Antoine fixait désormais les valises qui passaient devant lui avec entrain. Lui, avait perdu toute cette fougue et cette adrénaline qui l'avait porté jusqu'à cette gare valenciennoise la veille. Il avait mis pied à terre, plein d'espoir, et trônait désormais sur ce banc rempli de doutes. Ces fameux doutes qu'il avait entendu sortir de sa bouche une heure plus tôt. Ceux qui avaient été douloureux et qui avaient laissé place à l'agacement et à la tristesse. Parce que oui, il n'avait pas été crédule jusqu'à ce point et s'était bien rendu compte du désengagement de sa compagne vis-à-vis de l'évènement. Il avait vu ses hésitations et ses procrastinations. Mais au fond, il avait espéré que tout cela ne soit pas révélateur d'un refus de sa part, surtout si proche du but… Alors il avait intériorisé, pris sur lui et l'avait supplanté dans les rendez-vous d'organisation, dans les coups de fil avec Isaure, dans les choix de décos et de menus… Et tout ça pour quoi? Une annulation? C'était pas possible… Inimaginable, même. Et Antoine priait désormais pour être dans un mauvais rêve… Sauf que le bruit du sifflet de l'agent de la SNCF semblait bien réel, lui. Bien trop réel pour que ce ne soit que le simple fruit de son imagination. Perdu, il releva la tête brusquement lorsque le train d'en face enclencha sa marche vers l'extérieur de la gare. Bientôt, ce serait à son tour, observa-t-il en jetant un œil au panneau d'affichage. Et pour une fois, il n'y avait pas de retard!

De l'autre côté de la ville, Fred y allait à fond sur le klaxon. Évidemment, les deux devaient être tombés sur le pire conducteur de Valenciennes… Et les minutes s'écoulaient sans que la distance ne se réduise… Pourtant, il était impératif que Paul parvienne à interpeller Antoine avant son départ. Parce que ce qu'il avait entre les mains était la seule chose qui pouvait le faire changer d'avis. La seule chose qui pouvait expliquer ce retournement de situation typiquement candicien. Et la seule chose qui pouvait finalement les sauver. Et le temps pressait... «BON SANG!» s'époumona-t-il alors que Fred doublait tout juste cette clio grise au ralenti.

«Ça va le faire tu penses?

- Il est 42, ça va être juste…

- On y arrive là. Enfin faut juste passer les deux feux… Et vu la chance qu'on a, on va se taper les 2 rouges…!

- Il prendra pas ce train… songea Paul à voix haute.

- T'es sûr?

- Il l'a vu à peine 5 minutes… Il est mort d'inquiétude depuis des jours… Il va pas partir comme ça… C'est pas possible…

- J'espère que t'as raison…»

Et justement, le TGV en direction de Paris gare du nord venait tout juste de débarquer à quai et les passagers étaient désormais appelés à monter à bord. Antoine souffla et récupéra son sac au dos avant de poser ses yeux sur les deux d'à côté. Une jolie blonde bien calfeutrée dans les bras d'un brun qui semblait avoir du mal à la lâcher… Un couple amoureux quoi… Un peu comme le leur… Sauf que lui, n'avait pas eu la chance de garder Candice dans ses bras ce matin… Là était la différence... Et à cet instant, Antoine eut un pincement au cœur. Le genre de ceux qui faisait mal et qui rappelait à un amour difficile. Il quitta ce tableau des yeux et fixa la porte devant lui avec hésitation lorsque son téléphone sonna dans sa poche. Il récupéra son portable et vit ces quelques mots, presque comme un signe du destin.

«Je te demande pardon mon amour… Je sais que j'aurais dû t'en parler avant et je comprends que tu m'en veuilles. Mais je t'aime et je veux pas te perdre.»

Son cœur se serra à nouveau, ému par cette déclaration d'amour qui contrebalançait désormais son annonce plus matinale. Elle l'aimait mais pas jusqu'au point de se marier… Et même s'il connaissait ses faibles qualités en matière de communication, il aurait voulu que les choses se passent autrement. Mais visiblement, ils étaient destinés aux maladresses, soupira-t-il alors que son prénom résonna derrière-lui. Surpris, il rangea son téléphone et fit volte-face, apercevant un oncle candicien accourir vers lui.

«Paul?! s'étonna-t-il. Mais qu'est-ce que vous faites là?

- Tu vas pas monter dedans, hein?!

- J'en sais rien, je…

- Assieds-toi s'te plaît, ordonna-t-il en s'approchant du banc derrière eux.

- Hein?! Quoi mais? Je comprends rien, qu'est-ce qu'il se passe?

- Viens j'te dis!

- C'est Candice qui vous envoie?! s'indigna-t-il.

- Non! riposta-t-il, C'est plutôt sa détresse…

- Hein? lâcha-t-il en s'asseyant à ses côtés.

- Fred a trouvé ça, lança-t-il en tendant l'objet.

- C'est quoi? Un album photo?

- Ouais…

- C'est Candice enfant, ça… observa-t-il en ouvrant la première page.

- Exactement!

- Et donc, je comprends pas…?

