Dans son bureau, Antoine semblait concentré sur le récit de son capitaine. Une sombre histoire de vols à mains armés dans une supérette de la ville. Un règlement de compte quoi, releva Antoine sans grande conviction. Et face à lui, Marquez riait de la façon dont Ismaël était intervenu pour neutraliser le suspect, provoquant un rire du commissaire qui cessa rapidement de briller face au texto de sa compagne. Il s'excusa et lut la notification sur l'écran avant de souffler: «Bien arrivée. Je t'appelle tout à l'heure. Bisous!».

«Qu'est-ce qu'il y a? l'interrogea Armand avec inquiétude.

- Candice vient d'arriver à Valenciennes, pesta-t-il.

- Ah bon? Qu'est-ce qu'elle va faire là-bas?

- Régler un problème avec sa mère…

- Et c'est pas bien?

- Partir voir sa mère à moins de 3 semaines du mariage, non c'est pas bien non… grimaça-t-il.

- Aïe…

- En même temps… Je me demande si elle veut toujours se marier tu vois…

- Pourquoi tu dis ça? s'étonna-t-il.

- Bah je sais pas je… J'ai l'impression qu'elle s'intéresse pas aux préparatifs en fait… Alors ok, on a dit un truc simple et convivial… Mais, elle a pas encore de robe et ça l'affole pas quoi!

- C'est peut-être simplement sa façon de réagir face à l'angoisse…

- La procrastination? ironisa-t-il.

- Y en a qui fonctionne comme ça tu sais…

- Non mais imagine si elle me dit non finalement… Ou pire, si elle se pointe pas à la mairie… Je vais pas avoir l'air con moi…

- Tu dramatises là… C'est juste que Candice, l'organisation c'est pas trop ça… Mais je suis sûr que tout sera prêt à temps…

- Ouais…Bah tout sera peut-être prêt… sauf elle…, conclut-il durement. »

...

La blonde rangea son téléphone dans sa poche et quitta la gare de Valenciennes sac de voyage en main. Elle traversa la grande route et tourna à droite avec conviction. Visiblement, son chemin était déjà tout tracé dans son esprit et son lieu de destination se dessinait déjà à l'horizon. Quelques mètres plus tard, elle débarqua avec angoisse devant la façade d'un concessionnaire automobile vieillissant. Le plus dur avait été fait et désormais, Candice devait puiser dans son courage pour trouver la force de passer la porte en ferraille verte. Elle inspira bruyamment et fit quelques pas avant d'être interpellée par un grand blond qui d'apparence, frôlait la cinquantaine.

«Bonjour! Je peux vous aider? lança-t-il d'une grande amabilité.

- Bonjour… Fred… marmonna-t-elle difficilement. Tu te souviens de moi?

- Euh… balbutia-t-il surprise. Candice?!

Elle sourit doucement sans engouement avant d'approcher pour se justifier.

- Je… Je suis désolée de faire irruption comme ça, sans prévenir. Ton père est là?

- À l'étage oui, répondit-il durement.

- Je savais pas que tu avais repris la concession.

- Disons que j'ai pas eu trop le choix… Tu connais ton oncle, il est attaché à la tradition familiale.

- Oui…

- Qu'est-ce qui t'amènes?

- J'ai pas de nouvelles de maman depuis quelques jours et je m'inquiète un peu en fait...

- Parce que tu crois que nous on en a?! s'exclama-t-il avant d'éclater de rire. Son frère a été le seul à la soutenir à la mort de ton père et pourtant, elle a pas hésité à lui mettre un beau couteau dans le dos…

- De quoi tu parles?! s'étonna-t-elle.

- Des 5000 euros que papa lui a prêté sous prétexte qu'elle lui rembourserait. Et bah figure-toi qu'on attend encore l'argent, hein !

- Je savais pas…

- Bah non, t'étais plus là Candice.

- Je suis désolée…

- Donc non, on a pas de nouvelles de ta mère, non.

- Je comprends… Et… Est-ce que… Est-ce que vous pourriez me prêter une voiture? Juste le temps que je me rende chez elle. J'ai plus personne ici à part vous et…

- Mais tu nous as pas donné de nouvelles depuis des années… Je comprends pas…

- Je sais. Et je m'en excuse. C'est juste qu'à la mort de papa, il fallait que je parte… et que je quitte tout ce qui me rappelait à lui.

- Et suivre ton mari aussi…

- Oui…

- Donc je suppose que Laurent va bien?

- On a divorcé. Après dix ans de mariage et quatre enfants mais… on a divorcé quand même.

- Je savais pas…

Elle haussa les épaules, fataliste.

