Le procès des Lestrange a lieu très vite, dans la semaine suivant leur arrestation : tout le monde veut faire un exemple des gens responsables du martyre des Londubat, au point qu'il s'agit davantage d'une confirmation publique de leur culpabilité plutôt que d'un procès en bonne et due forme.

Perry s'abstient d'y assister, mais d'après ce qu'il entend raconter, ç'a été du pur théâtre : Bellatrix Lestrange proclamant sa fidélité indéfectible pour son terroriste et meurtrier de Maître, tandis que le fils Croupton implorait désespérément grâce seulement pour que son père le renie publiquement – et Perry ne sait pas ce qui serait le pire, un Barty Croupton junior vraiment coupable ou un Barty Croupton senior assez froid pour condamner si brutalement son propre fils à l'enfer sur Terre.

À la place, il a passé l'après-midi avec Roshan, qu'il a fait de son mieux pour garder à l'écart de toute cette sordide affaire – peu importe les péchés des Lestrange, leur fils ne mérite pas de conserver d'eux le souvenir de criminels hués par la foule. Le petit paraît s'être un peu calmé, après la brutale séparation d'avec ses parents, mais Perry ne se demande pas moins si la passivité dont l'enfant fait preuve n'indiquerait pas quelque chose de plus sérieux. Après tout, sa propre grand-mère a toujours répété qu'un enfant qui souffre trop pour mettre le bazar, c'est là qu'il faut s'inquiéter.

En parlant de sa famille, lorsque Perry avait contacté sa mère pour se décharger de tout ce qui lui pesait sur le cœur – le calvaire des Londubat, les deux enfants laissés sans parents, l'angoisse qui lui collait à la peau concernant le futur de Roshan – celle-ci avait écouté toute sa litanie sans moufter avant de lui dire de prendre ses congés, il allait venir passer à la maison et qu'il amène donc ce petit bonhomme, il y avait bien assez de place pour un invité de sa taille.

Papa avait fait la grimace, mais quand Églantine Proudfoot née Cotelier avait pris sa décision, allez donc l'arrêter ! D'autant que Jessamine et Rosemonde n'avaient plus vu leur frère depuis des lustres et avaient exigé à grand cri de pouvoir lui raconter en détail tous les grands bouleversements récents de leurs vies, ce qui ne manquerait pas de prendre au moins deux jours. Face à pareille coalition féminine, force fut au patriarche Proudfoot de s'incliner malgré sa répugnance pour tout ce qui avait peu ou prou rapport avec les Mangemorts.

Intérieurement, Perry a éprouvé un bref pincement de déception face à la réaction de son père. Oui, celui-ci est loin d'être parfait, le jeune homme le sait depuis quelques années, mais ça n'en fait pas moins mal de le voir discriminer contre un bébé qui a juste eu la malchance de naître dans la mauvaise famille.

Sa semaine de congé se passe… et bien, elle se passe. Papa reste Papa, et même s'il s'efforce d'ignorer l'existence de Roshan, il essaie d'éviter les sujets qui fâchent et Perry lui en est (sans doute lâchement) reconnaissant. Maman l'assaille de questions tout en lui reprochant doucement de ne pas lui donner assez de nouvelles, jamais un appel par la cheminée et à peine un hibou chaque fin de semaine qui apporte deux lignes et rien de plus, tu penses que c'est assez pour ta mère, mon loulou ? Et qui insiste pour qu'il aille se coucher avant minuit, décalé qu'il est par ces horaires de folie au bureau, tu as besoin de te ressourcer et si je te vois encore debout à deux heures du matin, tu me feras pleurer. Maman tout craché, quoi.

Jessamine se lamente qu'elle a perdu l'habitude de manger du poisson et de la viande parce qu'elle préfère dépenser sa paie d'apprentie guérisseuse en savons doux pour sa peau trop sensible et en pulls chauds pour ses coups de froid, et maintenant elle souffre de migraines et de nausées quand elle veut dévier de son régime végan, à la plus grande horreur de sa famille éhontément carnivore qui attend avec impatience le chapon du réveillon pour le mois prochain. Rosemonde quant à elle confesse avoir décroché de Gringotts et se demande maintenant si elle veut devenir greffière au Département de la Justice ou secrétaire administrative aux archives du Ministère, l'un ou l'autre satisfaisant leurs parents du moment que ça la décide à quitter le nid pour voler enfin de ses propres ailes plutôt que de les squatter jusqu'à ses quarante ans.

