La journée a filé à une vitesse folle. Entre les garçons qui ont joué au foot sur le sable et ceux qui ont passé une bonne partie de l'après-midi à sauter des falaises, je n'ai pas eu une seule seconde pour me poser. Je me suis vite laissée embarquée dans une séance de surf avec Embry et j'ai aussi passé un bon moment avec Seth qui a tenté de m'apprendre à mieux viser au frisbee – sans grand succès, vu que mon dernier lancer a failli assommer Quil.

Paul et moi n'avons presque pas été ensemble aujourd'hui. Il a passé son temps avec les autres, partagé entre deux matchs de foot et quelques plongeons du haut des falaises.

J'aurais pu aller le voir, lui proposer qu'on passe un moment rien que tous les deux, mais… je n'ai pas osé. Une partie de moi redoutait un malaise, une gêne. Hier encore, je l'embrassais et aujourd'hui, je ne sais même pas si je peux lui prendre la main.

Maintenant que le soleil commence à décliner, nous nous sommes tous donné rendez-vous chez Billy et tout le monde s'est rassemblé autour d'un feu de camp. L'odeur du bois brûlé flotte dans l'air, se mêlant aux rires et aux discussions animées. Assise sur une souche un peu à l'écart, je joue distraitement avec un brin d'herbe sèche, mon regard glissant sur les autres.

Emily est blottie contre Sam, sa tête posée sur son épaule. Jared et Kim sont si proches qu'ils semblent ne faire qu'un. Kim éclate de rire à quelque chose que Jared lui murmure à l'oreille et une pointe d'envie me serre la poitrine. Tout est simple entre eux, fluide. Ils ne se posent pas de questions, ne réfléchissent pas à la bonne manière d'agir.

Je cherche Paul du regard. Il est assis à quelques pas de moi, l'air détendu, mais je le connais assez pour voir qu'il évite soigneusement de croiser le mien. Son pied bat un rythme nerveux sur le sol et ses bras croisés sur son torse trahissent une tension qu'il essaie de masquer. Je pourrais aller vers lui maintenant, combler cette distance que je ressens depuis ce matin, mais je reste figée. Est-ce que ça va trop vite ? Pas assez ?

Brusquement, Seth s'installe à côté de moi, me tirant de mes pensées.

— T'as pas l'air d'être là, commente-t-il avec un sourire amusé.
— Je réfléchis, dis-je en lui adressant un sourire distrait.
— À quoi ?

Je marque une pause avant de jeter un énième regard à Paul. Il parle avec Embry, concentré sur leur discussion, mais je vois bien qu'il n'est pas totalement là non plus. Je soupire.

— À comment on est censés… être ensemble, je suppose.

Seth ricane et me donne un léger coup d'épaule.

— Vous vous prenez trop la tête, vous deux. Tu l'aimes, il t'aime. Pourquoi vous vous posez autant de questions ?
— C'est pas aussi simple, protesté-je.
— Si, ça l'est. Regarde Kim et Jared. Regarde Sam et Emily. Tu crois qu'ils ont fait des plans sur la comète ?

— De mémoire, la relation entre Sam et Emily n'a pas été de tout repos, répliqué-je.

— Tu n'as pas tord, mais plus aujourd'hui. Tu ne devrais pas te poser de question.

Je baisse la tête. J'aimerais être aussi confiante, aussi instinctive. Mais la peur d'en faire trop, ou pas assez, me paralyse.

— Va le voir, m'encourage Seth.

Soudain, Paul tourne légèrement la tête vers moi, comme s'il avait entendu notre conversation. C'est juste un bref coup d'œil, mais je le capte immédiatement. Il hésite. J'hésite aussi. Puis, je me lève, inspirant profondément.

Je me dirige vers lui, mon cœur tambourinant dans ma poitrine.

— Salut, murmuré-je en arrivant à sa hauteur.

Il se redresse légèrement et son regard croise le mien. Un sourire effleure ses lèvres.

— Salut.

Un silence s'installe, mais cette fois, il n'a rien de gênant.

