Bonnet rose sur la tête, une blonde dynamique grimpait les marches d'un commissariat en effervescence. Concentrée sur sa discussion avec son interlocuteur, elle faillit heurter un brigadier alourdi par une pile gigantesque de dossiers rouges.
«Merde… grommela-t-elle. Pardon… Mais non c'est pas à toi que je parle Antoine… C'est au monsieur là… Quoi le menu ? Oui bon tu sais quoi, on en reparle, d'accord? Je dois te laisser là… Antoine…, lâcha-t-elle d'agacement en approchant le bureau de Verner. Mais oui, t'inquiète pas… Promis je ferai attention… Oui, moi aussi. Allez, bisous…»
Elle raccrocha avant de souffler bruyamment dans un sourire devant son coéquipier du moment.
«J'y peux rien, il est inquiet… ricana-t-elle en ôtant son manteau.
- Café? demanda Stanislas le sourire aux lèvres.
- Thé?
- Il y a aussi! lança-t-il en l'entraînant vers la pièce attenante. Et il est inquiet pour quoi? Le mariage ou cette histoire?
- Les deux… sourit-elle tendrement.
- En même temps, y a un des deux points sur lequel il n'aurait pas tout à fait tort…
- Ouais... Faut que tu me racontes en détail...
- Ok… acquiesça-t-il en lui tendant sa tasse. Mais avant de tout s'imaginer, faudrait être sûr qu'il s'agisse du même Roland Menaux. Y en a pas qu'un dans le nord…
- T'as des photos? Elle avait envoyé une photo d'eux deux à ma fille y a une quinzaine de jours… Je pourrais tout de suite te dire…
- Bien sûr!»
Les deux quittèrent la salle de repos et regagnèrent l'espace principal avec engouement. Faut dire que ce genre d'enquête revenait grandement la transcender… Parce que oui, en toute honnêteté, si son cabinet de détective fonctionnait, il fonctionnait doucement, et ce genre d'enquête bien prenante lui manquait grandement… Anxieuse, la blonde tira le siège jusqu'à celui de Verner qui tapait le code d'entrée sur son ordinateur, prêt à lui montrer les différentes identités des Menaux. Et inévitablement, Magda semblait être tombée dans les filets du mauvais type. Celui désigné comme le «bandit du nord» suite à ses coups tordus à répétition…
«Flatteur, ironisa Candice en se frottant le front. Mais je comprends pas… Pourquoi il est dehors si vous savez qu'il est coupable?!
- Parce qu'on a jamais pu le prouver, Candice. Il est malin… Il n'agit pas directement… Mais plusieurs enquêtes remontaient jusqu'à lui, à chaque fois. Et des enquêtes qui datent d'il y a plus de 30 ans, même!
- Et sa situation actuelle? Ça donne quoi?
- Célibataire… Enfin divorcé, du moins. Sans enfants. Enfin, sans enfants connus et déclarés plutôt. Parce que vu le nombre de conquêtes à son actif… Ce serait pas étonnant qu'il ait laissé derrière lui un gosse.
- Oui enfin, vu son âge, le potentiel gosse devrait avoir à peu près le nôtre maintenant…
- Ouais… grommela-t-il.
- Et son ex-femme alors? Qu'est-ce qu'elle dit?
- Elle dit plus rien… Elle est décédée il y a trois ans, d'un AVC.
- Ils étaient encore mariés à l'époque?
- Non. Plus depuis 2020. Elle avait porté plainte contre lui pour coups et blessures mais, ça n'avait pas abouti.
- Comment ça se fait?
- Aucune preuve tangible. L'avocat de l'accusé a plaidé non-coupable en justifiant que la femme voulait juste s'attaquer à son patrimoine. La pauvre s'est ruinée en frais d'avocats pour finir sur la paille. Et honnêtement, je soupçonne que l'incendie de la maison de son fils ait été provoqué par Menaux…
- Qu'est-ce que c'est que cette histoire?
- Au moment de leur mariage, elle avait un fils né d'une précédente union. Quand elle a rencontré Menaux, elle était veuve la pauvre. En fait, il a comblé tout le manque qu'elle avait suite à la mort de son mari. Il lui donnait tout, l'emmenait dans des hôtels de luxe… La vie de princesse quoi. Elle y a cru. Mais le rêve s'est vite transformé en cauchemar. Menaux se montrait de plus en plus rude, distant. Ils se sont mariés sous le régime de la communauté universelle en plus, donc t'imagines le bordel.
