La lettre écrite à l'encre verte
Pour rassurer son père, Scarlett décréta qu'elles ne sortiraient de l'appartement que pour le strict nécessaire. Elles profiteraient de Londres un autre jour. Pendant son absence, elles passaient leur temps à écouter de la musique et à jouer au échec, Scarlett était très doué ce qui agaçait singulièrement Anastasia. La semaine passa dans un ennui tendu. Mr Fishflatt réussi à passer une soirée avec les jeunes femmes, pendant laquelle ils mangèrent et discutèrent de tout sauf de la guerre civile qui avait lieu derrière les fenêtres de l'appartement. On parla de Scarlett, de son souhait de devenir journaliste, qu'elle ne voulait pas travailler pour la Gazette ou Sorcière Hebdo, mais pour un journal indépendant qui ne prendrait pas ses lecteurs pour des imbéciles. On parla d'Anastasia et du fait qu'elle ne savait vraiment pas quoi faire de son avenir. Qu'elle comptait obtenir le plus d'ASPIC possible et voir après ce qui serait utile. Elle expliqua aussi pourquoi elle n'était pas venue plus tôt à Poudlard. Elle raconta qu'elle avait été dans un pensionnat à l'âge de onze ans mais que les diplômes qu'elle y avait obtenus n'étaient pas reconnus. La réputation de Poudlard l'avait attiré, mais le professeur Dumbledore avait refusé de la voir entrer en septième année sans les buses. Elle avait accepté ses conditions. Le père de Scarlett raconta les bêtises qu'il avait faites avec monsieur Potter quand il était eux-mêmes élèves dans le château écossais. La soirée fut très agréable. Vers dix heures, Scarlett décida d'aller prendre un bain. Elle laissa seuls son père et son amie installés les fauteuils du salon devant la cheminé dans laquelle crépitait un feu magique. Un silence nerveux s'installa immédiatement dans la pièce. Une soirée autour d'un bon repas a toujours été le meilleur moyen de détendre une atmosphère lourde. Cependant la méfiance qui tiraillait Ernesto Fishflatt ne pouvait pas s'évaporer en quelque heure. Malgré tout, Anastasia décida qu'il était temps de poser une question qui la taraudait depuis longtemps. Et Ernesto Fishflatt était la personne la mieux placé pour lui répondre.
- J'ai une question à vous poser mais peut-être va-t-elle vous sembler déplacée, prévient-elle en fixant la cheminé.
- Allez-y toujours, je préfère que vous posiez franchement vos questions, répondit-il en la dévisageant avec curiosité.
Elle ne répondit pas immédiatement, elle sourit en fixant toujours la cheminé. Scarlett avait fait la même remarque quand elle s'était interrogée à propos de sa mère.
- Je voulais savoir comment vous avez arrêté Natacha Adamovich, finit-elle par murmurer après une longue inspiration.
Ce fut au tour, du père de Scarlett de se taire. Il savait qu'elle se posait la question. Qui ne se serait pas posé cette question à sa place ? Il fut surprit cependant qu'elle est le courage de l'aborder de front alors que jusqu'à présent elle avait toujours était un peu empruntée et gênée en sa présence. Il ne savait pas quoi répondre, il ne savait même pas comment raconter ça.
- Si vous ne souhaitez pas répondre, je comprendrai, mais il fallait que je vous demande.
La voix de la jeune femme réveilla l'homme perdu dans ses souvenirs. Elle ne le regardait toujours pas, mais sa voix était franche et sans hésitation.
- Je vais y répondre, la rassura-t-il avec douceur. Il serait cruel de ma part de ne pas le faire. Mais laissez-moi le temps de remettre de l'ordre dans mes souvenirs.
Elle ne répondit pas et attendit. Pendant quelque minute on entendit que le crépitement du feu et l'eau qui coulé dans la baignoire à quelques mètres de là.
- Vous savez pourquoi votre mère a été arrêtée ? questionna-t-il.
- Oui, souffla-t-elle sans le voir.