- Tu sais, je suis vraiment désolée Fred. Et pendant toutes ces années, je m'en suis vraiment voulu parce qu'on m'a toujours désignée coupable de la mort de mon père. À cause de moi la famille a volé en éclat et… j'ai pas su réparer. Alors à part partir, j'ai pas su quoi faire…

- Ta mère a été dure avec toi. J'aurais aimé que les choses se passent autrement, c'est tout…

- Ouais… sourit-elle. Et maintenant que je suis là, je voudrais juste saluer ton père. Le voir cinq minutes, si c'est possible…»

Le blond prit une grande inspiration avant d'acquiescer difficilement. Et lui imaginait déjà la réaction de son ancien. Et elle, se demandait bien pourquoi elle avait eu cette idée saugrenue de forcer cette rencontre… Inquiète, l'ex-flic suivit son cousin dans des escaliers étroits. Rapidement, la porte s'ouvrit sur un salon silencieux dans lequel un monsieur âgé trônait, journal en main. Le grincement du parquet le sortit de sa torpeur.

«Papa?

- T'es pas avec les clients?! maugréa-t-il sans quitter sa lecture.

- Disons qu'on a eu une cliente un peu particulière…, expliqua-t-il en laissant apparaître Candice devant lui.

- Qui c'est?!

- Euh… c'est moi, Candice…»

Perplexe, l'homme se redresse d'un coup et ferma violemment son journal avant de toiser la détective qui ne faisait pas la fière. Devant lui, une blonde gênée se tenait bras ballants, sac bleu en main et sac de voyage au sol. Quelques longues secondes silencieuses s'écoulèrent avant qu'il n'ose détourner le regard vers la fenêtre encastrée à sa gauche. Elle déglutit, ne sachant quelle méthode elle devait utiliser pour détendre l'atmosphère.

«Bonjour tonton… Euh… Je suis désolée de passer à l'improviste comme ça…

- Qu'est-ce que tu veux?

- Une voiture, intervint Frédéric.

L'homme éclata de rire avant de fixer la blonde qui sentait ses yeux s'inonder de larmes.

- Décidément, c'est pas le culot qui vous étouffe dans cette famille…

- Si tu veux parler des 5000 euros de maman, j'étais pas au courant.

- De ça et de ta sœur aussi.

- Bélinda?

- Oui Bélinda… Non parce qu'elle a été bien contente d'avoir un toit où dormir quand elle avait plus un rond, mais pour dire merci, là y avait plus personne! De toute façon dans cette famille vous savez faire que ça, venir pleurnicher pour de l'aide. Mais pour le soutien et le respect, y a personne hein! cracha-t-il durement pour laisser exploser sa rancœur.

- Je suis pas là pour demander l'aumône. J'avais juste besoin qu'on me dépanne d'une voiture et je me suis dit que c'était l'occasion pour qu'on se revoit parce que le passé devenait pesant. J'ai cru que vous auriez gardé un semblant de générosité mais visiblement, je me suis trompée. C'est pas grave, je vais me débrouiller. Je vous souhaite une bonne journée, laissa-t-elle sortir durement avant de tourner les talons bruyamment.

- Attends! cria une voix rauque pour l'arrêter.

Candice se crispa du haut des escaliers, attendant que son oncle continue son discours.

Pourquoi maintenant? Après toutes ces années?!

- Parce que maman a disparu et qu'accessoirement j'en ai marre de vivre avec le poids du passé sur mes épaules.»

...

Postée devant un vieux buffet en bois, Candice observait les photos en souriant. Certaines de Fred enfant, d'autres plus vieilles, laissant les souvenirs du passé revenir à la surface. Cela faisait presque 40 ans. 40 ans qu'elle n'avait pas mis les pieds ici, parlé à sa famille, rigolé autour d'un repas dominical copieux et alléchant. Et pourtant, ces seize années passées à Valenciennes demeuraient indélébiles. Il y avait eu du bon, du moins bon, du très mauvais même… Et justement, c'est ce très mauvais qui prenait largement le dessus. Et aujourd'hui, alors qu'elle était à l'aube d'un nouveau chapitre de sa vie, elle voulait que le bon revienne supplanter le reste… Émue, elle fit volte-face alors que son oncle pénétrait à nouveau le salon.

«Assieds-toi!

- Merci… souffla-t-elle en tirant une chaise en bois.

Devant elle, Paul déposa une tasse de thé bouillante et revigorante. Il tira la chaise d'en face et s'installa à son tour.

- Et donc tes enfants vont bien ?

- Tu t'en rappelles ?

- D'Emma et Jules, oui, ta mère me montrait des photos. Et Belinda m'a dit que derrière il y avait eu des jumeaux.

- C'est ça. Et maintenant la famille s'est encore agrandie… Emma a eu une petite fille y a deux ans, Éloïse.

- Et là je me prends un coup de vieux monumental.

- Je sais. Moi aussi ça m'a fait drôle… Devenir grand-mère à 50 ans… Ça fout un coup.

- Ce qui est drôle aussi, c'est que tu te sois décidée à revenir en France…

Elle acquiesça en baissant la tête.

Qu'est-ce qu'il s'est passé?

- J'ai pas eu le choix tu sais. On a beaucoup voyagé avec Laurent et je passais mon temps à m'occuper des enfants. On a fini par atterrir à Singapour et Laurent m'a trompé… Ma vie a volé en éclat et j'ai décidé de reprendre les choses en main.