J'hésite encore une fraction de seconde, puis il me tend timidement la main comme pour m'inviter à m'asseoir près de lui. Je l'observe un instant et j'attrape doucement ses doigts. J'avance de quelques pas et il m'attire contre lui, comme si c'était la chose la plus naturelle du monde.

En fin de soirée, alors que les autres se chamaillent encore un peu, je sens que je commence à fatiguer. Je baille plusieurs fois et Paul semble le remarquer. Il me fixe avec cet air indéchiffrable qui me fait frissonner.

— Je te ramène ? demande-t-il finalement, hésitant.

— Oui, réponds-je avec un sourire reconnaissant.

— Ça te dit de rentrer à pied ?

Je hoche la tête sans poser de questions. Je suppose qu'il souhaite marcher un peu pour digérer tout ce qu'il a englouti au cours de la soirée ou simplement qu'il veut prolonger la soirée.

Dans un cas comme dans l'autre, je n'y vois pas d'inconvénient.

L'air nocturne est doux, chargé d'humidité et du parfum de la forêt qui borde La Push. Nous marchons en silence, côte à côte. Parfois, nos mains se frôlent par accident et aucun de nous ne sait s'il doit prolonger le contact ou reculer. Par moment, je surprends Paul en train de m'observer, mais il détourne rapidement les yeux, comme s'il refusait d'être pris sur le fait. Et moi, je lutte contre cette envie irrationnelle de glisser ma main dans la sienne, sans jamais oser franchir le pas.

Il finit par s'arrêter, me retenant d'une légère pression.

— Je sais pas comment faire. Avec toi, je veux dire.

Sa voix est basse, sincère, presque vulnérable. Je me fige et l'observe, touchée plus que je ne l'aurais cru.

— Moi non plus, je souffle.

Un silence s'installe, Paul baisse brièvement la tête, pensif, avant de laisser échapper un léger sourire. Puis, avec une hésitation presque timide, il glisse ses doigts entre les miens. D'abord, je ne bouge pas, puis je serre doucement sa main en retour.

/

Les jours suivants, nous trouvons un rythme étrange, un équilibre fragile entre hésitation et évidence. Les gestes viennent plus facilement. Parfois, Paul attrape ma main sans même s'en rendre compte. Parfois, je me cale contre lui quand on traîne avec les autres et il ne se crispe plus comme avant. Il lui arrive même de passer une main dans mes cheveux distraitement, comme si c'était naturel. Mais ce que je préfère, c'est quand il m'embrasse sur la joue avant de s'absenter ou quand il revient de je ne sais où.

Il y a encore des moments d'hésitation, bien sûr, mais ce n'est plus un mur entre nous. Juste une frontière floue qu'on apprend à franchir à notre rythme.

Alors, quand je mentionne mon envie de refaire une randonnée, Paul se pointe devant ma porte cinq minutes avant mon départ, comme si c'était la chose la plus naturelle du monde. J'ai bien voulu protester, mais il n'a cessé de me répéter que je ne devais plus partir seule.

— Dois-je te rappeler ta dernière mésaventure ? me dispute-t-il gentiment.

Je ne réponds rien, mais je boude. Était-il obligé de me rappeler cette histoire ?

— Et je crois savoir que le docteur Cullen a insisté sur le fait que ta cheville n'était pas prête pour de longues marches, t̕ik̕ats.

Je frissonne à ce surnom. J'ai envie de sourire, mais je me retiens.

— Comment tu sais ça, toi ? demandé-je à la place, prenant une moue légèrement boudeuse.

— J'ai mes sources, répond-il simplement.

Son regard glisse de mon visage à mes chaussures de marche complètement abimées par les ma dernière mésaventure, puis il me demande :

— T'es sûre que t'es prête ?

Je lève les yeux au ciel, amusée.

— T'as peur que je m'écroule au bout de dix minutes ?
— Plutôt au bout de cinq, avec des chaussures pareilles…

Je lui donne une petite tape sur le bras avant d'ajuster les lanières de mon sac.

— Fais-moi confiance, je vais survivre.

Il secoue la tête, mais un sourire trahit son amusement. Sans un mot, il tend la main, paume ouverte. Je l'observe une seconde avant d'y glisser mes doigts. C'est peut-être idiot, mais ce simple geste suffit à me donner l'impression que cette journée sera différente.