- Je suis heureux de ne pas avoir à revenir la dessus, dit-il avec soulagement. Nous avons arrêté Natacha Adamovich il y a sept ans, suite à une dénonciation anonyme. Elle faisait partit d'une liste de criminels recherchés sur tous les continents. J'étais le responsable du groupe d'intervention affecté à la traque de ces malfaiteurs. Nous n'avions pas vraiment d'espoir à propos de cette femme, une cavale de quinze ans et pas un signe de vie depuis treize ans. Il y avait aucune chance pour qu'on la rattrape. Et nous n'étions pas directement concernés, elle était sur la liste mais on ne la cherchait pas vraiment. Elle était la cible des Chasseurs de tête, pas la nôtre. Et puis, un matin j'ai trouvé un parchemin sur mon bureau. C'est la lettre dénonciation la plus bizarre que j'ai reçu. Sans justification, sans insulte, polie, une écriture raffinée à l'encre verte, un parchemin de qualité. Elle nous donnait juste une adresse et nous conseillait de nous dépêcher. J'ai réuni toute l'équipe d'intervention, et nous avons été la chercher. Elle logeait dans un hôtel miteux moldu de la banlieue est de Londres, près des usines textiles. Elle était la seule cliente. Nous l'avons prise par surprise. Elle s'est battue avec acharnement, mais nous étions trop nombreux et nous avons fini par la stupéfixer. Ensuite, elle a été extradée vers Nurmengard. J'ai appris pour sa mort un an plus tard. Et je n'ai plus jamais entendu parler d'elle jusqu'à ce que Scarlett me dise qu'elle avait invité sa fille aux réveillons de Noël.
- Il se tut et l'ironie amusée de ses dernier propos avait fait sourire la jeune femme.
- Vous ne savez pas qui a déposé le parchemin, ni pourquoi elle était à Londres ce jour-là ? demanda-t-elle.
- Pour le parchemin, je ne sais pas, répondit-il. Mais pour les raisons de sa présence, je peux faire des suppositions. Avant sa disgrâce, Natacha Adamovich avait de nombreux amis parmi les sorciers les plus riches et les plus puissants. On ne connait pas bien sa vie mais on sait qu'elle a été invitée en Angleterre par l'intermédiaire de Walburga Black, sa correspondante.
- Comment vous savez ça ? l'interrompit-elle étonnée.
- Nous avons beaucoup enquêté, mais je ne semble pas vous surprendre.
- J'ai lu les lettres qui ont été envoyé par Walburga Black à Natacha, répondit simplement la jeune femme.
L'homme ne put cacher sa surprise et elle crut bon de se justifier.
- J'avais besoin de savoir quel genre de lettre pouvait écrire une femme qui ressemblait à ma mère.
- Alors vous savez comme moi qu'il y a de grande chance pour que votre mère ait tenté de chercher asile chez sa plus vieille amie.
- C'est surprenant, le refuge, elle l'avait déjà, chuchota-t-elle plus pour elle-même que pour lui. J'ai toujours pensé qu'elle n'avait plus le courage de se cacher, que l'exil était devenu insupportable et qu'elle s'était rendu d'elle-même.
- Personne ne vous a jamais parlé de ça ? questionna-t-il.
- Non, c'était des sujets qu'on n'abordait pas, rapporta-t-elle avec une voix lointaine. Je ne crois pas qu'elle soit venue chercher un refuge, et, si vous me permettez une supposition, je dirais que c'est Walburga Black, elle-même, qui l'a dénoncée.
- Ce n'est pas dans les habitudes des sangs purs de se servir des institutions pour régler leurs problèmes, objecta-t-il.
- Ce n'était qu'une supposition.
- Qu'est-ce qui vous fait dire ça ?
- Les lettres sont toutes écrites à l'encre verte.
- Qu'y avait-il dans ses lettres ?
- Des histoires de filles, des complots contres des arrangements de mariages, des trucs de sangs purs et des idioties racistes … je n'ai pas pu tout lire, c'était répugnant.
Anastasia soupira. À la lumière du feu qui dansait dans l'âtre, il vit la fatigue qui s'était installée sur son visage pendant qu'ils parlaient. Elle eut l'air vieillie, son adolescence semblait avoir disparue. Elle murmura un merci à l'intention de l'homme et se leva pour rejoindre son amie qui, d'après le bruit, était sortie de la salle de bain.
