Téléphone mit de côté, la blonde épiait la grande demeure avec perplexité. Définitivement, Menaux n'était pas le plus pauvre de la ville… Et devant elle, s'élevait une façade à l'allure moderne, décorée par de nombreuses baies vitrées. Et visiblement, peu d'agitation semblait observable à l'intérieur de ces murs…
«On dirait que y a personne…
- On va demander aux voisins?
- Je sais pas, tiqua Stanislas. Imagine que l'un d'eux prévienne Menaux que des flics sont venus poser des questions sur lui.
- Mais moi, je suis pas flic!
- Et tu vas te présenter comment?
- Laisse-moi faire!
- Candice… souffla Stanislas avec inquiétude.»
La blonde dégrafa sa ceinture et se retrouva rapidement hors de l'habitacle. Elle avança devant son portail électrique blanc et déposa son doigt sur le bouton de la sonnette. Et comme prévu, personne ne répondit. Elle souffla, réajusta son sac sur son épaule et s'orienta vers les maisons voisines sous l'œil intrigué de Verner, bien planqué derrière son volant.
«Alors? la pressa-t-il en la voyant revenir dans la voiture.
- Alors Menaux est parti en vacances depuis 4 jours. Mais personne ne sait où. Par contre, ils disent qu'il y a souvent des allers et venues chez lui. Souvent des hommes avec des grosses mallettes. Bon, sûrement pour ses affaires…
- Et comment t'as fait?
- Je me suis fait passer pour une amie de Magda, sourit-elle fièrement. D'ailleurs, ils sont tous unanimes pour dire que c'est la seule femme qui passe ici ces derniers temps.
- Ok, acquiesça le brun. Et donc qu'est-ce qu'on fait?
- Bah… S'ils sont partis en voiture, c'est qu'ils sont pas partis si loin que ça. Faudrait regarder ses comptes en banque voir ses derniers versements. Peut-être qu'on peut trouver des réservations de logements en France ou à proximité. La Belgique est pas loin et… Anvers, c'est le paradis des pierres précieuses non?
Le policier souffla d'admiration face au monologue de cette blonde qui, à nouveau, se démarquait par toute sa perspicacité.
- J'peux me pencher dessus au commissariat oui…
- Ok! Et, tu peux me déposer chez mon oncle? Je lui avais promis un déjeuner…»
La blonde ne tarda pas à débarquer devant le concessionnaire familial qui respirait déjà l'odeur du repas convivial tant attendu. L'odeur du genre qui lui avait tant manqué pendant cette période d'éloignement forcé. Et aujourd'hui, alors qu'elle était à l'aube d'ouvrir un nouveau chapitre de sa vie, Candice voulait laver toute la haine qu'elle avait instauré contre son gré. Elle souffla en souriant et emprunta les quelques escaliers avant de frapper délicatement à la porte de l'étage.
«Bonjour! Bonjour! lâcha la blonde d'enthousiasme en ouvrant délicatement la porte après le feu vert de son oncle.
- Bonjour, sourit-il en l'embrassant chaleureusement. Ouuuh! T'as froid toi…
- Il fait pas chaud oui!
- Alors justement, sauté de veau maison pour se réchauffer, qu'est-ce que t'en dis?!
- J'en dis que c'est une super idée. En plus, c'est une tradition familiale ça. Maman adorait le cuisiner aussi…
- Hum, confirma-t-il. D'ailleurs, t'as des nouvelles?
- Ouais. Et elles sont pas très bonnes… Tu vois qui c'est Roland Menaux?
- L'escroc là?
- Ouais. Bah c'est son nouvel amoureux en fait… Et Stanislas m'a parlé d'anciennes enquêtes dans lesquelles il serait impliqué. Franchement, ça m'inquiète de la savoir avec lui comme ça alors qu'on a pas de nouvelles.
- Elle répond pas?
- Non. En fait elle est partie en vacances avec lui en laissant son téléphone chez elle. On pense que c'est un moyen pour lui de commencer son emprise. Il la coupe temporairement du monde, la couvre de cadeaux dans un palais doré et… voilà…
- Et lui, vous pouvez pas le localiser?
- C'est pareil. Son téléphone borne chez lui mais d'après ses voisins, ça fait quatre jours qu'il est parti...
- Et vous savez pas où?
- Non… Je dois aller voir les copines de maman tout à l'heure. Peut-être qu'elles sont au courant de quelque chose. Et Stanislas fouille dans ses relevés de compte à la brigade…
- Tu me tiendras au courant? Même si on est en froid, ça reste ma sœur et… la savoir dans de sales draps m'inquiète un peu.
- Promis! sourit Candice en s'installant à table. T'as besoin d'aide?!
- Non, cria-t-il depuis la cuisine. J'ai plus qu'à ramener le plat sur le four. J'espère que t'as faim. Y en a au moins pour 6 là!
- Fred est pas là?
- Y a un imprévu chez l'un de nos fournisseurs. Il a dû partir en urgence.
- Ah merde. Rien de grave?
- Non… Mais il est perfectionniste alors, il voulait absolument y aller.