Pendant une semaine, Perry est autorisé à oublier le reste du monde. La famille, rien de mieux pour ça.


Quand le couperet tombe, regardant le nouveau tuteur de Roshan, c'est le milieu du mois de novembre. Suite à tout le battage médiatique et le scandale entourant le procès des Lestrange, il a été décidé de faire le moins de publicité possible là-dessus, presque comme si les Lestrange n'avaient jamais eu d'enfant.

Comme l'avaient lugubrement prédit Savage et la directrice Bones, la candidature d'Andromeda Tonks n'est pas retenue en dépit d'avoir été sérieusement considérée. Apparemment, la famille Black a fait un don assez généreux à l'hôpital Sainte Mangouste, et il ne s'agirait pas de contrarier l'une des plus vieilles fortunes d'Angleterre en donnant à leur brebis galeuse ce qu'elle demande, n'est-ce pas ?

Narcissa Black passe à deux doigts de remporter la garde : elle est la fille Black qui n'a pas été déshéritée ni envoyée en prison, elle est riche peu importe la famille d'où elle vient ou dans laquelle elle s'est mariée, et elle a un fils à elle qui pourrait en venir à apprécier Roshan comme un frère. Mais (et Perry n'en revient pas que cette phrase puisse exister) il faut heureusement compter avec son criminel de mari, Lucius Malefoy, que personne – oui, même les Black et Lestrange – ne veut à moins d'un kilomètre de l'enfant supposé recevoir un héritage dont le propre fils de Lucius ne bénéficiera pas, juste parce que sa mère était la fille aînée.

Ça laisse donc Romulus Lestrange en lice pour la tutelle de son petit-fils. Très franchement, Perry a ses doutes : qu'est-ce que ça dit de l'homme, que ses deux fils aient volontairement rejoint un mouvement extrémiste ? Et cette rumeur comme quoi, il existerait un grand-oncle Lestrange qui a préféré s'enfuir au fin fond de la Russie ou des Balkans, il n'est pas très sûr mais en tout cas c'est loin, plutôt que de continuer à vivre dans le même pays que son frère…

Sauf qu'il joue bien la contrition, l'ancêtre, proclamant que ses fils et sa belle-fille ont jeté le déshonneur sur le nom des Lestrange et qu'il ne pourra jamais excuser leur crime – surtout parce que dans le cas contraire, ni son or ni son impeccable pedigree ne le préserveront d'un lynchage enthousiaste – et qu'il ne permettra certainement pas aux erreurs du passé de se reproduire avec son petit-fils.

Et cette tournure de phrase est affreusement ambiguë, parce que ça pourrait exprimer le remords et l'envie de mieux élever un enfant innocent… mais pour un homme comme Romulus Lestrange, ça pourrait aussi vouloir dire qu'il compte ne pas laisser un de ses descendants commettre un crime aussi visible que l'agression des Londubat l'a été. Ça collerait certainement mieux au genre de personne qu'il est.

Et Perry ne sait pas ce qui le pousse à ouvrir la bouche, mais…

« Alors vous ne verrez pas de problème à ce que nous venions vérifier régulièrement que tout se passe bien sous votre toit ? »

Le patriarche Lestrange en voit, un problème, à en juger par la façon dont il fronce les sourcils, mais la directrice Bones vient apporter un soutien inattendu, glissant qu'après la notoriété plus ou moins malvenue que vient d'acquérir les Lestrange, une présence Auror pourrait être utile. Juste au cas où un mauvais sujet voudrait prélever sa livre de chair sur la famille des criminels.

La pique touche au but. Le vieux Lestrange n'apprécie guère l'interférence d'autrui dans ses affaires privées, mais il apprécie encore moins la perspective d'une attaque, et a suffisamment de pragmatisme Serpentard pour réaliser quand ça lui serait plus profitable de capituler. Et il capitule.

Perry respire un peu mieux. La situation ne lui plaît toujours pas, mais elle s'annonce plus claire qu'avant. Au moins Roshan disposera d'un filet de sûreté.

Quand un blaireau creuse son trou, il ne s'arrête pas avant d'être allé jusqu'au bout.