Depuis l'incident, je ne suis plus la même. Je ne me sens plus en sécurité nulle part. La nuit, je me réveille en sursaut, hantée par le souvenir du regard de Paul, déformé par la colère. Ce moment tourne en boucle dans ma tête. Son mouvement brusque, l'impression qu'il allait me frapper, la peur qui m'a glacée jusqu'aux os et… ce qu'il est devenu.
Un loup.
C'était un loup, j'en suis sûre. Mais c'est impossible. Personne ne peut faire ça. Pourtant… tout semblait si réel… Et si ce n'était pas mon imagination ? Et si j'avais réellement vu… l'impossible ? Une part de moi refuse d'y croire. Mais alors, pourquoi cette image refuse-t-elle de me quitter ?
Rachel a bien essayé de me faire entendre raison et je l'ai crue quand elle m'a affirmé que c'était impossible que Paul se transforme en loup. J'ai décidé de ranger cette idée dans un coin de ma tête, mais rien que l'idée de me retrouver près de Paul me fait frissonner.
L'école est le seul endroit où je tolère encore d'être. Là-bas, je n'ai pas le choix : je sais que je pourrais croiser Paul, Jacob ou un autre. Mais je refuse qu'ils s'approchent trop près. Que savent-ils réellement de Paul ?
Alors, la plupart du temps, je reste avec Jill.
Paul brille par son absence ces derniers jours et ça me soulage. J'en viens à espérer qu'il reste enfermé chez lui à se morfondre, plutôt que de devoir croiser son regard dans les couloirs. Même quand il est là, il ne parle pas. Il reste à l'écart de ses propres amis, le regard perdu, comme s'il portait tout le poids du monde sur ses épaules. Ce qui est étrange… mais pas suffisant pour me rassurer.
Depuis cet après-midi là, je ne suis pas retournée chez Emily et Sam. Rien que l'idée de me retrouver sous le même toit que Paul me fait trembler. Comment pourrais-je être près de lui ? Comment pourrais-je le regarder en face ?
Même Jacob, je ne veux plus lui parler. Je revois sans cesse écartant Paul de moi, lui ordonnant de partir. Quand je refais le film de l'incident, je le revois encore dire qu'il est concerné par tout ça. Dans le fond, tout était déjà prévu entre eux, peut-être qu'il est seulement intervenu car Paul allait trop loin. Embry, Jared, Quil… Ça ne m'étonnerait pas qu'ils soient tous dans la combine. Est-ce qu'ils savent que Paul est un loup ? Non, pire : depuis quand le savent-ils ?
Depuis quand sont-ils amis avec Paul, d'ailleurs ? Je ne les ai jamais vraiment vus traîner ensemble avant… Avant quoi ? Avant qu'il ne devienne… ce qu'il est ? Cette pensée me donne la nausée.
Le seul que je tolère encore, c'est Seth. Parce que Seth, je le connais depuis toujours. Parce qu'il est plus jeune et sûrement innocent. Je pense bien qu'aucun des autres garçons n'ai voulu l'impliquer dans leurs magouilles, ni dans leur secret de peur que Seth me raconte tout, ou à Leah, Sam et Emily.
Dans ces moments- là, je crois sincèrement qu'il ne connaît pas la véritable nature de Paul ou alors… Rachel a raison : J'ai tout inventé avec mon imagination débordante.
— Tu devrais venir chez Emily, m'a-t-il dit hier avec un sourire maladroit. Je suis sur qu'elle prépare ses fameux muffins pour l'occasion.
J'ai secoué la tête, refusant catégoriquement.
— Non, Seth. Je ne veux pas prendre le risque de voir Paul, Jake ou les autres. Tu ne te rends pas compte de ce qu'ils m'ont fait. Comment pouvez-vous rester amis avec eux ?
Son sourire s'est effacé, remplacé par une ombre de tristesse.
— Ils n'ont rien fait, tu sais. Il n'y a que Paul qui est fautif et pas pour les raisons que tu crois. On s'inquiète tous pour toi.
— Qu'ils s'inquiètent, ai-je répliqué sèchement. Je n'ai pas besoin d'eux.
— Emily et Leah vont être déçues que tu ne viennes pas, mais elles comprendront. Quand tu te sentiras prête, ok ?
J'ai hoché distraitement la tête. Je ne sais pas si je serais prête un jour.
