes de pluie salée s'écrasant sur ses lèvres, le vent cinglant qui lui tirait des larmes involontaires. Son corps, lui, peinait à suivre. Ses cuisses brûlaient sous l'effort, ses poumons, en feu, réclamaient un répit.

Devant elle, des falaises de granit surgissaient des flots, massives et colonisées d'oiseaux marins, leurs cris rauques se mêlant au tumulte des vagues.

La chaumière des Carrow était la seule habitation de l'île, protégée par de puissants maléfices la rendant même incartable. Les derniers Moldus qui avaient vécu sur l'île voisine, Hirta, avaient été évacués soixante ans plus tôt. Leurs conditions de vie étaient devenues précaires: l'endroit, difficile d'accès, était un cauchemar à ravitailler, et peu hospitalier en raison des vents violents. Ce que les Moldus ignoraient, c'était que leur misère n'avait évidemment rien de naturel. La famille Carrow s'employait depuis des décennies pour rendre leur existence impossible et ainsi les faire fuir.

Seule sur la plage de galets, Bellatrix reprit son souffle, rabattit sa capuche et se saisit d'un petit miroir dissimulé dans sa poche. L'image qui lui revint était insupportable. Un visage creusé, des yeux enfoncés dans leurs orbites, la peau tirée sur des pommettes saillantes. L'effort avait néanmoins rosé ses joues et rendu ses yeux brillants, lui conférant un semblant de vitalité. Elle n'était pas encore celle qu'elle avait été, mais elle en prenait le chemin.

Depuis son retour d'Azkaban, un mois et demi plus tôt, elle avait repris à peine cinq kilos. Son corps refusait les repas trop riches, les portions trop copieuses, trop habitué à la privation. Et il fallait dire que la cuisine des Carrow n'était guère plus appétissante que la pitance infecte de la prison. De son apparence d'antan, elle avait retrouvé ses cheveux soyeux et brillants, ainsi que l'éclat de ses dents. Peut-être que Rodolphus avait raison. Dans quelques mois, elle redeviendrait Bellatrix Lestrange. Celle qui, le menton haut, s'était assise en reine au pilori face à cet abominable Croupton.

Sans plus hésiter, priant pour une réponse, elle appuya sur sa Marque. Peut-être allait-il la punir. Peut-être allait-il l'ignorer. Au plus profond d'elle-même, elle préférait mille fois être punie plutôt qu'oubliée. Un sentiment mêlé d'appréhension et d'impatience la saisit.

Moins d'une minute plus tard, il apparut devant elle, sa silhouette se détachant du paysage tourmenté. Son regard balaya les environs avant de se fixer sur elle.

— Bella, dit-il simplement, sa voix douce et sibylline perçant le fracas des vagues et les cris des oiseaux.

— Maître…

Le mot s'étrangla dans sa gorge. C'était en le voyant devant elle qu'elle prenait conscience de l'immensité du manque qu'elle avait ressenti. Quatorze ans de séparation. Quatorze ans de souffrances. Il était là, il était vivant, et il était plus puissant que jamais. Ses joues se couvrirent instantanément de larmes tandis qu'elle se prosternait devant lui, les genoux s'enfonçant dans les galets froids.

Un sourire fugace effleura les lèvres du Seigneur des Ténèbres avant de s'évanouir, ne laissant derrière lui qu'un visage impassible en partie dissimulé sous l'ombre de sa capuche.

— Que me vaut ce plaisir ?

Elle aurait pu lui donner l'excuse imaginée la veille, prétendre qu'elle souhaitait se rendre utile pour son projet d'infiltration du Ministère. Mais maintenant qu'il se tenait devant elle, imposant, sublime, ses yeux rouges posés sur elle avec quelque chose de l'ordre de la tendresse, elle ne trouva pas la force de feindre.

— Je voulais simplement vous voir, avoua-t-elle, peinant à soutenir ce regard impénétrable qui pesait sur elle.

Il fit un pas vers elle, laissant échapper un léger son de désapprobation, un mélange de dédain et d'exaspération. Bellatrix le connaissait trop bien pour savoir qu'il n'était pas en colère, et même plutôt amusé.

— Insinuerais-tu que tu m'as interrompu dans des affaires de la plus haute importance… pour rien ? demanda-t-il d'un ton lent et mesuré, effleurant sa joue mouillée de larmes du bout des doigts.

— Pardonnez-moi, mon Seigneur, murmura-t-elle précipitamment, incapable de refréner les tremblements qui la secouaient. Cet endroit me rappelle Azkaban… et les Carrw sont infects… et cela fait des semaines que vous nous avez libérés, mais nous sommes restés sans nouvelles de vous… Vous m'avez tellement manqué…

Sa voix s'étrangla, et elle s'arrêta, désemparée. Elle ne voulait pas qu'il croie qu'elle lui reprochait quoi que ce soit.