- Continue de feuilleter! Tu vas voir, tu vas vite comprendre…»

Perplexe, Antoine s'exécuta et tourna les pages de l'album avec étonnement. Devant eux, le train annonçait déjà son départ… Et lui, séjournait désormais à quai. Faut dire qu'il n'avait pas vraiment eu le choix face aux ordres de Paul... Il n'avait eu que l'obligation de se saisir de cet album et fixer ses yeux dessus... Soudain, ses yeux s'accrochèrent à l'écriture italique rouge qui occupait l'entièreté de la page devant lui: «1988» lut-il avant de passer à la suivante. Et là, ce fut un choc. Chaque photo était rayée, griffonnée voire trouée. Et à chaque fois, cela permettait de rendre sa compagne invisible. Les mots qui accompagnaient cette violence n'en étaient pas moins âpres… Et chaque page était une nouvelle souffrance. Rapidement, Antoine sentit ses yeux s'embuer de larmes et le livre claqua entre ses mains.

«J'arrête parce que ça me…, bredouilla-t-il en fixant l'horizon.

- C'est dur hein?

- Ouais...

- Tu comprends maintenant ?

- Mais elle l'a vu ça ? s'indigna-t-il.

- Oui, soupira Paul. Elle a dû tomber dessus en allant chez sa mère et voilà… Mais elle m'a rien dit hein! C'est Fred qu'est tombé dessus en faisant le ménage tout à l'heure…

- C'est pour ça qu'elle m'a appelé en larmes l'autre soir, réfléchit-il le cœur serré.

- Sûrement oui.

- Mais et hier?! Elle a fait quoi? Elle était où? Je…

- Tu devrais lui demander… Candice est fébrile et totalement perdue… Mais elle t'aime! Et surtout, elle a besoin de toi.

- Hum… soupira-t-il en acquiesçant.

- Alors qu'est-ce qu'on fait?

- Vous pouvez gérer Candice? J'aimerais bien régler quelque chose avant, lança-t-il durement.»

Paul accepta, dévisageant un commissaire qui venait tout juste de se sceller. Un comportement typique d'un Antoine énervé et touché par le malheur de sa compagne. Les choses étaient simples, quiconque s'en prenait à elle aurait affaire à lui. Et bien, on y était. Et désormais, Antoine entendait bien venir régler le sort de ce problème qui lui pourrissait sa vie. Le brun quitta la gare sans sourire, déterminé par le chemin qu'il avait à emprunter jusqu'à la grande avenue voisine. Une fois sur place, il débarqua dans ce hall devenu bien trop familier et fut conduit jusqu'au bureau de Verner, visiblement étonné de voir cette boule de nerfs face à lui.

«Y a un problème?

- Ah oui! Y a un problème oui. Magda Müller, elle est où?!

- Euh bah… La dernière fois qu'on l'a vu c'était en Belgique, je…

- Vérifie! ordonna-t-il en s'asseyant violemment sur la chaise devant lui

Stanislas s'empressa de taper l'adresse sur son ordinateur et joignit rapidement le téléphone à l'oreille.

- Alors?

- Ça répond pas… Ils sont peut-être sortis…

- Le téléphone de Magda, il borne où?

- Chez elle depuis 5 jours, il est éteint.

- Vérifie! ordonna-t-il à nouveau avec exaspération.

- Mais tu peux m'expliquer ce qu'il se passe là?! s'agaça Verner face à tant de dureté.

- Il se passe que cette femme ruine la vie de Candice depuis ses seize ans et qu'à partir d'aujourd'hui, c'est terminé. Et ça, j'aimerais pouvoir lui dire en face tu vois. Alors vérifie, s'il-te-plaît.

- Candice va pas mieux je suppose?

- À ton avis…

- Hum…

- Elle veut même plus se marier, finit-il par confesser sans entrain.

- Ah bah enfin, elle t'en a parlé…

Surpris, il fixa le commandant avant de ravaler sa salive.

- Eh bah je vois que tout le monde était au courant sauf moi…

- Nan c'est pas ça… C'est juste que Candice m'avait fait part de ses doutes et… les choses avaient l'air compliquées pour elle quoi…

- Bon, t'as trouvé?! éluda-t-il.

- Nan, grommela le policier en se replongeant dans son écran. Oh bah…

- Quoi?

- Il borne chez elle. Il vient d'être rallumé…

- Eh bah tu vois qu'il faut toujours vérifier. Sur ce, merci!

- Nan mais attends… Tu vas faire quoi là?»

Dumas ne prit même pas la peine de répondre et dévala les escaliers en sens inverse, prêt à en découdre. Le plan était simple, il récupérerait la voiture préparée par Fred au coin de la rue, prendrait la route jusqu'au domicile de Magda et là-bas, il la confronterait. Et ce sans l'accord de Candice qui le croyait vraisemblablement déjà loin…

«Il a pas répondu à mon message, souffla-t-elle de désespoir alors que son oncle rentrait au salon.

- Laisse-lui le temps…

- Mais à l'heure qu'il est, il doit déjà être dans le train et…

- Candice, la coupa son oncle. Tu souffles et tu le laisses tranquille. Il a besoin de redescendre! Tu viens tout juste de lui annoncer que tu voulais annuler le mariage… C'est pas facile à encaisser, non?

- Je sais mais… J'ai peur de le perdre… avoua-t-elle en sentant les larmes revenir. Je le supporterai pas… Je te jure je… Pas encore… Pas lui…»

Paul soupira et réceptionna une blonde en larmes dans ses bras. La situation était difficile… Il devait feindre l'ignorance alors même qu'il savait précisément où trouver l'objet de ses pleurs. Mais il avait juré de ne rien dire. Alors il se tût et se contenta de consoler sa nièce qui pleurait le départ d'un homme qui n'avait même pas sauté dans le train en marche…