Il fut décidé plus tard que les Fishflatt et leur invitée iraient passer Noël chez les Potter. Les deux aurors n'étaient pas de garde ce soir-là, c'était une bonne occasion de se réunir sans le poids de la guerre. Le 24 au soir, ils empruntèrent le réseau de cheminé pour rejoindre Godric's Hollow et débarquèrent l'un après l'autre dans le salon des Potter. La pièce était spacieuse, organisée autour de la cheminé. Les murs étaient en pierre recouverts par des tapisseries représentant des griffons, des licornes, des dragons ou encore des lions. Il y avait une grande bibliothèque pleine de grimoires et un grand canapé en cuir. Madame Potter fut la première à accueillir ses convives. Elle était grande et élégante avec un sourire jovial, elle avait les mêmes yeux marrons que son fils mais ils étaient encadrés par des rides soucieuses. James et son père les rejoignirent peu de temps après. Ce dernier, aussi mal coiffé que son héritier, embrassa Scarlett et serra la main d'Anastasia. Il était épuisé lui aussi, c'était manifeste, mais il était chaleureux, et s'il avait des réserves quant à la présence d'une Adamovich dans sa maison, il ne le montra pas. Mr Fishflatt offrit une bouteille d'hydromel à la cerise à Mr Potter qui l'ouvrit aussitôt.
James en profita pour emmener les filles à l'extérieur. La maison des Potter n'était pas une maison, c'était un petit manoir qui datait du début du siècle, il était agréable et sans prétention. Le parc était assez grand pour pouvoir si promener. Il était éclairé seulement par la lumière de la lune mais on pouvait tout de même admirer le charme bucolique typique des jardins anglais, buissonnants et mélancoliques. James les mena vers une cabane un peu à l'écart. Il y entra et sembla fouiller dans un bazar important.
- J'ai ton balai, s'exclama-t-il en s'adressant à Anastasia depuis l'abri.
Les deux jeunes femmes entrèrent et virent James illuminant la baraque avec sa baguette et pointant un balai qui se trouvait un peu plus haut.
- Tu n'as pas le droit de faire de la magie ! S'étonna la blonde.
- Personne n'en sera rien, fit le jeune en d'un haussement d'épaule. Alors qu'est ce t'en pense ? Rajouta-t-il en direction de la rousse. C'est un Typhon. Il a cinq ans, ça n'a jamais été le meilleur des balais, mais il est solide et il vole bien. Accio.
Le balai s'éleva soudainement et atterrit doucement dans la main du poursuiveur.
- Il vole bien, répéta Anastasia qui voulait en savoir plus.
- Enfin, il vole vite, précisa-t-il. Il est un peu instable mais c'est une fusée. Tu l'essayes ?
La rousse lui sourit en rougissant. Tout avait l'air si simple avec James, si évident. Elle avait besoin d'un balai et il lui avait trouvé celui qu'il lui fallait. Il le lui donna, récupéra rapidement son Jupiter cinq qui était posé sur le côté et se tourna pour sortir mais il se retrouva nez à nez avec Scarlett. Il lui fit un grand sourire, il l'avait presque oublié, retourna farfouiller dans le bazar, en sortit un autre balai, plus vieux, un peu sale. Il le dépoussiéra rapidement et lui tendis. Mais elle resta interdite et ne fit pas un geste pour le prendre.
- Tu ne vas pas rester là à nous regarder, en plus, il fait nuit, tu vas rien voir, déclara-t-il.
- J'ai mis une robe ! protesta-t-elle.
- Elle n'est pas assez longue pour être gênante, rétorqua le jeune homme avec un sourire faussement pervers. Quoi qu'il en soit, je ne vois pas ce qui aurait pu m'échapper la dernière fois.
La cabane était peu éclairée mais la rousse vit très bien les grosses plaques rouges qui apparurent sur le visage et le cou de son amie. Cependant, elle prit le balai avec élégance et âpreté, lançant un regard digne en direction du garçon et sortit de la cabane la tête droite. Anastasia scruta James avec curiosité.
- La dernière fois ? Dit-elle.
- Si elle te l'a pas dit, Adamovich, répliqua-t-il en sortant un Souafle d'un coffre en fer. Ce n'est pas moi qui te le dirais.