- Je comprends! lâcha Candice dans un grand sourire.
- Hum… Mais nous, parlons plutôt de bonnes nouvelles… Ce mariage alors ? Je suppose que ça avance ?
- Hum… Oui… ça avance doucement…
- Oh… C'est un petit oui ça!
- Ouais… Je…. J'suis un peu perdue en fait. Puis l'histoire de maman n'arrange rien.
- C'est normal de stresser Candice. C'est pas rien non plus comme acte d'engagement… Mais la seule chose qu'il faut, c'est être sûr de soi.
- Baaah… Je sais que c'est lui et pas un autre, de toute façon…
- Eh bah voilà ! C'est ça qu'on veut entendre !
Elle rigola doucement, émue de partager cette discussion avec son oncle. Bah oui, c'était un peu le seul de la famille avec qui elle pouvait évoquer ses doutes finalement.
- Et alors, raconte ! Il est comment ? Vous vous connaissez d'où et depuis quand ?
- T'es curieux hein !
- Bah j'aimerais bien savoir qui compte épouser ma nièce quand même !
- Tu veux une photo ?
- Un peu, que je veux !
Amusée, la blonde fouilla dans la poche de son manteau et sortit son téléphone.
- Tiens… C'est lui là avec son verre de vin. C'était pour la saint Valentin, il m'avait organisé un pique-nique romantique au bord d'un lac… Il déteste les photos mais j'aime bien celle-là...
- Beau gosse, siffla Paul en réajustant ses lunettes sur son nez.
- Ouais, hein… Et il est parfait ! C'est quelqu'un de gentil, tendre, généreux, il est toujours là à prendre soin de moi… bon il a ses défauts hein mais… y a tout le reste et c'est ça qui compte.
- Je suis d'accord avec toi. Ce qui compte, c'est qu'il soit là et qu'il te rende heureuse…
- Ouais… sourit-elle en baissant la tête d'émotion.
- Et vous vous êtes rencontrés comment?
- Au travail! Tu te rappelles, je t'avais dit que j'avais dû rentrer de Singapour parce que Laurent m'avait trompé. J'ai récupéré un poste à Sète et… Antoine y était capitaine.
- Et ça a été le coup de foudre…
- Hum… On peut dire ça oui, mais pas dans le sens auquel tu penses. C'était plutôt une foudre orageuse au début. Puis tu sais, j'avais été blessée par Laurent alors j'avais un peu scellé mon cœur… Mais bon, je niais l'évidence quoi…
- Faut dire que ce serait difficile de résister à un si joli sourire!
- Peut-être… Mais c'est un sourire collé sur une femme compliquée et avec un lourd passé tu sais. Alors lui, il subit…
- Si vraiment il subissait, il te passerait pas la bague au doigt dans 3 semaines, Candice.
- Hum, acquiesça-t-elle en baissant la tête. Et… Si ça se fait, vous viendrez alors?
- On y réfléchit oui…
- Parce que ça me ferait vraiment plaisir que vous veniez à la maison. Vous rencontreriez Antoine et… je pourrais vous présenter les enfants. Vous faire découvrir où on vit aussi… La ville est hyper chaleureuse et le climat est super agréable.
- Et ça nous ferait vraiment plaisir. Mais il faut qu'on s'organise ici et… qu'on discute avec ta mère avant. Je veux pas pourrir l'ambiance de votre fête.
- Je comprends… Vous pourrez nous dire au dernier moment de toute façon. On est pas à 2 couverts en plus.
- Bah oui!
- J'aurais tellement aimé que… que tata soit là aussi, osa-t-elle le cœur serré.
- Ah oui, justement!lança-t-il en se levant. J'ai retrouvé quelque chose pour toi…
- Ah bon ? s'étonna-t-elle en observant son oncle fouiller dans le buffet du salon.
- Elle aurait aimé que tu le récupères…
- Oh… s'époustoufla Candice en récupérant un pendentif doré gravé au nom d'Adeline. Merci… Je… Je suis désolée de pas être venu à son enterrement tu sais. J'ai toujours pensé qu'elle aussi m'en avait voulu d'être partie comme ça… Et tu vois, je me rends compte qu'en fait, j'avais tort…
- C'est à ton père qu'elle en a voulu. Et à ta mère aussi après… Tu lui as beaucoup manqué.
- J'aurais tellement aimé que les choses se passent autrement à la mort de papa.
- Sauf qu'on peut pas réécrire le passé et que c'est grâce à lui que tu es devenue celle que tu es aujourd'hui.
- Je sais… Mais j'ai loupé beaucoup de choses.
- Alors il est temps de se rattraper, lâcha-t-il dans un clin d'œil.
- Hum… Et tu sais d'ailleurs que… depuis tout ce temps, je me demandais si tu avais réussi à refaire ta vie…
- Pas vraiment. Enfin il y a eu quelques histoires oui. Mais personne n'a jamais réussi à remplir le vide qu'Adeline a laissé en partant.
- Je comprends.
- C'est pour ça, Candice. Il faut vivre. La vie est courte et elle peut basculer à tout moment.
