Prostrés dans ce véhicule rafraîchit par un vent froid et rugueux, les deux enquêteurs semblaient alertes. Sur leur gauche, une vaste demeure siégeait comme la cheffe du quartier. Allure rustique, murs en pierres taillées et cheminée fumante plantaient le décor au centre d'un vaste terrain arboré. Un grand chêne s'enracinait à droite et de grandes haies semblaient poser les limites d'un terrain à grande valeur. Et en plus, la lumière intérieure signalait une présence humaine en son sein… Sa mère était là, dedans, et elle le savait. Mais maintenant qu'elle ne se trouvait plus qu'à quelques mètres de cet affrontement, Candice ne savait plus…
À ses côtés, le commandant broya un papier dans ses mains, sortant une détective hésitante de sa torpeur. Il posa les yeux sur les siens et jeta un œil sur la planche de bord devant eux.
«Tu manges pas ton sandwich?
- J'ai pas faim… marmonna-t-elle en baissant les yeux.
- Hum, acquiesça-t-il. En tout cas, ça bouge pas…
- Ouais… La lumière est toujours allumée mais… rien n'a bougé.
- Tant que la voiture restera garée dans la descente de son sous-sol, ça bougera pas, je pense.
- Sûrement…
- Donc on fait rien?
- Si. On attend et on surveille.
- Ok alors c'était ça le plan? Il est 14h, Candice. On va pas attendre toute la journée depuis le trottoir d'en face, quand même ? Et s'il sort pas?
- Il va sortir!
- Ah oui? Et qu'est-ce qui te fait dire ça?!
- S'il est venu ici c'est qu'il a des affaires à régler… Je… Il va pas rester enfermé dans son foutu palais non plus!
- Oui enfin, il a vendu à Magda un séjour en amoureux normalement… Qui ne dit pas qu'ils vont pas sortir tous les deux pour aller je ne sais où?!
- On verra bien!
Stanislas souffla bruyamment, agacé.
Eh, je t'avais dit que je pouvais m'en occuper toute seule… T'étais pas obligé de venir.
- Bien sûr!»
La blonde tourna la tête, fuyant le regard de son acolyte qui se démontrait par sa réticence. Il voulait partir?! Eh bien qu'il parte. Elle n'avait pas besoin de lui de toute façon. Elle avait besoin de personne en fait. C'était son histoire, son problème et son enquête, point. Et désormais, la tension régnait. Une tension qui camouflait finalement l'angoisse qui envahissait peu à peu le corps d'une Candice apeurée par la suite des évènements. Qu'est-ce qu'elle ferait, si sa mère venait à sortir sans lui? Quels mots allait-elle trouver pour justifier sa présence? Et surtout, comment allait-elle convaincre cette tête de mule à renoncer à son amant pour des raisons qui relevaient de l'évidence? Et lui annoncer son projet d'union aussi ?! Cela serait sûrement tout un art…! Et connaissant le sujet, pas sûr que l'affaire soit concluante.
...
Le train sifflait tout juste son départ du quai, qu'Antoine réajustait son sac à dos. Et la température extérieure contrastait grandement avec celle du sud. Définitivement, Antoine Dumas ne pouvait se passer de soleil pour vivre en paix… Il quitta rapidement cette gare animée par les voyageurs de fin de journée et traversa la route, guidé par ses souvenirs d'époque. Et ceux-ci semblaient intacts, à voir la devanture face à lui. Et plus de huit ans après, il était là où tout avait commencé. Là où sa vie avait pris un tournant à 360. Le genre de ceux qui laissaient des traces, quelles qu'elles soient. Il poussa la petite porte et s'adressa à l'agent d'accueil avant d'en sortir perplexe. Alors il songea à l'autre devanture qu'il avait aussi légèrement fréquenté. Il enclencha le pas, jurant contre son manteau qu'il jugeait bien trop fin pour réchauffer son coeur.
La porte d'un hall d'accueil en ébullition s'ouvrit sans mal, laissant un commissaire soucieux faire son apparition. Il approcha la femme en uniforme devant lui et l'interpella.
«Bonjour! Euh je suis Antoine Dumas, commissaire à la BSU de Sète. Je cherche ma femme qui est censée être ici avec Stanislas Verner depuis hier…
- Une blonde avec un bonnet rose ? lui répondit-elle tout sourire.
- Exactement ! Elle est là ?
- Euh non. En fait, le commandant Verner a déclaré devoir quitter urgemment la brigade ce matin.