- Ouais… Le type avait tout prévu…
- Et des histoires comme ça, je pourrais t'en raconter des dizaines! Chaque fois, c'était la même rengaine… Sauf que là, il avait pas prévu que le fils découvre ses magouilles. Il a tout fait pour qu'un article sorte dans la presse contre lui. Ça a marché et… 5 jours après, sa maison a été incendiée. Il a tout perdu. Et on a jamais pu prouver que c'était lui…
- Ok, encaissa-t-elle difficilement. Donc là, t'es en train de me dire que c'est au tour de ma mère de subir le même sort?!
- Si tu me dis qu'ils sortent ensemble… J'en ai peur…
- Mais je comprends pas, soupira-t-elle. Ma mère a pas de patrimoine. Qu'est-ce qu'il cherche?!
- Il cherche la faiblesse des gens Candice. Ta mère a dû laisser entrouvrir une faille et Menaux s'y est glissé… Pour l'instant c'est que le début mais, s'il va plus loin, c'est toute votre famille qui sera touchée. Et ça risque de laisser des traces indélébiles…
Elle déglutit, profondément angoissée.
- Faut qu'on la retrouve… Faut lui dire de tout arrêter, je…
- Sauf qu'il faut y aller doucement. Elle doit être sous son emprise et vu votre passif, tu sais bien qu'elle t'écoutera pas.
- Mais je peux pas prendre le risque de laisser cet homme approcher notre famille alors que je vais me marier… Je… Pourquoi elle, bon sang?!
- Désolé, c'est une question qui va sûrement te paraître indiscrète mais… y a un patrimoine chez vous…?
Gênée, Candice baissa la tête en haussant les épaules.
- Chez nous, non… Pas vraiment… Mais chez Antoine, issu d'une famille Dumas De L'Estang, à ton avis…?
- Et bah on y est… souffla le commandant avec dépit.
- Mais il le connaît pas, je…
- Mais ta mère elle le sait, non?
- Oui, soupira-t-elle. Et elle adore me rappeler que je ne dois pas oublier d'où je viens… Alors que c'est la première à aller chercher des hommes riches et généreux quoi! pesta-t-elle. Puis, Antoine n'est pas comme ça de toute façon…
- Hum. Donc il a dû se renseigner sur votre famille et la machine a commencé…
- Alors il faut l'arrêter avant qu'elle n'ait le temps de sévir!»
...
Devant le commissariat, Candice appuya durement son corps contre ce mur grisé par le temps, alourdie par le poids de la culpabilité et de l'angoisse. L'angoisse de savoir sa mère entre les mains d'un pervers narcissique prêt à tout pour détourner les fonds de ses proies affaiblies. L'angoisse de ne pas savoir gérer, et pire, de ne pas pouvoir résoudre la situation aussi… Et comme à chaque fois, elle attirait les ennuis sans aucune complexité. Et encore une fois elle allait apporter du malheur chez les siens au moment le plus important de leur vie. Laconiquement, elle sortit les mains de ses poches et osa demander une cigarette à l'hôtesse d'accueil qui semblait en pause. Elle joignit le bâton blanc à ses lèvres et inspira longuement en songeant à son amoureux. Épouser cet homme apparaissait désormais comme un risque de l'exposer au danger de cette mante religieuse qui sévissait sans tracas. Mais comment lui avouer?! Antoine allait probablement la détester… Et la dernière chose qu'elle voulait après tout ça, c'était le perdre… Et repousser la date alors que l'échéance était encore lointaine, cela allait… Mais à 3 semaines, tout cela semblait bien compliqué…
Rapidement, un brun passa la porte et l'approcha doucement, l'air pas vraiment plus emballé que le sien…
«Ça va?
- Hum…
- T'as prévenu ton futur mari?
- Bah non… s'indigna-t-elle. Tu veux que je l'appelle pour dire quoi? «Oui, bonjour chéri, pas besoin d'aller chez le fleuriste ce soir puisqu'on ne va pas se marier finalement…». Ah, là il va adorer, c'est sûr...
- Tu crois pas que c'est un peu radical non? À 3 semaines de la date où tout est prévu ?!
- Ah bah c'est certain que vu l'engouement qu'il met dans l'organisation de l'évènement, il risque d'être déçu… Mais je… je laisserai pas ce type approcher notre famille… Je veux pas être responsable d'un désastre… cracha-t-elle les larmes aux yeux. Pas encore!
- Eh… De quoi tu parles?
- Mais de moi, Stanislas! s'époumonna-t-elle en larmes. À chaque fois c'est pareil… Je… J'suis toxique pour lui. Je lui apporte que des problèmes.
- Alors il faut régler le problème avant.
- Et comment?! Toi-même tu sais qu'elle m'écoutera jamais.
- On le saura pas tant qu'on aura pas essayé… Et toi, vu ton état, tu sais très bien que sans le soutien d'Antoine, tu y arriveras pas.
- Ça je gère! affirma-t-elle avec aplomb.