Il garda le silence un instant, sa main toujours posée sur sa joue, avant de répondre d'un ton neutre :

— Tu avais besoin de repos. Lorsque Lucius m'a suggéré l'île de Dùn, j'ai pensé que cela était une solution convenable. Ici, tu es en sécurité, loin de toute agitation. Je n'avais pas envisagé que ce lieu puisse te rappeler la prison.

— Je ne vous en tiens nullement rigueur, mon Seigneur, s'empressa-t-elle de répondre, incapable de résister à l'envie de presser sa propre main contre la sienne.

Les larmes continuaient de couler sans qu'elle puisse les retenir. Elle déposa un baiser sur la paume de sa main.

— Je sais que je ne mérite pas de…

— Il n'est rien que tu ne mérites pas, Bella, l'interrompit-il, lui faisant signe de se relever.

Bellatrix s'exécuta, levant ses yeux plein de reconnaissance vers lui. Glissant une main dans ses boucles saupoudrées de pluie, il lui demanda d'un ton sérieux:

— Que désires-tu ?

Son regard scrutait le sien avec une acuité presque troublante, voyageant de ses yeux à sa bouche, étudiant chaque expression, chaque frémissement de son visage avec une minutie presque arithmantique.

— Je… je veux juste être près de vous, mon Seigneur. C'est tout ce que j'ai toujours voulu.

— Certaines choses ont changé, Bellatrix. Je ne possède plus de résidence attitrée. Je dois demeurer insaisissable… Je ne peux me permettre d'être repéré.

Il observa un instant les falaises escarpées qui surgissaient de l'écume, noires et tranchantes, et le vol erratique des oiseaux marins sous les nuages lourds.

— Il est vrai que cet endroit est un peu lugubre. Manges-tu correctement ?

Le changement de sujet la prit au dépourvu.

— Non! Les Carrow refusent de me faire à manger, et de toute façon la cuisine d'Amycus est ignoble, marmonna-t-elle.

— Je vois cela, répondit-il d'un ton sec, ouvrant légèrement sa cape pour mieux observer sa silhouette amaigrie.

Son regard glissa sur la robe informe qu'elle portait, un vêtement prêté par Alecto qui ne la mettait nullement en valeur. Bellatrix sentit la honte l'envahir et détourna instinctivement les yeux.

— Il te faut recouvrer tes forces, Bellatrix. Sans tarder. Je suis entouré d'incapables dont la médiocrité me répugne. J'ai besoin de toi.

— Mon Seigneur, je ne rêve que de vous servir, souffla-t-elle d'un ton fervent.

Il se détournait déjà, le regard perdu à l'horizon.

— J'imagine que les frères Lestrange souhaiteront te suivre où que tu ailles ?

— Euh… oui, Maître, répondit-elle, un peu hésitante.

— Naturellement. Vous pourrez prendre vos quartiers à la résidence Avery.

— Merci, Maître, murmura Bellatrix.

— J'y ai mes habitudes lorsque j'ai besoin de calme, poursuivit-il. Ralph Avery, le neveu d'Enguerrand, en a hérité, mais il possède son propre domaine dans les Cornouailles. Vous y serez en sécurité. Cependant, il n'y a pas d'elfe-de-maison. Il te faudra apprendre à te nourrir seule.

— Oh…

Bellatrix n'avait jamais eu à préparer un repas de sa vie. Une pensée la traversa soudainement : Qu'était-il advenu de Meeney, l'elfe des Lestrange ? Dès qu'elle serait seule, elle l'appellerait.

— Je me débrouillerai, mon Seigneur. Rabastan saura s'en charger, décréta-t-elle.

— Bien.

Il fouilla dans les replis de sa cape et en sortit une dague sertie dans un fourreau d'or, finement gravé d'un serpent noir. Posant sa baguette dessus, il murmura :

Portus.

Puis il lui tendit la lame.

— Ce Portoloin s'activera à quinze heures. Cela te laissera le temps de retourner à la chaumière et d'avertir les Lestrange.

Bellatrix attrapa l'objet avec précaution, levant vers lui un regard empreint de reconnaissance.

— Oh… merci, Maître.

— Je ne serai pas présent, mais prenez vos aises à votre convenance.

— Quand vous reverrai-je, Maître ?

Un silence. Puis il répondit :

— Très vite.

Bellatrix dut se faire violence pour ne pas l'attirer à elle, se nicher dans ses bras, le picorer de baisers, respirer son odeur, le mordre même. Cela aurait été vraiment indigne d'elle. Rien que d'y penser, un nuage noir inondait son esprit, prêt à l'engloutir.