Sur la route, je lui détaille mon itinéraire. J'ai tout planifié. Cette fois, je veux suivre le parcours le long de Dickey River, puis longer Coal Creek. Il y a quelques mois, je n'avais pas pu le terminer. Aujourd'hui, je compte bien y parvenir.

Il ne fait aucun commentaire, mais je le vois froncer légèrement les sourcils quand j'évoque les passages les plus escarpés. À notre arrivée, il récupère mon sac et l'enfile sur son dos avant même que je ne puisse protester.

— T'es pas obligé de faire ça… soupiré-je.
— Je sais.

Et nous démarrons. Je prends les devants, avançant d'un pas assuré. Je me souviens parfaitement du chemin et je prends le temps de capturer quelques photos des lieux. Paul, fidèle à son rôle, surveille chaque trajet que j'emprunte. Si je m'éloigne trop des sentiers balisés, il ne tarde pas à me ramener sur le bon chemin.

Nous rejoignons la partie du sentier qui longe la rivière sans encombre. Paul me force à le laisser m'aider sur quelques passages compliqués, mais globalement, je me débrouille seule.

Vers midi, nous faisons une pause bien méritée sur un gros rocher au bord de Coal Creek. L'eau froide apaise mes pieds fatigués.

— J'ai reçu ma bourse étudiante, annoncé-je en mordant dans mon sandwich.
— C'est bien, tu vas pouvoir prendre une chambre, répond-il en s'allongeant, les bras derrière la tête.
— J'espère partager avec Kim ou Jill… soufflé-je. Je ne me sens pas prête à vivre avec une inconnue.
— Ça ira, ne t'inquiète pas, me rassure-t-il en me caressant doucement le dos.

Nous restons là encore un moment avant de reprendre notre chemin. Cette fois, je quitte la rivière pour retrouver le petit massif rocheux qui m'a causé tant de problèmes la dernière fois. Paul prend les devants en me guidant sur le sentier.

Devant la paroi, je décide de tenter l'ascension seule.

— Tu vas te faire mal, microbe, m'avertit-il, les bras croisés.

J'ignore sa remarque et commence à grimper. Mauvaise idée. Ma prise glisse et je perds l'équilibre. Juste avant que je ne chute, Paul me rattrape et me repose délicatement au sol.

— Je t'avais prévenue, grogne-t-il.

— Je maîtrise la situation, prétends-je en évitant son regard.

Il lève les yeux au ciel et s'accroupit devant moi.

— Grimpe sur mon dos, je vais t'aider.

Je lève les yeux au ciel face au ridicule de la situation, mais je cède et m'accroche à lui. En quelques enjambées, il nous hisse au sommet. Avec son mètre quatre-vingt et sa force démesurée, tout semble si facile.

D'ailleurs, d'où lui vient toute cette force ? Je ne l'ai jamais vu faire le moindre sport, et pourtant il semble capable de déplacer des montagnes. La seule explication que mon esprit est capable de trouver n'est absolument pas rationnelle. C'est absurde, mais... et si cette force ne venait pas de la manière dont il s'entraîne, mais de quelque chose de plus… surnaturelle ?

Il me laisse descendre de son dos et je range cette question dans le tiroir de tous mes doutes, bien trop nombreux dans mon esprit.

— Ça faisait longtemps que tu ne m'avais pas appelé microbe, dis-je en m'asseyant sur la roche.
— Parce que ça faisait longtemps que je n'en avais pas eu l'occasion, dit-t-il avec un sourire amusé. Toute ta vie, tu seras mon microbe, tu sais ?

Je fais mine de bouder.

— Même si, maintenant, je préfère t̕ik̕ats, ajoute-t-il en se redressant pour m'embrasser sur la joue.

Je rougis incapable d'ignorer la chaleur qui s'étend dans ma poitrine. Ce surnom me trouble plus que je ne veux l'admettre, sans doute parce qu'il sonne plus intime, plus vrai.

