20h30. Assise sur sa terrasse pour contempler les couleurs d'un ciel orangé, Candice sauta sur son portable qui vibrait. Ah… Son écran laissait apparaître une réponse de sa sœur: «Je suis sur Bordeaux depuis 3 semaines, j'ai pas de nouvelles. Dsl. On se rappelle vite.». Bon, au moins c'était clair, sa sœur ne connaissait toujours pas la stabilité et ce n'était pas elle qui l'aiderait dans sa quête… Bon, et accessoirement, elle n'était toujours pas invitée au mariage... Candice soupira, désespérée par cette angoisse qu'elle n'aurait jamais imaginé si vivace... Soudain, elle entendit la porte d'entrée claquer, annonçant une large vague de réconfort dans laquelle la blonde avait besoin de se jeter. Elle se leva et approcha un Antoine physiquement éreinté par cette longue journée.
«Salut! entendit-elle joyeusement. T'as passé une bonne journée? demanda-t-il en l'embrassant tendrement.
Fébrile, Candice acquiesça doucement en enserrant sa taille pour un câlin.
Ouh là… Ça n'a pas l'air d'aller…
La blonde haussa les épaules avant de le fixer.
- Bof...
- Qu'est-ce qui se passe chérie?
- Bah... Je suis un peu inquiète pour ma mère en fait. Tu sais, je lui ai envoyé un message y a quelques jours et elle me répond toujours pas… Elle a pas répondu à Emma non plus et Bélinda est à Bordeaux, elle en sait pas plus…
- T'as essayé d'appeler ses copines?
- Je sais pas comment les joindre... Puis tu sais, elle a déménagé toute seule à la campagne pour trouver du calme alors, elle est plus isolée maintenant…
- Hum…
- Je voulais lui annoncer pour le mariage, en fait... confessa-t-elle à voix basse.
- Ah bah quand même! Ça fait 6 mois que tu repousses l'échéance…
- Je sais… Je voulais pas lui dire parce que… parce que j'avais peur de sa réaction quoi...
- J'ai presque cru que t'avais honte de moi…
- Mais pas du tout! Enfin, Antoine!
- Bah je sais pas…
- C'est juste que… Elle est pas venue à mes deux premiers tu vois… Laurent, elle pouvait pas le supporter parce qu'elle disait qu'il m'avait poussé à partir à Paris et… Max, je lui avais jamais parlé de lui alors quand je lui ai parlé du mariage, elle l'a mal pris… Et je sais pas… Comme les tensions s'étaient atténuées depuis la naissance d'Éloïse, j'espérais qu'elle serait à mes côtés pour celui-là quoi…
- Bah oui, c'est normal…
- En plus, toi c'est pas pareil, elle te connaît quand même. Et elle sait que ce qu'il y a entre nous est sincère…
- Oui enfin, on s'est vus peut-être trois fois, Candice. Et c'est à peine si elle m'a adressé la parole…
- Mais tu sais comment elle est… Puis là c'est dans presque trois semaines et… elle me répond pas… C'est pas normal, Antoine.
- Ça se trouve tu t'inquiètes pour rien…
- J'ai un mauvais pressentiment… Est-ce que… commença-t-elle d'une moue enfantine. Est-ce que tu pourrais pas essayer de borner son portable?
- Candice… souffla-t-il.
- S'il-te-plaît, chéri. Je sais que c'est hors procédure mais s'il lui est arrivé quelque chose de grave, je m'en voudrais d'avoir rien fait…»
Hésitant, Antoine posa ses yeux sur elle, ému par sa fébrilité. Certes les relations mère-fille étaient parfois compliquées, mais là, on était sur un record. Un imbroglio qui datait d'une trentaine d'année, à peine apaisé et toujours douloureux…
«Puis un lundi à 21h à la BSU, doit pas y avoir grand monde… Non?
- T'es chiante, hein !»
Et comme d'habitude, Candice avait eu gain de cause et les deux foulaient désormais les escaliers de cette BSU complètement vidée de sa substance.
«Tu vois, y a personne!
- Oui enfin, l'hôtesse d'accueil a pas très bien compris ce qu'on venait faire ici tous les deux quand même…
- Tu t'en fiches. C'est toi le chef… sourit-elle en s'accrochant à son bras.
- C'est moi le chef… acquiesça-t-il en ouvrant la porte de son bureau.»
Rapidement, Antoine alluma l'ordinateur et prit place sur son fauteuil. Et dire qu'il n'avait eu à peine que 20 minutes de répit chez lui, soupirait-il alors que la blonde s'appuyait sur le dossier du siège.
«Alors? demanda-t-elle pressante.
- Deux secondes, j'arrive à peine sur le logiciel là…
- C'est long…
- Oui bon… T'as le numéro?
- Oui! Tiens!
Antoine récupéra son post-it et tapota sur son clavier sans engouement.
- J'te jure que si j'ai des ennuis, je veux plus jamais entendre parler de ta mère… grommela-t-il.
- Oui et si elle a des ennuis, on entendra plus jamais parler d'elle, ça c'est sûr…
- Roh! Tout de suite… souffla-t-il en tapant sur son clavier.
- Alors?
- Hum… Apparemment, ça borne ici.
- C'est chez elle ça…
- Mais le dernier signal remonte à 4 jours.
- 4 jours?! Non mais c'est pas possible, il se passe quelque chose Antoine.
- Hum… Sauf que, depuis, personne n'a signalé sa disparition.
- Imagine qu'elle soit morte dans son salon, paniqua-t-elle les yeux humides.
- Non mais c'est pas possible Candice, ta mère a des amis. Quelqu'un doit bien savoir quelque chose quand même!