Au vu des semaines, les choses n'ont pas vraiment changé. Je croise parfois Paul dans les couloirs, il a l'air d'un fantôme, traînant ses pas comme s'il portait un poids immense. Ses épaules voûtées et ses cernes creusés ne me laissent aucun doute : il s'enfonce toujours plus loin dans un puits sans fond. Dans ces moments-là, je me demande comment j'ai pu un seul instant imaginer qu'il pouvait se transformer en un loup géant.
Franchement, un loup ? Vu sa dégaine actuelle, il ressemble plus à un mollusque échoué sur le rivage qu'à un prédateur redoutable. Cette idée me réconforte et me permet de relativiser, mon esprit m'a bel et bien joué des tours.
Une part de moi se demande si je devrais me sentir soulagée ou désolée pour lui. Mais chaque fois que ce genre de pensée surgit, je me rappelle la peur, la terreur qui m'a glacée ce jour-là. Alors, je serre les dents et détourne les yeux.
— Il se détruit, tu sais, m'a dit Seth un jour en me raccompagnant chez moi. Depuis que Rachel a quitté La Push, c'est à peine s'il survit.
— Je m'en fiche.
— Non, tu ne t'en fiches pas. Tu n'es pas comme ça, Haven.
Je n'ai pas répondu. Peut-être qu'il avait raison, peut-être pas. Tout ce que je savais, c'est que je ne pouvais rien faire pour lui. Au fil des jours, Paul a d'ailleurs complètement arrêté d'aller à l'école.
Mais quelques jours plus tard, on a frappé à la porte. J'étais dans le salon avec mes parents en train de regarder le dernier épisode de notre série du moment. Je suis allée ouvrir et j'ai eu la surprise de voir que Kim se tenait sur le seuil, avec une expression douce sur le visage.
— Kim ? Qu'est-ce que tu fais là ?
— Je voulais te parler, Haven. Est-ce que je peux entrer ?
Je n'ai pas su quoi répondre, mais j'ai fini par m'écarter pour la laisser passer. Hésitante, je l'ai entraînée dans ma chambre pour que l'on soit plus tranquille. Elle s'est assise sur ma chaise de bureau, regardant autour d'elle avec un sourire affectueux, tandis que j'ai pris place sur le bord de mon lit.
— Qu'est-ce qu'il y a ? demandé-je, légèrement sur la défensive.
— Ecoute moi sans me couper, s'il te plait. Je sais que tu es en colère, a-t-elle commencé. Et tu as parfaitement raison de l'être. Ce que Paul a fait est impardonnable, mais tu ne peux pas mettre tous les garçons dans le même panier.
J'ai croisé les bras, mais je l'ai écouté sans rien dire.
— Je ne vois pas pourquoi je devrais leur faire confiance. Jacob a dit qu'il était concerné par tout ça quand il a dégagé Paul de chez moi.
Kim a hoché la tête, comme si elle s'attendait à ma réponse.
— Il t'a protégée, c'est en ça qu'il s'est senti concerné. Si Paul t'avait blessé et qu'il n'avait rien fait, il s'en serait voulu toute sa vie.
— Ça ne change rien, ai-je répliqué, le ton sec.
— Haven, écoute-moi, a-t-elle insisté, d'une voix ferme mais sans agressivité. Si Paul t'avait blessé et qu'il n'avait rien fait, il s'en serait voulu toute sa vie, me répète-t-elle. Jacob n'a jamais été de mèche avec Paul. Au contraire. Je sais que pour toi c'est difficile de le croire maintenant, mais il tient vraiment à toi. Il te considère vraiment comme une sœur.
Je n'ai pas su quoi répondre. Kim s'est levée et a posé une main légère sur mon épaule.
— Donne-lui une chance. Pas pour lui, mais pour toi… Et peut-être un peu pour moi aussi. Ça me manque d'avoir une copine de mon âge dans ce groupe.
Et puis elle est partie, me laissant seule avec mes pensées. Ce soir-là, en m'endormant, les paroles de Kim me sont revenues encore et encore. Peut-être avait-elle raison. Peut-être que je devrais essayer.
Le lendemain midi, la cloche du déjeuner vient de sonner. Comme d'habitude, je me dirige vers une table vide au fond de la cafétéria, mon plateau en main. Mais Seth m'intercepte avant que je ne m'assoie.
— Hey, tu ne veux pas venir manger avec nous? demande-t-il, un sourire engageant sur les lèvres.
