Isolé dans son bureau, le commissaire referma son dossier avec poigne avant de mettre en veille son ordinateur. Son horloge affichait 14h35 et s'il ne voulait pas être en retard, il devait partir maintenant. Puis ce n'était pas n'importe quel rendez-vous finalement, songeait-il sans quiétude.

«Antoine? intervint sa collègue en faisant irruption dans le bureau.

- Ouais Val? répondit-il en enfilant son manteau.

- Tiago est en salle d'interrogatoire. Qu'est-ce qu'on fait?

- Vous le cuisinez. Faut absolument qu'il nous dise où se trouve sa sœur… Sinon, on va pas réussir à faire parler les parents.

- Tu veux pas qu'on le laisse en garde-à-vue?

- Il a l'air fragile. La pression peut le faire craquer, surtout si vous vous y mettez à deux avec Ismaël.

- Ok!

- Vous me tenez au courant? J'ai un rendez-vous important là, déclara-t-il en checkant son portable.

- Plutôt un essayage costume, non?

Il rigola discrètement avant de relever la tête en acquiesçant.

- J'vois que tout le monde connaît mon emploi du temps par cœur.

- Baaaaah, Marquez en a parlé ce midi. Il t'attend là-bas je crois d'ailleurs. La boutique était à côté de là où on a interpellé le gamin.

- Ouais, il m'a écrit pour me prévenir. Il a déjà retrouvé JB apparemment.

- Bien! sourit-elle. Bon courage alors ! C'était clairement pas ma partie préférée du mariage ça…

- Hum… Mais j'crois que j'ai pas le choix d'y passer… Merci Val!»

La blonde déserta rapidement la pièce, laissant son chef à ses tergiversions. Lui partait réaliser son dernier essai costume alors même que sa future femme n'avait toujours pas de robe. Du moins, il osait espérer qu'elle y avait un minimum réfléchi… En tout cas, son message concernant les fleurs restait morne plaine, soupira-t-il d'agacement.

...

Assise dans ce salon à l'allure vieillissante, Candice se trouvait désormais envahie de flashbacks incessants de sa précédente visite en territoire valenciennois. Finalement, ce n'était pas si mal que Magda ait voulu quitter cette maison qui enfermait ses angoisses passées. Celle d'avoir imaginé sa mère coupable du pire concernant son amant. L'angoisse de mourir sous les coups tranchants d'Anne-Marie aussi, se rappela-t-elle d'un léger sourire en se remémorant son Antoine accourir à son chevet.

«Du sucre ou pas? cria une voix au loin.

- Jamais dans le thé, merci!

- Alors j'arrive…

- Merci Geneviève, sourit Candice en récupérant sa tasse.

- Avec plaisir, c'est pas souvent que la famille de Magda vient ici…

- Vu les circonstances…

- Hum.

- J'en reviens pas qu'elle vous ait caché son identité!

- Elle voulait soi-disant attendre d'être sûre avant de m'en parler. Tu parles, je comprends mieux maintenant! Tout le monde le connaît ici ce type. Et sûrement pas en bien… Puis maintenant qu'elle vit plus là, on voit moins ce qu'elle fait…

- Ça n'a pas été trop difficile son départ?

- Un peu… Mais après ce qu'il s'est passé avec Anne-Marie, elle s'est renfermée jusqu'à totalement vouloir s'isoler, tu sais...

- Dans sa maison de campagne à la sortie de la ville donc…

- Oui! Elle est petite mais sympathique. Tu y es déjà allée?

- Je l'ai vu en photo! Je suis passée devant hier, mais maman n'était pas là. Elle est partie en vacances avec Menaux d'après les voisins.

- Oh! Bah il a dû l'emmener dans son palace là!

- Son palace?

- Oui. Elle m'avait montré les photos d'une villa que son mystérieux amant possédait à la frontière belge.

- Vous pourriez nous la décrire? s'emballa Candice en reposant la tasse sur la table.

- Euh bah, j'suis pas certaine de bien m'en souvenir hein…

- Faites au mieux. J'aimerais vraiment la retrouver avant qu'il ne soit trop tard…

- Tu sais que si tu fais ça, elle va-t'en vouloir hein. Elle déteste qu'on se mêle de ses histoires.

