Roshan s'apprête à fêter ses deux ans – c'est fou comme le temps passe vite, comme les enfants grandissent vite – lorsque la catastrophe se déchaîne. Non, parler de catastrophe n'exprime pas tout à fait l'ampleur du désastre, apocalypse conviendrait mieux.

Quelques mois à peine après la naissance de l'Héritier Lestrange, le Seigneur des Ténèbres a commencé à nourrir une fixation sur deux lignées faisant de leur mieux pour contrecarrer ses grands projets regardant la Grande-Bretagne, les Potter et les Londubat. Ce dont Rodolphus est un peu surpris, personnellement – d'accord, James Potter et Frank Londubat sont une épine dans leur flanc, mais ils ne sont pas franchement exceptionnels, pas comme ce maudit Dumbledore. Et il peut comprendre pourquoi Potter mérite d'être châtié après s'être abaissé à épouser une sang-de-bourbe – complètement stupide, qui va faire ça ? Qui va confondre le sexe avec l'amour ? C'est possible de coucher avec ses inférieurs, mais on ne peut pas les épouser – mais à part sa malencontreuse opposition au parti dans le droit, pourquoi désigner Londubat comme une cible ?

Le Seigneur des Ténèbres devait avoir une raison pour cela, une qu'il ne s'est jamais soucié de partager avec ses fidèles. Si seulement il l'avait fait, si seulement il n'avait pas décidé d'aller seul faire un exemple des Potter, si seulement…

Une fois n'est pas coutume, toute la famille Lestrange se trouve réunie sous le même toit lorsque le couperet tombe. Il s'agit de célébrer convenablement Samain, après tout, la semaine de transition entre la saison claire et la saison sombre, la semaine où puissances infernales et esprits de l'Autre Monde se promènent parmi les vivants. Même les Moldus ont vaguement conscience de l'importance de la date, vu l'importance qu'ils accordent aux déguisements protecteurs pour l'identité et à l'offrande de nourriture pour tous ceux frappant à leur porte.

En tant que patriarche de la famille, Romulus préside sur l'événement, allumant un grand feu dans la cheminée et conjurant d'une voix retentissante les spectres de laisser la maisonnée en paix en échange d'une place à table cette nuit. En tant que dernier-né de la famille, Roshan ne peut guère participer aux rites mais observe néanmoins de ses yeux écarquillés, blotti dans les bras de Bellatrix.

Quand la Marque des Ténèbres s'embrase sans prévenir, brûlant comme une bouilloire oubliée trop longtemps sur le feu, Bellatrix manque laisser tomber Roshan sur le dallage. Elle se rattrape de justesse, heureusement, mais Rodolphus n'en voit pas moins une ombre de panique et de confusion dans son regard gris, une ombre qu'il sait pouvoir retrouver dans son propre regard.

Ils ne peuvent pas s'absenter, bien sûr, pas tant que Samain bat son plein. Aussi, ce n'est que le second jour de novembre qu'ils apprennent enfin ce qui s'est produit.

Le Seigneur des Ténèbres n'est plus, et personne ne sait pourquoi.

Bon, il court bien une rumeur, mais celle-ci est absolument, abjectement grotesque : comment un bébé pourrait-il vaincre le plus grand mage noir des temps modernes de l'Angleterre ? Roshan vient à peine d'apprendre à faire plus de trois pas sans trébucher et à composer des phrases de trois mots, et l'enfant Potter est encore plus jeune que ça. Vraiment, qui ira gober l'absurdité qu'est le Survivant ?

Rodolphus se concentre un peu trop là-dessus, il en a conscience, mais il ne veut pas penser à la raison pour laquelle le rejeton Potter a reçu ce titre ridicule.

Le Seigneur des Ténèbres n'est plus.

Bellatrix… ne le prend pas gracieusement. Plus de trois meubles succombent à ses maléfices, et il faudra définitivement remplacer la tapisserie dans le salon vert et la salle de lecture attenante, mais il ne s'agit que du matériel, qui peut toujours être réparé. Ce qui ne peut pas être réparé, ce sont les larmes, la stupéfaction enragée et impuissante d'une femme dont le cœur vient d'être cruellement lacéré.

