En écrivant ceci, je me suis demandé à plusieurs repris si la chronologie (et le propos de la fic en général) était crédible, donc si possible, j'aimerais avoir des avis. (Edit: après réflexion, j'ai changé quelques dates. Cela fait vingt-cinq ans et non vingt ans, et les personnages sont un peu plus jeunes: ainsi, Essun a vingt-trois ans et non vingt-sept, et Jakob n'a que dix ans alors que je prévoyais lui en donner quatorze.

Le titre a finalement été changé parce que l'autre m'agaçait.

L'annonce fit grand bruit, se répercutant sur toute la longueur de ce qu'était l'empire gamilon, vingt-cinq ans (1) après sa mort présumée et bouleversant complètement cette société qui s'était reconstruite sans lui. Essun hésita longuement sur la conduite à suivre, parce que même si on ne l'avait pas encore rappelée, elle savait quelle était la portée de l'événement. On en reparlerait des années durant… et confusément, elle voulait en être. Elle fixa longuement le papier, se demandant ce qu'elle avait à perdre. Ablen, bien sûr, mais Ablen et elle n'avaient peut-être jamais eu d'avenir. Finalement, Essun lui fit ses adieux, fit ses bagages et partit. Le chemin serait long.

Ce fut à ce moment qu'elle rencontra Berger, sur Yagil, à mi-chemin. Et Ciel. Et Jakob, surtout.

Quand Essun revint après avoir rassuré les parents de Jakob comme elle pouvait, il était toujours assis à l'attendre. Évidemment, se morigéna-t-elle en souriant. Où aurait-il pu aller? Elle s'assit sur la banquette en face de lui.

-Il semblerait que nous allons rester ensembles encore un moment, lui annonça-t-elle sans préambule, ne sachant comment l'aborder.

Il releva la tête et lui sourit. Essun ravala de justesse son propre sourire. Bien sûr qu'il était conscient d'avoir fait une bêtise… et vu comme ses parents- son père, surtout, qui regrettait de ne pas avoir la possibilité de venir lui-même l'attraper par la peau du cou pour le ramener à la maison- devaient être en colère, Essun pouvait comprendre qu'il n'ait pas envie de rentrer maintenant. Et même si Essun n'aurait pas du approuver, elle n'était pas sa mère, ce n'était pas à elle de juger ses actes. …Quel âge avait-il? Dix ans? Onze?

Elle l'observa plus longuement. Il ressemblait étrangement à son père, mais il avait le teint pâle, grisâtre, et les oreilles pointues de sa mère- traits qui, Essun le savait, n'auraient aucune chance de passer inaperçus.

-Et... Penses-tu que tu regretteras? De ne pas être resté?

-Les autres le savaient tous, répliqua Jakob en baissant les yeux.

Les autres? …Oh. Apparemment, ce n'était pas pour rien que leur mère les qualifiait de monstres. Essun sortit son ordinateur de sa poche.

-C'est à ça que je faisais référence, fit-elle en lui montrant l'annonce.

Rien qu'à voir son regard et la grimace qu'il fit, elle sut qu'il comprenait très bien.

-C'était ce que tu voulais? crut-elle comprendre.

Il fit non de la tête, l'air sincère. Habituée à côtoyer des gens de tous les rangs et de toutes les origines, Essun pouvait le voir aisément. Jakob savait quand les autres mentaient mais ne pouvait mentir lui-même. Essun fit disparaitre l'appareil dans la poche de sa veste. Peut-être en avait-il envie autant qu'il redoutait cette rencontre, tel que Midelia elle-même l'avait exprimé. Essun n'en savait rien.

Elle fixa le garçon dans les yeux. Il ne détourna pas la tête.

-Tu as du caractère, fit-elle, amusée. Ou tu es complètement stupide.

Il était mignon, comme ça, n'empêchait. Un petit elfe sorti des contes. Elle se demande un instant s'il pouvait avoir installé cette pensée en elle et conclut finalement que non. Jakob et sa fratrie lisaient allégrement les pensées des autres mais semblaient à peine comprendre comment fonctionnait ce sens.

-Comment peux-tu dire que je suis anormal? Comment peux-tu dire que ce n'est pas ton espèce, l'anomalie?

La jeune femme sourit, amusée.

-Je n'en sais rien. Mais malheureusement, ce n'est pas ce genre de pensées qui t'aidera à t'intégrer une fois là-bas.

Le garçon garda un bref instant de silence, les yeux baissés. Essun ne put réprimer un sourire.

-Tu ne me laissera pas, pas vrai? demanda-t-il finalement en relevant la tête.

Essun sourit encore. Elle n'était pas dupe: s'il pouvait effectivement avoir un béguin pour elle, elle ne pouvait que constater que c'était avant tout l'envie de partir qui avait motivé Jakob. L'envie de voir Gamilas où il avait déjà vécu, de vivre par lui-même les récits qu'il entendait couramment jusque dans la bouche de ses parents. À son âge, on ne réalisait pas les conséquences.

-Bien sûr que non, répondit-elle.

Et puis, aussi égoïste cela pouvait-il être envers la famille de Jakob, elle était plutôt reconnaissante de ne pas avoir à faire le chemin inverse seule. Lorsqu'elle vit dans les yeux de Jakob- les yeux violets de sa mère et de son grand-père- qu'il commençait à comprendre, elle s'obligea à sourire une dernière fois. Pas tant pour le rassurer que pour… Pour… Elle fit machinalement rejouer dans sa tête la comptine apprise de sa bouche, celle qui prêtait des vertus aux couleurs, en repensant au collier de fantaisie qu'elle portait désormais.

-Tu as hâte de revoir Gamilas? fit Jakob avec dans la voix une prudence inhabituelle.

Elle cessa aussitôt.

-Honnêtement, je n'en sais rien. Ma famille m'a manquée, bien sûr… mais pour le reste, je ne sais pas.

Il opina.

-Crois-tu que ce sera différent? demanda-t-il ensuite, sous-entendant à cause de saprésence.

Essun hésita. Elle n'avait pas reçu assez de nouvelles pour avoir un avis clair sur la question, mais… malgré tout ce qu'elle avait pu entendre sur les années qu'il avait passées au pouvoir, malgré l'état réel de ce qu'était l'empire de Gamilas pendant son règne… pendant tout ce temps, il désirait vraiment que son pays soit florissant. Et c'était ce qu'il était devenu. Et s'il prenait le temps de constater que les deux reines et le nouveau gouvernement en place avaient bâti quelque chose de stable à défaut de grandiose… peut-être l'accepterait-il.

-Je préfère avoir confiance.

-C'est bien de te voir optimiste, releva Jakob.

-Ta mère avait raison, répliqua Essun en se rallongeant. Tu es un vrai monstre.

Il rit à son tour. Il ne paraissait pas le moins du monde vexé.

Le voyage représenterait une brève accalmie avant de rentrer à la maison. En attendant, Essun refusait d'être inquiète.

(1) En années terriennes, oui. C'est une facilité scénaristique, je sais, mais c'est plus simple pour tout le monde.