À bord de son nouveau véhicule, Candice traversait cette ville qui lui semblait finalement bien étrangère. Que la voierie avait changé en huit ans. Les magasins aussi, observaient-elle en passant aux abords du centre-ville. Mais l'ambiance grisâtre elle, n'avait pas bougé et ancrait bel-et-bien cette cité nordique dans l'hiver rugueux d'un mois de février. Rien à voir avec la douceur du sud…, sourit-elle en activant son clignotant. Le panneau barré lui indiqua le franchissement des limites de la ville. Et le paysage ne tarda pas à se changer en un horizon lointain de verdure. À quelques mètres d'une extension pavillonnaire, un champ prenait place, séparant un hameau de quelques maisons campagnardes. Volets rouges, grand chêne sur le côté droit, aucun doute, Candice arrivait à destination. Elle gara la voiture le long des barrières blanches et osa s'aventurer dans le froid. Face à elle, une maison faisait la morte. Il était presque 18h et aucune lumière n'émanait de la bâtisse qui pourtant renfermait une petite citadine grise. Sa mère devait donc être là normalement… Inquiète, Candice tenta de faire résonner la cloche, en vain. La poignée du portail était scellée et le silence demeurait…

«Bonsoir! cria une voix féminine au loin.

Surprise, la blonde fit volte-face et rencontra une vieille dame postée à la fenêtre d'en face.

- Ah bonsoir! Euh justement, vous tombez bien.

- Qu'est-ce que vous voulez?

- Je suis la fille de Magda mais je m'inquiète. Je n'ai pas de nouvelles…

- Elle est partie.

- Partie?! Mais… Sa voiture est là…

- Oui, elle est partie y a quelques jours, y a une voiture qu'est venue la chercher. Elle avait une valise rouge à la main, j'ai supposé que c'était pour des vacances.

- Une voiture? Elle était comment?

- C'était une belle berline noire. Mais elle est souvent garée là ces derniers temps…

- Ok… Et personne ne vient surveiller la maison en son absence ?

- Personne. En même temps, elle est pas toujours aimable, vot' mère.

- Ah ça… sourit Candice. Bon… merci quand même alors.

- Au plaisir!»

La fenêtre claqua bruyamment, déclenchant chez Candice un léger rire. Sa mère n'était finalement pas décédée isolée dans sa maison, et ça, c'était déjà un grand soulagement. Mais l'inquiétude demeurait. Avec qui était-elle partie? Et pourquoi sans son téléphone? Peut-être avait-elle eu l'envie de tout quitter et changer de vie sans en parler à ses proches. Enfin «proches»… tout était relatif, finalement. Quelques coups de fil ponctuels, des repas occasionnels et bien trop rares, un semblant d'intérêt et des gentillesses qui sonnaient parfois un peu trop faux. Une parure finalement…, soufflait Candice en retournant dans sa voiture. Le moteur ne tarda pas à vrombir et le véhicule s'immergea dans une brume épaisse. Maintenant, direction le commissariat.

...

Le hall d'accueil n'avait pas changé. Candice demanda le commandant Verner à l'hôtesse qui l'orienta à l'étage. Elle grimpa rapidement les marches et une jeune lieutenante l'accompagna jusqu'au bureau du chef de service. Concentré…, observa Candice d'un léger sourire en le voyant scruter un gros dossier bleu.

«Commandant Verner?! l'interpella-t-elle tout sourire.

- Oh! s'étonna-t-il. Candice?!

- Salut…

- Mais qu'est-ce que tu fais là? demanda-t-il après lui avoir chaleureusement fait la bise.

- Ma mère… lança-t-elle en haussant les épaules.

- Aïe… Bon, bah asseyez-vous commandant!

- Merci mais… je suis plus commandant…

- Hein?

- J'ai quitté la police. On m'avait foutu à la financière s'te-plaît! expliqua-t-elle hilare.