Il lui lança la balle ronde et sortit de la cabane. La nuit était claire et la lumière de la lune imprégnait l'étendue d'herbe. Quand ils s'envolèrent, ils n'étaient plus que trois silhouettes noires. Anastasia fit des merveilles avec le balai, James aurait été un peu moins sûr de lui, il en aurait certainement été jaloux. Dans les airs, ils s'entendaient à merveille, Anastasia prévoyait le moindre geste de son capitaine et quand il essayait de la surprendre, elle réagissait au quart de tour. Comme elle n'aimait pas voler vite, Scarlett fut assignée au but, elle gardait un anneau en fer accroché à une branche tordu. Elle ne fit pas beaucoup d'efforts mais elle réussit quand même à arrêter un tir un peu faiblard, il faut le reconnaître, d'Anastasia. Malheureusement, James ne parvient pas à la convaincre de remplacer Dearborn.
Ils ne cessèrent de jouer que quand madame Potter les appela pour le repas. Ils mangèrent la dinde aux marrons traditionnel en parlant Quidditch, qui fut le seul sujet de conversation sans danger qu'ils trouvèrent. Scarlett raconta tout de même ses souvenirs chez les Potter. Notamment, la fois où James avait fait exploser un fauteuil du salon parce qu'il avait amélioré un coussin péteur moldu et qu'il s'était assis dessus pour voir l'effet que ça faisait. Pour se venger, l'adolescent fit allusion la tentative raté du premier baisé de Scarlett. Celle-ci piqua un fard en se rappelant d'un voisin de James qui l'avait traité de crapaud baveux quand elle lui avait demandé de l'embrasser. James essaya aussi de convaincre Scarlett d'inviter Lily aux prochaines vacances pour qu'elle aussi puisse venir lui rendre visite. La blonde refusa catégoriquement. L'hydromel avait égayé les adultes et l'ombre qui habitait leur visage avait disparue. Les rires se firent plus sonores et pour une fois depuis longtemps apparemment la nuit parut sans souci. Ce fut une belle illusion qui dura presque jusqu'à effet, un instant avant le premier des douze coups, c'est à la porte qu'on sonna. Telle Cendrillon qui perd ses habits de lumière, la réalité les rappela à l'ordre. La tension naquit dans l'échine de tous les convives qui cessèrent sur le champ de manger leur dessert. Mr Potter, ayant retrouvé tout son sang-froid sortit sa baguette et se précipita vers l'entré, suivit du père de Scarlett. Madame Potter resta assise bien droite, tendu comme un arc, fixant son fils avec un regard sévère. James avait sorti sa baguette, il la tenait serrée dans sa main comme si elle cherchait à s'échapper. Scarlett avait agrippé la nappe avec sa main gauche. Anastasia savait que son autre main était plongée dans la poche où elle avait rangé sa baguette. Anastasia saisit lentement son propre bâton de sorcière. Il y eut du bruit dans l'entré, des voix s'exclamèrent mais on n'entendit pas du salon de quoi il s'agissait. Soudain, Mr Fishflatt fit son apparition dans l'encadrement de la porte du salon.
- Tout va bien, dit-il avec une voix précipité. James ton père a besoin de toi.
James se leva en vitesse et disparu dans le couloir.
- Les filles, allez chercher vos affaires, ordonna-t-il. Pénélope, merci, c'était merveilleux. Cette dinde était exquise.
Madame Potter sourit doucement mais on pouvait encore voir l'anxiété dans ses yeux.
- Ce n'était rien Ernesto, souffla-t-elle. Votre hydromel était lui-même excellent, rentrez bien.
Il répondit à son sourire plus tristement, se dirigea vers la cheminé, jeta une poignée de poudre dans l'âtre et dit d'une voix assuré « Russel square ». Un jet de flamme verte l'engloutit et il disparut. Scarlett remercia Madame Potter et fit de même. Anastasia prit une poignée de poudre et se retourna pour saluer son hôte mais elle s'arrêta à l'entrée du salon où se trouvait, pâle comme la mort et abattu par sa nuit, Sirius Black. D'un geste de la tête, il planta son regard dans celui de la jeune femme. S'arrachant à la foudre qui la transperçait, Anastasia jeta la poudre de Cheminette qu'elle avait toujours en main et s'échappa.
