L'écho des paroles de sa mère semblait cogner son esprit avec vigueur. Et Candice en perdait toute sa contenance. La blonde fixait désormais sans entrain une bague de fiançailles qui lui rappelait l'angoisse de sa situation. Un mariage qu'elle ne semblait presque plus espérer, un potentiel mari qui ne la méritait définitivement pas, une mère qui la détestait inexorablement et une vie qui lui faisait désormais défaut. Cela faisait rêver, songeait-elle d'une moue alarmante. Elle retint à nouveau ses larmes lorsqu'elle sentit une main revigorante toucher doucement son genou gauche.
«Candice?
- Hein? balbutia-t-elle en sortant de sa rêverie.
- On va pas tarder à arriver. Je vais te déposer chez ton oncle.
- Euh… commença-t-elle en paniquant. Nan! Je… J'peux pas... Rentre à la brigade. Je vais marcher pour rentrer. Je préfère.
- T'es sûre? C'est à 2 rues d'ici, je peux faire le détour, y a pas de…
- Oui! ordonna-t-elle en le coupant. Je préfère marcher. J'ai besoin de prendre l'air là…»
Stanislas acquiesça sans trop d'engouement. Faut dire que l'état de sa partenaire ne pouvait que le préoccuper. Et lui se sentait bien trop impuissant et illégitime pour intervenir dans les méandres de sa vie. Puis sans doute aurait-il rencontré un mur en proposant son aide à ce caractère bien trop trempé. Fallait être courageux pour oser l'approcher et la supporter, songeait-il en l'imaginant au quotidien…
Le brun enclencha le clignotant et fit tourner le volant à droite où le logo de la police nationale se laissait apercevoir dans le ciel obscur de cette fin de journée tumultueuse. Le véhicule s'immisça sur le parking avant que le moteur ne s'arrête rapidement. Candice détacha sa ceinture et s'immobilisa d'angoisse. Qu'est-ce qu'elle allait faire maintenant ? Dans cet état ? C'était la honte... Et Candice n'était clairement pas prête de l'assumer.
«Ça va?
- Ouais…
- Tu veux que je te raccompagne?
- Non, ça va… objecta-t-elle en hochant la tête.
- Alors tu fais attention à toi, d'accord? Et oublie cette histoire de Menaux pour l'instant. Je crois que t'as d'autres priorités.
- Merci Stanislas…»
La blonde sortit de l'habitacle et claqua la porte sous le regard désappointé d'un commandant de police soucieux. Mais il avait raison. Candice avait d'autres priorités… Sauf que pour l'heure, toutes semblaient bien loin dans son esprit qui ne laissait plus qu'apparaître les mots crus d'une mère aigrie. Stanislas souffla de fatigue et vit rapidement la détective disparaître au tournant de la rue. Dépourvu, il pénétra dans son commissariat et grimpa les escaliers dans une marche rapide. Son openspace était silencieux et seul son adjoint semblait encore à son bureau. Il sourit discrètement et approcha à pas de loups.
«Salut Gab' ! lança-t-il à son collègue. T'es encore là?
- Ah! Salut boss. Justement j'étais en train de relire mon rapport avant de partir.
- Bien!
- Et toi alors, cette expédition belge?
- Mouvementée… grimaça-t-il en prenant place derrière son ordinateur.
- Vous avez vu le bandit alors?
- De loin ouais… C'était bien sa baraque en fait… Mais Candice a voulu parler à sa mère… Évidemment ça s'est mal passé donc vu la situation, j'ai préféré la ramener plutôt que de pousser les investigations.
- Ah bah justement y a son mari qu'est passé tout à l'heure ! Il la cherchait…
- Son mari?
- Ouais. Enfin il s'est présenté comme ça. Je l'ai envoyé chez son oncle. C'est pas bien?!
- Ah si si! Il est passé à quelle heure?
- Il devait être 16h. Il a laissé sa carte là!
- Ok! acquiesça-t-il en avisant 18h30 sur l'horloge. Courage à lui parce qu'il va la retrouver dans un sale état…
- À ce point?!