Le Seigneur des Ténèbres recula d'un pas, prêt à transplaner. Il s'interrompit un bref instant, relevant la tête vers elle avec un sourire:

— Azkaban semble avoir entamé tes barrières en Occlumancie…

— Oh ! s'exclama-t-elle, sentant ses joues s'embraser.

— Nous retravaillerons cela. À plus tard, Bellatrix.

— À très vite, Maître.

XxXxXxX

Février 1996,

Résidence Avery.

C'était ici que, vingt-sept ans plus tôt, à peine âgée de dix-huit ans, Bellatrix avait rencontré Lord Voldemort pour la seconde fois. Désireuse d'obtenir un entretien avec lui, elle avait sollicité l'aide de son amie Geraldine, fille du Mangemort le plus proche du Mage Noir, Enguerrand Avery. Caché dans le bureau d'Avery, Lord Voldemort avait tout écouté avant d'apparaître devant elle, grand et sublime, auréolé de cette beauté ensorcelante qui l'avait déjà fascinée quelques années plus tôt, le jour de ses fiançailles.

De cette vie, il ne restait plus rien. Enguerrand et Geraldine étaient morts. Bellatrix avait à présent quarante-quatre ans et portait les stigmates d'une existence bien plus rude qu'elle ne l'eût imaginé à l'époque. Tout ce qui l'inquiétait alors était son mariage avec Rodolphus. Il fallait l'admettre, les peurs d'alors lui paraissaient bien dérisoires à présent.

La résidence Avery avait un charme indéniable, avec ses soubassements en boiserie, ses tapisseries sombres et ses couloirs drapés de bleu nuit et de vert émeraude. L'intérieur offrait de petites pièces confortables, ornées de tapis luxueux, de meubles vernis et de pièces rares soigneusement préservées derrière des vitrines, à la manière d'un musée.

Le salon, la pièce où les Mangemorts avaient été transportés d'Azkaban, avait des plafonds peints d'or et de noir, illustrant des scènes des contes antiques et autre mythologie. Un simple mouvement de baguette suffisait à les animer, faisant défiler des fresques mouvantes. Rodolphus s'amusa à projeter l'image de Néfertiti entourée de ses filles et du pharaon Akhénaton. Il avait ri :

— Voilà la reine Bellatrix, ses filles, et Lord…

Bellatrix l'avait menacé de sa dague avant qu'il ne puisse achever sa phrase, et il s'était précipité hors de la pièce, son rire résonnant dans toute la maison.

Elle choisit l'une des chambres inoccupées du premier étage. Elle n'avait pas été en mesure de déterminer laquelle avait été prise par le Seigneur des Ténèbres et ne voulait pas s'imposer dans son espace, s'il ne souhaitait pas l'accueillir à nouveau dans son intimité. Bien qu'il se fût montré tendre et manifestement heureux de la revoir, elle ne pouvait ignorer un détail troublant : il ne l'avait ni enlacée, ni embrassée. S'il avait décidé de ne plus être son amant, alors elle réfléchirait à un plan pour le reconquérir. Mais tant qu'elle n'en avait pas le cœur net, elle devait se montrer prudente et stratégique. Il n'aimerait pas qu'elle présume de ses intentions.

Bellatrix installa ses quelques affaires et appela Meeney, mais aucune réponse ne vint. Elle en conclut que l'elfe était probablement morte.

Une mort de plus.

Elle avait également appris que Barty Croupton Jr. avait reçu le Baiser du Détraqueur l'année passée. De sa famille, il ne lui restait plus que Narcissa, Andromeda… et son traître de cousin, Sirius. Cette pensée lui laissa une sensation étrange au creux du ventre, tout particulièrement lorsqu'elle songea à Andromeda.

Le Seigneur des Ténèbres ne tarda pas à les rejoindre. Dès sept heures du soir, il fit son apparition à la résidence Avery, accompagné d'un petit sorcier au visage disgracieux et à l'allure misérable : Peter Pettigrow, alias Queudver.

Le gros rat puant.

Rodolphus et Rabastan se prosternèrent aussitôt aux pieds de leur Maître, s'abandonnant à des exclamations enthousiastes, répétant combien ils étaient honorés de le revoir. De larges sourires illuminaient leurs visages, et Bellatrix sentit un frisson d'exaltation lui parcourir l'échine en remarquant que Voldemort ne semblait pas insensible à leur ferveur.

Il ne réprima pas tout à fait un sourire.

Mais, comme s'il lui fallait retrouver sa contenance, il se détourna vers le pathétique sorcier qui se tenait à ses côtés.

— Queudver possède un talent étonnant pour les tâches domestiques, déclara-t-il d'un ton détaché. Il m'a aidé à me sustenter toute l'année dernière, n'est-ce pas, Queudver ?

— Oui, Maître, acquiesça Pettigrow, ses petits yeux brillants d'une obéissance servile.