Je fronce les sourcils, hésitante.
— Je ne sais pas, Seth…
— Kim m'a dit qu'elle est venue te parler, allez essaye… Si tu te sens mal à l'aise, tu pourras repartir, je te le promets.
Je regarde vers leur table, là-bas, au centre de la salle. Kim est là, souriante, à côté de Jared, Jacob, Quil et Embry. Ils parlent entre eux, l'air détendu, presque… normaux.
Evidemment qu'ils sont normaux, je m'attendais à quoi ? me rabroué-je.
— Ils n'attendent rien de toi, ajoute Seth doucement.
Une partie de moi veut refuser, comme à chaque fois. Mais quelque chose dans son ton, peut-être sa sincérité, me pousse à accepter.
— Ok, dis-je à mi-voix.
Seth me guide jusqu'à leur table, et soudain, je me sens minuscule sous leurs regards.
— Salut Kim, salut les gars, lance Seth en posant son plateau. Regardez qui j'ai trouvée !
Tous les regards se tournent vers moi. Jacob relève doucement les yeux, surpris. Quil, lui, esquisse un sourire amical.
— Haven, dit-il simplement, comme s'il avait peur de me brusquer.
Je hoche la tête en guise de réponse, me tenant encore debout avec mon plateau.
— Assieds-toi, propose Kim, tirant une chaise pour moi.
— Merci, murmuré-je, posant mon plateau en tâchant d'ignorer les battements rapides de mon cœur.
Le silence qui suit me donne envie de me lever et de m'enfuir. Mais Seth commence à parler, racontant une anecdote amusante sur un cours du matin et, peu à peu, je me détends. Je me surprends à participer timidement aux conversations. Seth m'offre un sourire resplendissant pour m'encourager.
— Tu viens avec nous chez Sam et Emily, ce week-end ? me demande Quil d'un air enjoué.
Et, finalement, j'ai accepté.
Quand le week-end arrive, je suis partagée entre l'angoisse et une pointe d'excitation. Je n'ai pas mis les pieds chez Sam et Emily depuis… l'incident. L'idée de croiser Paul me tord l'estomac, mais Seth m'a promis qu'il ne serait pas là.
En arrivant devant leur maison, j'hésite sur le seuil. Seth, me lance un sourire encourageant. Mais avant qu'il n'ait pu dire quoi que ce soit, la porte s'ouvre sur Leah. Elle m'attire aussitôt contre elle et me fait entrer dans la maison. L'odeur familière de la cuisine d'Emily m'accueille.
— Haven! s'exclame Emily, visiblement ravie de me voir.
Elle me salue avec un sourire chaleureux, comme si rien n'avait changé, comme si je n'avais pas évité tout le monde pendant des semaines.
— Salut, dis-je timidement, serrant les bras autour de moi.
Emily ne fait aucun commentaire sur ma nervosité. Elle se contente de m'offrir une tasse de chocolat chaud qu'elle fait glisser sur la table doucement.
— Je suis contente que tu sois là, ajoute-t-elle. On a tous beaucoup pensé à toi.
Je hoche la tête et m'installe en face de ma tasse. Je bois une gorgée et ferme les yeux un instant, savourant les saveurs.
Les garçons qui n'étaient pas là quelques minutes plus tôt entrent dans le séjour, riant de leur dernier exploit dans la forêt.
— Si, j'ai failli te dépasser hier !
— Dans tes rêves, Jared. Je t'ai laissé une chance, c'est tout !
Ils rient et, moi, je fronce les sourcils. De quoi parlent-ils exactement ? Course d'endurance ? Sprint ? Rien d'inhabituel, pas vrai ? Pourtant, une alarme s'allume dans mon esprit. Avant que je ne puisse creuser, une voix en moi hurle : Stop. Arrête. Ce n'est qu'une discussion banale. Ne recommence pas.
— Ah, t'es venue! s'exclame Quil avec un sourire éclatant en le voyant attablée.
Je tente un sourire, un peu crispé, mais il n'insiste pas. Au lieu de ça, ils reprennent leur conversation me laissant avec Leah et Emily. Au cours de l'après-midi, nous sommes rejoints de quelques garçons supplémentaires, ainsi que Jared et Kim. Au fil des heures, je me sens de plus en plus légère et je constate que je suis véritablement ravie d'être là car tout le monde m'a manqué.
