Gilderoy ajusta son sac sur son épaule, jaugeant ses capacités à s'en sortir s'il transplanait immédiatement vers d'autres horizons et inventait un bobard pour calmer La Gazette. Le stress inondait ses veines et il risquait fort de se désartibuler s'il tentait l'expérience.
— Vous savez, je tiens vraiment à ce commerce, ajouta la sorcière. J'aime vivre ici, j'aime ma clientèle et je me suis fait ma place. Aussi, je suis prête à mettre le prix pour vous récompenser de vos efforts.
Lockhart sentit sa volonté fléchir. Gloire et or seraient au rendez-vous s'il s'en tirait vivant. Comme pour lui rappeler ses chances de survie, les volets de la maison se mirent à claquer à l'unisson. Il plaqua ses mains sur ses oreilles alors que la sorcière à ses côtés s'époumonait contre le spectre qui ravageait les lieux.
— …dans la souche d'un snargalouf ! termina-t-elle, rouge de colère, les poings serrés, alors qu'il libérait ses tympans.
— Nous devrions peut-être nous éloigner, proposa Gilderoy, nous ne faisons qu'attiser sa colère à rester là.
Il tenta de rire de manière dégagée mais ne produisit qu'un bruit étranglé qu'il masqua en une petite toux.
— Vous avez raison, je vais attendre le journaliste un peu plus loin sur la place, ça vous donnera le champ libre.
Elle prit les deux mains, moites, du sorcier dans les siennes et les serra.
— Bonne chance ! lui lança-t-elle vigoureusement.
Alors qu'elle s'éloignait d'un pas vif, Gilderoy fouillait dans son sac pour trouver une potion désinfectante. Pourquoi fallait-il toujours que ses admirateurs soient aussi tactiles ?
Que faire à présent ? Entrer dans la maison et confronter l'esprit ? Tenter une négociation ? Il ne voyait plus comment s'en tirer, comment tout cela pourrait encore tourner à son avantage. Cette sombre idiote avait déjà chanté ses louanges auprès de la presse, peut-être passerait-elle même son livre au journaliste pour étoffer son article. Ce n'était rien de moins que sa réputation qui était dans la balance ! Lockhart se prit la tête entre les mains.
— Réfléchis, réfléchis bon sang ! se commanda-t-il.
Il passa en revue les sortilèges qu'il connaissait mais aucun, pensait-il, n'aurait d'impact sur un revenant. C'était une branche de la magie qu'il n'avait jamais étudiée.
Il lui sembla entendre des bruits de pas dans son dos, ou peut-être n'était que des feuilles mortes sur les pavés ? Peu importe, il ne pouvait rester là indéfiniment, incapable de prendre une décision, pétrifié par les conséquences de sa mascarade.
— Comme tu te le dis souvent Gilderoy, "sorcier charmeur ensorcelle les coeurs", s'encouragea-t-il alors que son cœur cognait furieusement dans sa poitrine.
Il s'approcha de la porte de la pâtisserie, rehaussée d'un auvent de tissu aux bandes rose et blanc. Il tourna la poignée ronde et dorée et le battant s'ouvrit sans opposer de résistance. Une clochette tinta au-dessus de sa tête alors qu'une odeur écoeurante de caramel brûlé emplissait ses poumons. La maison était plongée dans la pénombre. S'ajoutait à cela une épaisse fumée que le sorcier tenta de dissiper à l'aide d'une formule.
— Lumos, bredouilla-t-il le plus bas possible.
Le rayon lumineux de sa baguette éclaira un monceau d'objets et de débris qui jonchaient le sol de l'entrée et les escaliers qui montaient vers le premier étage. Des bruits de bouillonnement, comme si un chaudron était sur le feu, provenaient de la pièce à sa gauche. Avec précaution, la bouche sèche, il se dirigea vers l'origine des gargouillis. Il passa des portes battantes pour entrer dans une grande cuisine où la fumée se faisait encore plus opaque. Gilderoy étouffa sa toux, puis cacha son nez et sa bouche derrière un pan de sa cape.