— Les Lestrange sont parmi mes plus fidèles et loyaux Mangemorts. Ils ont besoin de reprendre des forces. Dès aujourd'hui, je t'assigne aux cuisines. Tu leur prépareras des repas de la plus haute qualité, contenant tous les éléments nutritifs nécessaires à leur rétablissement.

Sans attendre de réponse, Voldemort entreprit de détailler tout ce que Queudver devrait cuisiner pour eux, listant avec précision les recettes, les ingrédients et les fortifiants à inclure. D'un geste de baguette, il fit apparaître au centre du salon une imposante malle qu'il ouvrit, révélant un assortiment de potions soigneusement rangées.

— Narcissa s'est chargée d'aller récupérer cette commande chez l'apothicaire du Chemin de Traverse pour moi, expliqua-t-il. Vous devrez prendre trois potions par jour, sans exception.

Bellatrix écouta distraitement tandis qu'il décrivait les propriétés de chaque potion. À vrai dire, aucun d'eux ne prêtait vraiment attention aux explications. Les trois Lestrange s'étaient instinctivement agglutinés autour de lui, buvant ses paroles sans se soucier du contenu réel de son discours, levant vers lui des regards empreints de reconnaissance.

— Est-ce que tout est clair ? demanda-t-il enfin après un long exposé.

— Oui, Maître, répondirent-ils d'une seule voix.

Bellatrix esquissa un sourire en observant la scène. L'image qu'ils renvoyaient lui apparut soudainement cocasse : trois cannetons rachitiques blottis autour de leur mère.

— En cuisine, Queudver, ordonna Voldemort d'un ton tranchant.

Le petit sorcier s'exécuta aussitôt, filant hors de la pièce aussi rapidement que ses jambes courtes le lui permettaient.

— Vous doutiez donc de notre capacité à préparer nous-mêmes nos repas, Maître ? demanda Bellatrix, un éclat amusé dans la voix.

Voldemort tourna lentement son regard vers elle et déclara avec un mépris tranquille :

— J'ai rapidement conclu que laisser trois Sang-Pur manipuler des ustensiles de cuisine ne pourrait que mener à un désastre.

Les trois Lestrange éclatèrent de rire.

XxXxXxX

Bellatrix avait chassé Rodolphus de sa chambre, ne souhaitant pas donner l'impression à Lord Voldemort qu'ils avaient repris leurs activités conjugales; même si c'était plus ou moins le cas. Elle décida qu'il n'avait pas à le savoir.

Le problème, c'était qu'en l'absence de Rodolphus, les cauchemars revenaient plus facilement. Réveillée par l'un d'eux vers minuit, le souffle court, elle se leva et se mit en tête de trouver son Maître. Il lui était insupportable de savoir qu'il était là, sous le même toit, mais toujours inaccessible. Quatorze ans sans lui l'avaient laissée brûlante du simple besoin de le sentir proche.

Se drapant dans une robe de chambre par-dessus sa chemise de nuit –– désuète et peu flatteuse, qu'elle maudit intérieurement –– elle quitta sa chambre et descendit silencieusement jusqu'au salon.

Elle le trouva assis dans un fauteuil, près du feu de la cheminée. Il paraissait absorbé par une réflexion profonde, les yeux clos, murmurant à voix basse des paroles indistinctes. Elle devina aussitôt qu'il psalmodiait en Fourchelang.

Bellatrix s'approcha lentement, le contemplant en silence, fascinée. Son regard avide parcourut chaque trait de son visage pâle et osseux : le dessin acéré de ses arcades sourcilières, ses pommettes saillantes, la ligne tranchante de sa mâchoire, la ligne effacée de son nez. Il était comme elle l'avait connu, et pourtant plus spectral encore. Plus éthéré. Il n'avait plus de cheveux, et tout chez lui semblait affûté, taillé dans un marbre dur mais de la main délicate d'un artiste raffiné. Ses yeux, autrefois veloutés, étaient à présent d'un rouge vif. Elle l'aimait aussi fort qu'au premier jour. Peut-être même davantage. L'émotion la submergea et menaça de la faire sombrer. Elle eut envie d'éclater en sanglots tant elle était heureuse qu'il fût vivant, tangible, éternel.

Lorsqu'elle fut tout près, debout devant lui, il ouvrit ses yeux. Un long silence s'étira entre eux alors qu'ils se dévisageaient.

— Tu dois dormir pour récupérer, Bellatrix, murmura-t-il enfin d'une voix douce.

— Je fais des cauchemars, se justifia-elle en haussant légèrement les épaules.

Elle s'agenouilla devant lui, autant parce que ses jambes tremblantes d'émotion ne pouvaient plus supporter son poids que par dévotion, puis glissa ses mains avides sur ses cuisses, cette fois par pure audace et convoitise. Pouvoir de nouveau poser ses mains sur lui ainsi lui arracha un violent frisson de plaisir.

