Les jours défilent et, avec eux, le froid s'intensifie dans la région. Depuis notre accrochage, j'évite soigneusement de croiser Paul et il ne fait aucun effort pour me parler non plus. Tant mieux.

De toute façon, entre les cours, les trajets sous la pluie glaciale et les amis, je n'ai même pas le temps d'y penser. Ou du moins, c'est ce que j'essaie de me faire croire.

Je chasse mes pensées en secouant légèrement là tête et soupirant. Aujourd'hui, j'ai dû me rendre chez le médecin à Forks pour un petit contrôle de mon épaule. J'ai dû y aller seule, car mes parents ne pouvaient pas m'emmener. Et comme si ce n'était pas suffisant, la neige a décidé de pointer le bout de son nez !

En une demi-heure, vingt centimètres se sont accumulés sur le sol. Me voilà coincée à Forks, les bus étant immobilisés à la gare routière. Pourquoi a-t-il fallu que j'aille chez le médecin aujourd'hui? Non, pourquoi a-t-il fallu que cette fichue neige tombe maintenant?

Emmitouflée dans mon manteau, mon écharpe cachant le bout de mon nez, j'avance dans les rues de Forks. J'ai froid, malgré mes gants et mes bottes rembourrées, mais je dois continuer. Je ne peux pas rester à Forks toute la nuit. J'ai école demain…

Après deux longues et terribles heures, j'arrive enfin à l'embouchure de La Push Road. Combien de temps me faudra-t-il encore pour rentrer? Je soupire et reprends ma marche. Si je ne démarre pas maintenant, je ne le ferai jamais.

J'ai bien essayé d'appeler mes parents, mais les lignes sont saturées et la neige doit bloquer les voitures. Je grelotte, trempée et glacée jusqu'aux os. Cela fait bien deux heures que je marche sur cette route déserte, et la neige n'a pas cessé de tomber. Je soupire en regardant droit devant moi. Le chemin jusqu'à la réserve me semble interminable…

Tut tut !

J'ai rêvé ou quelqu'un vient de klaxonner derrière moi? Je me retourne vivement et aperçois un 4x4 gris, équipé de chaînes sur les roues, qui ralentit à ma hauteur. Merci, je souffle intérieurement en levant les yeux vers le ciel. La vitre passager se baisse.

—Tu es certainement la personne la plus stupide que je connaisse! râle une voix familière. Allez, monte.

Je reste figée. C'est Paul.

—Je ne foutrai pas un pied dans ta voiture, craché-je.

—Sérieusement? Il neige, il fait un froid de canard, tu es trempée, gelée, frigorifiée et, toi, tu trouves encore le moyen de râler parce que je te propose de te ramener?

Je ne réponds rien. Son regard désolé me met mal à l'aise. Je dois vraiment faire pitié…

—Tu sais quoi? Crève toute seule dans le fossé. On ne pourra pas me reprocher de n'avoir rien fait, grogne-t-il.

Il commence à remonter la vitre, mais je l'arrête.

—D'accord, murmuré-je. Je monte.

J'ouvre la portière et Paul se penche un peu pour m'aider à grimper dans le 4x4. Une fois assise, je prends pleinement conscience de mon état. Je me mets à trembler violemment, incapable de contrôler mon corps.

—Tu devrais retirer tes vêtements. Tu n'arriveras pas à te réchauffer sinon, me conseille Paul, presque trop gentiment.

—Pardon? répliqué-je, incrédule.

—Je ne vais pas t'agresser, du calme !, soupire-t-il. Simplement, j'ai des couvertures à l'arrière. Enfin, fais comme tu veux, déclare-t-il en haussant les épaules.

Il repasse en première et démarre. Je commence par enlever mes gants, mes chaussures et mes chaussettes. L'idée de me déshabiller davantage me terrifie, mais mes vêtements trempés me glacent jusqu'aux os. Je finis par déboutonner mon jean. Tant pis.

Après m'être débattue avec ce fichu pantalon, je récupère les couvertures à l'arrière et en place une sur mes genoux. Ça va déjà un peu mieux. J'enlève mon manteau, puis mon gilet et mon haut en un éclair, avant de m'emmitoufler dans la deuxième couverture. Du coin de l'œil, je surprends Paul qui sourit en coin.

—Quoi? grogné-je, les joues brûlantes.