- Mon dieu… Je ne peux que comprendre… Mais du coup, je dois t'appeler comment?

- Détective Renoir! s'exclama-t-elle fièrement.

- Ah ouais… Ça en jette!

- Ouais… Enfin là, c'est une détective inquiète qui est devant toi. Mais t'as cinq minutes? demanda-t-elle en pointant le dossier du doigt. Je voudrais pas te déranger.

- J'allais partir dîner mais, tu peux peut-être m'accompagner… On sera plus tranquilles, non?

- Vendu! En plus je meurs de faim. Le sandwich acheté au point relay de la gare était à peine mangeable…, plaisanta-t-elle.

- Alors allons-y!»

...

La blonde remercia la serveuse d'un grand sourire. Elle tira la chaise devant elle et laissa pendre son manteau au dossier avant de s'y installer. Dieu qu'elle avait fréquenté cet endroit dans sa jeunesse… C'était une vraie madeleine de Proust! Face à elle, le brun souriait doucement face à l'admiration de sa camarade.

«T'es pas venue là depuis longtemps toi, ça se voit! plaisanta-t-il.

- Ah ça! Je me rappelle encore les soirées restos avec mes parents… C'était tellement rare mais à chaque fois, on passait un moment de dingue, se souvint-elle avec un pincement au cœur.

- Et bien moi tu vois, c'est devenu mon QG…

- J'vois ça! Tu connais tout le monde…

- Hum. Ça fait plaisir de te voir…

- Ouais, même si bon, j'aurais préféré revenir dans d'autres circonstances mais… la vie en a décidé autrement!

Soudain, le téléphone rose posé sur la table vibra, laissant apparaître une photo d'Antoine.

Ah excuse-moi… Je vais lui écrire sinon il va s'inquiéter…

- Il est toujours aussi protecteur visiblement…, sourit-il.

- Hum… Et attends parce que là, il sait pas encore que je dîne avec un autre homme, ironisa-t-elle en récupérant son portable.

- Oui alors… Techniquement il n'a pas grand-chose à dire sur la situation…»

Candice tiqua, laissant ses doigts naviguer sur son clavier. Et de l'autre côté, un Antoine partagé entre inquiétude et agacement piétinait d'impatience. Non mais! Elle venait de lui raccrocher au nez sans même avoir pris le temps de lui parler… Sympa… pestait-il en haussant les sourcils. Et rapidement sa réponse ne se fit pas prier. «Je dîne avec Stanislas. Je te rappelle tout à l'heure mais tout va bien. Bisous!» Il déglutit, ne s'attendant pas à une telle situation. Et en même temps, il était hors de question de passer pour un mec jaloux à trois semaines de la cérémonie… Alors intérieurement Antoine tentait de se convaincre que ce n'était qu'un dîner d'affaires, même si lui savait pertinemment que le nordiste n'était pas insensible au charme de sa belle…

«Voilà! Je le rappellerai ce soir…

- Mais attends… Je viens de tilter là… Pourquoi il s'intéresse autant à cette histoire si c'est plus ton boss?

Elle rigola doucement avant de baisser les yeux de gêne.

- Disons qu'il vient de laisser sa future femme partir à l'autre bout de la France alors, il est inquiet…

- Attends mais… y a eu de l'évolution là?!

- Ah ça! Ça fait trois ans qu'on est ensemble…

- Et vous avez attendus quoi pendant toutes ces années?!

- Oh bah c'était compliqué. On était fous amoureux mais… il y a eu des «mais» …

- Je vois ça…

- Et c'est aussi en partie pour ça que je suis là, si tu veux tout savoir…

- C'est-à-dire?

- Je vais me marier, Stanislas…

- Wow! Mais félicitations!

- Merci… angoissa-t-elle en triturant sa bague.

- Mais je vois pas le lien, si t'es ici, toute seule…

- Je… J'venais l'annoncer à ma mère en fait. Sauf que j'ai pas de nouvelles depuis des jours et… je commençais à me faire des films.

