Les livres qu'il n'a jamais lus
On lui avait demandé de classer. Rien de plus.
Une mission banale, presque administrative : lister, trier, protéger les ouvrages de la bibliothèque Malefoy. Après la guerre, le Ministère récupérait tout ce qui avait appartenu aux familles anciennement affiliées aux Mangemorts. Confiscation, inventaire, destruction partielle.
Mais pour les livres… ils avaient fait appel à Hermione Granger. Évidemment.
Personne ne savait mieux qu'elle reconnaître un grimoire maudit, désarmer un sortilège de protection ou repérer un ouvrage rarissime camouflé dans une couverture banale. Elle était parfaite pour ce travail.
Elle détestait ça.
Le manoir Malefoy était silencieux. Trop grand, trop vide, trop... froid.
Même le soleil semblait filtré par une couche de honte ancienne.
Hermione posa sa cape, sortit sa baguette, et commença.
La bibliothèque faisait deux étages. Une spirale de bois sombre, des milliers de livres. Certains si anciens qu'ils semblaient faits de poussière et de sorts.
Mais ce n'étaient pas les ouvrages interdits qui la troublaient.
C'étaient les détails. Les traces.
Un marque-page abandonné dans L'Art de la Guerre. Une phrase soulignée dans un traité d'histoire sorcière :
"Le pouvoir ne se transmet pas. Il se mérite ou il se vole."
Et surtout, cette écriture.
Fine, sèche. Parfois rageuse. Des annotations en marge. Des questions.
"Pourquoi ce choix ?"
"Mensonge."
"Et si ce n'était pas vrai ?"
C'était l'écriture de Draco Malefoy. Elle en était certaine.
Elle ne s'y attendait pas.
Elle pensait que ce lieu serait vide de lui. Et pourtant, il était partout. Pas en tant que noble héritier. Pas en tant que Mangemort repenti.
Mais en tant que... lecteur.
Un garçon qui s'était assis ici, seul. Qui avait cherché des réponses. Ou peut-être des issues.
Le troisième jour, elle trouva la première lettre.
Glissée dans un exemplaire de Les Grandes Familles Sorcières et leurs Déchirements Internes.
Une lettre non signée. Froissée. Jamais envoyée.
Je ne sais pas si je t'écris pour toi ou pour moi. Peut-être pour personne. Peut-être pour que les mots existent quelque part ailleurs que dans ma tête. J'ai appris à haïr. C'était simple. Ce que j'ai du mal à faire, c'est comprendre. Ce que je n'arrive pas à faire, c'est oublier.
Tu n'étais pas censée compter autant.
Et pourtant, tu es encore là. Même maintenant. Même dans mes silences.
Hermione resta figée.
Son cœur battait plus vite. Ses doigts tremblaient légèrement.
Elle reposa la lettre. Referma le livre. Reprit son classement.
Mais elle ne vit plus rien du reste de la journée.
Le cinquième jour, elle trouva une pile.
Des lettres non envoyées. Glissées entre des volumes d'histoire moldue et des recueils de poésie ancienne. Draco Malefoy écrivait. À elle, probablement. À personne, peut-être. Mais les mots vibraient d'une voix qu'elle reconnaissait.
Tu m'as fait honte.
Pas parce que tu étais née-moldue. Mais parce que tu étais plus forte que moi. Parce que tu te tenais droite pendant que je fuyais.
Je t'ai détestée.
Je t'ai enviée.
Je t'ai... admirée. En silence.
Elle avait lu ces lignes en apnée.
Ce n'était pas de l'amour. Pas vraiment. Mais c'était une faille. Un aveu. Et dans le silence du manoir, les mots sonnaient plus fort que des cris.
Elle se surprit à les chercher.
Chaque rayon devenait une chasse. Chaque tome, une promesse. Elle passait ses doigts sur les reliures, effleurait les annotations, traquait la moindre trace de lui. Comme une archéologue de l'âme Malefoy.
Elle ne savait pas pourquoi.
Peut-être parce qu'elle avait besoin de croire qu'il avait changé.
Peut-être parce qu'elle se sentait seule.
Ou peut-être — et c'était le plus dangereux — parce qu'elle l'avait toujours pressenti.
Le septième jour, elle le trouva.
Pas une lettre, pas une phrase. Un souvenir. Une Pensine discrète, posée à même une étagère, cachée entre deux ouvrages d'alchimie.
Elle hésita.
Puis plongea.
Le décor se forma lentement.
Un salon immense. Draco, jeune, assis sur un canapé. Une femme — sa mère — debout, inquiète.
— Tu ne peux pas rester ici, Draco. Tu sais ce que tu représentes pour eux.
— Pour eux, je suis un échec. Un traître.
— Non. Tu es vivant. Et c'est déjà un miracle.
Il ne répondit pas.
Puis, presque à voix basse :
— Est-ce qu'elle me hait, tu crois ?
Narcissa s'immobilisa.
— Qui ?
Il ne la regardait pas. Ses yeux fixaient un point invisible.
— Granger.
Un silence. Puis :
— Je ne pense pas. Elle est meilleure que ça.
Un souffle.
— C'est bien ça, le problème.
Hermione sortit du souvenir en tremblant.
Il l'avait pensée. Souvent. Trop. Elle n'était pas folle.
Mais il était parti.
Le manoir avait été vidé deux mois plus tôt. Draco Malefoy n'avait pas laissé d'adresse. Certains disaient qu'il était en Roumanie. D'autres, en mission d'aide aux rescapés. Il fuyait. Peut-être fuyait-il surtout elle.
Elle termina le classement.
Envoya les livres au Ministère. Fit ses rapports.
Mais elle garda un seul ouvrage. Un petit recueil de poésie, abîmé, aux coins cornés. À l'intérieur, en première page, une phrase manuscrite :
"Pour les choses qu'on ne dit jamais.
Pour celles qu'on espère encore."
— D.
Elle le garda.
Et elle attendit.
Pas activement. Pas comme une amante.
Mais comme on attend un orage. Ou un pardon. Ou une réponse que l'on sait peut-être ne jamais recevoir.
Car parfois, les livres qu'il n'a jamais lus…
Ce sont ceux qu'il a écrits. Pour elle.
Fin.