— Que faites-vous, mon Seigneur ? chuchota-t-elle, comme craignant de rompre la quiétude de ses réflexions.

Il ne répondit pas tout de suite. Son regard aux pupilles verticales se posa sur elle avec cette indolence qu'elle lui connaissait si bien. Bellatrix, elle, s'installa confortablement, appuyant son menton sur ses mains, les yeux sombres levés vers lui, le visage baigné par la lumière orangée du feu de cheminée.

— Sais-tu ce qu'il s'est passé en juin, lors de ma renaissance ? demanda-t-il finalement, sa voix douce, presque songeuse.

— Nous avons eu quelques échos par les Carrow, murmura-t-elle.

— Le garçon, Potter, a réussi à m'échapper. Il a invoqué une magie rare… une magie qui m'a pris au dépourvu. Je dois en apprendre davantage.

— Est-ce pour cela que vous cherchez à infiltrer le Département des Mystères ?

Un silence.

— Comment le sais-tu ?

— Macnair l'a dit à Rodolphus. Je suis au courant pour Podmore, Bode et ce foutriquet d'Arthur Weasley.

— Oui… Ma chère Nagini a été surprise par ce traître à son sang alors que je la possédais afin de surveiller l'entrée du Département des Mystères.

— Nagini ? s'étonna Bellatrix, relevant brusquement la tête des genoux de son Maître.

Une expression de franche animosité passa sur son visage, ce qui fit rire Voldemort. Ce son fit naître un sourire furtif sur les lèvres de Bellatrix. Elle aimait tant l'entendre rire… Mais cela n'apaisa en rien la jalousie qui montait en elle.

— Qui est Nagini ? demanda-t-elle froidement.

— Macnair aurait-il omis de mentionner ma plus chère amie ?

Bellatrix sentit son estomac se contracter. Une expression de choc manifeste se peignit sur son visage.

— Je plaisante, Bella, répondit-il, amusé. Nagini est mon serpent.

Il prononça alors quelques mots en Fourchelang, un sourire léger aux lèvres, tandis que Bellatrix, désormais redressée, scrutait l'obscurité du salon qui s'étendait derrière le fauteuil dans lequel son Maître était assis.

— Derrière toi, souffla Voldemort, désignant d'un mouvement de tête l'espace entre elle et la cheminée.

Bellatrix se retourna d'un bloc et se figea entièrement.

Un énorme serpent s'était dressé à la manière d'un cobra, juste à côté d'elle, l'observant sans ciller de ses yeux jaunes. Son corps couvert d'écailles vertes brillait à la lumière du feu, et sa gueule entrouverte laissait deviner des crochets d'une taille impressionnante. Il siffla doucement, sa langue fourchue tout près de son visage.

Bellatrix dut se faire violence pour ne pas bondir sur les genoux de son Maître.

Elle avait affronté les Détraqueurs, survécu à leur putréfaction cauchemardesque pendant quatorze ans. Ce n'était pas un serpent, fût-il gigantesque, qui allait l'intimider.

— Nagini dit que ton cœur bat très vite, commenta Voldemort d'un ton léger. Elle peut sentir ta peur.

— Je n'ai pas peur ! protesta Bellatrix, les joues rouges de colère.

Voldemort ne se départit pas de son sourire moqueur. Il siffla quelques mots en Fourchelang, et Nagini s'approcha encore un peu plus. Sa tête triangulaire frôla presque Bellatrix, ouvrant un peu plus sa gueule, révélant ses crochets luisants.

— Ne bouge pas, elle mémorise ton odeur.

Bellatrix se mordit l'intérieur de la joue, réprimant un gémissement.

— Santal, oud, patchouli, savon d'Iram… et… prunes.

Voldemort inclina légèrement la tête.

— Oui, cela correspond assez bien à ma Bellatrix, ajouta-t-il, un éclat d'amusement dans la voix.

Un frisson de délice parcourut Bellatrix, et ses joues s'empourprèrent de plaisir.

— Nagini a été ma plus fidèle alliée durant les années qui ont précédé ma renaissance, les années où j'errais tel un spectre dans les forêts d'Albanie.

Bellatrix serra la mâchoire. Si elle n'avait pas été enfermée à Azkaban, il n'aurait pas eu qu'un simple serpent comme seul compagnon.

— Ce n'est pas un simple serpent, corrigea doucement Voldemort, et elle rougit de plus belle. Oublie son apparence. Ressens-la.

Un instant de perplexité traversa le visage de Bellatrix, puis elle obéit et ferma les yeux. Une sensation étrange l'envahit. Nagini dégageait quelque chose… Une énergie, un souffle chaud et réconfortant. Cela lui rappelait quelque chose. Une sensation poignit la saisit au ventre.

