Musiques : Fukushû no Yukue (Jigoku Shôjo, OST 1), Ouma ga Toki (Jigoku Shôjo, OST 2), Atatakai mono (Jigoku Shôjo, OST 1), Iraijin (Jigoku Shôjo, OST 2), Mist (FMAB, OST 1)
Note : J'ai eu une semaine de fou furieux et, résultat, j'ai chopé la crève. Peut-être aussi parce que j'ai dû saluer au moins deux cents personnes en cinq jours. Hm. Bref, pas facile d'aligner deux neurones dans ces conditions, mais on va croiser les doigts pour que le chapitre ne contienne pas de bêtise x)
Chapitre 22 : Mystification
« Mademoiselle ? »
Quelque chose la secouait.
« Mademoiselle Hawkeye ? »
Comme c'était désagréable…
« Mademoiselle Hawkeye ?! »
Elle avait si sommeil…
« … »
Riza entrouvrit un œil, puis l'autre. Cligna les deux ensemble. Une fois sa vision ajustée et sa connexion à la réalité plus ou moins rétablie, elle réalisa qu'elle se trouvait nez à nez avec le visage inquiet d'une jeune fille aux grands yeux bleus, encadré par de longs cheveux blonds.
« Mademoiselle Hawkeye, vous allez bien ? » s'enquit celle-ci.
L'interpellée décolla sa tête de ses bras croisés sur le bureau et se redressa difficilement. Son corps était tout ankylosé, ses yeux encore embués de sommeil, et son cerveau embrumé. Alors, « bien », pas vraiment. Riza avait plus l'impression qu'une voiture lui avait roulé dessus à plusieurs reprises. Elle bâilla longuement et répondit :
« Ça va… Je suis un peu fatiguée, c'est tout.
— Vous m'avez fait peur… Vous ne répondiez pas, j'ai cru que vous aviez fait un malaise ! » s'exclama Winry avant de soupirer de soulagement, la main portée à son cœur battant.
« J'ai simplement dû m'assoupir un moment… ou un certain temps, plutôt », corrigea le lieutenant.
Elle avisa en effet par la fenêtre qu'au-dehors, le soleil déclinait déjà. Pourtant, elle avait le souvenir qu'il était haut dans le ciel lorsqu'elle avait fermé les yeux. À présent, la campagne était colorée des douces lueurs chaudes du couchant et dans la maison, un délicieux fumet embaumait l'air ambiant. Si l'odorat de Riza ne s'y trompait pas, il s'agissait probablement d'une blanquette de veau, qui mijotait au rez-de-chaussée ; sans doute pour dîner.
Le ventre de la soldate gargouilla, attestant de la faim qui la tenaillait. En même temps, malgré les copieux repas servis par ses hôtes, Riza avait continué de se sous-alimenter depuis son arrivée chez les Rockbell. Elle ne se restaurait jamais que sur le pouce. De même, elle n'avait pas beaucoup dormi. Il y avait tant à lire dans la bibliothèque des frères Elric, tant de pages à compulser… Et pour quel résultat ?
Rien. Pour l'heure, elle n'avait rien déniché de concret, même au bout de quatre longs jours de recherches. Comme si tout ce qui était relatif aux homonculi avait été évacué de cette pièce ou pire, que rien n'avait jamais été écrit à leur propos. Enfin, si, elle avait bien trouvé quelque chose, mais juste de vagues mentions çà et là de ces créatures mystiques, dans un ou deux livres qui tombaient en poussière. Une misère.
Alors, bien sûr, peut-être que certains ouvrages étaient cryptés. Mais elle n'avait clairement pas les clefs de compréhension nécessaires pour ne serait-ce que les détecter parmi tous ceux que comptaient la chambre.
« Vous devriez vous reposer… », recommanda Winry, qui débarrassa machinalement les livres encombrant l'espace de travail de la jeune femme. C'était à peine si on la voyait derrière ces ouvrages empilés pêle-mêle. « Vous ne faites que ça… », ajouta-t-elle après un instant d'hésitation, craignant de la braquer.
Pourtant, l'adolescente ne put s'empêcher de froncer ostensiblement les sourcils lorsqu'elle remarqua les cernes qui creusaient les joues de son interlocutrice, sous ses yeux noisette, dont la couleur était ternie par un manque de sommeil chronique.