D'après ce que Scarlett savait, et elle ne savait pas grand-chose à ce sujet, c'était la deuxième fois que Sirius débarquait chez les Potter. Le sujet n'était pas facile à aborder et on y naviguait vite en eau trouble. Le mystère était opaque et donc, comme il se doit, envahi par les rumeurs. On ignorait tout de la vie familiale du jeune homme. Au-delà des déductions évidentes inspiraient par la réputation ancestrale des Black, on devait les rares révélations qui avaient filtré aux disputes orageuses mais rarissimes qui éclataient entre les deux frères. On avait peu de certitudes, mais une seule revenait toujours : les choses se passaient mal. Il y avait dans le dégout que lui inspiraient les Serpentards, une rancœur féroce qui n'était pas seulement imputable à la rivalité qui se jouait entre lions et serpents. Il faut, pour être clair, bien comprendre qui sont les Black. Dire que Walburga et Orion Black avaient l'allure peu engageante était un euphémisme, mais pour être franc, ce n'était pas rare parmi ses familles qui vivaient en vase clos, entre elles, perpétuant avec acharnement des traditions d'un autre âge. Walburga Black n'était pas si différente, à bien y regarder, d'Agrippa Adams, la mère d'Ariel, ou même de celle de Franck Londubat. Quant à Orion Black, il appartenait au même monde qu'Abraxa Malefoy mais qui était aussi celui d'Eliott Prewett ou d'Arthur Knight. Je choisi volontairement des exemples qui dépassent la maison Serpentard parce qu'elle n'est pas la seule à accueillir les familles les plus vénérables. Chacune d'entre elles avaient ses traditions, et on pourrait imaginer que le sort de James Potter aurait été bien différent s'il avait été répartit à Serpentard. Dans ce monde restreint où chacun connaissait l'histoire de tous, les secrets étaient pourtant légions et le jeu des apparences, une partie d'échec qui pouvait s'avérer tragique. Il est beaucoup trop facile de dire que les Black sont des êtres abominables parce qu'ils sont des sangs purs et qu'ils en tirent toute leur fierté. Evidemment, ça ne les rend pas sympathique. Mais Mme Londubat, qui était une vraie conservatrice et qui à cause de cela était froide, autoritaire et désagréable, était aussi et surtout une femme formidable. Et inversement, ce sont les principes de tolérance de Rodovan Lestrange qui le poussa à militer en faveur de l'enseignement de la magie noire au nom de la liberté. Rien n'est moins sûr que la nature humaine. Et dans une communauté faite de masque et de faux semblant, distinguer l'authentique de l'illusoire s'avérait périlleux. Il faut dire aussi que les Black ont toujours été très secrets.
Mais revenons à Sirius. C'était donc la deuxième fois qu'il fuguait. L'une des rumeurs qui circulaient à l'époque à Poudlard rapportait que sa mère le battait. Comme je le disais plus haut, il n'y a pas de certitudes, mais je ne pense pas que ce soit vrai. J'imagine mal une femme telle que Walburga Black frapper son ainé. Tout simplement parce que pour une famille comme la leur, la descendance est sacrée. Elle avait, à l'époque, une réputation accablante. Très certainement en raison de l'hideuse expression d'écœurement qui ornait son visage quand elle côtoyait ceux qu'elle jugeait n'être pas assez respectables. Il est compréhensible qu'on ait imaginé le pire à son sujet. Les nés-moldu et les sang-mêlé, c'est à dire la grande majorité des élèves de Poudlard, n'apercevaient les parents de Sirius que sur le quai de la gare. Ils ne pouvaient voir que la répugnance que leur inspirait la masse d'élèves et de parents qu'ils étaient forcés de côtoyer. On pense souvent que les sangs purs sont tous tordus, c'est peut-être vrai. J'en veux pour preuve les règles qu'ils s'imposent. Ils ont tous souffert du mariage arrangé et pourtant c'est parce qu'ils le perpétuent, encore et encore, de génération en génération que ces unions existent encore. Comme si l'amertume qui nait de ces obligations devait être transmise en héritage. Comme si forcer ses enfants à subir le même sort douloureux, s'était s'assurer que ses traditions avaient un sens, qu'on n'avait pas vécu tout ça pour rien. Le contre-exemple des Potter est à ce sujet saisissant. Par un incroyable hasard qui est trop long à raconter ici, le grand père de James fit un mariage d'amour et ainsi brisa la chaine continue de cette tradition brutale. Parce qu'il avait pu aimer librement, il ne put refuser cette chance à son fils qui n'imagina même pas en priver le sien.