- T'as bien fait ! T'as toujours eu le cœur sur la main de toute façon… Tu méritais mieux qu'un homme malhonnête.

- Ouais, acquiesça-t-elle en frôlant sa bague de fiançailles. Donc j'ai récupéré un poste à Sète, dans le sud.

- Flic donc…

- Oui, toujours… Enfin, détective maintenant. J'ai quitté la police…

- Ah bon?!

- On m'a placé à un poste qui ne me convenait pas… Je voulais pas rétrograder. Donc j'ai choisi la reconversion.

- C'est courageux…

- Hum. C'est pas facile tous les jours mais je regrette pas ce choix. Puis les enfants sont grands. Emma est comédienne d'ailleurs, tu l'as peut-être déjà vu passer à la télé. Jules vient de rentrer à la maison après 5 ans au Japon en tant que cuisinier dans un grand restaurant. Et les jumeaux finissent leurs études.

- C'est ce que j'appelle une vie réussie quoi…

- Ouais, chuchota-t-elle les yeux rivés sur son annulaire gauche. Et justement… en fait… Je vais me marier…

- C'est pas vrai ?! lâcha-t-il de surprise.

- Si… Et il paraît même que c'est prévu pour dans 3 semaines…

- Dans 3 semaines?! Et t'es là ?!

- Ouais, rigola-t-elle. Je… Ça fait quelques temps que je traîne beaucoup de doutes et de regrets je… j'avais besoin de venir ici, de vous revoir, de prendre le temps de m'excuser. Je sais que ce que j'ai fait a été douloureux, pour tout le monde. Mais ça m'a trop longtemps bouffé et j'ai plus envie que ce soit le cas…

- C'est pour ta mère que ça a été le plus dur. Au début on a été très présent pour elle, tu sais… Puis, elle a changé. Elle s'est durcit et elle a perdu toute la gentillesse qui la caractérisait.

- Elle m'a toujours fait comprendre que j'étais coupable hein… enfin ça va mieux depuis quelques années mais j'ai l'impression que j'arriverai jamais à gommer totalement cette rancœur.

- C'est pour ça que tu la cherches ?

- Oui… Pour ça et… pour lui dire pour le mariage aussi…

- Je comprends.

- J'ai peur de sa réaction. Elle est tellement peu prévisible que… Puis tu vois, j'aimerais que pour une fois elle soit à mes côtés comme une mère devrait l'être…

- Hum… Je comprends mieux… On te prêtera une voiture alors, et si tu as besoin, il y a une chambre de disponible ici.

- C'est gentil… J'ai réservé une chambre d'hôtel pas loin pour ce soir. Mais si je dois rester ici plus longtemps, j'y penserai. Et ça me ferait vraiment plaisir…, sourit-elle en attrapant sa main chaleureusement.

- À nous aussi, Candice.

- Merci…»

Profondément émue, Candice essuya la larme qui menaçait de dévaler sa joue alors que son cousin faisait irruption dans la pièce.

«J'ai loupé un épisode? s'amusa-t-il en les voyant au bord des larmes.

- J'ai proposé à Candice de rester dormir ici…

- Tu restes longtemps?

- Je sais pas… Ça dépendra de ce qu'il se passe avec maman… D'ailleurs, tu te rappelles de Stanislas Verner ? Vous étiez au lycée ensemble.

- Ouais, bien sûr…

- Tu sais s'il est toujours flic ici ? Je l'avais croisé y a quelques années pour une affaire.

- Je crois que oui! Il est venu ici y a quelques mois parce qu'on a tenté de cambrioler la maison.

- Super… Alors je vais aller le voir… Merci, sourit-elle en se levant de sa chaise.

- Et au fait, il s'appelle comment ?

- De ?

- Le futur époux.

- Ah…, sourit-elle tendrement.

- Tu vas te marier ?! s'époumonna son cousin.

- Oui… J'avais dit non pour un remariage et puis finalement…

- Être sûr de soi c'est l'essentiel.

- Ça n'empêche pas la peur…

- Et donc ?

- Il s'appelle Antoine, sourit-elle doucement. Mais je vous le présenterai, surtout si vous acceptez de venir dans 3 semaines…

- Avec ta mère ? Je sais pas si c'est une bonne idée tu sais…

- Peut-être qu'il serait temps d'enterrer la hache de guerre…

- On verra. Mais l'invitation est adorable. Fred ? Tu lui donnes les clés du Kadjar noir ?

- C'est parti, lança-t-il en ouvrant la marche, future madame... ? l'interrogea-t-il amusé.

- Ah non! Si je te le dis tu vas te moquer...

- Balance! ordonna Fred en rigolant.

Hésitante, Candice finit par craquer avec amusement.

- Dumas de L'Estang...

Et comme convenu, son cousin explosa de rire avant de se lancer dans une partie de taquineries monumentale.

- PAPAAAAA! meugla-t-il depuis le rez-de-chaussée, Candice va épouser un nôôôôble...

- T'es bête! »