- T'aurais vu le face-à-face… Franchement, c'était une humiliation pour Candice… Mais bon… Tu sens que c'est une femme qui souffre tellement, sa mère… Je pense que la moindre attention qu'un homme peut lui accorder, elle plonge dedans quoi.
- Et on connaît le Menaux. Appâter pour mieux régner.
- Exactement…
- Qu'est-ce qu'on va faire du coup?
- J'en sais rien… Je vais laisser Candice se remettre de ses émotions et on verra. De toute façon ils vont pas rester éternellement en Belgique.
- Et t'as le droit de rentrer chez toi te reposer aussi, plaisanta Gabriel tout sourire.
- J'ai des PV à signer. Je finis ça et je rentre!»
...
Téléphone vissé à l'oreille, Antoine tentait de trouver un brin de réconfort auprès du rire enfantin de sa fille qui s'amusait à raconter sa maudite chute lors de son dernier entraînement de gym. Elle au moins semblait bien loin du chaos, songeait-il silencieusement.
«T'as de la chance de ne pas t'être blessée quand même!
- Ouais… Après j'aurais été obligée de prendre des béquilles pour le mariage…
- Ça n'aurait pas été super pratique oui…
- D'ailleurs, j'ai trouvé ma robe. Il faudra que je demande à Candice ce qu'elle en pense!
- Ah oui?! Bah on verra ça dimanche alors…
- Comme ça je pourrais comparer avec celle de Candice!
- De quoi?
- Bah la robe…
- Aaaaah! comprit-il en grimaçant. Oui. Bah je vous laisserais en parler toutes les deux.
- Oui, sourit Suzanne alors que sa mère l'appelait pour passer à table.
- Allez! Je vais te laisser. Tu diras à maman de m'envoyer les photos de la gym alors?
- Ok!
- Allez, bisous ma chérie.
- Bisous! À dimanche!»
Antoine raccrocha le cœur presque serré. La conversation avait été courte. Trop courte à son goût. Et lui cherchait simplement à évader son esprit de cette attente interminable que Candice lui imposait. Son téléphone affichait presque 20h et sa messagerie directe résonnait toujours dans ses oreilles… Le temps se faisait long… Trop long… Alors il rangea son téléphone dans sa poche et retrouva Paul attablé dans la salle à manger.
«Excusez-moi, c'était ma fille.
- Ah! Mais Candice m'avait pas dit! Faites voir!
Souriant, il tendit son portable qui laissait apercevoir une photo de Suzanne.
- Elle a 9 ans.
- Le portrait craché de son père…! Comment elle s'appelle?
- Suzanne! sourit-il. Caractère bien trempé et maturité grandissante…
- Les chiens ne font pas de chats, tu sais.
Antoine rigola doucement avant de retrouver son sérieux.
- Vous avez besoin d'aide en cuisine?
- Hum, ça va. Tout est prêt. Je te remercie!
- Ok, soupira-t-il en s'affaissant sur la chaise.
- Toujours rien?
Dépité, il hocha négativement la tête avec angoisse.
- Son téléphone doit être éteint. Je suis en messagerie directe.
- Allez t'en fais pas! Si y avait un souci, t'aurais été prévenu.
- Je sais…
- Tu veux qu'on passe à l'apéro? Ça la fera peut-être venir comme ça!
- Allez! accepta-t-il sans engouement.»
Le verre avait clinqué contre celui d'en face sans conviction. Mais l'alcool avait au moins le don d'atténuer les angoisses. Et le cousin s'était même joint à eux, attendant lui aussi le retour de sa cousine qui commençait à se faire bien trop long. Paul aussi était pétri d'angoisse, mais dans son esprit sage, il avait préféré la faire taire en prenant le parti de blagues en tout genre. Et étrangement, Antoine se sentait bien ici, presque comme chez lui. Il retrouvait une famille qu'il n'avait jamais soupçonné et dont la chaleur semblait bien réconfortante pour son cœur meurtri. Soudain, son téléphone vibra dans sa poche arrière. Le brun se précipita dessus et l'écran affichait un numéro inconnu.