Il ne répond rien, mais son regard amusé en dit long. Je détourne les yeux, véritablement gênée. Le trajet me semble tout de suite plus agréable, ou du moins plus supportable. Heureusement qu'il est passé par là.

Quand on arrive enfin devant chez moi, je commence à remettre mon pantalon, mais comme il est trempé, j'ai beaucoup de mal. Paul descend du véhicule sans un mot et vient ouvrir ma portière.

—Laisse. Grimpe sur mon dos, dit-il en se tournant.

J'ajuste les couvertures autour de moi et m'accroche à lui. Il me porte jusqu'au porche. Il me pose délicatement et à peine ai-je retrouvé la stabilité sur mes pieds, qu'il me rend déjà mes affaires et repart, sans attendre un merci.

La porte d'entrée s'ouvre sur ma mère. Son soulagement se transforme vite en incompréhension devant ma tenue. Sans un mot, je ramasse mes affaires et pénètre dans la maison, enfin au chaud...

Point de vue Paul

— Tiens, mais qui voilà avec son nez tout rouge ?, je m'esclaffe en voyant Haven arriver.

Parce que, oui, elle a choppé la crève après que je l'ai ramenée chez elle l'autre jour.

Elle me fusille du regard sans répondre et file droit vers son casier. Ça m'amuse. Même malade comme un chien, elle garde ce fichu caractère. Jill l'attend là-bas, bras croisés et l'air sévère.

En passant près d'elles pour rejoindre ma salle de classe, je surprends leur conversation.

— Le docteur Canon voulait me filer deux semaines d'arrêt, j'ai refusé ! Trois jours, c'est bien assez ! explique-t-elle alors qu'elle est à moitié dans les vapes.

— Non mais t'as vu ta tête, Haven ? Tu devrais être au lit, pas ici ! gronde Jill, visiblement agacée. C'est pas sérieux Haven !

Je ralentis à peine pour les écouter. Jill a raison, mais évidemment, Haven fait sa tête de mule. Elle est encore en piteux état, ça se voit, mais elle n'en a rien à faire.

Une vraie tête de mule, j'ai dit !

Les filles filent en classe et, moi, je continue mon chemin vers mon cours.

Pendant tout le cours, impossible de rester concentré. « Docteur Canon », sérieusement ? Je lâche un grognement malgré moi, attirant un regard surpris de mon voisin.

— Quoi ? je marmonne avant de secouer la tête pour lui signifier de lâcher l'affaire.

Je tapote nerveusement mon stylo contre la table, les mots de Haven tournant encore en boucle dans ma tête. « Canon », non mais vraiment ! Je roule des yeux, croise les bras sur ma table et tente de me concentrer sur ce que le prof raconte.

Plus tard dans la matinée, je la vois rejoindre Jacob, Quil et Embry. Ça fait un moment qu'ils ne l'ont pas vue et ça se lit sur leurs visages. Ils ont l'air surpris. Elle est clairement dans un sale état, mais qu'est-ce qu'ils croyaient ? Ils ont vu dans ma tête que je l'avais trouvée à moitié congelé dehors… pas de quoi être étonné.

Ceci dit, elle a l'air aussi surprise qu'eux, vu comment elle les regarde bizarrement. Elle doit être en train de se demander pourquoi on n'est pas vraiment couverts. C'est vrai qu'on ne semble jamais avoir froid, même en plein hiver. Truc de loup. Mais elle ne doit en aucun cas l'apprendre.

La sonnerie retentit et elle s'éloigne comme un automate pour rejoindre son prochain cours. En passant à côté de nous, elle croise mon chemin et je rejoins aussitôt les gars. C'est là qu'Embry me lance à mi-voix :

— Elle a ton odeur partout sur elle.

Je ne dis rien, mais je serre les dents. Haven, elle, n'a pas dû entendre. Elle est trop loin, trop fatiguée pour prêter attention. Et puis, même si elle avait entendu, elle n'aurait rien compris. Tant mieux.

Un peu plus tard, je la recroise encore. Cette fois, elle est au bout de sa vie. Elle longe le couloir en rasant le mur, les yeux à moitié fermés, prête à s'écrouler. Je n'hésite pas une seconde.

— J'te tiens, microbe, je lui murmure à l'oreille tout en la soulevant dans mes bras.