« Je n'ai guère le choix », se défendit Riza, qu'un frisson de fatigue traversa. « Je ne peux pas me permettre de lambiner. Il se peut qu'ils comptent sur moi. »
Oui. Il se « pouvait ».
À vrai dire, elle n'en était même pas certaine elle-même.
« Certes, mais il "se peut" aussi qu'ils veuillent vous revoir en bonne santé. Ce qui n'arrivera pas si vous vous tuez à la tâche », répliqua Winry d'un ton plus ferme tandis que son invitée, après s'être levée et étirée, se dirigeait vers le miroir d'un pas traînant.
Riza se posta devant celui-ci et grimaça face à son reflet. Elle était en effet loin de respirer la joie de vivre. Rien d'étonnant à ce que Winry lui remontât les bretelles.
Son hôte commenta d'ailleurs dans un sourire triste :
« Vous savez, là-dessus, vous me faites penser à Ed. Il était capable de beaucoup pour les gens qu'il aimait. Surtout des choses les plus insensées, et ce, quitte à parfois s'oublier. Une vraie tête de mule… »
Avec un temps de retard, comme pour dissimuler sa peine, la jeune fille accompagna son anecdote d'un petit rire atrocement mécanique. Malheureusement, elle ne sut rien y mettre d'autre que son cœur brisé.
Riza se tourna vers elle.
Leurs regards se croisèrent.
La plus âgée perçut sans mal l'immense détresse qui se cachait derrière ce ton badin. Elle la connaissait bien. Elle était passée par là, elle aussi. Jusqu'à ce que le hasard du destin lui redonnât espoir, en la personne d'Edward, ou de celui qu'elle pensait être l'adolescent.
Aux yeux de la jeune fille, son espoir… c'était elle. Il était donc normal qu'elle s'inquiétât ainsi pour elle. Elle ne pouvait pas balayer ses préoccupations d'un revers de main et continuer de s'user ainsi la santé, sans considération aucune pour ceux qui l'épaulaient dans sa quête.
« Je crois que tu as raison. Une pause s'impose », reconnut finalement le lieutenant, avant de humer l'air. « Le dîner doit bientôt être prêt, je présume ? Nous ferions bien d'aller aider ta grand-mère – avec ce qu'il reste, du moins. Je suis désolée… avec toute cette histoire, je ne vois pas le temps passer et je vous ai presque laissé tout faire jusqu'ici, alors que je profite largement de votre hospitalité », regretta-t-elle tout en essayant d'arranger sa tenue débraillée.
« Ce n'est rien ! » s'exclama précipitamment Winry. « Surtout que ça nous fait de la compagnie, à mamie et à moi. Même si on ne vous voit pas beaucoup, avec tout le travail que vous abattez… ça fait du bien. La maison est bien trop calme depuis qu'Ed et Al ne nous rendent plus visite, et je sais que ça pèse à ma grand-mère, même si elle n'en dit rien. Ce n'est pas plus mal que vous soyez là, avec nous. Tout cet espace semblerait vide, sans ça », confia la jeune fille.
Elle ouvrit la fenêtre pour aérer la pièce poussiéreuse. Elle s'appuya sur son rebord et respira longuement l'air boisé des champs cerclés de forêts alentour. Bien que l'espace d'un instant, une certaine quiétude parût l'envahir au contact de la brise ponctuée de notes champêtres, le sentiment céda aussitôt la place à une profonde mélancolie.
Une vision qui serra le cœur de Riza. Elle y lut la souffrance de la perte, la douleur de la solitude, l'amertume de l'impuissance… mais avant tout, le manque de l'être aimé.
Jamais, au grand jamais, une enfant n'aurait dû afficher pareille expression. Et pourtant.
« Vous savez… », reprit Winry. « Parfois, il m'arrive d'espérer devoir me lever de bon matin, à cause des aboiements de Den. Je le gronderais pour la forme, croyant qu'il jappe après un animal, puis j'irais voir pourquoi il est si excité. Comme il gratterait à la porte, je l'ouvrirais pour lui faire plaisir et, quand la lumière inonderait la pièce, je me retrouverais face à deux silhouettes. Une grande, et une petite. »
Elle marqua une pause. Elle sourit, mais la tristesse l'emportait sur la joie.