- Je m'en fiche. Tant que je la protège…»

...

16h30. Candice roulait désormais en direction de la maison de sa mère, le cœur porté par l'espoir d'enfin achever cette histoire qui la travaillait. La blonde n'avait plus qu'un objectif en tête: faire comprendre à Magda les intentions frauduleuses de son amant et la convier à son mariage. Enfin, convier était un mot bien trop faible… Participer conviendrait davantage… Candice s'imaginait déjà les conseils francs et directs de sa mère sur le choix de sa robe. Elle s'imaginait aussi sa mère arriver dans cette pièce haute de la mairie, au bras d'Antoine. Oui parce qu'eux deux n'avaient plus de pères à leurs côtés. Et parce qu'eux deux n'avaient plus que deux mères bien trop différentes… L'une envahissante, l'autre si peu présente… Et Candice voulait que cela change. Et elle avait trois semaines pour le faire. Enfin bon, il allait peut-être falloir qu'elle prépare quelque chose pour le jour-j aussi…

«Merde!Les fleurs! » cria-t-elle dans l'habitacle en se souvenant du texto d'Antoine.

Elle avisa l'heure et pria pour que ce ne soit pas déjà trop tard, se jurant de répondre en arrivant chez sa mère. Elle n'eut pas le temps d'y songer davantage qu'un appel entrant de Stanislas se laissait apercevoir sur le tableau de bord.

«Allô? T'as eu les infos que je t'ai envoyée?

- Oui! On est dessus là, on vient de s'y mettre. Tu nous rejoins?

- Euh non… Je vais chez ma mère là…

- Hein? Mais pour faire quoi?

- Geneviève m'a dit qu'elle cachait toujours un double de ses clés quelque part dans le jardin. J'vais les trouver et je vais aller voir dedans. On sait jamais, si elle a noté quelque chose dans un carnet le concernant…

- Ok! Mais tu fais gaffe hein! On capte super mal là-bas.

- Mais oui! Si t'as pas de mes nouvelles d'ici 20h tu as le droit d'intervenir, ok?

- En trois heures de temps, j'espère que d'ici là tu auras terminé quand même.

- On se rappelle! A toute!»

La voix du flic disparut, ne tardant pas à être remplacée par une vibration sur le siège passager. Candice tourna la tête, constatant un sms de son chéri. Elle tenta tant bien que mal d'attraper son portable et jeta un œil furtif sur l'objet de la missive.

«C'est bon! J'ai mon costume pour le jour-j! Et d'après JB, je suis irrésistible dedans… J'espère que tu seras d'accord avec lui… Sinon, t'as pu regarder pour les fleurs? Le rendez-vous a été avancé à 18h… »

Elle rigola doucement face à la blague que lui imposait son amoureux qui visiblement cherchait la flatterie. Elle hocha négativement la tête, imaginant le costume qu'Antoine avait choisi pour l'occasion. Bon, cela n'allait pas vraiment le changer de ses habitudes, lui qui dormait presque en costume 3 pièces le reste du temps. Et ce n'était pas pour lui déplaire… Parce qu'il y a 12 ans, Candice était tombée amoureuse de son style motard décontracté et qu'après elle avait finalement embrassé sans mal son classicisme et de son élégance… Et en plus, comme d'habitude, sa patience à toute épreuve montrait qu'il était parfait…alors qu'elle, elle était en tort…! Vraiment, le mari rêvé, cet homme...