- Du genre?

- J'en sais rien je… Je crois que je finis par croire au destin et… je finis par me dire que si je peux pas lui annoncer c'est parce que je dois pas me marier…

- Attends mais c'est ridicule! Tu l'aimes non?

- Bien sûr! Mais je suis terrorisée. Y a le passé… Et j'arrive pas à m'en détacher…

- Tu lui en as parlé?

- Plus ou moins, bégaya-t-elle. Mais j'ai envie de l'épouser hein! Enfin, je sais que c'est l'homme de ma vie et… c'est même moi qui l'ai poussé à me faire cette demande… Je pensais que ça irait mais plus la date approche, plus j'angoisse. C'est dans 3 semainesquand même !

- Ah oui… C'est bientôt…

- Ouais… Puis tu vois, j'ai l'impression qu'il faut que je me réconcilie totalement avec mon passé pour embrasser mon futur et… je misais tout sur ma mère. Pour une fois je voulais qu'elle soit là…

- T'as pas de nouvelles alors?

- Nan… Je suis passée chez elle tout à l'heure, y avait personne. La voisine m'a dit qu'elle était partie y a quelques jours avec une grosse berline noire. Je pense que ça devait être son mec du moment.

- Tu le connais?

- Non. Enfin je crois qu'il s'appelle Roland Menaux de ce qu'elle me disait. Mais je l'ai jamais rencontré…

- Attends… Roland Menaux l'escroc?! s'offusqua-t-il.

- Hein?! Je… Je sais pas… Je le connais pas…

- Non parce que là, si c'est ça, ça craint, Candice…»

...

22h30. Candice quitta sa salle de bain, téléphone en main. La soirée avait été sympathique, distrayante mais en même temps, angoissante… Et à cet instant précis, elle sentait qu'elle n'était pas venue dans le nord juste pour se tourner les pouces. L'histoire dans laquelle sa mère s'était impliquée l'angoissait désormais au plus haut point. Elle souffla en levant la couette de son lit et se glissa dessous, réchauffée par cette housse de couette duveteuse. Elle tapota sur son clavier et activa sans attendre le haut-parleur.

«Salut… entendit-elle sans conviction.

- Bonsoir mon amour, minauda-t-elle tout sourire.

- Eh bah, 22h30… J'ai cru que tu m'avais zappé…

- Eh bah tu vois bien que non, répondit-elle fièrement. Le temps de rentrer, de prendre une douche…

- Hum… Donc bonne soirée apparemment…

Elle ricana doucement, amusée.

- J'aurais préféré dîner avec toi mais… le repas n'était pas mauvais oui…

- Hum…

- Et tu devineras jamais où je suis là…

- Si tu me réponds «chez Stanislas», je fais mes valises et je quitte la maison, je te préviens.

La blonde explosa de rire avant d'hocher négativement la tête.

- Alors là, rien à voir en plus!

- T'es pas chez ta mère?

- Non. En fait, elle est pas chez elle. On suppose qu'elle est partie en week-end prolongé avec son amoureux…

Il éclata de rire, nerveusement.

- Rappelle-moi qui t'as dit que tu faisais un aller-retour pour rien déjà ?

- Pas vraiment pour rien non… Déjà je suis passée chez mon oncle et, ça m'a fait du bien de discuter avec lui et avec mon cousin après toutes ces années.

- Ton oncle? Tu m'en as jamais parlé… lâcha-t-il surpris.

- Bah tu sais, on s'est pas vus, ni parlés, depuis la mort de papa… Et ça m'a fait beaucoup de mal parce que je l'aimais beaucoup…

- Ok. Bah tant mieux si ça s'est bien passé, alors.

- Ouais, je déjeune avec eux demain midi aussi d'ailleurs.

- Ah donc tu reprends pas le train demain matin ?

