Dans le canapé, Candice collait définitivement son compagnon. Faut dire que la journée avait été particulièrement riche en émotions et que la culpabilité l'accablait désormais sans pression… Et face à eux, Paul siégeait dans son fauteuil, verre de rouge à la main. C'était une soirée calme et honnêtement, cela faisait du bien après les fracas du jour… Et dans cette bonne humeur, le plus âgé quitta le salon et réapparut boîte en mains. Il la déposa sur la table basse et laissa sa nièce découvrir les quelques clichés qu'il était parti rechercher. Tout sourire, Candice scrutait les photos, se remémorant quelques tendres souvenirs qu'elle avait presque fini par oublier…
«C'est Fred là ? demanda Antoine en observant les photos aux côtés de sa compagne.
- Ouais ! On était partis camper pendant 3 jours. Il faisait une chaleur de dingue mais heureusement, on avait cette toute petite piscine pour se rafraîchir…
- Mais vous vous ressemblez comme deux gouttes d'eau en fait !
- C'est vrai ! Tout le monde l'a toujours dit, sourit Paul.
- Mais ou t'as retrouvé tout ça ?
- Dans mon vieux bureau… Je les ai cherchés exprès pour te montrer qu'on a quand même passé de sacrés moments, tous ensemble…
- C'est vrai…
- Attends mais…, s'étonna Antoine en récupérant une photo de Candice sur une balançoire. Mais là on dirait tellement Éloïse ! C'est dingue!
- Tu trouves ?!
- Ah mais carrément ! C'est flagrant…
- Fais voir, ordonna Paul.
- Antoine a tout un album de la petite dans son téléphone, s'amusa-t-elle en riant doucement. C'est un grand-père très gaga.
- Roh…, maugréa-t-il boudeur.
- Et il déteste qu'on lui rappelle qu'il est grand-père, ajouta-t-elle pour se moquer.
- Bah arrête ! Dis-toi que moi je suis désormais… arrière grand-oncle…! J'ai l'impression d'être un dinosaure.
- Ouais ça doit foutre un coup quand même…
- Ah ça…
- Mais regardez, s'écria-t-il en lui tendant son portable. Les mêmes!
- Ah oui, non là c'est clair. Comme deux gouttes d'eau… !
- C'est vrai, sourit tendrement Candice.
- Et au fait, Laurent, qu'est-ce qu'il devient ? Parce qu'officiellement, c'est un peu lui son papy, quand même.
- Oh bah Laurent est toujours dans sa boîte, à courir à travers le monde. Je crois que les enfants m'ont dit qu'il était à Amsterdam depuis 6 mois…
- Mais les petits ne le voient jamais ?
- C'est rare… Il était revenu quand je me suis rapatriée en France mais depuis qu'ils ont grandi, il a voulu repartir.
- Quand je pense qu'il a vu Éloïse 6 fois depuis sa naissance… ajouta Antoine dépité.
- Oui mais c'est pas grave, puisqu'elle a un autre grand-père chéri !
- Ouais…, tiqua Antoine avant de se replonger dans les photos. Elle est mignonne celle-là, sourit-il en voyant Candice perchée à l'arrière de la mobylette de son oncle.
- Oh je me souviens… J'adorais quand tu m'emmenais faire des tours…
- Alors que t'as jamais voulu monter sur ma moto?! s'indigna Antoine.
- Non mais c'est pas le même gabarit quand même… Puis toute façon tu l'as plus…
- Ça me manque un peu d'ailleurs, souligna-t-il nostalgique.
- Toi aussi t'aimes l'adrénaline de la conduite sur deux roues?!
- Carrément! Mais quand ma fille est arrivée, ça devenait moins pratique pour se déplacer…
- Il dit ça mais il a mis plus de 2 ans à la vendre juste après la naissance de Suzanne, hein!
- C'était une séparation difficile, conclut-il avec amusement.
- Il a pas voulu parler à tout le bureau pendant 2 jours, s'amusa Candice pour l'enfoncer.
- Ah oui quand même… Ça devait être beau à la maison, rigola franchement Paul.
- On était pas ensemble à cette époque…
- Ah c'est vrai.
- Mais Candice était bel-et-bien mariée par contre, rappela-t-il avec amertume.
- Oui bah ça va, ça comptait pas…
- Ah bah si, ça comptait justement!
- Une erreur…
- Une erreur qui m'a quand même coûté une jambe, une amnésie et un cœur brisé!
- Oui bon… Ta jambe, tu l'as retrouvé. L'amnésie c'est du passé et ton cœur est réparé…
- Réparé je sais pas hein, lâcha-t-il douloureusement.
Candice le fixa brusquement, prenant soudainement conscience de l'ampleur de sa tristesse.