Rodolphus est le premier à admettre qu'il est loin d'être un mari parfait, mais il aime à croire qu'il n'est pas non plus un exemple lamentable. Aussi, quand un Barty Croupton junior bouleversé venu débattre de la nouvelle avec Rabastan soulève la possibilité que peut-être, il s'agissait d'un piège tendu exprès, Rodolphus s'en va rapporter l'hypothèse à sa femme.

La vengeance va mieux à Bellatrix que le chagrin, lui donne fougue et vigueur au lieu de la briser. Permettre à la mort du Seigneur des Ténèbres de rester impunie est inacceptable, et elle se cramponne à cela des deux mains.

Hélas, les Potter sont intouchables, morts qu'ils sont et leur fils promptement escamoté par Dumbledore – Bellatrix est une duelliste redoutable et Rodolphus a de bons réflexes, mais ils ne sont pas au même niveau, ça crève les yeux. Mais les Londubat ne le sont pas.

Ça prend une bonne journée pour préparer l'assaut, pour vérifier que oui, ils n'iront pas frapper à la mauvaise adresse et qu'il n'y aura que les cibles présentes – inutile de s'encombrer avec des complications – sans grande opportunité d'appeler des secours ou se défendre, mais quand ils sont prêts, ils y vont.

C'est… et bien, ça se passe.

Le jeune Barty semble prêt à défaillir tout du long, et il faut presque le porter dehors une fois que c'est fini. Vraiment, c'est un peu ridicule : Rabastan non plus n'a pas apprécié, Rodolphus connaît trop bien son frère pour que ça lui échappe, mais le cadet des frères Lestrange n'a pas joué les midinettes effarouchées. Dans ce genre d'histoire, ou vous assumez pleinement, ou vous ne le faites pas. Rester planté là comme un idiot, à qui cela est-il utile, on vous le demande un peu ?

Rodolphus ne prétendra pas avoir été enthousiasmé par la besogne, mais il confesse être satisfait par la perspective fournie par un Frank Londubat désespéré d'épargner à son épouse des souffrances non nécessaires : si le corps du Seigneur des Ténèbres n'a pas réellement été trouvé, il demeure encore un certain espoir. Apparemment, tout ce que les Aurors ont trouvé sur la scène, c'était une robe de sorcier vide, et bon, se déshabiller fin octobre paraît un peu invraisemblable, mais Rodolphus prend ce qui lui est proposé.

Dans tous les cas, Bellatrix a retrouvé son entrain, allant jusqu'à lui donner le bras pour retourner au Manoir, la démarche quasi sautillante tandis qu'elle s'éloigne dans le couloir menant à sa chambre. À tous les coups, elle se lèvera au chant du coq pour se lancer dans la recherche du Maître – ou du moins, essayer. C'est un peu contrariant, mais plus elle manifeste d'enthousiasme pour une tâche, plus elle se montre brouillonne pour l'accomplir, et il finit toujours par devoir lui apporter une aide qu'elle accepte grincheusement.

Pour sa part, Rodolphus n'imite pas sa femme et son frère en allant se coucher tout de suite, optant pour effectuer un détour par la nursery.

Après son rapport que non, il ne s'est rien passé, l'elfe chargé de veiller sur Roshan reçoit son congé pour se retirer de la pièce, laissant Rodolphus seul avec son fils. Au premier abord, il croit l'enfant endormi, seulement pour réaliser son erreur quand il se penche au-dessus du petit lit et croise un regard orangé presque identique au sien.

« Et bien, tu n'as pas vu l'heure ? » souffle l'Héritier Lestrange, amusé malgré tout.

Le bambin renifle et lui tend des bras impérieux, tordant la bouche exactement comme le fait sa mère en proie à une idée que vous n'avez pas intérêt à refuser si vous tenez à vos orteils. Face à ça, comment refuser l'ordre implicite ?

Le fauteuil grince un peu sous le poids combiné de Rodolphus et de l'enfant installé sur ses genoux, lequel enfant semble plus désireux de jouer avec les boutons de chemise de son père que de s'endormir comme il devrait. Pour ce soir, le père en question suppose qu'il peut permettre cela.

Demain, bien sûr, ce sera une autre histoire, mais pour l'instant, il n'y a qu'un père et son fils passant un moment ensemble.