- Pourtant, personne m'a rien dit…
- Bon, on commande pizza et on rentre réfléchir?
- Ok… accepta-t-elle difficilement alors qu'Antoine se relevait à son niveau.
- Allez, ça va aller… chuchota-t-il en embrassant son crâne.»
Et c'est une blonde pas plus rassurée qui observa son futur mari récupérer un dossier hasardeux dans l'étagère. Bah oui, il ne fallait pas paraître louche auprès de l'hôtesse d'accueil… Et dans un silence pesant, les deux quittèrent la BSU, et ce soir, Candice ne prit même pas la peine de débattre la saveur de la pizza à choisir… Définitivement, elle était secouée. Secouée par le silence de sa mère, secouée par ses sentiments d'abandon familial qui refaisaient surface et secouée par ce mariage qui ravivait en elle les pires angoisses…
Et depuis qu'ils avaient pris place dans le salon, Antoine n'avait pas quitté des yeux sa compagne. Devant elle, sa part de pizza avait à peine été touchée. Et Candice semblait avoir fait le choix du silence…
«Au fait, t'as vu? tenta Antoine tout sourire. Jules a envoyé des propositions de menus pour le repas. J'aime bien le deuxième…
Pas de réponse…
Ok… soupira-t-il en faisant claquer le téléphone sur la table.
- Hein?
- Nan j'te parle du mariage mais visiblement tu t'en fous…
- Pardon, j'étais ailleurs je… j'arrive pas à décrocher de cette histoire.
- Bah j'vois ça oui…
- Je crois que je vais y aller…
- Quoi?
- À Valenciennes. Je vais y aller… Je peux pas rester là sans rien faire, Antoine.
- Mais tu vas pas partir là-bas à 3 semaines du mariage?! s'offusqua-t-il.
- Mais qu'est-ce que tu veux que je fasse d'autre?! C'est juste le temps d'un aller-retour…
- Bien sûr… marmonna-t-il.
- Je serai largement rentrée avant hein…
- Mais rien n'est prêt Candice!
- Mais ça va! On a encore le temps…
- Si tu le dis…
- Je te promets que ce sera pas long…
Il tiqua, farouchement contre cette idée.
Quoi?
- Je… C'est juste que je sais pas si c'est une bonne idée voilà…
- De quoi?
- Non rien…
- Bah si ! Vas-y, dis!
- J'ai pas envie de te ramasser à la petite cuillère c'est tout. Je sais qu'avec elle c'est compliqué…
- Mais peut-être que là, il se passe quelque chose de grave… Puis je suis détective aussi, c'est mon métier.
- Détective, d'accord. Mais là, t'es juste une détective beaucoup trop impliquée dans une affaire qui te tient beaucoup trop à cœur. Et moi, j'aime pas ça… Puis tu vas être toute seule à l'autre bout de la France je… j'serais pas là, Candice.
- Mais j'suis une grande fille. Je saurai me débrouiller.
- Je parle pas que de ça, et tu le sais très bien.
- Je te promets que je saurais faire la part des choses. Et si ça peut te rassurer, je demanderais à Stanislas de venir avec moi. Je crois qu'il bosse toujours là-bas.
- Me rassurer? Vraiment?
- Bah quoi?
- Rien…
- T'as peur que je succombe à son charme? minauda-t-elle.
- Pas du tout! Enfin… Lui en tout cas, y a peu de doute sur la question…
- Oui puis c'est vrai que c'est avec lui que j'ai passé une nuit fabuleuse dans un des meilleurs hôtels de la ville, j'avais oublié…
Amusé, il ricana doucement avant de la fixer.
- J'ai juste pas envie que cette histoire te retourne le cerveau… J'ai rien contre ta mère, mais à chaque fois que tu retournes dans ton passé, ça te fait mal. Puis là, tu pars toute seule lui annoncer qu'on est censés se marier, je…
- On est pas «censés» … On va se marier.
- Ouais… Bah on en reparlera après ton séjour dans le nord.
- Oh! Antoine! Sérieusement, tu me fais pas confiance?
- Si.
- Je te dis que ça va aller. Je sais faire la part des choses maintenant et j'ai mis de côté certaines culpabilités. Tout va très bien se passer…
- Hum…
- Et je t'appellerai super souvent!
- Y a intérêt! l'embrassa-t-il tendrement. Maintenant mange ta pizza.
- Mais j'ai une valise à faire!
- T'as même pas pris ton billet de train…
- Tu peux me le prendre? Le plus tôt sera le mieux.
- Et pour te déplacer là-bas, tu vas faire comment? cria-t-il pour qu'elle entende depuis la chambre.
- Je me débrouillerai! »
Agacé, Antoine hocha négativement la tête. Il récupéra son téléphone portable et lança l'application de la SCNF. Ok, là il était à deux doigts de mentir et de faire croire que tous les trains étaient complets mais… qu'importe? Candice finirait bien par trouver une solution pour s'y rendre. Mais lui n'aimait pas ça. Pas à trois semaines du mariage et pas quand Candice semblait totalement déconnectée de toutes ces préparations. Et pourtant, il était loin de s'imaginer que cette déconnexion s'expliquait par ces non-dits familiaux qui pesaient dans son cœur depuis bien trop longtemps. C'était simple, si pendant longtemps Candice avait voulu rompre avec son passé pour se protéger, il fallait peut-être faire taire quelques animosités et renouer avec ces quelques personnes qui n'étaient en rien coupable dans le décès de son père. Pardonner, renouer et inviter… Voilà les 3 mots qui la guideraient dans cette quête. Et au fond, elle espérait que ce n'était pas déjà trop tard…