- Bon! Et si on passait à table? proposa Paul pour changer de sujet.Tu peux garder les photos si tu veux…
- Merci, sourit-elle difficilement en refermant la boîte. »
Les deux suivirent le nordiste sans rechigner. Faut dire que la dernière réplique d'Antoine avait lâché un sacré froid dans ce salon qui tentait de retrouver sa chaleur. Le brun s'installa à table sans rien dire, observant sa compagne qui courait déjà aider son oncle en cuisine… Bah oui, fallait bien éviter le regard accusateur d'Antoine et vaquer à ses occupations…
«Tu sais que tu pouvais t'installer à table hein, sourit Paul à sa nièce qui tournait en rond.
- Mais je voulais pas te laisser tout seul à tout préparer…
- Et tu voulais pas rester avec lui…
Elle haussa les épaules, dépitée.
- Bah oui… Il me déteste!
- Mais non… souffla-t-il d'exaspération. Tu arrêtes un peu de te victimiser, franchement?! Il a le droit d'être en colère avec ce que tu lui as dit ce matin, non? Imagine un peu si tu avais été à sa place et qu'on t'annonçait ça! Comment tu l'aurais pris?!
- Bah mal…
- Bah bien sûr! Et le pire, c'est qu'au fond de toi, t'en as envie de ce mariage. C'est juste ta peur qui revient te dévorer.
- Mais qu'est-ce que je peux faire? demanda-t-elle avec tristesse.
- Attendre. Et accepter sa colère, parce qu'elle est légitime.»
Candice n'osa même pas riposter, épatée par l'aplomb de cet oncle qui lui faisait la leçon comme s'il la connaissait depuis petite. Pourtant, eux deux ne s'étaient pas côtoyés pendant plus de 30 ans… Comme quoi, les liens du sang semblaient indéfectibles…
Le repas se déroula dans une ambiance plus détendue. Enfin, d'apparence… Parce qu'au fond, Candice angoissait son futur échange avec sa mère, les souvenirs bien ternis par les mots atroces et violents qu'elle avait pu recevoir lors de son irruption belge. Qu'est-ce qu'elle allait bien pouvoir lui dire? Était-elle prête à tout entendre? Et comment l'entretien allait-il se finir? Dans les larmes, comme d'habitude? Ou dans la joie, à son plus grand étonnement? Personne ne le savait vraiment, finalement… Et même Antoine ne disait rien mais n'en pensait pas moins. Savoir sa compagne se frotter à nouveau à cette plante urticante, lui aussi, ça lui filait des boutons…!
Mais en attendant, Candice entendait bien profiter de sa chambre pour renouer avec son chéri avant son départ. Au programme: excuses, câlins et mots doux… alors certes, ce n'était qu'une maigre consolation mais, elle y tenait. Et justement, à en entendre le parquet grincer dans le couloir, Antoine semblait sortir de la salle de bain, relevait-elle faussement concentrée sur son portable. Et dans un silence religieux, le brun déposa ses affaires sur la chaise avant d'oser débarquer dans les draps à son tour.
«Aaaah! soupira-t-il de satisfaction en s'enfonçant dans le matelas moelleux sous le regard attendri de sa compagne.
- Mal au dos?
- Le canapé d'hier…, se contenta-t-il de répondre.
- Tu veux un massage… ? proposa-t-elle d'une moue enfantine.
Surpris, Antoine la fixa avant de sourire légèrement.
- C'est une proposition indécente?
- Non…
- Parce que désolé mais savoir ton oncle sur le même palier, ça me…
Amusée, la blonde rigola doucement avant de se projeter contre son corps.
- C'était juste pour détendre tes petits lombaires de grand-père, sourit-elle contre sa joue.
- Non mais oh! protesta-t-il faussement vexé alors qu'elle riait.
- N'empêche… Ça me fait bizarre d'être ici, chez mon oncle, avec toi…
- J'aurais quand même préféré venir dans d'autres circonstances…
- Oui c'est sûr… mais au moins comme ça, t'auras rencontré toute la famille… même papa…
- Hum…
- Tu sais, c'est super étrange comme sensation mais… j'avais tellement l'impression qu'il était là, avec nous, pour de vrai, tout à l'heure. Comme s'il voulait me rassurer…
- C'était peut-être pas qu'une impression, qui sait…
- Je sais pas... en tout cas, ça m'a fait tellement de bien de lui parler. De vider ce que j'avais sur le cœur. Je me suis rendu compte que garder tout pour soi c'était pas la solution en fait…
- Je suis heureux de te l'entendre dire. Dommage que ce soit arrivé trop tard…
- Oui, confirma-t-elle tristement. J'ai tellement cru que j'y arriverai, en fait. Je voulais tellement te prouver que t'avais tort mais… j'ai pas réussi.
- Tort de quoi ?
- Quand je suis partie ici, tu m'as dit que t'avais peur que ça mette notre mariage en danger. Sauf que moi, je t'ai assuré que non… et voilà…
- Mais Candice, même avant de venir ici, t'y allais à reculons.
- Parce que j'osais pas te dire que je flippais...
- Eh bah t'aurais peut-être dû !