— Que ressens-tu ?

— Je… je ressens… c'est difficile à expliquer…

Elle hésita. Elle pensa à la Coupe, au Médaillon.

— C'est une chaleur réconfortante, intime… comme le soulagement de rentrer à la maison après un long périple.

Elle rouvrit les yeux, incertaine, et les posa sur Voldemort. Il l'observait toujours, impassible, mais quelque chose dans son regard semblait vaciller quelque peu.

— Viens là, murmura-t-il en ouvrant légèrement les bras.

Sans attendre, Bellatrix grimpa sur le fauteuil et se pressa contre lui, lovant son corps frêle et léger autour du sien. Elle posa sa tête contre lui, respirant à plein poumon pour la première fois depuis quatorze ans, écoutant les battements de son cœur. Très lents. Très calmes. Comme une mer d'été. Cela fit dissiper le nuage noir qui menaçait de l'engloutir.

Nagini les observa un instant, avant de glisser le long d'un accoudoir du fauteuil pour venir se poser sur le haut du dossier. Sa tête restait proche de celle de Bellatrix, envahissant son espace, faisant frétiller sa langue à quelques centimètres de sa bouche.

D'un air quelque peu courroucé, la Mangemort la dévisagea du coin de l'œil.

— Pourquoi me fixe-t-elle ainsi ? demanda-t-elle.

Voldemort ne répondit pas immédiatement. Un échange de sifflements eut lieu entre lui et Nagini, et Bellatrix sentit une étrange fascination la traverser en les écoutant. Puis, sans un bruit, le serpent s'éloigna et disparut dans l'ombre.

— C'est un excellent serpent, finit-il par dire, un soupçon d'agacement perçant dans sa voix. Mais parfois, elle se montre… quelque peu idiote.

Bellatrix eut l'intime conviction qu'il ne voulait pas lui révéler le contenu de leur échange. Mais elle n'insista pas et se blottit plus confortablement contre lui.

— Que pensez-vous découvrir sur le petit Potter au Département des Mystères ? demanda-t-elle après un instant.

Voldemort marqua une courte pause, comme s'il hésitait. Mais ce ne fut qu'un instant.

— Il existe une prophétie, murmura-t-il enfin, me concernant… moi, et Harry Potter. Je n'en connais que la première partie. Elle affirme qu'il possède le pouvoir de vaincre le Seigneur des Ténèbres. Je dois en entendre l'entièreté pour en finir, une bonne fois pour toutes, avec cet avorton.

Il marqua un silence, ses doigts glissant distraitement sur l'accoudoir du fauteuil.

— Il est faible, dénué de talent, et pourtant, voilà deux fois qu'il me résiste. Une fois en possession du contenu de cette prophétie, j'agirai en conséquence.

— Vous voulez dire que la première fois… c'était aussi à cause de la prophétie ?

— Non, il n'a survécu que grâce au sacrifice de sa mère. Un rituel de vieille magie, provoqué de façon involontaire, mais que, je l'avoue, j'avais complètement sous-estimé.

Bellatrix sentit la culpabilité la gagner. La vieille magie, c'était le domaine de Ludmilla Thenn, celle qu'elle avait utilisée pour le guérir des effets secondaires de la magie noire qu'il avait accomplie pour ensorceler le Médaillon. Elle avait toujours su qu'il méprisait cette branche de la magie, et elle s'en voulut de ne pas l'avoir davantage convaincu de son efficacité. S'il avait pris au sérieux la trilogie – certes grandiloquente et théâtrale – de Ludmilla, il aurait peut-être agi autrement à Godric's Hollow. Il existait mille façons de tuer un bébé sans déclencher un lien de magie sacrificielle par le biais de la mère. Ludmilla Thenn l'avait très bien expliqué. Tuer l'enfant en premier, par exemple.

Bellatrix se redressa, plongea ses yeux dans ceux de son Maître, pleine de ferveur, et lui dit:

— Je vous aiderai, Maître, j'irai chercher cette prophétie pour vous, dit-elle, résolue.

— J'apprécie ton ardeur à la tâche, Bellatrix, mais je n'ai aucune envie que tu finisses comme Broderick Bode. Mes informateurs m'ont dit que les guérisseurs avaient craint qu'il ne retrouve jamais ses esprits. Il doit y avoir des protections d'une extrême sophistication à l'intérieur du Ministère, si même un Langue-de-Plomb ne peut pas me ramener cette prophétie sans perdre la tête.

— Peut-être pourriez-vous interroger Rookwood à ce sujet ? proposa Bellatrix, se souvenant que le sorcier, emprisonné à Azkaban comme elle, avait jadis travaillé au Département des Mystères.