«Allô?! s'empressa-t-il de répondre.
- Commissaire Dumas?
- Lui-même!
- Bonsoir. C'est Stanislas Verner!
- Ah… soupira-t-il de soulagement. Justement je commençais à m'inquiéter! J'attendais de vos nouvelles. Candice va bien?!
- Comment ça? l'interrogea-t-il surpris. Elle est pas avec vous?!
- Bah non… On m'a dit que vous étiez ensemble!
- Oui! Mais on est rentrés y a une bonne heure et demie maintenant. Je pensais qu'elle vous avait retrouvé…!
- Ah bah je peux vous garantir que non!
- Merde! Je… Elle répondait pas à mes messages, alors je préférais m'assurer auprès de vous que ça allait quoi...
- Elle me répond plus depuis hier soir, paniqua Antoine en se frottant les yeux.
- Je…
- Mais vous étiez où en fait ?! s'emporta-t-il.
- En Belgique! On a retrouvé la trace de Menaux et Candice voulait absolument qu'on y aille. Sauf que la rencontre avec sa mère ne s'est pas vraiment passé comme prévu… Vu son état, j'ai préféré rentrer.
- Évidemment… maugréa Antoine. Candice est pas bien depuis hier soir!
- Hier soir? Mais on était pas ensemble hier soir. Je suis restée à la brigade bosser.
- Et elle, elle était où alors?
- Chez sa mère… Y avait un double des clés qui traînait. Elle voulait absolument aller y faire un tour.
- Ok, souffla Antoine en commençant à comprendre. Donc là, t'es en train de me dire que tu l'as laissé rentrer toute seule alors qu'elle était au plus mal?!
- Parce qu'elle a insisté! Elle voulait pas que je vienne. Je… Je voulais pas forcer enfin je me sentais pas légitime quoi…
- Mais fallait m'appeler bordel ! hurla-t-il de nerfs.
- Qu'est-ce qui se passe? intervint Paul avec inquiétude.
- Candice est plus avec Stanislas depuis plus d'une heure trente. Et elle répond plus à personne, expliqua Antoine en retenant ses larmes.
- Ok. Alors on se calme et on réfléchit… lança l'aîné pour calmer les choses.
- Vous avez une idée d'où elle a pu aller? demanda Stanislas.
- Nan… avoua Antoine. Je connais rien ici à part l'hôtel de l'époque et le commissariat…
- De toute façon, elle est à pied non? demanda Fred. Le Kadjar est toujours en bas.
- Techniquement oui.
- Alors le mieux c'est de se séparer et de chercher chacun dans son coin, proposa le blond.
- Mais je connais pas la ville, se plaignit Antoine.
- Tu viens avec moi! proposa Fred. Commandant vous gérez le nord. Papa tu fais le quartier est. Et nous bah on va aviser avec le reste.
- Ok, capitula Antoine rongé par l'inquiétude. De toute façon, on a pas le choix…
- Eh! Une blonde qui marche seule dans une ville peu animée, ça devrait pas être bien difficile à trouver…
- J'espère!»
Pourtant, tous étaient bien loin d'imaginer la réelle localisation de Candice. D'ailleurs, elle-même ne savait pas vraiment pourquoi ses pas l'avaient guidé jusqu'ici. C'était comme si sa conscience l'avait orienté vers un règlement de compte qui semblait désormais inévitable. Alors elle se tenait là, debout, les mains bien enfouies au fin fond de ses poches, les larmes dégoulinant sur ses joues rougies par le vent frais qui soufflait avec dureté. Ses yeux fixaient devant elle, perdus entre une réalité et un esprit embué sur fond d'un silence pesant. Faut dire que le lieu ne prêtait pas vraiment à la joie, constatait-elle en balayant les environs d'un regard triste. Mais après bien trop d'évitement, l'étape lui paraissait finalement obligatoire pour se décharger…