- D'accord, acquiesça-t-il. Mais vous pouvez peut-être le joindre, non ? J'ai pas de nouvelles d'elle depuis hier et je suis vraiment inquiet…
- Je vais appeler quelqu'un de son groupe, bougez pas.
- Merci !»
Antoine obéit, se posant quelques mètres plus loin afin de ne pas gêner les allers et venues des visiteurs et travailleurs. C'était un peu comme s'il était chez lui, finalement, songeait-il en observant les environs. Bon, dans un climat différent et une ambiance plus sombre, à en constater le faible éclairage qui rayonnait au-dessus de sa tête.
«C'est vous le mari de Candice ? héla une voix masculine au loin.
Surpris, Antoine se retourna et l'approcha en acquiesçant.
- Oui ! Je venais à sa recherche en fait…
- Je suis désolé, je peux pas vous aider. Le commandant refuse nos appels depuis ce matin.
- Mais Candice est avec lui ?
- Je suppose oui. On a passé la journée d'hier à chercher la maison d'un escroc de la région.
- Et la maison, vous l'avez retrouvée ?
- Stanislas a terminé ça cette nuit tout seul. J'en sais pas plus… Mais s'ils sont partis tous les deux ce matin, je suppose que oui.
- Ok… soupira-t-il en s'appuyant contre le comptoir. Je vais attendre alors…
- Ah mais je sais pas quand est-ce qu'ils vont rentrer hein…
- Tant pis, je… J'ai pas vraiment d'autre endroit où aller en fait, lâcha-t-il désespéré. Je ressors de l'hôtel où Candice m'avait dit séjourner mais elle a rendu les clés de sa chambre…
- Vous avez essayé d'aller chez son oncle ? Stanislas l'a déposé là-bas hier midi je crois.
- Euh non… C'est que je sais pas vraiment qui c'est, en fait… osa-t-il dans un sourire crispé.
- Vous êtes sûr que vous êtes son mari au moins? ironisa le policier.
- Oui, j'en suis sûr oui, s'agaça Antoine les mâchoires serrées. C'est une famille éloignée qu'elle ne voit jamais. Je les connais pas, c'est tout…, conclut-il peu aimable.
- Vous sortez du commissariat, vous traversez la rue et vous tournez à droite. C'est le concessionnaire tout au bout. Une figure dans la région !
- Merci! Et si jamais vous avez des nouvelles, je peux vous laisser ma carte ?
- Bien sûr !
- Voilà! Je vous remercie!
- Bon courage»
...
«Putain Candice! meugla Stanislas en bousculant une blonde somnolente.
- Hein?
- Ils viennent de se quitter sur le parvis à l'instant. Il est monté dans sa voiture et Magda s'apprête à sortir par le portail.
- Quoi? paniqua-t-elle soudainement. J'y vais!
- Attends, la retint il brusquement. Il vient juste de s'en aller, laisse la voiture s'éloigner.»
La voiture disparut rapidement des yeux de l'ex-flic, lui permettant d'ôter sa ceinture et d'enclencher la poignée de la porte. Son cœur tambourinait dans sa poitrine dans un dynamisme effréné. Face à elle, son aînée avait plongé la tête dans son sac à main, sûrement à la recherche d'un objet perdu. Décidément, les sacs fourre-tout, c'était de famille…!
«Maman? l'interpella-t-elle sans vigueur.
Magda releva brusquement la tête, surprise.
- Candice?! Mais?! Qu'est-ce que?!
- Tu peux pas savoir comme je suis contente de te voir…
- Quoi? Mais qu'est-ce que tu fais là? Il y a un problème?
- On peut dire ça oui… Tu vas où là?
- Prendre le bus! Je vais au centre commercial… Pourquoi?
- Comme ça… Je…
- Attends mais, réalisa Magda en reculant. Qu'est-ce que tu fais ici? demanda-t-elle en inspectant les alentours avant de remarquer le chauffeur dans la voiture. Et avec ce flic là?! Tu me pistes?!
- Laisse-moi t'expliquer…
- M'expliquer quoi?! s'emporta-t-elle. Je suis pas en cavale! Je suis simplement en vacances détox sans téléphone avec Roland.
- Et tu pouvais pas nous prévenir, non? On avait pas de nouvelles… On était morts d'inquiétude.
- On s'appelle une fois tous les deux mois Candice, ça aurait pas changé grand-chose…
- Quand même…, temporisa-t-elle en se radoucissant.
- Donc t'es venue là juste pour ça?!
- Non je… Je voulais te parler de Roland, maman. T'as deux minutes?
- Me parler de Roland, répéta-t-elle en la toisant. Je t'écoute.