À ce moment précis de l'histoire, Scarlett et Anastasia se posent la même question que nous. La blonde met à l'épreuve de la réalité toutes les rumeurs qu'elle a entendu tandis que la rousse, se plonge dans ses souvenirs pour voir si elle peut y trouver une réponse. Laissons les là un instant, aucune des deux n'a les moyens de comprendre. Anastasia n'a jamais eu de parents et Scarlett verrait comme un acte de cruauté l'idée de quitter son père. Elles n'ont pas assez de recul pour se mettre à la place de Sirius, et encore moins à celle de sa mère. Elles vont imaginer le pire, parce que selon elles, seul le pire peut être à l'origine d'une fugue.
Mais Sirius n'est pas le premier, ni le dernier adolescent à avoir fui la maison de ses parents parce qu'il les déteste. De là à dire qu'ils étaient épouvantables, il n'y a qu'un pas que je ne franchirais pas. Je crois que la vérité est à la fois tragiquement plus simple et merveilleusement plus compliquée. Je ne suis que le narrateur, mais je vais m'écarter de l'histoire que je vois et que j'ai à vous raconter pour vous faire part de ma propre hypothèse.
Je parlerais surtout de Walburga Black, car, dans ce milieu conformiste, l'éducation des enfants était la responsabilité des femmes. Si je dois la décrire, je dirais qu'elle voyait le monde avec un classicisme absolu qui confinait à la maniaquerie et qui ne tolérait pas qu'on déroge aux traditions. Du moins, c'est ainsi qu'elle se montrait. Quel fut son rôle ? Quelle fut son action durant sa vie ? Walburga Black fut une épouse et une mère. Même si elle ne s'est jamais vue comme ça. À sa décharge, être mère est plus éprouvant qu'on le croie. L'éducation, telle qu'elle était conçue par l'entourage de Walburga, était un devoir. Et personne ne l'avait préparée à la nature de cette charge. Le lien qui existe entre une mère et son fils m'a toujours semblé mystérieux. Le mieux que je puisse dire c'est que les garçons grandissent dans le regard de leur mère. Cependant en écrivant cela, j'ai la sensation de passer à côté de l'évidence. Je suis narrateur, je ne suis pas fils et ne serait jamais mère. Je n'ai aucune idée de ce qui se cache derrière cette impression. Mais à observer, c'est fascinant. Quel genre de mère fut Walburga Black ? Je ne sais pas. Mais quand il est né, Sirius a dut être couvé comme le trésor qu'il était aux yeux de ses parents. Il était l'ainé, le premier garçon de sa génération, il était déjà beau, il avait tous les traits physiques communs aux Black. Ce lien d'instinct étrange qui uni une mère et un fils devait exister, même si ni lui ni elle ne le reconnaîtra plus jamais. Mais peut-il s'en souvenir ? À quel moment l'harmonie de cette famille a-t-elle commencé à s'effriter ? Il faudrait décortiquer avec la précision d'une autopsie tous les événements qui les ont conduits là. Je ne peux pas faire ça, trop d'éléments me manquent. Et puis, il est toujours facile de dire que quelqu'un s'y prend mal, qu'il aurait fallu faire autrement. Il est toujours facile de pointer du doigt les erreurs de ses parents. Tant qu'on n'a pas fait face au réel de cette situation, on peut croire qu'il aurait été facile de faire davantage. Ce n'est jamais vrai. Et il arrive un jour où on réalise qu'en la matière, faire ce qu'on peut est admirable. Même si ça ne suffit pas.
Pour comprendre ce qui est arrivé à cette mère et à son fils, il faut chercher à quel moment le lien s'est rompu. En quoi consiste le chemin vers l'âge adulte ? Il y a deux étapes dans la vie d'un enfant. Chacune d'elles durent dix ans. Approximativement. Dans les premières années de sa vie, l'enfant est l'objet de ceux qui l'élèvent. Il ne sait rien ni sur le monde, ni sur les autres, ni sur lui-même. À la naissance, il peut tout être. Une mère non seulement le chérie, le protège, mais aussi lui transmet son regard, lui apprend à se saisir du monde qu'elle lui tend. Elle le façonne à la hauteur de son moule, elle lui donne les moyens qui feront de lui l'adulte qu'elle se représente. J'ai toujours trouvé que l'éducation n'était jamais loin du bourrage de crâne. Les enfants si jeune n'ont aucune liberté, ils n'ont pas les moyens de faire des choix, alors ils se plongent dans la première voie qu'on leur tend. Je ne dis pas que c'est mal, au contraire. Car dans ce début de vie si clos, prend racine le miracle de l'enfant qui devient lui-même et la tragédie ingrate de la mère qui n'est que mère. Il arrive un moment où, un événement, un acte, un choix change la donne. Il arrive un moment où la mère, comme l'enfant, réalise qu'ils sont des êtres distincts. J'appelle ce moment le déchirement.
