Honnêtement, Narcissa ne sait pas pourquoi Lucius pensait que la mort de tante Wally serait d'un bénéfice quelconque pour Drago. Quoique, peut-être a-t-elle simplement mal interprété la simple joie de voir mourir une personne qui n'a jamais hésité à vocaliser son mépris envers lui – aux yeux de tante Wally, de toute la famille Black en vérité, Lucius n'était qu'une pâle copie de son père Abraxas. D'accord, Abraxas avait commis l'irréparable faute de goût d'être un Malefoy, mais l'homme lui-même était si charmeur qu'on lui pardonnait sans mal.

Dans tous les cas, Lucius a eu la décence de ne pas se réjouir excessivement de la mort de tante Wally. S'il avait osé, Narcissa aurait immédiatement pris des vacances en Italie avec Drago pendant un an ou deux, probablement plus longtemps si les excuses avaient tardé. Tante Wally avait eu beau avoir un caractère exécrable, elle restait de la famille.

Et puis, même si la femme en tant que personne avait été si peu agréable à fréquenter, cela n'en avait pas moins été pitoyable de la voir décliner lentement. La mort de son mari puis de son deuxième fils ouvrant la salve, suivie par l'emprisonnement du fils renié avec qui elle ne pourrait jamais se réconcilier à présent, parachevée par la désintégration précoce de ses facultés cognitives. C'était presque une grâce qu'un coup de froid trop insistant pour ses bronches l'ait emportée dans son sommeil.

En nièce respectueuse, Narcissa n'avait pas manqué d'adresser toutes ses condoléances à Irma Crabbe pour la perte de sa fille via une lettre remplie de sa meilleure calligraphie. Elle s'était abstenue d'accorder la même courtoisie à l'époux d'Irma, Pollux Black, pour la bonne et simple raison que la démence avait privé celui-ci de sa capacité de raisonnement au point qu'il n'était plus bon qu'à souiller ses draps et grogner, alors imaginez donc lire !

Une des tragédies de la lignée Black, leur prédisposition à sombrer dans la folie bien avant d'atteindre les soixante-cinq ans. Parfois, Narcissa se demande si son propre sang se retournerait contre elle, bien avant que ne vienne son heure de quitter le monde. Ou si Drago et les enfants de Drago pâtiraient de leurs ascendants. C'est une interrogation qui aime à la tourmenter le soir, avec la régularité d'un mécanisme d'horloge sonnant toutes les heures.

Vu l'état de son mari, grand-tante Irma s'était bornée à envoyer une gerbe de lys et de chrysanthèmes plutôt que d'assister à la mise en terre et de courir le risque de s'effondrer devant toute la famille. Aucun parent ne mérite de perdre son enfant, peu importe l'âge auquel ça se produit. Au vu des circonstances, Arcturus ne lui en a pas tenu rigueur.

Arcturus s'est chargé de tout organiser en tant que patriarche, bien entendu. Et c'est également lui qui bat le rappel quelques jours plus tard, afin de mettre au clair la question de l'héritage.

Le 12 square Grimmaurd sera fermé, puisque plus personne n'y demeure et personne n'a envie d'y déménager. Cela signifie que les biens qui s'y trouvent ne seront pas touchés, jusqu'à l'arrivée d'un nouvel habitant. Pour ce qui est des possessions personnelles, tante Wally en avait très peu et les avait de toute façon destinées à ses filles ou belle-filles. Ses enfants ayant été des fils qui ne se sont jamais mariés – un triste état des choses qui doit bien ronger le patriarche – les affaires de la défunte sont donc rendus à la famille, plus exactement à sa mère. Piètre consolation pour Irma Crabbe.

Pendant l'enterrement et la lecture du testament rôde une certaine tension, une dont il est aisé de deviner la cause. La Noble et Très Ancienne Maison des Black se meurt, et jamais cela n'a été aussi évident que par ce rassemblement de vieillesses chenues, éreintées, privées d'Héritiers pour reprendre leur flambeau et assurer la pérennité du nom.

D'accord, il y avait deux Héritiers présents si l'on tient réellement à fendre les cheveux en quatre mais ni Drago ni Roshan ne comptent véritablement en tant que Black, étant d'abord et avant tout les Héritiers de leurs pères respectifs. Peut-être leurs frères cadets auraient-ils pu être considérés, si les garçons n'avaient pas été fils uniques et malheureusement destinés à le rester.

Il n'est jamais facile à une fille de la lignée Black de tomber enceinte, et Narcissa en a fait l'amère expérience pendant les cinq ans séparant son mariage de la naissance de Drago. Et elle a fait tous les efforts possibles et imaginables, a pris toutes les précautions rien que pour parvenir à avoir un bébé, un seul, le seul à être resté à l'abri de sa matrice plus de trois mois sans la déserter cruellement.

Bien sûr qu'elle adore Drago, puisqu'elle n'aura pas d'autre enfant. C'est l'un des grands regrets de sa vie, surtout lorsqu'elle se rappelle sa propre enfance et adolescence en compagnie de ses sœurs – des souvenirs plus amers que doux, à présent, vu ce qui est arrivé à deux des trois filles de Druella Rosier – et pense que son fils ne partagera pas cette même expérience de la vie à plusieurs.

Lucius ne voit pas où est le problème. Forcément, puisqu'il était aussi fils unique – Abraxas n'a jamais éprouvé beaucoup d'intérêt pour son épouse, et était parfaitement satisfait d'avoir réglé du premier coup la question de la succession pour ne pas aller pousser plus loin. Il pense que les interactions avec les enfants Parkinson, Crabbe, Goyle et Bulstrode peuvent compenser la solitude infantile de sa progéniture. Et puis, n'avoir qu'un seul enfant réduit les problèmes d'héritage, ça tombe sous le sens.

À cela, Narcissa rétorque que limiter le nombre de successeurs potentiels pousse au désastre en cas de mort ou d'incompétence, car alors où chercher un remplaçant ? La piètre situation actuelle de sa famille de jeune fille constitue une preuve plus que suffisante, et les Black ont pourtant fait de leur mieux pour éviter d'en venir à cela – seulement pour que le temps effectue ses ravages.

Le glas ne tardera pas à sonner pour l'un des noms les plus illustres de la Grande-Bretagne magique. C'est assez poétique que cette révélation lui soit venue au cours de funérailles d'hiver – poétique et approprié, bien que tante Wally ne prévoyait probablement pas d'envoyer un message de cet acabit au travers de sa mort. D'autant qu'elle n'a jamais eu tellement de goût pour la poésie – assez curieusement, son dada avait été les chiens. Pour la chasse ou pour la compagnie, elle pouvait disserter tout un après-midi sur les animaux.

Probablement une conséquence de plusieurs été passés en compagnie d'un grand-père souvent fourré aux écuries et aux chenils. Pour sa part, Narcissa souffre d'une allergie aux poils qui la couvre de plaques rouges dès qu'un des sacs à puces vient se frotter contre elle pour réclamer des caresses, si bien que sa relation avec tante Wally n'a jamais vraiment dépassé la simple cordialité.

La sorcière plus jeune n'en espère pas moins que là où elle est partie, tante Wally peut avoir tous les chiens qu'elle veut et être réunie avec oncle Orion et cousin Reggie. Ces deux-là, elle leur tirera les oreilles pour avoir osé mourir aussi brusquement en l'abandonnant derrière, pas de doute là-dessus.

Narcissa l'espère vraiment. En tout cas, elle allumera un cierge pour que ce soit le cas.