Le reste de la route passa rapidement et Candice ne tarda pas à stationner son véhicule devant les grandes barrières blanches qui scellaient la maison de sa mère. Frein à main serré, elle observa à sa droite la hauteur du muret qu'elle allait devoir escalader… Un vrai spectacle pour les voisins, soupirait-elle en dégrafant sa ceinture de sécurité. Bon, avant toute chose, mariage ou non, elle allait quand même zyeuter ce qu'il y avait sur le site du fleuriste. Elle préférait cela plutôt que d'avouer à Antoine que leur mariage était sur la sellette… Elle cliqua sur le lien du site et patienta difficilement face au navigateur qui semblait avoir du mal à trouver une connexion. Étonnée, elle posa ses yeux sur le haut de l'appareil qui prouvait le faible réseau internet de la zone. Stanislas avait donc eu raison, pesta-t-elle en annulant le projet. Décidément, voilà encore un signe que ce mariage ne devait pas avoir lieu… À moins que ce ne soit la maison qui était maudite… Elle bredouilla finalement quelques mots d'excuses à son compagnon et envoya le texto, agrémenté de quelques recommandations de couleurs sans réelles exactitudes. Les dés étaient jetés…

...

Antoine ouvrit le frigidaire de la cuisine sans grande conviction. Il grimaça face aux rangées vides qui s'offraient à lui. Bon, il fallait faire des courses, soupira-t-il en refermant le frigo. Mais vu la journée qu'il venait de passer, ce n'était clairement pas pour ce soir. Mieux valait commander… Il récupéra son portable et sourit discrètement, se rappelant ses longues soirées de célibataires qu'il avait subies dans sa petite maison de ville. Décidément, il n'y était plus habitué… Soudain, la sonnette d'entrée retentit, poussant le commissaire à ouvrir la porte qui donnait vue sur… un gros carton bien chargé à bloc.

«Coucou ! souffla Emma face à l'effort.

- Oh ! Bah c'était prévu?

- Nan je passais à l'improviste vous déposer les cartons de ballons. C'est mieux de tout stocker au même endroit.

- Attends je les récupère, s'empressa-t-il en prenant la pile de ses deux mains pour la rentrer dans la maison.

La jeune brune le précéda, avisant le calme qui régnait dans ce pavillon.

- Maman est pas là ?

- Ah…, sourit Antoine en se relevant. T'es pas au courant ?

- Non ?! De quoi ?!

- Ta mère a décidé de partir à Valenciennes, il y a deux jours…

- OH… C'est pour l'histoire de mamie ?

- Ouais…

- Et alors? Y a du nouveau?

- J'en sais rien. J'ai pas de nouvelles depuis ce matin… M'enfin bon, elle doit être occupé avec son Verner là, grommela-t-il en détournant le regard.

- Qui?

- Nan c'est le flic de Valenciennes. J'sais pas, ils se sont mis en tête d'aider sa mère parce qu'elle sort avec un escroc…

- C'est pas vrai…

- Hum, haussa-t-il les épaules.

- Et tu l'as laissé partir toute seule?!

- Bah fallait bien que quelqu'un reste pour gérer les rendez-vous importants non?! Puis on est en pleine enquête au commissariat. Je pouvais pas partir comme ça…

- Ouais… Bah je l'appellerai tout à l'heure alors. Et Jules est pas là?

- Non plus! Il est avec les jumeaux je crois. Ils devaient finir «un truc» pour le mariage aussi, s'amusa-t-il en mimant les guillemets.

- Un… Truc… répéta-t-elle avec incompréhension.

- Secret d'état, apparemment.

- Hum…

- Tu restes dîner?

- Oh non non! Sacha et Eloïse m'attendent. Je passais juste comme ça. Dans le premier carton, c'est la déco murale. Normalement y a tout. Et à gauche, y a les ballons et la déco de table. Il manque juste quelques petits pots de fleurs roses mais maman a du t'en parler.

- Euh non? De quoi?

- Bah tu sais, les pots de fleurs roses qu'on avait repérés. J'ai pu les commander. Ils arriveront un peu tard mais à temps pour le jour-j!

- Ah bah c'est super.

- Ouais, sourit-elle gentiment avant de poser les yeux sur une housse transparente posée sur le canapé. C'est ton costume?!

- Oui, je l'ai récupéré tout à l'heure. Il tombait nickel donc pas besoin de réajustements…

- Ah bah cool! Et alors le fleuriste du coup ?

Il rigola nerveusement avant de serrer ses mâchoires.

- Bah on avait rendez-vous tout à l'heure donc j'y suis allé tout seul. Je lui ai demandé ce matin ce qu'elle voulait comme compositions… Pas de réponse. J'ai même essayé de l'appeler deux fois dans le magasin. Je lui ai envoyé des photos aussi… mais rien…!