- Ah ça ! Je suis bien placée pour le savoir…
- Donc c'est vrai ce qu'on dit ? C'est si dangereux que ça ce métier ?
- J'ai toujours été très exposée oui. Y a les menaces, les arrestations qui tournent mal, la détresse humaine aussi… Mais je suis forte tu sais.
- Jusqu'au moment où on trouve plus fort que soi.
- Hum... J'ai déjà failli y passer plusieurs fois. Enfin, si on enlève les quelques éléments isolés du genre «folle qui veut se venger avec des colis piégés», «attaque violente à main armé…». Y a vraiment eu 3 fois où j'ai cru que je m'en sortirais pas indemne.
- Ça m'intéresse!
Elle rigola doucement avant de se replonger dans ses souvenirs.
- J'ai survécu à une prise d'otage qui s'est terminée en drame. Un collègue y est passé mais j'étais pas loin d'y passer, moi aussi.
- Ça doit être dur de voir ses collègues partir comme ça…
- Ouais, confirma-t-elle en songeant à David. Puis tu sais, dans une équipe, tu noues des liens très fort alors quand du jour au lendemain tout s'effondre, tu perds un repère qui te maintenait en vie…
- C'est arrivé souvent?
- Non… Heureusement! Mais on peut pas contrôler la détresse ou la folie des autres… Tu sais, peu de temps après que je revienne à Sète, j'ai failli me prendre une balle. Un ancien militaire expérimenté qui voulait protéger sa famille. Nous on voulait l'arrêter… il a tiré et… Antoine s'est interposé entre nous.
- Il s'est pris une balle pour toi ?!
- Ouais… sourit-elle. Et je sais pas où je serai, s'il avait pas fait ce choix.
- Tu me rappelleras de le remercier bien fort alors !
- Pour lui c'était «normal»…, répondit-elle en haussant les épaules.
- Bah tu penses ! S'il était déjà amoureux…
- Léger, s'amusa-t-elle avant de s'assombrir. Et tu vois… cette plaquette de médicaments qui traîne au fond de mon sac, je la dois à la folie d'un collègue qui a tiré une balle dans mon thorax il y a trois ans.
- T'as eu des complications ?
- Quelques problèmes cardiaques que je dois surveiller tous les ans, mais ça aurait pu être largement pire. J'ai eu beaucoup de chance.
- Faut que tu prennes soin de toi, Candice.
- Je sais ! T'inquiète pas que j'en ai un à la maison qui me le répète sans cesse…
- Et il a raison ! Le pauvre, ça fait plus de dix ans qu'il vit avec l'angoisse de te voir tomber. T'imagines?!
- Oui… Alors qu'on soit clair, on est ensemble que depuis 3 ans. Avant c'était des montagnes de complications, rigola-t-elle. Et tu sais d'ailleurs que notre premier baiser c'était ici, à Valenciennes.
- Comme quoi! T'as pas que des mauvais souvenirs ici…
- Non c'est vrai… Alors tu vois, après tout ça, je vis, comme tu dis !
- Alors ne t'empêche pas d'épouser ce garçon à cause de la peur. De ce que j'entends, il a tout pour plaire et c'est tout ce que tu mérites.
- Je sais. Mais il y a cette histoire avec maman maintenant…
- Il est au courant ?
- Pas encore… Je sais pas comment lui dire… Lui il est à fond dans les préparatifs du mariage tu vois…
- Et toi t'as fui !
- Non c'est pas ça…
- Bah… prioriser ta mère à 3 semaines de la date ça y ressemble quand même.
- Je sais mais… J'arrive pas à gérer l'angoisse. Alors je recule mais… je peux pas reculer éternellement. Donc oui, partir loin c'était une solution comme une autre tu vois...
- Mais t'as conscience que le jour-j tu vas pas pouvoir dire «oui» à 800 kilomètres de la mairie ma chérie ?
- Bah oui, je sais bien... Mais si je lui parle de mes doutes, je vais le blesser… et j'ai pas envie de ça. Surtout que c'est moi qui l'ai forcé à me demander de l'épouser…
- Ohlala ! T'es bien comme ta mère en fait. Compliquée…
- J'ai même pas répondu à son message pour le fleuriste, soupira-t-elle.
- Et qu'est-ce que tu attends ?!
- J'en sais rien! Je... J'crois que j'ai besoin d'apaiser les choses avec maman avant de faire le grand saut
- Alors retrouve-la. Mets-toi au clair avec tes sentiments et tes envies. Et épouse moi ce garçon qui n'attend que ça !
- Ouais…
- Et préviens le. Il a le droit de savoir pourquoi tu restes si silencieuses.
- Mais je veux pas l'inquiéter...
- C'est à toi de voir, Candice!"
Oui, c'était vrai, c'était à elle de voir et pour elle, les choses étaient déjà toutes vues. Elle s'était entêtée à aider sa mère, alors elle le ferait. Puis, le rendez-vous n'était programmé qu'à 19h... Elle avait le temps de lui répondre, après tout, songeait-elle en dégustant son sauté de veau. Une vraie madeleine de Proust...!