Je baisse les yeux vers mes pieds qui pendent au-dessus du vide, laissant mon esprit vagabonder. Paul est là, à mes côtés, comme une évidence. Il m'appelle par un surnom qui me fait frissonner, il me caresse doucement le dos comme si c'était naturel… Pourtant, il y a encore quelques mois, il aimait Rachel.

L'idée me dérange plus que je ne le voudrais. J'ignore si c'est de la jalousie ou juste de l'incompréhension, mais cette question me brûle les lèvres depuis un moment déjà.

— Je ne comprends toujours pas pourquoi Rachel t'a quitté… avoué-je, plus sérieusement. Quand je vous ai vus ensemble, j'ai cru voir l'évidence de votre amour.

Il tourne la tête vers moi, légèrement surpris par ma confession. Il se rallonge, l'air pensif, et je me laisse aller à l'écouter.

— C'est compliqué… soupire-t-il en fixant le ciel. Elle ne voulait pas rester à La Push. Et être avec moi l'empêchait de partir. Alors elle a choisi… Elle m'a dit qu'elle ne voulait pas de cette relation. Ça m'a fait terriblement mal, mais grâce à ça, j'ai compris que, depuis le début, c'était toi.
— Depuis le début ? répété-je en tournant la tête vers lui, surprise.
— Bien sûr.

Je le regarde longuement, mon cœur serré et je profite de ce moment calme. La forêt semble plus silencieuse maintenant, comme si, elle aussi, respectait ce silence.

Nous restons là encore quelques minutes, puis Paul m'aide à redescendre. Sur le chemin du retour, nous prenons le temps d'admirer une dernière fois la forêt, profitant du calme avant de rentrer.

Les jours passent, puis les semaines. L'été touche à sa fin et, malgré l'approche de la rentrée, tout semble plus simple entre Paul et moi. Il n'est plus sur la réserve et il se rapproche de moi avec une évidence qui me trouble. Sa main cherche la mienne sans hésitation, son bras s'enroule autour de mes épaules quand on marche ensemble. Il m'accompagne en randonnée sans que je ne lui demande.

Et surtout, il n'a plus besoin de prétexte pour m'embrasser ou pour me garder contre lui.

Ce qui me frappe, c'est qu'il n'essaie pas d'être quelqu'un d'autre. Il reste lui-même : taquin, un brin provocateur, mais il est terriblement attentif. J'ai remarqué qu'il sent quand je suis stressée par la rentrée et il essayent toujours de trouver un moyen de me faire rire.

Quand j'ai du mal à m'endormir, il reste au téléphone, même s'il finit par sombrer avant moi. Quand je parle de la fac, il m'écoute, sincèrement intéressé, bien que l'université ne l'ait jamais tenté.

Je ne pensais pas que ce serait aussi simple, aussi naturel.

Puis le dernier week-end d'août arrive et, avec lui, mon départ pour Tacoma.

J'ai choisi d'étudier à l'université de Tacoma pour rester proche de ma famille. Et surtout parce que leur cursus d'anglais supérieur m'a tout l'air d'être passionnant. Même si j'ai un logement étudiant pour l'année, je compte rentrer presque tous les week-ends et pendant chaque période de vacances scolaires.

Pour mon premier jour, je me sens minuscule sur ce campus immense. Les bâtiments de briques rouges, les grandes allées bordées d'arbres, les étudiants qui se croisent en discutant… Tout me semble intimidant.

Paul a insisté pour m'accompagner jusqu'à mon amphithéâtre. Nous avons passé le week-end à Tacoma pour déposer mes affaires. Comme il n'est pas inscrit à la fac, on a dû dormir chez sa mère pour éviter tout problème avec la direction.

C'est aussi un des avantages de cette fac. La mère de Paul habite tout près alors il pourra venir me voir facilement.

C'était un peu stressant de la rencontrer. J'avais peur qu'elle me trouve idiote ou que notre relation lui semble précipitée. Mais dès le premier soir, elle m'a mise à l'aise. Elle ressemble beaucoup à Paul – le même sourire en coin, même regard perçant – mais avec cette même douceur que je ne m'attendais pas à trouver chez Paul. Elle et moi, on a parlé cuisine, études, et un peu de Paul aussi. Il a levé les yeux au ciel quand elle a ressorti des vieilles anecdotes sur lui, mais je sentais qu'il était content qu'on s'entende.

