Après cette après-midi où Paul a découvert mon secret, notre relation a pris une tournure un peu différente. Pas mauvaise. Pas meilleure non plus. Juste… différente. Il n'a pas fait de reproches, n'a pas cherché à me culpabiliser. Mais j'ai bien senti que quelque chose avait changé malgré tout. Il sait maintenant que je suis H. Wolf, que j'écris des histoires inspirées de ce que je vois, de ce que j'entends. Il sait que l'imprégnation a nourri mes récits bien avant que je n'apprenne leur véracité. Mais ce qu'il sait surtout, c'est que mon livre a servi de déclencheur au départ de Rachel.
Et ça, même s'il m'affirme le contraire, je vois bien qu'il a du mal à l'avaler.
Je n'ai pas cherché à lui en parler davantage. Il n'a pas non plus insisté.
On continue à se voir, mais moins souvent. Je ne sais pas si c'est une décision commune ou si la distance s'est installée d'elle-même. Parfois, il passe chez moi à l'improviste, mais il ne reste jamais longtemps. Il dort rarement dans mon lit et ne me retient plus quand je dis que je dois rentrer.
Pour garder la tête froide, je me suis plongée dans mes études et dans l'écriture. L'université de Tacoma est devenue mon refuge. Écrire me vide l'esprit, me donne l'impression de garder un certain contrôle sur ma vie. Quand je rentre à La Push, c'est différent. Je me sens toujours chez moi, mais un malaise plane. Paul et moi n'avons jamais mis de mots sur ce qui nous arrive, alors on se contente de continuer, de naviguer à vue, en espérant que l'équilibre finisse par revenir.
Cependant, au fil des semaines, j'ai de plus en plus conscience que ce n'est pas le rôle que mes livres ont joué dans la décision de Rachel, mais simplement les préparatifs du mariage. Plus ça avance, plus elle panique et c'est régulièrement qu'elle appelle Paul au téléphone pour en parler.
Et Paul se sent à la fois impuissant et désemparé.
Il devient de plus en plus irritable. Il n'en parle jamais directement, mais je le vois. Son attitude change. Il est plus nerveux, plus prompt à s'emporter, comme s'il contenait une rage qui menace d'exploser à tout moment. Même Jared m'a glissé que Sam avait dû le recadrer plusieurs fois, que son tempérament devenait un problème pour la meute.
Moi, je fais de mon mieux pour ne pas envenimer les choses. Quand on se voit, je ne mentionne pas Rachel. Je ne parle pas du mariage. Mais l'échéance approche et je sens que quelque chose va finir par céder.
Je ne sais pas si c'est Paul.
Ou si c'est moi…
/
Après une dispute énième dispute avec Paul, je reçois ce matin, un message de Rachel :
« Tu es toujours OK pour être ma demoiselle d'honneur ? »
J'ai un moment d'hésitation. Puis je me rappelle qu'avant d'être l'ex-imprégnée de Paul, Rachel est quelqu'un que j'apprécie beaucoup. Alors, j'inspire profondément et je réponds simplement :
« Evidemment ! »
Quelques semaines plus tard, me voilà devant le miroir, ajustant mon maquillage avant de rejoindre Rachel pour les derniers préparatifs. L'idée d'être demoiselle d'honneur au mariage de l'imprégnée de mon copain me rend terriblement nerveuse pour deux raisons.
Premièrement, je ne connais pas assez Rachel et ne me sens pas légitime d'être à cette place.
Deuxièmement, elle pourrait très bien décider de revenir vers Paul au dernier moment.
Une fois mon mascara appliqué, je me rends dans la pièce adjacente où Rachel se prépare. Elle ajuste sa robe avec l'aide de sa sœur jumelle, Rebecca.
— Il est arrivé ? interroge Rachel. Paul, tu l'as vu ?
Rebecca fait non de la tête et me lance un regard en quête d'aide.
— Rachel, il va arriver, dis-je doucement. Il te l'a promis.
— Il faudra qu'il s'installe à côté de papa, répète-t-elle pour la troisième fois de la journée, entre papa et Jacob.
Rebecca et moi acquiesçons et échangeons un énième regard. Viendras-tu, Paul ?
— Et on ne commence pas le mariage tant qu'il n'est pas là, compris ? gronde Rachel.
Pourquoi fais-tu ça, Rachel ? Je sais qu'il va venir, mais ce que j'ignore, c'est s'il restera tranquille. Ces derniers temps, il était tellement irritable que j'ai parfois eu l'envie de le quitter. Finalement, nous avons décidé de nous voir le moins possible.