Elle ne réagit pas. Trop faible pour protester. J'ai l'impression qu'elle s'est presque endormie contre moi. Je la porte jusque chez elle, en me dépêchant de traverser la réserve. Pas question qu'elle attrape encore plus froid ! Quand j'arrive chez elle, je la dépose sur le banc devant le perron, juste le temps de fouiller ses affaires pour trouver ses clés.

Quand je les trouve, j'ouvre la porte et je la reprends dans mes bras. Je l'emmène directement dans sa chambre et la pose délicatement sur le lit. Elle frissonne encore, alors je m'empresse de défaire les couvertures pour la glisser dessous.

C'est là que je tombe sur mes deux plaids. Sérieusement ? Mes plaids ? Elle les a gardés dans son lit ?

Je la dépose délicatement dans son lit. Un sourire me monte aux lèvres malgré moi lorsque je la vois agripper mes plaids et les serrer contre elle comme des doudous.

Ça me fait bien plus plaisir que je ne voudrais l'admettre.

Une fois qu'elle est sous les couettes, bien bordée, je sors mon téléphone et appelle Leah. Elle saura quoi faire. Moi, je suis complètement paumé.

— Il faut que tu viennes chez Haven. Elle a de la fièvre, je ne sais pas quoi faire, je soupire au téléphone.

Elle arrive rapidement, vingt minutes à tout casser. Quand elle débarque, elle soulève les couettes pour sortir Haven du lit et me chasse de la chambre sans ménagement.

— J'ai bordé le lit et toi tu fiches tout par terre, je me lamente en sortant.
— Et c'était très prévenant de ta part, mais maintenant dégage, je vais la mettre en pyjama.
— Je l'ai déjà vue en sous-vêtements, hein, je marmonne toujours en râlant.
— En sous-vêtements, oui, mais je ne te laisserai pas la voir à poil, capich'? gronde-t-elle en me poussant vers la sortie.

Je râle, mais je descends dans le salon. Pas question de partir sans m'assurer qu'elle va mieux. J'attrape un bouquin qui traîne dans la bibliothèque. C'est pas trop mon truc, mais ça m'occupe. Finalement, je suis tellement absorbé que je ne remarque presque pas la porte qui s'ouvre. Le père de Haven entre et me surprend assis là. Il chope un parapluie à l'entrée et le brandit comme une arme.

— Qu'est-ce que tu fais là ? grogne-t-il.

Je me lève d'un bond, les mains levées pour calmer le jeu.

— Haven est malade, Leah est là-haut avec elle, me justifié-je rapidement.

Comme pour confirmer mes paroles, Leah descend à ce moment-là avec un thermomètre à la main.

— 38,4 au thermomètre, tonton. Tu devrais reposer ce parapluie avant de te faire mal, plaisante-t-elle.

ATCHA, ATCHMM, ATCHOUM !

Monsieur McGeller repose son arme improvisée et monte voir sa fille. Moi, je reste en bas, à attendre, en espérant que la journée ne se complique pas plus.

Point de vue Haven

J'ai repris les cours après plusieurs jours d'absence. Le docteur Canon, enfin Cullen, avait raison de me prescrire du repos.

Ce matin, je termine rapidement de me préparer pour aller attendre Jacob devant la maison. En sortant de la maison, je tombe sur Paul, adossé à son 4x4, les bras croisés, une expression indéchiffrable sur le visage.

— Euh, qu'est-ce que tu fais là ? demandé-je, ne cachant pas ma surprise.

— Je t'emmène, lâché-t-il. Monte.

Je lève un sourcil, méfiante.

— Jacob n'est pas là, déclare-t-il, alors que je fronce les sourcils.

— Et Embry ?

— Pas dispo non plus.

Je le fixe, hésitante.

— T'as une meilleure option ? grogne-t-il légèrement en haussant un sourcil.

— Quil ? couiné-je.

— Sérieux, microbe, monte ! soupire-t-il avec un sourire en coin qui me déstabilise.

Il remonte dans sa voiture, je soupire doucement pour me calmer et je finis par monter dans son 4x4. Il remet le moteur en marche tandis que j'attache ma ceinture, puis il démarre doucement. Pendant quelques instants, seul le bruit du moteur résonne dans l'habitacle et je fais de mon mieux pour fixer la route, bien que je sente son regard glisser sur moi par intermittence. Il a l'air tendu, comme s'il hésitait à parler.

— Oui ? je l'encourage.

Finalement, il inspire profondément.

— Rachel est partie.

Je tourne la tête vers lui, surprise par l'aveu qui n'en est pas vraiment un.