Ce moment, c'est Scarlett qui, à six ans, réalise qu'elle fait peur à sa mère. C'est June qui, le jour de ses treize ans, se coupe les cheveux avec des ciseaux de cuisine. Ce moment c'est James qui tombe amoureux de Lily, pas parce qu'elle est belle, pas parce qu'elle est intelligente, qu'elle est née moldu ou qu'elle l'ignore royalement. Non, ce moment, c'est celui où James tombe amoureux de Lily parce qu'elle a ce je-ne-sais-quoi, ce truc incompréhensible qui n'appartient qu'à elle et qui fait qu'elle est Lily Evans. Ce moment, c'est celui où Remus comprend réellement que sa nature l'exclut de tout ce qu'il voudrait faire et qu'il devra passer sa vie à se cacher. Celui où Peter décide que son modèle ne sera plus son père mais ses amis James et Sirius. C'est le moment où Anastasia s'échappe pour la première fois du lieu où elle a grandi pour aller découvrir le monde avec sa meilleur amie. Le déchirement se fait plus ou moins en douceur selon chacun, parfois il n'a pas de conséquence, parfois l'enfant s'éloigne un temps et revient pour reconstruire le lien. Pour Sirius, le déchirement s'est fait d'un coup sec, comme quand on veut retirer un pansement en pensant que ça fera moins mal si on ne perd pas de temps, mais la brulure est restée vive. À l'instant où il a ôté le Choixpeau de sa tête, Sirius n'était plus seulement le fils de sa mère, il était devenu entièrement Sirius Black. Il ne lui restait qu'à l'accepter. Il est là le miracle dont je parlais, il y a quelques lignes. Quels que soient les efforts qui ont été fait par Walburga Black pour faire de son fils l'homme qu'elle rêvait qu'il soit, il restait une part de lui inaccessible. Une part qui lui est propre et qu'aucune instruction ne pourra changer. Cette part indépendante du sang, des gènes, des traditions ou des cultures, on appelle ça le caractère ou l'âme, je préfère l'identité.
Je crois que Sirius ne s'attendait pas à être répartit chez les lions ce jour-là. Que s'est-il passé ? Comment le doute s'est-il insinué en lui ? Qu'a vu le Choixpeau quand il a sondé son âme ? Lui seul le sait. Ce jour-là, Sirius Black s'est révélé à lui-même et aux autres. Ce jour-là, Walburga Black a perdu son fils. Le déchirement, consommé en un instant, a fait d'eux deux étrangers. Le miracle et la tragédie. Après, il ne s'agit plus que d'apprendre à voler pour s'élancer hors du nid. J'ai vu des familles se détruire pour moins que ça. Et à la décharge de cette femme et pour des raisons que beaucoup ignorent, au moment du basculement, elle n'était plus apte à y faire face. Rien n'est plus violent pour un enfant de voir que sa mère ne le reconnaît plus. Mais rien n'est plus difficile pour une mère de réaliser que son fils n'est pas celui qu'elle croyait. C'est horrible à dire mais c'est vrai. Je ne veux pas généraliser, cependant, Walburga Black était de ces mère là, il n'y a pas de doute possible. Un jour, elle a conduit son fils à la gare pour qu'il prenne un train et à ses yeux il n'est pas revenu.