— Tu as raison, c'est ce que j'allais faire, mais je souhaitais accorder un repos bien mérité à mes plus fidèles Mangemorts avant de les convoquer.

— Je ne me suis pas vraiment reposé chez les Carrow, Maître, ils passent leurs nuits à boire et à beugler comme des veaux.

— J'ai eu vent de ce que tu as fait subir à Alecto.

Le ton était froid, et Bellatrix eut un instant peur qu'il ne la rabroue à ce sujet.

— Tu seras heureuse d'apprendre qu'elle n'a pas de séquelles, mais elle aura besoin d'au moins quinze jours de convalescence. Tu n'y es pas allée de main morte.

— Pardonnez-moi, Maître, mais ce sont de vrais porcs. Ils n'ont aucune manière.

Voldemort éclata d'un rire froid, amusé.

— Tu as perdu le contrôle, Bellatrix. Et ton esprit n'est plus protégé. Tu avais les défenses en Occlumancie les plus puissantes que j'aie jamais rencontrées. Et à présent, tes émotions les plus fortes me parviennent sans même que j'aie à forcer ton esprit. Il faudra que nous revoyions tout cela.

— Oui, Maître, accepta Bellatrix docilement, incapable de cacher son plaisir d'être de nouveau entraînée par le Seigneur des Ténèbres. Quand vous voulez.

— Pas tout de suite, répliqua-t-il d'un ton doux, je veux que tu reprennes des forces d'abord. Tu pèses bien moins lourd que dans mon souvenir.

— Vous avez changé aussi, taquina Bellatrix en retour.

— À peine, contra-t-il.

— Vous êtes beaucoup plus fin, du moins d'après ce que je peux voir.

Un léger sourire amusé flotta sur ses lèvres avant de disparaître.

— Qu'est-ce que cela signifie, Bellatrix ? Tu doutes du reste ?

Bellatrix promena les mains sur son torse, déchirée entre l'envie vorace de parcourir son corps et la timidité de ne pas savoir quelles nouvelles limites lui imposait son Maître.

— Je suis juste curieuse de…

— Curieuse de ?

Bellatrix rougit mais ne répondit pas. Le silence s'étira quelques secondes.

— Je ne vais pas t'aider à finir cette phrase, dit Voldemort, un large sourire aux lèvres.

— Vous disiez il y a une minute que vous pouviez voir mes pensées sans même avoir à forcer mon esprit, et maintenant je dois finir mes phrases pour que vous me compreniez ?

— Oui, je veux que tu me le dises clairement, Bellatrix. Et j'aimerais voir jusqu'où tu peux rougir.

Elle se mordit les lèvres pour ne pas répliquer vertement à sa moquerie.

— Vous savez parfaitement ce que je veux.

— Oui, mais je veux que tu le dises.

— Si je le dis, exaucerez-vous mon souhait ?

— On verra. Dis-le d'abord.

— Vous dites toujours cela… Je dois prendre tous les risques sans aucune assurance d'obtenir ce que je veux.

Voldemort leva un sourcil, observant sa Mangemort dans ses bras avec amusement.

— Y a-t-il jamais eu quelque chose que tu n'as pas réussi à obtenir, Bellatrix ?

Elle haussa les épaules.

— Dis-le, ordonna-t-il.

Après un soupir un brin théâtral, le visage en feu, elle ouvrit la bouche, les yeux plantés dans ceux de son Maître sans ciller :

— Je veux vous déshabiller et couvrir votre corps de baisers… pour m'assurer que tout est exactement comme avant.

Il éclata de rire.

— Bien essayé. Mais j'ai peur de ne pas être tout à fait certain de ce que tu insinues. Tout ? Mais de quoi parles-tu, Bellatrix ? demanda-t-il, feignant l'ignorance.

Elle gémit légèrement, frustrée, marmonnant avec agacement :

— Mon Seigneur… ne m'obligez pas à être vulgaire. Je préfère vous montrer.

Elle approcha lentement la main de son entrejambe, s'efforçant de soutenir son regard. À travers la robe, elle en estima la taille, la longueur, la largeur, le visage soudain sérieux et scrutateur, telle une experte évaluant la valeur d'un objet rare. Cette mimique le fit éclater de rire, un rire franc, presque chaleureux, et ce son fit s'envoler des milliers de papillons dans le ventre de Bellatrix.

— Il semble que vous ayez raison, mon Seigneur, tout semble être exactement comme avant.

Ses doigts sur lui ne tardèrent pas à le faire grossir, et cela lui mit l'eau à la bouche. Elle approcha son visage de celui de son Maître, lui laissant le temps de la repousser s'il le désirait, mais il ne protesta pas alors qu'elle posait les lèvres sur les siennes.