« Ils seraient là, tous les deux, face à moi. Ils me diraient que j'ai été bête de m'en faire pour eux, car ils étaient juste en voyage, comme toujours. Ed me charrierait, Al le sermonnerait… Puis, la vie reprendrait son cours. Comme si rien de tout ça n'était jamais arrivé. »
Riza, silencieuse, écouta attentivement alors que Winry dévoilait d'une voix tremblante, les mains agrippées au rebord de la fenêtre :
« Mais une part de moi sait que c'est impossible. Que ce n'est qu'un doux rêve que je caresse. Et pourtant, j'ai envie d'y croire. De toutes mes forces. Parce que je ne peux pas accepter qu'ils soient… qu'ils soient… »
Elle ne put terminer sa phrase, qui mourut à cette dernière syllabe. Elle dut ravaler quelques larmes pour continuer :
« On le sait. Mais quand on n'a pas de corps à pleurer… quand il n'y a que des rumeurs et des ouï-dire auxquels se raccrocher… on ne peut pas s'y résoudre. »
Elle se tourna de nouveau vers la soldate pour lui faire face, le port droit et digne, puis demanda :
« Mademoiselle Hawkeye… avez-vous trouvé quoi que ce soit, dans ces livres ? »
La question prit Riza tellement au dépourvu que son hébétement se lut instantanément sur son visage. Sachant qu'elle ne pourrait dissimuler la vérité, d'autant plus qu'avec une telle réaction, celle-ci était déjà sans doute éventée, elle avoua à son grand dam :
« Non. »
Winry ferma les yeux et inspira profondément.
« Je m'en doutais », murmura-t-elle d'une voix brisée. « Ed et Al non plus n'avaient pas trouvé grand-chose dans ces bouquins, quand ils les intéressaient encore. C'est pour ça qu'ils ont quitté la maison. Pour élargir leurs horizons. Mais j'avais espéré que vous, peut-être, vous pourriez y voir ce que deux enfants n'avaient pas su comprendre. »
Riza détourna la tête. Ces reproches à peine dissimulés tapaient là où ça faisait mal. Que pouvait-elle répondre à ça ? Devait-elle se défendre ? Inventer quelque découverte afin de justifier son incompétence ?
À quoi bon ? Je ne suis pas alchimiste. Je ne suis qu'une soldate ; une tireuse exceptionnelle, d'accord, mais c'est tout ce que j'ai pour moi.
« Navrée, ce n'est pas le cas. »
Le lieutenant annonça son échec dans un soupir désabusé. C'était ridicule. Elle ne pouvait pas prendre la mouche pour si peu. Ce n'était que la vérité. Rien que la stricte vérité. Et ses hôtes, qui avaient la bonté de l'héberger gratuitement et en dépit du danger que cela représentait, étaient en droit d'attendre d'elle des résultats. Riza en avait bien conscience.
Un long silence s'installa entre les deux femmes, jusqu'à ce qu'au bout d'un temps qui sembla interminable à la soldate, son interlocutrice se décida à le rompre :
« Ne vous méprenez pas. Je ne dis pas ça pour vous accabler. Je ne pense pas qu'il y ait beaucoup de gens capables de comprendre tout ce charabia. Ou capables de trouver des réponses lorsque nous sommes face à une impasse. Il n'y a que les génies, pour ça. »
Riza reporta son regard sur la jeune fille, surprise par sa mansuétude. La chose tranchait radicalement avec le traitement auquel l'armée l'avait habituée. Pourtant, dans les yeux de l'adolescente, nul reproche ni accusation. Plus étrange encore, Winry s'était départie de sa mélancolie. Sur son visage ne restait plus qu'une détermination farouche.
La mécanicienne se dirigea vers le bureau et se saisit d'une feuille ainsi que d'une plume et d'un encrier. Elle trempa la pointe dans ce dernier, puis griffonna rapidement quelques mots. Elle revint vers Riza et lui tendit le mémo en annonçant :
« Mais de tels génies existent bel et bien, et j'en connais justement un.
— Comment ?! » s'étonna Riza en s'emparant du bout de papier et en le parcourant des yeux.