- Euh… Non… En fait, j'ai encore quelques trucs à éclaircir… Cette histoire de week-end en amoureux me perturbe et, Stanislas, m'a pas trop rassuré… Le profil du mec est inquiétant…

- Du genre?

- D'après lui, il est pas connu pour sa tendresse… Son ex-femme a porté plainte pour coups et blessures et, son nom apparaît dans des affaires de combines un peu louches avec des histoires de bijoux volés… On doit en parler plus précisément demain au commissariat. Et je dois aussi aller voir les copines de maman…

- Putain mais dans quelle merde tu vas encore te mettre, Candice?!

- Mais c'est ma mère, Antoine! Je peux pas la laisser avec ce type si c'est quelqu'un de mauvais…

- Oui… Et tu vas encore te mêler de ses affaires, elle va encore t'en mettre plein la figure et tu vas ensuite te sentir coupable… C'est le même cinéma à chaque fois! Rappelle-toi, il y a huit ans!

- Justement, en parlant de la dernière fois… T'as toujours pas deviné où j'étais… éluda-t-elle.

- J'en sais rien… souffla-t-il sans aucune envie de chercher.

- Tu fais même pas d'efforts…

- Bah non parce que ça me saoule, en fait! pesta-t-il.

- De quoi? Savoir que je suis dans la même chambre d'hôtel qu'à l'époque? Ou que je veuille aider ma mère?

- C'est juste que… ça fait des semaines qu'elle est avec ce mec, mais non, toi tu décides de partir te mêler de ça à 3 semaines du mariage…

- Vaut mieux tard que jamais… Puis, c'est juste le temps d'en savoir plus, c'est tout…

- Donc tu seras pas rentrée d'ici demain soir?

- Ah bah non, ça sera trop juste je pense…

- Donc j'annule le rendez-vous chez le fleuriste?!

- Ah merde… J'avais complètement zappé… Bah sinon, vas-y tout seul ou emmènes Emma, elle est de bon conseil. Puis moi, tu sais, tant qu'il y a du rose… sourit-elle sincèrement.

- Ok… maugréa-t-il. Bah tu sais quoi, je vais annuler ce rendez-vous et puis si ça continue je vais même annuler le mariage, puisque t'en as rien à faire.

- N'importe quoi Antoine, c'est juste que… que ça demande du temps et… là c'est un peu compliqué…

- C'est vrai que moi j'ai pas de travail et que j'ai que ça à faire, pardon…

- Bon écoute, j'ai pas envie qu'on se prenne la tête ce soir. Je suis désolée mais pour demain soir, je pourrais pas y être. Et je te fais confiance… À 100%...

- Ouais… grommela-t-il.

- On se rappelle demain?

- Ok.

- Mais me fais pas la tête chéri…

- Ça va, c'est bon… mentit-il. Bonne nuit…

- Elle sera pas aussi bonne que la dernière que j'ai passé ici mais, tant pis…

Antoine sourit doucement, nostalgique.

- Et bah tu vas devoir t'en contenter…

- Hum… Bonne nuit… À demain...

- À demain…»

Et c'est un commissaire agacé qui raccrocha. Agacé et inquiet aussi… La date sur son téléphone affichait le mardi 25 février et la cérémonie était prévue pour le samedi 15 mars. Mais non, Candice préférait se la jouer agent secret dans son territoire originel et ce, sans penser aux préparatifs qui attendaient… Ronchon, il finit par éteindre la lumière alors que son portable bipait la réception d'un message de Candice. Il cliqua dessus et sourit doucement en constatant une photo d'elle emmitouflée dans ses draps, enlacée par un bonhomme bâton vulgairement tracé en rose.

«Sympa le bonhomme à côté… envoya-t-il en ricanant.

- C'est parce que le vrai me manque…

- Toi aussi tu manques au vrai…»

Antoine réceptionna un cœur rouge en guise de réponse. Il hocha négativement la tête. Définitivement entre ses sentiments et ses angoisses, il y avait un monde…!