- Mais je voulais pas te blesser. Je sais à quel point ça compte pour toi et… tout s'est emballé très vite et… j'ai pas su gérer…
- Ah bah non puisque t'as rien géré du tout… Ma mère était au four et au moulin. Moi je faisais le transfert entre vous deux et j'essayais de temporiser pour pas la vexer et pour pas t'angoisser… Les enfants étaient tous super contents de s'investir et Suzanne… Suzanne je sais pas comment je vais lui annoncer ça.
Émue, Candice sentit les larmes pointer le bout de leur nez.
- J'ai juste besoin de temps Antoine… Ce que je viens de vivre était vraiment difficile… se prendre ces mots si durs dans la figure, je… j'pensais pas que ça pouvait faire aussi mal… et depuis… j'arrive pas à me défaire de l'idée que je suis vraiment toxique.
- Je te répète pourtant sans cesse que c'est pas vrai… que c'est dans ta tête… et que si t'étais vraiment toxique, je serais pas là, Candice.
- Je sais…, acquiesça-t-elle en reniflant avant de laisser le silence se réinstaller. J'ai tellement peur d'affronter maman demain matin. Je… Je sais pas ce qu'elle veut me dire… ni comment elle va être… Imagine, si elle recommence…
- Si Paul veut que tu y ailles, c'est qu'il a préparé le terrain. Il te laisserait pas te jeter dans la gueule du loup comme ça…
- Je sais… mais j'ai peur…
- Ça va aller, soupira-t-il en embrassant son crâne. Ça va aller… En attendant, tu te reposes pour être en pleine forme face à elle. Ok? »
Candice acquiesça, rassuré par les mots doux et encourageants de son compagnon. Et le silence vint irradier la pièce à nouveau, berçant deux âmes fatiguées qui trouvèrent rapidement les bras de morphée.
...
Sur le quai de la gare, Candice semblait redoubler de force pour contenir ses larmes. Devant elle, son brun préféré, sac vissé au dos s'apprêtait à quitter son pays natal. Et cette froideur qui avait investi son regard depuis l'annonce cinglante de la veille la culpabilisait. En retrait, Paul avait scellé ses mains derrière son corps, observant sa nièce se morfondre en silence.
«Il devrait pas tarder, soupira Antoine en regardant l'heure sur son portable.
Déçue de ce départ anticipé, Candice s'approcha et osa encercler sa taille avec timidité.
- Je suis désolée, répéta-t-elle difficilement.
- Passe ton week-end ici et on en reparlera… Ok? »
Elle acquiesça avant d'accrocher son cou avec fougue. Antoine la réceptionna difficilement, conscient que sa situation personnelle était difficile et que Candice avait besoin d'être rassurée. Et au fond, ses excuses permanentes qui ne quittaient plus ses lèvres depuis la veille commençaient presque à apaiser sa rancœur. Il embrassa tendrement le haut de son crâne et heurta le regard bienveillant de Paul muré dans le silence.
«J'veux pas que tu partes, entendit-il tout bas.
- Tu sais bien que c'est ce qu'il y a de mieux pour moi… Et je viendrais te chercher à la gare demain soir, ok ?
- Ok… Je te redirais alors…
- Oui. Et s'il te plaît, ne te laisse pas marcher dessus par ta mère.
- Oui, chuchota-t-elle avant d'humer l'odeur de son cou. Promis…
- Allez… Le train arrive... Je dois y aller… lança-t-il doucement.
- Je t'aime hein…, osa-t-elle contre ses lèvres»
Antoine accepta son baiser et prit le soin d'essuyer les larmes qui coulaient sur les joues de sa compagne qui se reculait déjà pour laisser la place à son oncle. Le moustachu lâcha un grand sourire et attrapa Antoine par les épaules.
«Rentre bien Antoine ! Lança- il-dans une accolade. Et t'annules rien, ok ? conclut-il en chuchotant à son oreille.
- Hein ? s'étonna-t-il dans un demi-silence.
- Fais-moi confiance, t'annules rien. Moi je gère le reste.
- De ?»
En réponse Paul hocha négativement sa tête en reculant, juste histoire de lui faire entendre que dans le sud, une fête se devait d'être préparée. Et que vu l'état de la situation actuelle, tout reposait sur ses épaules... La porte du train s'ouvrit et le policier se décala pour laisser descendre les usagers. Derrière lui, une petite main retint la sienne, le forçant à se retourner une dernière fois. Sa détresse le bouleversa et son cœur se serra. Ok, là il n'avait plus le choix. Il devait partir avant de craquer à son tour… Il finit par oser un léger sourire et déposa un dernier baiser sur ses lèvres avant de gravir les quelques marches qui les séparaient. Désormais, Antoine laissait son cœur dans les mains bienveillantes de son oncle. Et lui songeait déjà à son retour incertain…
"Qu'est-ce que tu lui as dit ? demanda Candice à son oncle.
- De?
- A Antoine, qu'est-ce que tu lui as dit ?
- Ah... Rien... Que je gardais un oeil sur toi, c'est tout, sourit-il fièrement avant d'entraîner sa nièce vers le hall de la gare"