Et doucement, sans crier « gare », les relations se dégradent. Ce qui semble être le fait d'une colère occasionnelle devient une habitude. Le méprit nait sans qu'on le réalise du désespoir et de la déception. Sans recul, l'esprit noyé par le ressentiment, perdu dans un deuil idiot, la mère et le fils s'éloignent. Et de l'amour qui les unissait nait une haine froide et impitoyable. Ils deviennent l'un pour l'autre la cause de tous les malheurs qui les accablent. Elle n'avait pas prévu que son fils choisirait des horizons qu'elle n'avait jamais osé franchir. Et le cœur brisé et peut être aussi jaloux, elle lui fait payer cette liberté qui a déterminé sa vie. Et un jour, le fils ne reconnaît plus rien qui le rattache à la maison de ses parents et il part. Et un jour, Sirius est partit. Il est revenu parce qu'un garçon de quinze est sous la tutelle de ses parents et qu'il n'a pas le choix. Puis il part encore parce que les seuls dialogues qu'il entretient encore avec sa mère sont faits de provocation et de petite cruauté. Parce qu'il étouffe, parce qu'elle fait tout pour qu'il parte, parce que le voir est devenu trop douloureux. Parce qu'il n'y a plus d'excuse possible, parce qu'il n'y a plus de retour possible. Walburga Black ne l'a pas vu venir, personne ne lui a dit que ses fils ne lui appartenaient pas. Elle vit là toute l'ingratitude de son rôle de mère, de seulement mère. Elle ne voit pas le courage, elle ne voit que la chaine millénaire des traditions, elle ne voit que l'héritage brisé, que le nom entaché. Elle ne connait rien d'autre. Sirius est un homme libre et sa liberté s'incarne dans sa capacité à voir au-delà de lui-même.
Mais revenons à notre histoire, Anastasia et Scarlett apprendront seulement sur le quai de la gare, qu'une fois de plus, Sirius est retourné chez ses parents. Elles remarqueront l'amertume de ses gestes brusques. Elles verront le regard inquiet que James lui destinera avant d'aller à sa rencontre. Mais elles se garderont bien d'en parler, même à Lily ou à June. Les rumeurs allaient se répandre mais ce ne serait pas de leur fait. Après tout, elle ne savait rien, elle n'avait fait l'entrapercevoir le soir de Noël, tout le reste n'était que spéculation. Le voyage de retour se fit sans encombre. James ne chercha pas à asticoter Lily, ni même à lui dire bonjour, il devait avoir mieux à faire. Noël n'avait pas apporté que des bonnes nouvelles. Dans le train, on ne parlait que des dernières attaques, en particulier, celle qui avait eu lieu sur le marché de Candem. Pour ceux qui vivaient à Londres, à moins d'avoir les idées très arrêtées, Candem Street était un lieu de sortie et de promenade très apprécié. On y vendait des chaussures délirantes à des prix abordables, les vinyles introuvables du Velvet Underground ou les T-shirts à l'effigie des derniers groupes à la mode. Le genre d'endroit où se nourrissait l'excentricité anglaise mais en moins trash que Soho. Tout le monde aimait Candem, des londoniennes branchées aux touristes désargentés en passant par les pauvres en quête de fripes. C'était un coin à voir, un endroit où on trouvait tout. Pour les moldus, on avait fait passer l'attaque pour une fuite de gaz, mais pour les sorciers, l'avertissement était sans appel. Les mangemorts pouvaient frapper n'importe où, n'importe quand. Après Pré-au-Lard, l'attaque de Candem avait coupé, aux sorciers, l'envie de s'amuser. Et puis il y avait aussi les disparitions, notamment celle du ministre des transports magiques, Conrad Chessmann, qui s'était évaporé entre les deux réveillons. Personne n'était à l'abri. Le sombre nuage à tête de mort envahissait les cauchemars. La nouvelle année s'annonçait si mal qu'on osait à peine se souhaiter les vœux. C'est ce jour-là que Scarlett prit la première résolution de sa vie. C'était peut-être le regard inquiet de Lily qui pensait aux pauvres moldus assassinés, la tête de June quand elle avait parlé de l'attaque de Pré-au-Lard, ou l'effrayante expression de détermination qui s'emparait du visage d'Anastasia chaque fois qu'elle prononçait le nom interdit. Il fallait faire taire l'épouvantable sentiment d'impuissance qui empoisonnait tout. Elle coupa court à la conversation désespérée de ses amies et déclara :
- Stop ! A partir de maintenant on va se faire une promesse, « rien n'est moins important que ce qui est futile » ! Il n'y a qu'une seule réalité qui devrait vous effrayer.
Les trois autres cessèrent de parler. Elles l'observèrent sans comprendre.
- Vraiment ? Laquelle ? fit Lily avec perplexité.
- La soirée de Slug ! Est-ce que l'une de vous sait comment elle va s'habiller ?
