Au bureau, les collègues appellent les visites régulières de Perry au Manoir Lestrange son droit de visite parentale – la bonne blague. Et d'une, Perry est beaucoup trop jeune pour avoir des enfants, de deux, il s'agit essentiellement de forcer Romulus Lestrange à se tenir à carreau via un rappel régulier que le Ministère garde un œil sur sa personne, et de trois, il est quasi certain que Roshan le considère davantage comme un oncle fréquemment absent mais néanmoins palpitant comparé à son train-train habituel.

Roshan Lestrange. Quatre ans déjà, et Perry se demande où a passé le temps. Une minute encore, il venait à peine de se séparer d'un bambin qui parlait à peine et ne pouvait pas tenir debout sans se casser la figure, et puis il cligne des yeux pour retrouver un mioche étonnement prolixe quand l'envie le saisit et qu'il faudrait tenir en laisse pour l'empêcher d'explorer sa maison et la campagne environnante de fond en comble.

Deux ans de fréquentation, forcément, ça vous rend partial, et Poufsouffle jusqu'à la moelle, Perry s'attache trop facilement aux gens quand bien même la rencontre remonte à hier ou aujourd'hui. Et un gamin n'ayant personne d'autre que lui de son côté, et bien, comment voulez-vous résister ?

Alors quand le gosse annonce qu'il va assister à l'anniversaire de son cousin qui se trouve être un rejeton Black par sa mère et le fils d'un Mangemort ayant réussi à ne pas finir à Azkaban alors qu'il l'a mérité plus de cent fois, Perry va forcément s'inquiéter. Mais comment expliquer ça à un môme de quatre ans ? Comment commencer à lui détailler la guerre que Vous-Savez-Qui a ouvertement mené près de cinq ans contre la société magique de Grande-Bretagne ?

Lâchement, l'Auror décide de se décharger de cette besogne particulière sur Romulus Lestrange. Ça devrait bien punir le vieux croûton, tiens, détailler la chute du parti terroriste qu'il encourageait sous cape. Et de son côté, Perry va prier pour que Roshan passe quand même un bon moment avec son cousin – les gamins devraient profiter de leur enfance, peu importe les crimes de leurs familles.

Ses visites ont souvent lieu en début de mois, parfois vers le milieu, ce qui est parfait comme ça lui permet d'interroger le petit sur sa visite chez son cousin sous prétexte de s'informer de ce qui s'est passé depuis le mois dernier. C'était bien, n'est-ce pas ?

« C'était plein de monde » laisse aussitôt tomber Roshan, l'air de se demander si c'est une bonne chose que la planète soit peuplée. « J'étais très fatigué après. »

« Tu n'as pas encore l'habitude, mais ça va passer » le rassure Perry. « Combien de gens ? »

Roshan a bonne mémoire, lui donnant huit noms fortement associés avec les hautes sphères de la société magique anglaise, dont la majorité a reçue une belle quantité d'œuf sur le visage lors du remue-ménage post-guerre qui visait à débusquer tous les Mangemorts essayant de se cacher. Il y a eu moins d'arrestations qu'Amélia Bones et Scrimgeour ne l'auraient voulu, mais ils savent qui soupçonner d'emblée en cas de résurgence puriste – et n'est-ce pas gentil de la part de Lucius Malefoy d'entretenir le contact avec ses vieux complices.

« Et ton cousin, il a aimé son cadeau ? »

« Les macarons ont été presque tous mangés » rayonne le gosse, « alors ça va même si Drago n'a plus voulu descendre de son nouveau balai après l'avoir déballé. »

On ne peut jamais se tromper avec la cuisine pour rapprocher les gens. Si quelqu'un dit qu'il n'aime pas manger, Perry veut bien crier au menteur ou à l'extraterrestre. Le truc, c'est de savoir quelle nourriture proposer à qui – offrez une tourte aux rognons à un végétarien et ça jettera un froid.

Vu qu'il s'agissait d'un anniversaire, et pour un enfant, impossible de tomber sur un os en se rabattant sur un truc sucré, même si c'est moins pérenne qu'un jouet.

« Perry ? »

« Oui ? »

« Comment tu définis torture ? »

L'Auror sent son cœur s'arrêter. C'est comme un froid entre ses côtes, tout d'abord, et puis vient la pique de douleur, qui force le redémarrage de la pompe dans un hoquet indigné et hausse le rythme à une cadence frénétique.