Winry y avait inscrit un nom… et une adresse.
« Rendez-vous à cet endroit. Celle qui y habite sera certainement en mesure de vous aider.
— De qui s'agit-il ?
— Je ne la connais pas personnellement, mais je sais qu'elle est digne de confiance, et très chère aux garçons. C'est d'ailleurs eux qui m'ont donné cette adresse au cas où, car c'est cette alchimiste qui a supervisé leur entraînement ; leur maître, Izumi Curtis. »
Riza était stupéfaite. Leur « maître » ? Mais oui ! Elle se rappelait qu'Alphonse et Edward avaient à plusieurs reprises évoqué le fait d'avoir été pris en charge par un professeur, à leurs débuts. Cependant, ils étaient restés très secrets à ce sujet. Elle avait respecté leur choix et ne les avait pas questionnés davantage. Elle ignorait tout de l'identité de cette personne, jusqu'au fait qu'il s'agissait d'une femme. Toutefois, plus encore que son genre, c'était cette chance inespérée qui la laissait béate de surprise. Elle avait complètement négligé cette piste. Il était vrai que cette femme serait plus en mesure qu'elle de résoudre cette affaire et de lui apporter des réponses.
Qui, mieux qu'un alchimiste, pouvait faire la lumière sur les zones d'ombres d'un mystère précisément alchimique ?
« Pardonnez-moi de ne pas vous avoir donné plus tôt cette adresse », souffla Winry. « Je pensais sincèrement que vous trouveriez quelque chose ici et… il me fallait d'abord m'assurer de votre bonne foi. Je sais que vous avez fait beaucoup pour Ed et Al, mais prudence est mère de sûreté, surtout par les temps qui courent. Je n'aurais pas souhaité mettre en danger leur maître en donnant ces renseignements à n'importe qui – sans vouloir vous offenser. » Une ombre passa sur son visage. « Soit dit en passant, j'ignore si cette femme est au courant de la disparition des garçons. Cela dit, même si elle n'en a pas eu vent, il y a des chances qu'elle soit surveillée, tout comme vous. C'est pour ça que je n'ai pas osé lui rendre visite moi-même. D'après ce qu'Ed m'a dit, l'armée convoite déjà de longue date ses connaissances et a tenté de la recruter à plusieurs reprises, sans succès. Ça frôlait le harcèlement, apparemment. Compte tenu du lien entre les garçons et elle, je pense qu'elle doit se trouver actuellement dans une situation encore plus délicate qu'auparavant. Peut-être que le gouvernement garde un œil étroit sur elle. »
Ses mains agrippèrent le tablier blanc qu'elle portait noué autour de la taille. Elle détourna le regard, manifestement honteuse.
« J'ai peur d'y aller seule… Je sais que… que c'est lâche, mais ma grand-mère n'a plus que moi, maintenant. Je ne veux pas l'abandonner pour jouer ma vie sur un espoir aussi mince que celui-ci. Je connais mes capacités, et surtout mes limites. Si je devais me retrouver face à un groupe de soldats surentraînés, je ne ferais pas le poids. Mais vous… », rebondit Winry, plus doucement, avant d'adresser un regard lourd de sens à Riza. « Vous, vous pourriez peut-être entrer en contact avec cette femme discrètement et obtenir des réponses. »
Le lieutenant secoua la tête.
« Tu me surestimes. Si ce que tu dis est vrai et que le maître d'Edward et d'Alphonse est suffisamment important aux yeux de l'armée pour le garder sous surveillance… J'aurai tout autant de mal que toi à l'approcher.
— Mais…
— Ce n'est pas pour autant que j'y renonce. C'est une chance inespérée, là-dessus, je te rejoins. »
Riza serra avec force le mémo dans sa main.
« Je vais la saisir. Mais j'aurai besoin de ton aide, si tu veux bien.
— Vous pouvez compter sur moi ! S'il vous faut quoi que ce soit, je… », s'emballa la jeune fille, ranimée par un sursaut d'enthousiasme.
« Chaque chose en son temps. Et si nous allions voir où ta grand-mère en est, déjà ? Nous reprendrons cette discussion une fois que nous aurons le ventre plein », promit Riza dans un sourire, tout en conviant Winry à sortir de la chambre à sa suite avec un clin d'œil malicieux.