— Je sais, je réponds doucement.

— Non, je veux dire… vraiment partie. Elle a trouvé un logement étudiant à l'université et elle ne reviendra pas. Jamais. Même pour les vacances.

Je ne sais pas quoi répondre. Je suis déjà au courant de tout ça. Qu'attend-il de moi ? Lui dire que je suis désolée ?

— Paul, je–

— J'ai merdé avec toi, me coupe-t-il.

Mon cœur rate un battement.

— Paul…

— Non, écoute-moi, tranche-t-il de nouveau.

Il ralentit et finit par se garer sur le bas-côté. Ses mains restent crispées sur le volant, ses jointures blanchies par la pression.

— Ce que je t'ai fait… Je peux pas juste faire comme si c'était rien.

Je déglutis, incapable de détourner les yeux de lui. L'espace d'un instant, je me retrouve projeté à cet instant là, où Paul me hurlait dessus de colère.

— C'est impardonnable, martèle-t-il.

Ses doigts se crispent un peu plus sur le volant, tellement que j'ai l'impression qu'il va le réussir à le tordre. Enfin, il prend une inspiration, relâche le volant et se passe une main sur le visage.

— J'arrête pas d'y penser. J'aurais pas dû réagir comme ça. J'aurais jamais dû te faire peur.

Je baisse les yeux, terriblement mal à l'aise. Je n'ai pas seulement eu peur ce jour là, j'étais terrifiée. Tellement terrifié, que j'ai cru le voir se transformer en un loup immense et sauvage.

— J'ai paniqué et j'ai pété les plombs, ajoute-t-il. C'est pas une excuse. Je le sais. Et c'est pas…

Il se tait un instant, serre les dents, comme s'il venait de se rendre compte qu'il en disait trop. Pourtant, il prend une autre inspiration avant de lâcher :

— C'est pas le genre de truc que Rachel voudrait que je fasse avec toi.

Je fronce les sourcils.

— Quoi ?

— Je suis désolé, Haven, conclu-t-il.

Son regard croise le mien et je vois dans ses yeux qu'il ne me dit pas tout. Il secoue la tête, puis redémarre brutalement la voiture.

— Paul, qu'est-ce que tu voulais dire ?, j'insiste.

Il serre les lèvres, secoue la tête encore une fois.

— Rien. Oublie.

Je fixe son profil, essayant de comprendre, mais il s'est déjà enfermé derrière son mur de silence. Moi, mon cœur s'est déjà emballé.

Quand on arrive au lycée, il gare son 4x4 sur le parking. Je pose la main sur la poignée, prête à sortir. Mais avant que je ne puisse bouger, il me prévient, sans me regarder :

— Ce soir, c'est moi aussi qui te ramène.

Je me fige, le cœur battant à tout rompre.

— Quoi ?

Il tourne alors la tête vers moi.

— Je viens de te dire que je te ramène chez toi ce soir, microbe.

Son ton est volontairement sec, mais quelque chose dans son regard a fait battre mon cœur un peu plus vite. Je ne réponds pas tout de suite, perturbée par mon cœur qui danse la gigue dans ma poitrine. Oh la, c'est quoi ce délire ?

— C'est bon, je peux rentrer à pied ou—

— J'ai dit que je te ramènerai.

Un frisson me traverse, mais pas à cause du froid. Je déglutis et je hoche la tête. Je détourne le regard, incapable de soutenir le sien un peu plus longtemps.

Je descends rapidement du 4x4 et file le plus rapidement possible pour trouver Jill. Je n'ai pas besoin de me retourner pour savoir que Paul marche derrière moi. Je finis par trouver ma meilleure amie près de son casier et je fais de mon mieux pour cacher mon trouble. Cette matinée est déjà trop bizarre pour que je laisse Jill remarquer quoi que ce soit...

Le reste de la journée est tout aussi perturbant pour moi. Je m'efforce de ne pas faire attention à Paul, mais… c'est plus fort que moi. J'ai comme l'impression qu'il est toujours là, quelque part, près de moi sans le vouloir ou dans mon champ de vision.

En fin d'après-midi, je le rejoins sur le parking sous le regard intrigué de Jill. Je lui lance un regard qui, je l'espère, veut dire « je t'expliquerai plus tard » et grimpe dans le 4x4 de Paul.