- Merde… T'as fait quoi du coup ?

- Bah j'ai rien pris, voilà, s'énerva-t-il en pestant.

- Elle abuse…

- Non, lâcha-t-il dans un rire jaune. Tu sais ce que je crois moi ? C'est que sa fuite à Valenciennes à 3 semaines du jour-j, ses oublis de rendez-vous traiteurs et fleuristes et son investissement proche du 0% dans l'organisation de l'événement, bah c'est juste qu'elle veut plus se marier en fait…

- Non mais tu sais bien que maman a un rapport compliqué à ce genre de choses. La dernière fois elle m'a dit qu'elle était très angoissée parce que c'était pas rien pour elle et…

- Mais c'est elle qui m'a forcé à l'épouser, la coupa-t-il en soufflant. J'sais même pas pourquoi j'y ai cru.

- C'est juste qu'elle a peur. Tu sais bien que dès que ça se concrétise, elle fuit…

- Ouais, grommela-t-il de nervosité. Alors que pour son précédent mariage elle a bassiné toute la brigade avec les préparatifs d'une cérémonie bidon ?!

- Arrête. Tu sais très bien pourquoi elle se comportait comme ça…

- Pour m'emmerder, je sais. De toute façon elle sait faire que ça…

- Ok, t'es énervé, et je te comprends tout à fait. Mais on se calme, on respire. Il reste trois semaines Antoine…

- Mais elle a même pas de robe, Emma… Et je peux te dire que Nathalie s'est même plainte à Marquez de son non-investissement hein! La pauvre est devenue la témoin d'une mariée totalement sourde et aveugle on dirait…

- T'abuses, s'amusa Emma en rigolant. Puis on sait tous que maman est cap d'arriver en jean basket hein ! On s'en fout de comment elle est habillée… tant qu'elle te dit oui, c'est ça qui compte.

- Ouais…

- Puis je crois qu'elle avait besoin d'apaiser le passé pour accepter le présent aussi...

- Un passé qui ne s'est jamais occupé d'elle ?!

- Je parlais pas que de mamie… Elle a de la famille à Valenciennes et puis elle a aussi sa sœur…

- Sauf qu'elle m'a jamais parlé de personne d'autre. Et Bélinda non plus, elle a pas voulu l'inviter…

- Bah non! répliqua-t-elle d'une évidence implacable. Maman est super gênée...

- À cause de quoi ?

- De votre histoire passée…

- Attends, mais je lui ai déjà dit que ça n'avait pas compté et qu'avec Belinda on était juste d'accord tous les deux pour dire qu'on voulait se venger d'elle… Je…

- Oui mais bon… Ça reste sa sœur. T'imagines toi, si t'apprenais que ton frère avec eu une histoire de quelques mois avec maman ?

- Ouais… J'avais jamais imaginé les choses comme ça...

- Bah oui, c'est tendu…

- Hum, acquiesça-t-il en réfléchissant. Tu sais quoi ? Je vais en parler avec Belinda. Ce sera plus simple…

- Ouais… Et tu souffles! ordonna-t-elle en riant. Maman est angoissée à l'idée de t'épouser, pas résignée… Laisse la régler ses problèmes dans le nord et vous verrez…

- Ok…, confirma-t-il en explosant de rire.

- Quoi ?

- Nan… C'est juste que des fois j'ai l'impression que t'es plus mature que ta mère...

- Oh bah ça c'est pas difficile, ironisa-t-elle. Puis elle doit pas te répondre parce qu'elle doit encore être en train de sauver le monde. Et dans une heure elle va redébarquer en se confondant en excuses… On la connaît…

- Ouais… sourit-il en songeant à elle.»

Pourtant, les deux étaient loin de s'imaginer l'état réel de leur détective préférée. Bien loin de sauver le monde, ce dernier semblait plutôt s'abattre sur elle. Et recroquevillée dans le brouillard de ses idées au fin fond de cette pièce sombre et silencieuse, les images de son passé défilaient en boucle sans oublier de lui asséner quelques coups fatals.