Les deux blondes descendirent au rez-de-chaussée et, comme l'avait suggéré la plus âgée d'eux deux, aidèrent Pinako à préparer le dîner. Celui-ci se déroula dans une ambiance chaleureuse qui mit du baume au cœur à Riza. Depuis son arrivée, elle n'avait pas profité d'un seul vrai moment de repos. Elle n'avait cessé de se tourmenter avec ses recherches et n'avait jamais pris le temps d'apprécier à sa juste valeur le plaisir d'un repas partagé ni de se ressourcer. Néanmoins, avec cette nouvelle piste en tête, elle savait à présent quelle direction suivre. La brume opaque qui l'étouffait s'était dissipée, au moins un peu, et un chemin se profilait enfin.
Riza profita du dîner pour faire part à Pinako de sa décision de les quitter sous peu, elle et sa petite-fille, afin de se rendre sans délai à Dublith. C'était là que logeait le maître des garçons. Son hôte approuva son choix et lui indiqua les horaires de passage des prochains trains. Une chance pour la soldate, l'un d'eux devait précisément partir tard ce soir-là. Elles se dépêchèrent donc de faire la vaisselle et s'attelèrent toutes à la préparation du sac de voyage du lieutenant. Tandis que Pinako rassemblait des provisions, Riza demanda à Winry de l'accompagner dans la salle de bain. Là-bas, elle s'enquit :
« Winry… Est-ce que tu te souviens de moi quand tu m'as vue pour la première fois ?
— Oh… Ça remonte à pas mal de temps, mais oui », confirma l'adolescente. Pensive, elle s'attrapa le menton et retraça le fil de ses souvenirs : « Vous étiez plus jeune, évidemment. Je me rappelle surtout que vous étiez bien plus grande que moi ! Ça m'impressionnait… Sans compter votre uniforme. Ah ! Et aussi, vous aviez une garçonne, si ma mémoire est bonne !
— Tout à fait. Justement, j'aimerais que tu me coupes les cheveux. Exactement comme ça.
— Hein ?! Mais… Vous… »
L'adolescente ne comprenait pas cette lubie. Elle voyait bien, dans les traits fermés du visage de la militaire, que cette décision lui coûtait. La soldate le faisait à contrecœur, mais quelque chose dans son regard indiquait que cette demande était réfléchie.
« Je pense que c'est la meilleure chose à faire si je souhaite pouvoir voyager tranquillement. Être blonde est déjà loin d'être pratique, quand on veut se faire discret… mieux vaut que je change de tête.
— Mais… et la perruque ?
— Elle m'encombre et réduit mon champ de vision. Et je ne parle même pas du calvaire que c'est de la porter durant des heures. Si je dois me battre, elle me gênera plus qu'autre chose. Avec des cheveux courts – et de vrais cheveux, surtout, qui n'auront pas l'air d'une vieille serpillière teinte – je passerai plus facilement inaperçue. D'ailleurs, est-ce que vous auriez des vêtements d'homme ? J'ai cru voir que vous en entreposiez, dans ta chambre. Si ce n'est pas trop vous demander, bien sûr.
— Ceux de mon père ? » s'étonna Winry, déconcertée. « Vous voulez vous travestir ?
— Pourquoi pas ? Au moins, je pourrai être à mon aise. Combattre en talons hauts est loin d'être évident », souligna-t-elle, avant de rajouter plus doucement : « Cela dit, je comprendrais que tu refuses, puisque ces vêtements sont…
— Non. Ça ne me dérange pas. De toute façon, ça fait des lustres qu'ils sont là, à prendre la poussière. Si ce ne sont pas des balles qui les trouent, ça finira par être les mites et… Oh ! Pardon. Je ne voulais pas insinuer que…
— Ne t'inquiète pas », la rassura Riza, bien qu'elle fût elle-même angoissée à cette perspective peu réjouissante de finir en gruyère. « Question humour noir, j'ai déjà connu pire sur le front. J'espère simplement pouvoir te rendre ces affaires plus tard, et en bon état. En tout cas, je ferai mon possible pour en prendre soin.