- On va pas rester ici au milieu du trottoir pour parler, je…
- Je t'écoute, insista-t-elle en croisant les bras.
- Je sais que c'est pas facile à entendre mais… c'est pas quelqu'un de bien…
Magda hocha négativement la tête avant d'oser un rire jaune.
- Donc ça y est, ça recommence?
- De quoi tu parles?
- C'est quoi ton objectif en fait? M'empêcher d'être heureuse?!
- Nooooon! Pas du tout! Je veux justement t'empêcher de faire une grosse connerie maman. C'est un mec dangereux, ce type. Il va t'apporter que des ennuis et toute la famille va en subir les conséquences…
- Tu dis ça mais tu le connais même pas! Tu te fies juste à ce que la presse raconte. Et c'est pas à toi que je vais apprendre qu'elle peut être dégueulasse non?!
- Y a pas que la presse maman. J'en ai parlé à Stanislas et même lui était inquiet…
- Qu'il me foute la paix! Je déteste les flics de toute façon! lança-t-elle avant de continuer son chemin.»
Déroutée, Candice contenait ses larmes avec une force qu'elle n'aurait jamais imaginé si vive. Le sujet 1 c'était fait et c'était un échec. Et là, devant elle, sa mère semblait lui échapper alors même qu'elle n'avait pas osé lui avouer le vrai motif de sa présence. Le sujet 2. Plus sensible et plus aléatoire aussi... Elle hésita quelques secondes avant de prendre une grande inspiration.
«Mais je suis pas venue là que pour ça! cria-t-elle pour la stopper.
Sa mère se retourna doucement et observa sa fille approcher avec hésitation.
- Alors pourquoi t'es là?
- Je… Parce que je voulais t'annoncer quelque chose. Je... Je vais me marier maman, avoua-t-elle fièrement.
Face à elle, Magda écarquilla les yeux avant de tomber dans un fou rire monumental.
- Pardon, lâcha-t-elle en rigolant. Toi? Tu vas te marier? Mais avec qui encore?
- À ton avis?
- Écoute, fais donc hein! De toute façon ça durera pas…
- Je te demande pardon? répliqua Candice avec énervement.
- Bah quoi? T'as jamais su garder un homme non? Pourquoi ça changerait?
- Je crois que j'ai pas à recevoir de leçon venant de quelqu'un qui a enchaîné les conquêtes toutes plus riches les unes que les autres.
- Bah oui! Puisque je te rappelle que l'homme que j'aimais s'est donné la mort. Tu as oublié?
- Non j'ai pas oublié non. Mais je vois pas le rapport en fait.
- Le rapport c'est que j'ai jamais su aimer quelqu'un d'autre que ton père, Candice. Et qu'à cause de ce que tu as fait, tu seras jamais capable d'aimer pour de vrai.
- Qu'est-ce que t'en sais?! s'emporta-t-elle en contenant sa voix sanglotante. T'as jamais pris le temps de connaître Antoine! Tu t'es jamais intéressée à notre histoire!
- Et toi, à chaque fois que tu t'es intéressée à mes histoires, ça s'est terminé en drame.
- Mais oui bien sûr! De toute façon, je ne suis qu'une meurtrière c'est ça non?! Eh bah tu sais quoi, tant pis. Tu me pardonneras jamais. Ça j'ai bien compris. Mais Paul sera là lui, il me l'a promis.
- Paul? Tu l'as revu?
- Oui je l'ai revu. Et figure-toi que je dors même chez lui. Sûrement que lui essaye de comprendre pourquoi j'en suis arrivée à dénoncer mon père. Et le jour où t'auras compris que… que j'ai… que j'ai juste cru bien faire pour toi… te sauver… je… Mais j'ai bien compris que tu y arriverais pas, hein. Je le sais. C'est comme ça, c'est tout! déplora-t-elle en larmes. C'est juste que pour une fois, j'avais imaginé que tu passerais au-dessus de tout ça pour être à mes côtés. Mais je me suis trompée… Bonne soirée maman.»
La blonde tourna les talons en un éclair, laissant une femme âgée pantoise sur le trottoir. Candice ouvrit violemment la portière de la voiture et se jeta à l'intérieur avec vigueur.
«Roule! ordonna-t-elle en pleurant.
- Qu'est-ce qui s'est passé?
- Roule j'te dis! hurla-t-elle de rage. ».
Stanislas s'exécuta, poussant le SUV à crisser les pneus avant de s'engouffrer dans une nuit tombante. Enfin, cet enfer était terminé.