« En voilà une question bizarre » se borne-t-il à déclarer tandis que le sang lui bat aux tempes.

« C'est monsieur Flint et monsieur Crabbe qui en ont parlé. Est-ce que c'est quelque chose de grave ? »

Bien sûr que ces salauds ne voient aucun problème à causer de ce type de sujets à proximité de leurs enfants. Quand on sait de quoi ils ont été accusés, ce n'est que la cerise sur la crème fouettée.

« C'est… c'est quelque chose d'affreux » s'empêtre Perry pour commencer, vu que allô, il doit expliquer le sujet à un gamin qui a encore toutes ses dents de lait. « C'est quand… quelqu'un décide tout seul de faire du mal à une autre personne, aussi fort qu'il peut, aussi longtemps qu'il peut, parce qu'il le veut. Et c'est horrible. »

« Ah » fait Roshan, le visage privé d'expression. « Parce que monsieur Flint et monsieur Crabbe ont dit que mes parents sont en prison pour avoir fait ça. »

Perry a toujours su que ce jour viendrait, le moment où l'enfant des Lestrange se tournerait vers lui pour des explications sur son statut de pratiquement orphelin. Il savait mais il a désespérément prié pour que ça vienne le plus tard possible, quand Roshan aurait minimum neuf ou dix ans. Sauf que le jour est venu, et Roshan a quatre ans et son innocence est partie en miettes.

« Perry ? Est-ce que c'est vrai ? »

Le garçon le regarde de ses yeux orangés, des yeux tout à coup trop vieux pour son visage encore poupin, et Perry lui doit une réponse.

« Oui, c'est vrai. »

A quoi bon nier ? Personne ne permettra à Roshan d'oublier qui sont ses parents et qu'ils ont mérité leur situation actuelle. Au moins Perry n'ira pas rendre la révélation délibérément humiliante et blessante.

« Alors… mes parents sont méchants ? »

Ça pourrait être une question, mais c'est juste à la lisière de l'affirmation. De la résignation. L'Auror sent ses propres yeux piquer et se les essuie brusquement, histoire de se rendre une contenance, mais le gosse se remet à parler :

« Parce que mon papa me prenait dans ses bras quand j'étais plus petit que maintenant, et je ne pensais pas qu'il était méchant. Si j'ai pas su voir, c'est parce que je suis bête ? Ou je suis méchant aussi ? »

Perry n'a jamais autant haï Rodolphus Lestrange qu'à cet instant. S'il pouvait, il se rendrait à Azkaban pour bourrer de coups le mage noir. Regarde ce que tu as fait, Lestrange. Regarde comment grandit ton fils, comment pense ton fils. Regarde ce que tu obliges ton fils à endurer. Regarde ce que tu fais endurer à la personne qui aurait dû être le centre de ton univers, que tu aurais dû protéger même de toi. Regarde ce que tu as fait.

« Pas du tout, mon petit. C'est… les grandes personnes sont compliquées » admet Perry, douloureusement conscient de la simplification extrême qu'il effectue. « Ce que tes parents ont fait était quelque chose de méchant. Mais ton papa était gentil pour toi, vraiment gentil. Il t'aimait, Roshan, pour de vrai, même s'il faisait des choses horribles. »

Le gamin renifle.

« Comment tu sais qu'il m'aimait ? »

« Parce que c'est ton papa, et c'est ce que font les papas » affirme l'Auror avec la certitude de qui a grandi au jour le jour avec cette vérité, avec cette réalité. « Ils aiment leurs enfants. »

« Mais il est en prison » trémule le garçon, des larmes silencieuses coulant sur ses joues pâles, « alors même s'il m'aime, c'était pas assez pour qu'il soit gentil tout le temps. »

Depuis que Roshan a été remis à la garde du vieux Lestrange, Perry n'a eu aucun contact physique avec lui, même pas une poignée de main. Mais là, c'est trop, il ne peut pas rester les bras ballants, il les ouvre à la place et le gamin tombe dedans, se cramponnant à sa veste et lui trempant l'épaule.

« Je suis désolé, mon petit » souffle Perry dans les boucles noires folles, « je suis tellement désolé. »

C'est tout ce qu'il trouve à dire – tout ce qu'il peut dire.

Il n'y a rien d'autre à formuler devant la situation de cet enfant.