— Alors, marché conclu ! » accepta Winry, qui ne désira pas s'attarder sur les souvenirs de champ de bataille de la soldate. « Par contre, pour vos cheveux… je… Vous êtes sûre ?
— Oui. Ma décision est pri…
— Non, je veux dire… Vous souhaitez vraiment que ce soit moi qui m'en charge ? En toute honnêteté, j'ai plus l'habitude de manier des chalumeaux et des clefs de douze qu'une paire de ciseaux…
— Je ne m'en fais pas pour ça. Edward n'a jamais cessé de répéter à qui voulait l'entendre que tu étais douée de tes mains, et je m'en remets à son jugement », rapporta le lieutenant avec un poil de malice. « Tu y arriveras, je te fais confiance. »
Winry, elle, piqua un fard monstrueux. Mais qu'est-ce qu'il était allé raconter à qui, cette incorrigible pipelette ?! Résultat des courses, elle ne savait plus où se mettre !
« Tiens », fit Riza en lui tendant les ciseaux qu'elle avait trouvés dans l'armoire à pharmacie, qui s'efforça de ne pas pouffer à la vue attendrissante de l'adolescente en émoi. « Ils ne sont peut-être pas prévus pour ça, mais j'imagine que nous devrons nous en contenter. Vas-y. »
La jeune fille n'aurait su la remercier assez de lui offrir une échappatoire à ce moment de gêne. Elle se tapota vivement les joues pour revenir au temps présent, puis s'empara de l'outil et déglutit. Concentration. Elle avait tellement peur de mal faire que ses mains tremblaient tandis qu'elle regardait Riza ramener au centre de la pièce, face au miroir, une chaise posée dans un coin.
La jeune femme s'installa dessus, dos à son hôte, et ferma les yeux.
La pression augmenta.
Winry inspira profondément, se rapprocha de Riza… et donna le premier coup de ciseaux. Puis un deuxième, puis un troisième… d'abord avec incertitude, puis de façon plus affirmée. Elle prit confiance en elle à mesure que le travail progressait, au rythme des coups de ciseaux. Sous ses doigts habiles se dessinait petit à petit une coiffure courte, mais élégante, peut-être même plus soignée encore que celle de ses souvenirs. De longues mèches tombèrent ainsi une par une au sol dans une valse effrénée pendant une bonne quinzaine de minutes, au bout de laquelle Winry put enfin clamer :
« Terminé ! »
Elle s'écarta et laissa Riza se relever pour admirer le travail dans le miroir. Le lieutenant se leva lentement, tapota ses vêtements pour les débarrasser des cheveux qui y étaient restés accrochés, puis se dirigea vers la glace. Ses lèvres s'étirèrent en un sourire alors qu'elle tournait la tête d'un côté et de l'autre et qu'elle passait sa main sur sa nuque à présent dégagée. Un vent frais venait la caresser. Ses épaules étaient soudainement plus légères.
Une pointe de nostalgie lui transperça le cœur. Ça lui rappelait ces années-là… Ces premières années de calvaire au sein des rangs impitoyables de l'armée.
Mais peut-être était-ce ici le symbole d'un jour nouveau qui se levait sur sa vie. D'un tournant à cent quatre-vingts degrés qui allait tout bouleverser.
« C'est parfait. Merci, Winry. »
L'apprentie coiffeuse sourit, satisfaite elle aussi et heureuse d'être ainsi complimentée. Elle proposa à son invitée d'aller choisir les vêtements qui lui faisaient envie dans l'armoire tandis qu'elle nettoyait la salle de bain. Riza s'exécuta et revint peu après vers Winry, habillée d'un ensemble marron assez ample qui lui seyait au teint et d'une casquette-béret de même couleur, qu'elle avait rabattue sur son visage. Ainsi positionné, l'accessoire projetait une légère ombre sur ce dernier et, couplé au costume, conférait à la soldate une virilité indiscutable. Seul bémol éventuel : la puissante odeur de lavande qui émanait des vêtements, trop longtemps entreposés dans une garde-robe qui en contenait plusieurs sachets.
Espérons juste que je n'aurai pas à me soucier qu'on me renifle. Parce que si jamais le cas se présente, c'est que je serai plus qu'à bonne distance de tir… ou de sabre, songea Riza en déglutissant.