Ce matin, il est plus silencieux que d'habitude. Il marche à mes côtés, une main dans la poche, l'autre effleurant mon bras par moments. Je crois qu'il est aussi nerveux que moi. Quand on arrive devant l'entrée du bâtiment principal, je m'arrête.

— Bon, c'est là que tu me laisses, dis-je en relevant les yeux vers lui.

Il ne répond pas tout de suite. Son regard parcourt mon visage, comme s'il voulait graver ce moment dans sa mémoire. Puis il attrape ma taille et m'attire contre lui.

— Tu vas gérer, Ti̕k̕ats, murmure-t-il avant de m'embrasser doucement.

Je ferme les yeux un instant, savourant la chaleur rassurante de sa présence.

— Je t'aime, ajoute-t-il en s'écartant légèrement.

Je le retiens un instant et l'attire contre moi pour lui quémander un autre baiser, ce qu'il m'accorde sans sourciller.

— Je t'aime aussi, dis-je, tout contre ses lèvres.

Il sourit et me donne un autre baiser, plus chaste, cette fois-ci.

Je finis par le relâcher, puis je le regarde s'éloigner. Un soupir m'échappe. Il va me manquer.

L'air me paraît plus frais sans sa chaleur contre moi et, soudain, le campus me semble encore plus vaste. Je serre les bras autour de moi, chassant cette sensation de vide, puis, doucement, je tourne les talons pour me rendre à mon cours.

Sur le chemin, mes pensées dérivent vers les garçons, restés à La Push. Aucun d'eux n'a voulu tenter l'université et, plus j'y pense, plus ça me trouble. À chaque fois que j'ai abordé le sujet, ils se sont contentés de hausser les épaules ou de détourner la conversation. Comme si c'était une évidence pour eux. Comme si cette vie n'était pas faite pour eux.

En arrivant dans l'amphithéâtre, je repère une place libre sur la gauche et m'y installe. À côté de moi, un garçon est absorbé par sa lecture. Un sourire m'échappe en reconnaissant la couverture de son livre : Sanglante. Je ne pensais pas croiser un lecteur de ce roman ici.

Une fois mes affaires sorties, mon voisin referme son livre et tourne la tête vers moi.

— C'est la première fois que je vois un mec lire ça ! dis-je en désignant la couverture.

— Il faut arrêter avec ça, ce n'est pas qu'un livre de filles ! réplique-t-il aussitôt, visiblement piqué au vif. Et je suis persuadé que l'auteur est un homme.

Si tu savais...

— Ai-je dit que ce n'était pas un livre de mec ? rétorqué-je, amusée. J'ai juste dit que tu es le premier que je vois le lire, c'est tout.

Il esquisse un sourire et s'excuse de s'être emporté.

— Bonjour à tous ! intervient soudain la professeure, madame Cooper. Je vais être directe : j'ai lu vos compositions d'inscription et j'ai bien ri. Dépitée, précise-t-elle. Alors, c'est vous la nouvelle génération d'écrivains et de journalistes ?

Un silence gêné s'installe. Tout le monde se regarde, se jauge. Puis, madame Cooper enchaîne sur son cours. Passionnée et énergique, elle capte mon attention et je ne vois pas les quatre heures passer. En prime, mon voisin, Bruce, se révèle être un garçon agréable et bavard, un peu comme Seth.

À la fin du cours, je lui fais signe que je dois voir madame Cooper avant d'aller manger.

— Je t'attends dehors, dit-il simplement.

Je descends les marches et me dirige vers le bureau de la professeure.

— Madame ?

Elle relève la tête.

— Bonjour, je suis Haven McGeller. Je viens de la part de madame Dyers de–

— La réserve Quileute, oui, elle m'en a parlé, me coupe-t-elle.

— Je ne sais pas ce qu'elle vous a dit, mais j'espérais que vous pourriez m'aider cette année…

— Elle m'a simplement dit que tu étais très douée et que tu m'expliquerais tout en personne. Alors, en quoi puis-je t'aider ?