Elle prit son temps pour approfondir le baiser, sa bouche s'ouvrant lentement contre la sienne pour recouvrir ses lèvres. Le contact, froid, humide et familier, ouvrit en elle les vannes d'un désir brûlant. Sa main remonta lentement le long de sa nuque, et elle intensifia le contact, sa langue cherchant la sienne sans brusquerie. Son cœur battait tellement vite qu'elle était sûre qu'il pouvait le sentir contre lui.

Il répondit à son baiser, ses bras serrés autour d'elle, et un bonheur pur s'empara d'elle.

Sans crier gare, sa respiration se bloqua. Elle tenta de se contrôler, mais une panique sourde la saisit. Elle adapta la pression de ses lèvres, l'angle de son visage contre le sien, agrippa sa main à sa nuque – mais le nuage noir, opaque, s'étendait déjà dans son esprit.

Elle fut engloutie par la nuit. Elle s'interrompit, les yeux fermés, et tenta de reprendre le contrôle de sa respiration.

— Maître… supplia-t-elle, mais déjà le monde autour d'elle n'avait plus de consistance.

Quand elle ouvrit de nouveau les yeux, elle sut qu'à peine une minute s'était écoulée. Elle était toujours dans les bras de son Maître. Leurs regards se croisèrent.

— Je sais que je suis irrésistible, mais c'est bien la première fois que mes baisers font tomber quelqu'un en pâmoison, plaisanta-t-il à voix basse.

Dans son esprit encore embrumé, la remarque fit jaillir une vague confuse d'émotions, mêlant amusement et honte.

— Pardonnez-moi, Maître.

— Que s'est-il passé ? Ton esprit s'est entièrement éteint.

— C'est ce que je faisais quand un souvenir heureux échappait aux Détraqueurs et qu'ils m'encerclaient… Je me faisais m'évanouir pour ne pas devenir folle.

— Il n'y a pas de Détraqueurs ici, répondit Voldemort d'un ton calme, comme s'il énonçait une évidence, les sourcils légèrement froncés.

— Non… je suis stupide. Le fait d'être heureuse m'a ramenée à ce réflexe. Je n'ai pas su l'empêcher. C'était comme si j'étais encore à Azkaban.

Lord Voldemort demeura silencieux un instant.

— Veux-tu dire que tu es véritablement tombée en pâmoison parce que tu étais trop heureuse de m'embrasser ? J'avais dit cela pour plaisanter, Bella.

Bellatrix rougit.

— Je suis vraiment idiote.

— Quelle exquise créature fais-tu. Mais cela risque d'être peu pratique si tu projetais de couvrir mon corps de baisers.

Elle rougit de plus belle.

— Je vais maîtriser ce réflexe idiot, promit-elle. Montez avec moi, s'il vous plaît, Maître.

— Aussi tentante que soit la proposition, tu as besoin de repos. Et je n'ai aucune envie de te réanimer toutes les cinq secondes.

Il était si paisible, si détendu, les bras toujours refermés autour d'elle, qu'elle n'eut pas le cœur à protester. Elle était maintenant épuisée. Il avait raison. Pourquoi contester sa décision ?

Elle allait se lever et lui obéir quand une impulsion surgie de son ancienne vie prit possession de sa bouche malgré elle :

— Juste pour dormir ? risqua-t-elle.

— Je ne dors plus vraiment comme avant, répondit-il. Et j'ai encore des affaires à régler.

Bellatrix concéda la défaite.

— D'accord, Maître.

Elle l'embrassa rapidement, sans s'attarder, de peur d'être tentée d'approfondir le baiser, puis quitta ses bras.

Lorsqu'elle atteignit le pas de la porte, sa voix sibylline la rattrapa dans l'obscurité :

— Prends une potion de sommeil, pour tes cauchemars. J'en ai préparées pour toi. Elles sont dans ta malle. Tu n'as plus besoin de dormir avec Rodolphus.

Bellatrix se mordit les lèvres pour ne pas sourire. Il le savait donc. Certaines choses ne changeraient jamais. Lord Voldemort n'avait nul besoin d'avouer qu'il était jaloux de Rodolphus – elle le savait pertinemment.

— Merci, Maître. Bonne nuit.


À suivre,

Je rappelle aux lecteurs anglophones qu'une version en anglais (mieux traduite qu'avec google traduction) est disponible sur Archive of Our Own. FFN efface les liens mais vous pouvez taper Bellatrix and her Master SamaraXX AO3 sur un moteur de rechercher et ça devrait apparaître. Je me répète, mais selon les statistiques, la majorité de mes lecteurs sont situés aux USA :)

En tout cas je lis vos commentaires, et ce dans n'importe quelle langue, alors n'hésitez pas à me laisser un petit mot.

Merci,

À bientôt,

SamaraXX

PS : il y aura 26 ou 27 chapitres en tout finalement.