Winry, impressionnée par ce changement, mit le balai qu'elle tenait de côté et s'exclama :
« Vous êtes méconnaissable !
— Mais pas assez », corrigea une voix derrière les deux blondes.
Celles-ci se tournèrent en même temps vers la porte, où se trouvait Pinako. L'ancienne les toisait d'un regard sévère.
« Cela ne suffira pas à duper les autres voyageurs pendant tout un trajet. En tout cas, pas autant que votre précédent costume », avertit la vieille femme.
Elle secoua la tête avec lenteur. Le poids de l'âge ajouta à ce simple mouvement une gravité certaine.
« Il faut arranger ça. Si vous vous faites arrêter, je l'aurai sur la conscience. Installez-vous là », intima-t-elle en désignant la chaise d'un mouvement de tête bref.
Riza, tout aussi surprise que Winry, fit comme demandé. Elle retira son couvre-tête et suivit du regard Pinako, qui sortit d'un tiroir ce qui ressemblait à une trousse. Mais ce fut Winry qui, la première, s'en étonna :
« Mais, mamie… c'est du maquillage ? Je ne savais pas qu'on en avait ! Tu m'avais caché ça !
— Bien sûr qu'on en a, tête de linotte ! Tu ne crois pas que je me suis mariée le visage plein de cambouis, quand même ?
— Euh… Mais ton mariage… il date de quand ? » s'affola Winry, qui n'avait pas souvenir d'avoir vu sa grand-mère faire un jour preuve de la moindre coquetterie.
Aucune réponse ne lui fut donnée. Riza et Winry s'échangèrent un coup d'œil inquiet, mais Pinako reprit simplement :
« Je ne suis pas une experte, mais je pense pouvoir bricoler quelque chose avec ces quelques poudres. Je ne peux décemment pas vous laisser comme ça ! Vos traits sont bien trop féminins pour faire illusion sans artifices. Décidément, c'est une manie, dans les rangs de l'armée ! Vous vous jetteriez dans la gueule du loup sans réfléchir, si on ne veillait pas au grain. »
Riza, se rappelant que Pinako avait non seulement perdu ceux qu'elle considérait comme ses petits-fils, mais aussi – d'après ce que ces derniers lui avaient raconté – son propre fils, car les trois étaient allés au-devant du danger tête baissée, n'osa rien rétorquer et acquiesça docilement. Commença alors une métamorphose des plus radicales. En à peine vingt minutes, son visage changea du tout au tout. Plus de lèvres généreuses, plus de cils longs ni de sourcils fins. Tous ses traits furent épaissis de manière à leur donner un aspect plus masculin, obtenu à grand renfort de poudre, de fards et de crayon. Enfin, Winry dénicha une moustache postiche – transmutée par les garçons pour réaliser l'une de leurs innombrables polissonneries, du temps où ils étaient petits – qu'elle appliqua sous le nez dela soldate afin de parfaire son déguisement.
Elle était fin prête.
Pinako s'écarta, fière de son travail. Une fois de plus, Riza se confronta à son image dans la glace.
Elle ressemblait à un homme.
Un homme un tantinet efféminé, mais un homme tout de même.
C'en était même troublant.
« Vous êtes plutôt "belle homme" », commenta Winry, les mains nouées dans le dos d'un air espiègle.
Riza lui retourna un regard désabusé, mais assortit d'un sourire un brin amusé. Il était vrai qu'elle était assez séduisante, dans ce costume. Sans se vanter, elle aurait peut-être même été capable de rivaliser avec…
Avec…
Son cœur se serra à nouveau.
Elle inspira profondément, par le ventre, pour concentrer en un point toute la tristesse qui l'avait soudainement envahie et la chasser sans cérémonie par une expiration courte. Elle devait retrouver le chemin du présent. Encore quelques secondes et les souvenirs douloureux s'éloignèrent. Sa vision s'éclaircit, le monde reprit quelques couleurs. Pour ne pas risquer de resombrer, la soldate saisit dans ses mains l'une de celles de Winry et déclara, tout en regardant successivement cette dernière et Pinako :
« Merci pour tout. Pour votre accueil, votre hospitalité et le déguisement. Il me sera utile. »
Ses deux hôtes opinèrent du chef, convaincues elles aussi. L'aïeule croisa les bras et répliqua avec fierté :
« Il ne sera pas dit que quelqu'un n'a pas pu trouver son bonheur chez les Rockbell ! Une nouvelle main, une nouvelle jambe, un nouveau genre… On peut tout faire, tenez-le-vous pour dit !