Alors que Rebecca ajuste la robe de sa sœur, j'en profite pour quitter la pièce et observer le flot d'invités qui arrivent. Dans la nef de l'église où nous nous trouvons, les premiers invités prennent place sur les bancs. Le fiancé de Rachel étant catholique, elle a accepté une cérémonie religieuse pour lui. Je croise la meute au complet et les accompagne à la place qui leur est réservée, tout devant, juste derrière la famille Black.
Après avoir accueilli quelques invités en présence du marié, je décide de retourner auprès de Rachel. En remontant le couloir, je croise Paul, vêtu d'un costume de soirée.
— Tu es venu, dis-je, soulagée.
— Ouais… bougonne-t-il. Elle est où ?
Je lui demande de me suivre. Devant la porte, je le laisse patienter et entre dans la salle de préparation. Je préviens Rachel de son arrivée. Elle demande à le faire entrer. Rebecca et moi nous éloignons un peu pour leur laisser de l'intimité, tout en restant dans la pièce.
— Je ne la comprends pas, chuchote Rebecca. Je ne comprends pas pourquoi il est là…
Je sais que Rebecca n'est pas dans la confidence. De l'extérieur, attacher autant d'importance à la présence de son ex-petit ami paraît étrange. D'autant plus quand on les observe maintenant : Rachel tient le visage de Paul entre ses mains, tandis que lui a posé les siennes sur ses hanches. Ils chuchotent et, de là où nous sommes, nous ne les entendons pas.
Je ne réponds rien. Rebecca interprétera mon silence comme elle l'entend. Moi, je comprends. Parce qu'il doit être là. Parce que c'est important. Parce que, d'une certaine manière, Rachel et Paul ont encore besoin de cette ultime confirmation qu'ils avancent chacun de leur côté.
Paul finit par embrasser Rachel sur le front et quitter la pièce, me lançant un dernier regard. Son expression est indéchiffrable, mais je ressens ce besoin de m'assurer qu'il va bien. D'instinct, je me précipite à sa suite dans le couloir et l'interpelle.
— C'est bien que tu sois là, lui dis-je avec un sourire timide.
— J'aurais pas pu faire autrement, c'est important pour elle…
Il s'approche et pose ses lèvres sur les miennes.
— Et c'est important pour toi, conclut-il en s'éloignant. On se voit tout à l'heure.
Rougissante, j'acquiesce et retourne auprès de Rachel. L'ambiance est plus lourde tout d'un coup. Rebecca a sûrement exprimé son incompréhension à sa sœur et ça n'a définitivement pas dû lui plaire. Toutefois, l'ambiance s'allège quand la mère du marié entre dans la pièce et annonce que tous les invités sont arrivés. La cérémonie peut commencer dès que Rachel le souhaite.
Rebecca et moi nous éclipsons pour prendre place près de l'autel. Le fiancé de Rachel est déjà présent, entouré de ses témoins. La marche nuptiale retentit. Billy accompagne Rachel jusqu'à l'autel.
La cérémonie est belle, émouvante. Rachel et son mari forment un couple magnifique.
Les invités se retrouvent ensuite dans la salle de réception, décorée avec élégance. Bleu ciel, violet clair et touches argentées se mêlent sur une dominante de blanc.
À ma grande surprise, je me retrouve à la table des mariés, entre la mère du marié et Jacob. Être demoiselle d'honneur est une chose, mais dîner avec les familles en est une autre. J'aurais préféré rejoindre la meute, mais Rachel a insisté, d'autant plus que Paul est à la même table que moi.
Au fil de la soirée, les mariés prennent la parole pour remercier leurs invités. Puis les témoins du marié enchaînent les discours, tour à tour drôles et émouvants. Et vient le tour de Rebecca. Elle parle avec émotion de leur enfance à La Push et de la chance d'avoir grandi dans cette communauté.
Faux-cul…
À la fin de son discours, Rachel m'appelle. Je me lève péniblement. Que vais-je dire ? Je ne la connais pas. Je prends le micro et souffle discrètement.
— Pour être honnête, je ne me sens pas légitime ce soir et je suis assez mal à l'aise… Je connais Rachel seulement qu'à travers Jacob, qui est l'un de mes meilleurs amis, dis-je avec un sourire tendre. Mais je sais que nous avons un point commun qui justifie ma présence : nous avons toutes les deux une passion pour H. Wolf. Petite digression pour ceux qui ne connaissent pas : c'est un auteur de fiction romance dans une réalité parallèle et fantasie.