Les fourneaux étaient allumés et de grosses marmites bouillonnaient sur le feu. Des bulles claquaient à la surface des liquides bruns et épais. Des odeurs de sucre et de brûlé se mêlaient et emplissaient les lieux à en donner la nausée. Tout un mur était couvert d'une substance collante où étaient emprisonnés des poêles et des ustensiles divers. Les tiroirs retournés gisaient au sol en compagnie d'une collection de chaudrons de formes diverses, de moules à gâteaux et d'emportes pièces. Un immense sac de farine éventré obstruait le grand évier et des flacons de potion brisés crissaient sous les semelles du visiteur.
Le sorcier s'accroupit derrière un chariot à dessert et fouilla dans son sac pour en tirer un lot de gros cristaux. Disposés en cercle, ils formaient un piège à esprit. Restait à savoir où les disposer. Gilderoy demeura quelques instants indécis, les mains pleines, tel un enfant avec son butin de chocolat le jour de pâques. Le vacarme de meubles renversés au premier étage faillit tout lui faire lâcher sur le sol, ses cristaux comme le contenu de sa vessie. Il posa les minéraux sur le carrelage et leur appliqua un sortilège de lévitation.
Il avala sa salive avec difficulté, puis éteignit le feu sous les marmites, écrasant au passage ce qu'il espérait être des coquilles d'oeufs. Les clapotements faiblirent et les bulles cessèrent de gonfler à la surface des liquides. Gilderoy était souvent incommodé par des odeurs désagréables et il connaissait quelques sortilèges efficaces pour purifier l'atmosphère. Il se doutait qu'ouvrir en grand les fenêtres serait une déclaration de guerre pour le spectre qui furetait à l'étage.
Le sorcier rallia l'entrée, se déplaçant aussi silencieusement que le sol encombré le lui permettait, et jeta un œil dans la pièce de droite. C'était une vraie caverne de troll. Tout était sans dessus dessous : les rideaux pendaient sur leurs tringles, les chaises cassées frayaient sur le sol avec les coussins éventrés et les tables retournées. Des bonbonnières fracassées répandaient leur contenu un peu partout. Les pâtisseries, écrasées sur le sol et les murs, donnaient à l'ensemble une touche artistique.
La pointe de la chaussure de Gilderoy s'enfonça dans quelque chose de mou, qui s'avéra être, à l'odeur, un fondant au chocolat, et non une déjection abandonnée là comme il le craignit pendant quelques secondes.
Des sifflements, comme de grands courants d'air, parvinrent du haut de l'escalier. Une pile de livres se déversa dans les marches, accompagnée d'un bruit de déchirure. Lockhart s'aplatit contre le mur, une sueur glacée courant le long de son dos. C'était bien au-delà de ses compétences. Les cristaux vacillèrent dans les airs alors qu'il perdait confiance en lui et il leva sa baguette avant qu'ils ne s'écrasent au milieu du désordre.
Il prit quelques profondes inspirations, se rappelant le conseil lu quelques jours plus tôt dans Sorcière hebdo : "Lors d'un rendez-vous galant, pensez toujours à respirer avec fluidité. L'enthousiasme de la rencontre peut vous laisser le souffle court, ce qui pourrait vous rendre gauche, vous faire paraître peu sûre de vous, ou pire, vous donner mauvaise haleine."
Avoir une haleine gâtée était en ce moment le cadet de ses soucis, ce qui en disait long sur la dangerosité de sa mission.
Il longea le mur, évitant les salissures, pour tenter un coup d'œil vers l'entrée. C'était proprement terrifiant. Il s'imagina tombant nez à nez avec le spectre et faillit perdre connaissance. Ses cristaux, à quelques centimètres du sol, atterrirent joyeusement au milieu du capharnaüm. Un bruit de cassure effroyable provint de l'un d'entre eux et Gilderoy sut qu'il ne pourrait le réparer d'un coup de baguette. Ces objets-là avaient des propriétés magiques bien trop avancées pour lui.