Je lui tends un exemplaire de Amoureuse, mon premier roman. Je lui explique qu'il s'agit du premier tome d'une trilogie dont le dernier est sorti en début d'année et que madame Dyers était ma bêta-lectrice au lycée.

— Et tu veux que je prenne le relais ? rit Cooper. Déjà écrivain alors que tu viens d'entrer à la fac… soupire-t-elle. Où est-ce que je signe, Mademoiselle H. Wolf ?

Je lui tends une clause de confidentialité fournie par ma maison d'édition. Elle la signe sans hésiter. Nous discutons encore un peu, puis je quitte son bureau.

Bruce m'attend devant l'amphithéâtre. Nous partons déjeuner ensemble et faisons plus ample connaissance. La conversation dérive sur H. Wolf.

— Tu connais le site H-Wolf-Online ? demande-t-il.

— Un peu que je connais, c'est moi qui l'ai créé !

Bruce s'arrête net.

— C'est pas vrai ?! Tu te fiches de moi ?

— Non, je t'assure !

— On se connaît alors ! On a déjà discuté !

Nous échangeons nos pseudos et éclatons de rire en réalisant l'ironie de la situation. Je ne pensais pas tomber sur un de mes lecteurs dès mon premier jour.

— Tu comptes manger cette pizza sans moi ?

Je sursaute en reconnaissant la voix de Jill.

Elle s'installe à côté de moi et je fais rapidement les présentations.

— Juste au cas où, son copain, c'est une armoire à glace, prévient-elle en levant la main devant elle, mimant une taille impressionnante.

Je lève les yeux au ciel tandis que Jill et Bruce échangent une poignée de main. Je les observe discuter et remarque aussitôt l'attitude de Jill. Un sourire étire mes lèvres quand je me souviens de nos jeux d'enfants. Jill aimait jouer la fille d'un chef qui s'enfuit avec un « visage pâle ».

Jill-chérie, ne serais-tu pas en train de succomber au charme de mon – futur – ami ?

Je me retiens de rire et soupire discrètement.

— Hey, qu'est-ce qui t'arrive ? demande Jill, intriguée.

— Rien, je nous revois simplement petite fille en train de jouer à La Push.

Elle éclate de rire et se met à réciter une vieille chanson de cérémonie que nous avions inventée. Bruce nous regarde, complètement perdu.

— On a grandi dans une réserve, explique Jill en reprenant son sérieux. Petite, on adorait jouer à des jeux de rôles et inventer des cérémonies ancestrales.

— Et je rigolais parce que tu es un visage pâle, ajouté-je avec un clin d'œil.

Bruce sourit et Jill… rougit légèrement.

Bruce nous regarde, complètement perdu. Amusée, je garde cette information précieusement dans un coin de ma tête.

Les semaines passent et notre petit groupe se soude naturellement. Entre les cours, les révisions et les sorties, un rythme s'installe, presque familier. Le reste de mon début d'année scolaire se déroule relativement bien. Par chance, je partage ma chambre étudiante avec Kim, tandis que Jill s'est retrouvée dans une chambre quelques mètres plus loin qu'elle partage avec une jeune fille de Forks.

Comme je l'avais prédit, Bruce et moi sommes devenus très amis. En plus, il s'est montré véritablement intéressé par les légendes quileutes et tribales en règle générale, d'autant plus qu'il semble avoir un intérêt certain pour ma meilleure amie. Du coup, nous passons la majorité de notre temps ensemble, pendant et hors des cours, qui deviennent de plus en plus passionnants au fil des semaines qui passent.

Et puis, il y a Paul. Même à distance, il fait partie de mon quotidien. Nous nous appelons presque tous les soirs, parfois pour parler pendant des heures, parfois juste pour entendre la voix de l'autre avant de dormir. Il me donne des nouvelles d'Emily, de Sam, des autres. Il me raconte leurs petites chamailleries entre les gars. J'essaie de lui partager mon quotidien ici, bien que j'aie parfois l'impression qu'il préfère ne pas trop s'attarder sur ce sujet. Mais malgré nos échanges quasi quotidiens, je sens que la distance lui pèse un peu.