Sur le chemin du retour, le silence s'installe entre Paul et moi, un peu plus pesant que je ne l'aurais cru. Paul conduit tranquillement, son regard fixé sur la route. Moi, je me triture nerveusement les doigts, la tête baissée sur mes genoux.

— Pour ce matin, tu sais, je ne m'attends pas à ce que tu me pardonnes, finit-il par lâcher d'un ton calme.

Mon cœur rate un battement et je lève la tête vers lui.

— D'ailleurs, je ne comprendrais pas que tu le fasses, ajoute-t-il avec un petit rire sans joie.

Je dégluti et cligne des yeux. Pourquoi me parle-t-il encore de ça ?

— Ce que je t'ai fait… Je sais que c'est impardonnable…

Son visage reste impassible.

— Oui, tu me l'a déjà dit ce matin, Paul, alors pourquoi insister ? demandé-je doucement.

Il garde les yeux sur la route.

— Parce que je me sens coupable et que je me déteste pour ça.

— Tu te sens vraiment coupable ou tu espères encore que Rachel revienne vers toi si tu t'excuses ?, lancé-je, cynique.

Son visage se tord dans une expression douloureuse et je m'en veux aussitôt.

— Désolée.

— Ne le sois pas, dit-il en relâchant légèrement l'accélérateur. Tu as raison, j'espère que Rachel revienne vers moi, même si je sais que c'est en vain.

Je n'insiste pas, mais une drôle de sensation me noue l'estomac.

— Haven, tu as tous les droits d'être en colère et de me détester. Je ne t'en voudrais pas pour ça et ce serait vraiment gonflé de ma part. Je sais que tu n'oublieras pas ce que je t'ai fais, mais je voudrais que tu saches que, même si Rachel ne revient pas vers moi, je vais continuer de faire des efforts pour être une meilleure personne avec toi.

Un silence s'installe. Je fixe la route devant nous. Mon cœur bat un peu trop vite. Je ne devrais pas être touchée par ses mots, mais c'est le cas.

D'un geste presque inconscient, il tend la main vers moi, comme s'il voulait me prendre la main. Je tourne la tête vers lui, retenant mon souffle. Il semble reprendre ses esprits et allume la radio d'un geste rapide avant d'agripper de nouveau le volant. Je détourne les yeux et le reste du trajet se fait dans un silence tendu.

Une fois rentrée à la maison, je laisse tomber mon sac près de la porte et me dirige directement vers ma chambre. Je suis épuisée. Pas physiquement, mais mentalement alors je me laisse tomber sur mon lit. Machinalement, j'attrape l'un des plaids de Paul et m'y enroule, cherchant un peu de réconfort.

Soudain, je réalise.

Je suis en train de m'emmitoufler dans les couvertures d'un mec que je prétends ne pas supporter !

Mon cœur rate un battement.

Je me redresse brusquement et repousse le plaid, comme si le tissu m'avait brûlée.

C'est quoi mon problème ? Depuis quand je garde précieusement les affaires de Paul Lahote au lieu de les lui rendre ? Depuis quand je fais attention à sa présence dans les couloirs du lycée ? Depuis quand mon cœur fait des sauts périlleux dans ma poitrine quand il me regarde trop longtemps ?

Non. Stop.

Je me lève d'un bond, attrape les couvertures et les roule en boule. Elles doivent disparaître de ma chambre, tout de suite ! Je ne sais pas exactement ce qui est en train de se passer, mais ce que je sais, c'est que je ne veux pas que ça continue

Demain matin, première heure, je lui rends ça et je reprends ma vie normalement.

Le lendemain matin, c'est Embry qui m'accompagne au lycée. Jacob n'est toujours pas là et alors c'est lui qui a été chargé de m'amener.

Je tiens sur mes genoux les couvertures de Paul. Je les ai soigneusement lavées, repassées et pliées au carré. J'ai l'impression de trimballer un trophée et ça m'agace un peu. J'aurais dû les lui rendre il y a plusieurs jours déjà, mais j'ai retardé ce moment et je ne comprends toujours pas pourquoi.

En sortant de la voiture, je scrute le parking, cherchant son 4x4. Je finis par repérer Paul, appuyé contre sa portière. Il me regarde approcher, les sourcils froncés.

— Ça fait un moment que je dois te les rendre, elles sont propres, dis-je en tendant les plaids.

Il se gratte l'arrière de la tête, visiblement mal à l'aise. J'avoue qu'à ce moment précis, je donnerais tout pour savoir ce qu'il se passe dans sa petite tête.