- Alors qu'est-ce qu'on fait?
- T'as l'adresse de Menaux non? Alors on peut passer chez lui et demander au voisinage s'il y a eu du mouvement.
- Ok… Mais je vois pas ce qu'on pourrait y trouver.
- Je voudrais juste m'assurer qu'il n'a pas enfermé ma mère dans son palais doré.
- Alors allons-y!»
...
Sur fond d'une musique à peine audible, Candice regardait désormais le paysage défiler à toute vitesse derrière sa fenêtre. L'ambiance n'était clairement pas à la joie et elle se perdait entre l'envie de sortir sa mère de cette histoire et celle de se préoccuper de son compagnon. Et visiblement, dans le sud de la France, lui aussi pensait à elle, conclut-elle en sursautant face à la sonnerie de son téléphone. Antoine… Elle fixa difficilement la photo avant de faire taire la sonnerie en enfournant l'appareil dans son bonnet.
«Tu réponds pas? osa Stanislas.
- Non… souffla-t-elle sans amabilité.»
Et de l'autre côté, lui aussi soupira face au silence de Candice. Elle qui avait promis de «l'appeler super souvent», dérogeait déjà à sa promesse… Alors il se contenta de tapoter son message dans un engouement mesuré.
Le téléphone bipa à nouveau, laissant Candice le sortir de son nid pour aviser les mots de son chéri: «Au fait, pour les fleurs ce soir, tu penseras à me donner quelques indications sur la forme, les couleurs ou le modèle que tu veux… Y a des compositions toute faites sur leur site internet. Jette-y un oeil et tu me diras… Qu'on soit un peu raccord. Bon courage pour aujourd'hui. Je t'embrasse.». Elle souffla, le cœur serré par son manque d'engouement qui ne cessait désormais de s'élargir… Et s'il y en avait bien une qui ne manquait pas de joie face à l'évènement, c'était sa belle-mère qui s'était attribuée le rôle de wedding planneuse sans le plébiscite de qui que ce soit. Et elle aussi était justement en train de penser au mariage, constata Antoine en avisant un appel entrant de sa part. Il décrocha, songeant déjà au mensonge qu'il allait délivrer pour esquiver cet appel.
«Allô?! Qu'est-ce qu'il y a? J'ai pas le temps, j'entre bientôt en réunion là…
- C'est juste pour te rappeler qu'à 15h tu as rendez-vous pour ton costume!
- Oui bah je sais. J'ai pas oublié hein…
- Non parce que c'est le dernier moment pour refaire des retouches si besoin, vu les délais, après ce sera trop tard…
- Je sais… Tu me l'as déjà dit une dizaine de fois maman…
- Oui. Et à 19h, le fleuriste vous attend.
- J'ai pas oublié non plus, t'inquiète pas.
- Alors justement pour les fleurs, ce serait bien de choisir des fleurs de la même teinte que la décoration du domaine que je vous prête hein. Histoire que ça fasse pas trop dépareillé…
- Oui oui…
- Et Candice sait ce qu'elle veut pour son bouquet?
- J'en sais rien, maman…
- Mais vous communiquez pas là-dessus ou quoi?! La composition florale c'est l'élément clé d'une cérémonie réussie. C'est pareil, Suzanne, faudra qu'elle porte des pétales qui rappellent ces couleurs en tant que demoiselle d'honneur.
- Eh! On a dit simple et convivial! Là tu veux juste organiser ton mariage à toi… Sauf que moi, qu'il y ait des fleurs ou pas, bah je m'en fiche… Ça va pas changer le symbole de l'évènement.
- Oui enfin, il faut bien que ta femme choisisse son bouquet!
- Oui sauf que ma femme, comme tu dis, ne sera pas là ce soir. Donc je verrai ce que je fais.
- Quoi?! s'indigna-t-elle. Mais qu'est-ce qu'elle a de mieux à faire que s'occuper de son mariage?!
- Ooooooh, souffla-t-il. C'est bon. Écoute j'ai pas le temps là. Et t'inquiète pas, je sais gérer mes rendez-vous.
- Et bah faudra peut-être apprendre à Candice comment on fait alors! D'ailleurs, la liste d'invités, elle est où?! Qu'on sache la disposition des tables et puis…
- Bon tu sais quoi? On en reparle, la coupa-t-il sans scrupules. Je suis occupé, salut.
- Antoine!»
Il raccrocha, énervé. Sa mère n'avait peut-être pas totalement tort en affirmant que Candice se montrait bien peu investie dans l'organisation de l'évènement. Mais peut-être fuyait-elle l'angoisse que lui procurait Isaure en codifiant le mariage selon ses goûts et ses couleurs… Et de toute façon, là, Candice avait la tête bien ailleurs...