Quelques invités rient. Je prends une inspiration et récite un passage que Rachel et moi avons évoqué ensemble. À peine ai-je terminé que Rachel me prend dans ses bras, en larmes.
Peu de gens ici comprennent le véritable sens de cette citation, mais tous applaudissent.
— Et je précise que ce n'est pas la fin du livre, pour ceux que ça intéresse !, ajoute Rachel, un sourire à travers ses larmes.
Et le repas débute enfin.
Au fur et à mesure, l'ambiance se détend et la soirée bat son plein. Tout le monde danse, enfin, tout le monde sauf moi. Après mon discours, j'ai envie de rester discrète.
Finalement, je cède à une danse à Sam et Paul invite Emily en contrepartie. Sam m'entraîne doucement sur la piste, guidant mes pas avec assurance. Loin de l'agitation, nous dansons dans un coin plus calme, à l'abri des regards curieux.
— Tu sais, Haven, commence-t-il après un instant de silence. Avec Billy, on pense que tu devrais avoir une place dans la meute.
Son ton sérieux me pousse à relever les yeux vers lui. Il a ce regard solennel, celui qu'il prend lorsqu'il endosse son rôle d'Alpha. Je fronce les sourcils.
— Une place ? Je ne comprends pas… Je ne peux pas faire partie de la meute, Sam. C'est impossible pour moi.
Il plisse légèrement les yeux et lâche un petit rire.
— De ce point de vue là, oui, tu as raison. Non, ce que je veux dire par là c'est que Billy veut faire en sorte que ton rôle soit clair. Peut-être une reconnaissance officielle au sein du Conseil, une place qui te donnerait un droit de parole.
Mon cœur rate un battement. Une reconnaissance officielle ?
— Tout le monde sait à quel point tu es impliquée dans la vie de la meute. Tu es là pour nous, pour Paul… mais pas seulement. Tu en sais plus sur nos légendes que certains d'entre nous.
Il marque une pause, mais intervient avant que je ne puisse dire quoique ce soit :
— Ce n'est pas encore acté, précise-t-il rapidement. Mais sache que Billy travaille pour proposer ta nomination à la prochaine Assemblée Générale du Conseil des Anciens. J'ai déjà donné mon accord de principe.
Le regard de Sam est sincère et, pendant un instant, la musique et les lumières autour disparaissent. Je peine à trouver mes mots. Moi ? Faire partie du conseil ? L'idée me semble irréelle, presque trop grande pour moi. Pourtant, Sam n'a pas l'air de douter.
La chanson s'arrête et il me raccompagne à ma place, comme s'il savait que j'avais besoin de faire une pause pour souffler et digérer un peu ce qu'il vient de me dire.
Je prends plusieurs inspirations profondes avant de me reprendre. Finalement, je ne veux pas rester enfermée dans mes pensées. Alors, je finis par lâcher prise et je danse avec mes amis, portée par l'énergie ambiante, me laissant emporter par les rires et la musique.
Puis l'animateur annonce un slow. Aussitôt, mon regard balaie la salle à la recherche de Paul. Il comprend sans que j'aie besoin de dire un mot. D'un pas assuré, il vient à ma rencontre et m'entraîne avec lui sur la piste, juste au moment où la chanson commence.
Je ne la connais pas, mais je la trouve magnifique… et terriblement triste pour un mariage. Une chanson sur une rupture difficile ? Curieux choix. Pourtant, elle transporte tout le monde dans la salle.
Paul resserre son étreinte autour de ma taille. Je lève les yeux vers lui… mais son regard est rivé sur Rachel et son mari.
Je les observe à mon tour. Ils rient et bougent avec grâce. Ils semblent hors du temps, hors du monde. Ils sont beaux, vraiment très beaux et ils sont heureux.
Paul encaisse.
Et soudain, je comprends.
La réponse est dans les paroles elles-mêmes. Laisse-la partir, Paul. Tout ira bien.
Quand la chanson s'arrête, je lève les yeux vers lui. Une larme perle sur sa joue. Doucement, je prends son visage entre mes mains, essuie la trace humide de mon pouce et lui souris tendrement. Quand il plonge son regard dans le mien, il semble chercher une ancre, une certitude. Je lui souris. Il m'embrasse.
Et il choisit d'y croire.
Oui, tout ira bien…