— Mamie ! » la réprimanda gentiment sa petite-fille, gênée.
Toutes partirent d'un éclat de rire durant quelques secondes, avant que la doyenne n'annonçât :
« Oh ! Mais c'est que l'heure tourne ! Il ne faudrait pas que vous ratiez votre train.
— Ah oui, mince ! On va finir par être en retard ! » s'alarma Winry à son tour. « Mamie, tout est prêt ? »
Pinako acquiesça et précisa à l'intention de Riza :
« J'ai mis dans votre sac une tenue de rechange et des provisions. Comme il était petit, j'ai privilégié des aliments bien nourrissants, que vous pourrez manger facilement sur la route. Quant à l'adresse, je l'ai glissée dans la poche de devant. Ah ! J'y ai joint notre numéro de téléphone, au cas où vous auriez besoin de nous contacter. Je ne pense pas que nous soyons sur écoute, alors au moindre problème, n'hésitez pas. Notre porte vous sera toujours ouverte », déclara la vieille femme dans un sourire franc qui n'était pas sans rappeler au lieutenant celui d'un petit blond.
Riza fut touchée par la prévenance de ses bienfaitrices et les remercia longuement. Puis, après s'être de nouveau assurée qu'elle avait tout, elle s'empressa de prendre congé pour rejoindre la gare. Elle aurait bien fait le chemin accompagnée plutôt que seule, mais elle ne pouvait se permettre de leur faire courir plus de risques que ceux qu'elles avaient déjà pris en l'hébergeant. Alors, profitant de la nuit qui la couvrait d'un agréable manteau d'obscurité, idéal pour dissimuler son identité, la blonde traversa les champs endormis et les vastes étendues d'herbes folles qui quadrillaient la campagne jusqu'à sa destination.
D'après ce que lui avait dit Pinako au cours du repas, elle arriverait à Dublith au terme d'un jour et demi de voyage – soit samedi matin, aux aurores. Autrement dit, elle rempilait pour encore deux nuits à bord d'un train ou d'une auberge. Enfin, c'était un mal pour un bien : voyager de nuit lui garantirait davantage d'anonymat.
Un jour et demi.
En fin de compte, c'était bien peu, dans une vie. Mais dans sa vie, actuellement, ce temps si court paraissait particulièrement long. Elle avait l'impression, plus que jamais, que chaque seconde comptait.
Un étrange pressentiment lui disait qu'elle se trouvait à présent dans l'œil du cyclone… et qu'à tout moment, tout pouvait basculer si elle ne se hâtait pas.
Lorsqu'elle fut arrivée à la gare, Riza se glissa définitivement dans la peau de son personnage. Elle se grandit, carra ses épaules et adopta un pas plus sûr. Pour parfaire la prestation, elle prit soin de jouer sur ses cordes vocales afin de donner à sa voix un timbre masculin au moment de demander un billet au guichetier. Elle n'eut à attendre que dix minutes avant de pouvoir embarquer : une fois dans le wagon, elle s'installa sur l'un de ses bancs si inconfortables, puis regarda les collines qui bondissaient dans le lointain. Sur certaines d'entre elles, on entrapercevait malgré la nuit quelques bicoques aux fenêtres allumées.
L'une d'elles devait être celle des Rockbell. Mais, dans l'obscurité, la blonde ne parvenait plus à la situer.
Elle était seule.
Le train démarra, et la vapeur dégagée par la locomotive acheva de brouiller le paysage.
À suivre…
À la base, ce chapitre avait été couplé avec celui qui suit, mais l'ensemble était si long que j'ai été obligée de le scinder, et je pense que ce n'est pas plus mal u.u' En tout cas, ce que je peux vous en dire, c'est que le prochain chapitre fera directement écho à celui-ci, mais un peu… différemment ;p Enfin ! Je ne vous en dis pas plus ~
BisouX à tous et à toutes, et à la semaine prochaine ! \o/
White Assassin