— Ah, ouais, euh, merci ?

Il prend les couvertures et retourne les ranger dans son véhicule, sans ajouter un mot. Moi, je me détourne rapidement pour rejoindre Jill. Mais en marchant, je n'arrive pas à chasser cette drôle d'impression. Depuis qu'il m'a trouvée à moitié gelée sur la route, qu'il m'a ramenée chez moi et surtout depuis cette conversation dans sa voiture, Paul a vraiment changé.

Il est... la meilleure version de lui-même. Enfin, autant qu'on peut l'être quand on est Paul Lahote, évidemment, mais depuis qu'il a pris le temps de s'excuser sincèrement et d'admettre ses fautes, j'ai le sentiment que ce n'est plus tout à fait pareil entre nous. Cette fois, il fait de réels efforts pour me parler gentiment et sans une once de sarcasme ou d'arrogance. Contre toute attente, je commence réellement à apprécier ce nouveau – nouveau – Paul.

D'après Kim, c'est parce que je lui ai secoué les puces et que la dynamique de notre relation naissante lui maintient la tête hors de l'eau.

À ce jour, je n'ai toujours pas compris ce qu'elle voulait dire par « relation naissante » mais je n'ai pas cherché à creuser plus loin. Je préfère savourer ces instants de répit.

Ne dit-on pas qu'il y a toujours une période de calme avant la tempête ?

Je secoue la tête en arrivant près de Jill. Pas la peine de trop réfléchir. Paul reste Paul, après tout. En pensant à Paul, je pense au reste de leur bande et je me fais la remarque que cela fait un moment que je n'ai pas pris le temps de remercier Leah de s'être occupée de moi quand j'étais malade comme un chien ! Il faut dire aussi que ça fait un petit moment que je ne suis pas allée chez Emily et Sam…

C'est ce que je fais, dès le weekend suivant. Je profite pleinement de ce moment avec mes amis. C'est agréable de les retrouver. L'après midi se passe sans encombres, mais la plupart du mérite revient à Claire, trois ans, la nièce d'Emily venue en séjour chez sa tante.

— Dis Zacob, Vaven c'est ta 'moureuse ? demande Claire, la nièce d'Emily, en levant les yeux vers nous.

— Non, ma petite chérie, ce n'est pas mon amoureuse ! rit-il.

Je souris, « Vaven », c'est comme ça que la petite m'appelle parce qu'elle n'arrive pas à bien prononcer mon prénom. Jacob et moi sommes installés sur le canapé, épaule contre épaule. Ce contact physique me rassure, c'est simple, presque anodin, mais ça m'apaise. Surtout depuis que j'ai l'esprit embrouillé. Claire, toujours pleine d'énergie, grimpe sur mes genoux, s'accrochant à mon cou pour se maintenir en équilibre.

— Parquoi cé pas Zacob ton 'moureux ? demande-t-elle d'une voix innocente.

— Parce que Jacob et moi on est amis, je réponds en lui souriant.

— Ma moi j'veux que Zacob devient ton 'moureux !

Je la regarde, amusée par sa logique enfantine, mais avant que je puisse répondre, un mouvement attire mon attention. Paul se lève, silencieux et quitte la pièce par la baie vitrée. Je reste figée un instant. Quil, assis non loin, échange un regard furtif avec Paul, qui disparaît dans la forêt, son dos voûté comme sous le poids d'un fardeau invisible.

Quil se tourne vers moi et secoue légèrement la tête, comme s'il voulait me dire de ne pas m'en faire avant de reporter son attention sur le dessin animé qu'il regardait.

Je soupire. Mon cœur se serre un peu, mais je me concentre sur Claire, qui semble contrariée par ma réponse.

— Claire, Jacob et moi on n'est pas amoureux, c'est comme ça, on est amis. Tu comprends ?

Elle hoche la tête, visiblement déçue par cette explication, et se glisse silencieusement à côté de moi sur le canapé. Quil, fidèle à son rôle de tonton préféré, complètement gaga, s'installe aussi à ses côtés.

Je tente de me détendre, mais l'image de Paul quittant la maison continue de me hanter.

D'ailleurs, où va-t-il comme ça ? Est-ce qu'il…

Je me mord la lèvre, me traitant d'idiote. Paul, n'est pas un loup.

Je croyais en avoir terminé avec cette idée…, me fustigé-je encore une fois.