Il fit immédiatement le deuil de l'argent dépensé pour les artefacts et n'eut plus qu'une idée en tête, sauter sur la poignée de la porte et s'enfuir le plus vite possible. L'affaire finirait bien par se tasser, il trouverait une excuse pour garder la face.
Oubliant toute prudence, l'homme s'élança vers l'issue de secours avec l'énergie du désespoir. Le bouton de porte tourna dans sa main en vain, impossible de s'échapper.
—Où crois-tu aller comme ça ? aboya une voix dans son dos.
C'était maintenant, il allait voir toute sa vie défiler devant ses yeux, ses plus belles tenues, les meilleures photos de lui… Adieu gloire, adieu fans éplorés, il tirait le rideau de son existence.
— Tu comptes avoir la décence de me regarder où tu vas rester planté là ?
Le fantôme voulait faire la conversation ? C'était assurément une voix de femme et pas des plus sympathiques. Lockhart pivota sur ses talons avec une extrême lenteur. L'apparition flottait au bas des marches, les mains sur les hanches, telle une épouse mal lunée. Une épouse d'un grand âge, avec une charlotte de nuit sur ses mèches blanches et une robe de chambre aux motifs de citrouille. Ce détail saugrenu n'arriva pourtant pas à détendre le sorcier.
— Ma…ma…madame, bégaya-t-il, ses dents s'entrechoquant. Loin de… moi… l'i… l'idée de vous…vous déranger.
— Non d'une gargouille, je ne comprends rien à ce que tu dis ! s'énerva l'esprit en s'approchant pour mieux l'entendre.
Gilderoy se replia sur lui-même dans un couinement terrifié.
— Mais enfin, ne fais pas l'idiot ! s'agaça la revenante. Je ne suis pas le spectre de la mort, pas de quoi faire dans son chaudron.
En cet instant, Lockhart avait totalement oublié qu'il était un sorcier doué de pouvoir magique et armé d'une baguette. Il la serrait pourtant dans sa main à en faire blanchir les jointures.
— Vas-tu être capable de me dire qui tu es et ce que tu me veux ? Je me doute bien qu'elle t'a envoyé, mais alors, tu n'as pas du tout l'allure d'un chasseur de fantômes compétent.
Gilderoy ne se vexa même pas de la pique. Voyant que l'esprit n'avait pas l'air vindicatif, il arriva cependant à se redresser et maîtriser ses tremblements.
— Je suis Gilderoy Lockhart, madame, effectivement, je pourchasse les créatures magiques malfaisantes, mais je crois qu'il y a une erreur à votre sujet.
Il émit l'hypothèse d'un tout petit filet de voix, craignait de vexer la femme d'outre tombe.
— Et moi je suis un fantôme tout ce qu'il y a de plus banal mon petit père, donc tu peux remballer tes affaires et déguerpir, charlatan !
Le verrou de la porte tourna dans le dos du sorcier, qui, pour une raison inconnue de lui-même, se trouva intrigué par la situation. Son bagou naturel refit surface. Il lissa ses sourcils d'un doigt expert et offrit au fantôme un sourire de podium.
— Madame, tout ceci n'est qu'un jeu d'acteur étudié, je voulais voir à qui j'avais affaire. Je m'attendais à trouver ici un esprit frappeur, une goule ou autre démon.
— Vous savez parler aux femmes, lança ironiquement la revenante, resserrant la ceinture de sa robe de chambre sur sa longue chemise de nuit immaculée.
Gilderoy promena son regard sur la pièce d'un air peu appréciateur.
— Peut-être pourrions nous discuter dans un espace plus accueillant, est-ce que le premier étage est dans le… même état ? osa-t-il.
— J'ai épargné ma chambre, lança le fantôme avant de le précéder dans l'escalier.
À suivre...
