Une fois le cinquième anniversaire de Drago célébré, grand-père décide que Roshan est suffisamment vieux pour recevoir un tuteur.
Attention, il ne s'agit pas encore d'apprendre à lire et à écrire et à faire des mathématiques, même si grand-père marmonne qu'il pourrait bien chercher des professeurs particuliers plus tôt que prévu si Roshan continue à se montrer aussi sage et précoce. Quand le garçon demande à Perry l'Auror ce que précoce veut dire, la réponse est que ça signifie qu'il est plus intelligent qu'il ne devrait l'être, surtout aussi petit.
« Ce n'est pas une bonne chose ? » interroge Roshan, tout d'un coup inquiet.
Son visiteur lui tapote gentiment les frisettes – depuis ce jour horrible où le garçonnet a entendu la vérité sur ses parents, la raison pour laquelle il ne vit pas avec eux, l'Auror n'hésite plus tellement à avoir des contacts physiques avec lui. Des petites choses vite terminées, une pression de la main sur l'épaule, une bise fugitive sur le front – mais Roshan a si peu l'habitude, des fourmillements lui embrasent la peau à chaque point de contact quand son visiteur fait ça.
« Ça veut seulement dire que tu as besoin de faire les choses autrement » déclare Perry. « Les gens râlent souvent parce que tout le monde n'est pas traité de la même manière, mais quand tu veux vraiment être équitable, tu dois savoir de quoi les autres ont besoin, sinon ça ne résout pas leurs problèmes et il faut tout recommencer. »
« C'est quoi, équitable ? »
Là, l'Auror pose un doigt sur ses lèvres.
« C'est un principe très important pour moi et la maison où j'ai fait mes études, mais je ne crois pas que ton grand-père apprécie beaucoup. Alors pour le moment, on n'en parle pas, d'accord ? »
Roshan est déçu, mais il peut comprendre pourquoi son visiteur se méfie de grand-père. Si le vieux monsieur pense que Perry raconte à son Héritier des choses que lui trouve idiotes, il va se mettre en colère et il punira Roshan pour avoir écouté. Si ça se trouve, il voudra aussi faire des misères à Perry, et bon, l'Auror a l'air capable de se défendre tout seul, mais ça ne veut pas dire que Roshan veut prendre le risque.
Le garçonnet ne veut pas voir son visiteur s'attirer des problèmes par sa faute. Ce serait juste méchant.
Par contre, il avoue être curieux au sujet de son nouveau tuteur – qui va être son second visiteur régulier, plus régulier que Perry puisqu'il va passer une fois par semaine plutôt qu'une fois par mois, et qui va lui enseigner une matière qui s'appelle l'escrime.
L'escrime, ça veut dire qu'il va apprendre à utiliser un couteau, mais pas pour couper du pain et étaler de la confiture dessus ; non, il va apprendre à se défendre avec, et aussi attaquer les gens avec. Ça fait peur et c'est aussi très intéressant à imaginer.
« Une instruction martiale, c'était l'une des conditions du contrat de mariage quand les Black ont accepté de donner leur fille aînée à mon fils aîné » confesse brutalement grand-père, la bouche tordue comme s'il mâchait un citron vert. « Vu la fréquentation que tu fais du rejeton Malefoy, c'est sans doute plus prudent de te préparer. »
Roshan ne sait pas trop quoi penser de cet aveu, alors il ne dit rien – plus il grandit, plus il réalise que son grand-père apprécie son manque de réponse. Le vieux monsieur ne se sent donc jamais seul, à parler sans que personne ne lui dise rien ?
Il se demande si ces leçons d'escrime peuvent être considérées comme un cadeau de sa mère. Les mères sont sensées apprendre à leurs enfants à s'occuper d'eux-mêmes, non ? Et Bellatrix Lestrange née Black se trouvant en prison, ce sera sans doute le seul cadeau que Roshan aura jamais d'elle.
C'est un point de vue qui donne à l'enfant l'impression qu'une brume noirâtre est en train de lui pousser dans la poitrine pour lui étrangler le cœur et l'estomac. Il veut vomir et pleurer en même temps, mais il va bientôt avoir six ans, il est trop grand pour faire des caprices. S'il pleure, il prendra juste des claques et finira au placard pour manque de dignité et bruit inconvenant.
Il se demande aussi pourquoi il doit apprendre à se défendre, ou à attaquer les gens. Parce que de son point de vue, il faudrait plutôt le contraire : les gens devraient apprendre à se défendre contre lui. Il est l'enfant de parents qui ont attaqué des gens, et ses parents ont fini en prison pour cela. Alors pourquoi veut-on lui donner la chance de faire pareil ?
Est-ce que grand-père pense qu'il deviendra forcément comme ses parents ? Est-ce que grand-père veut qu'il devienne comme ses parents ? Roshan était pourtant sûr que ce n'était pas le cas, mais à la façon dont Perry l'Auror parle du vieux monsieur, le garçonnet a gagné la trouble conviction que son grand-père n'est pas gentil non plus.
Grand-père n'a jamais dit que ses fils n'étaient pas là parce qu'ils avaient fait quelque chose de méchant. Il dit seulement qu'ils sont absents parce qu'ils ont été idiots.
Roshan se met à faire des cauchemars, la nuit. Il ne se souvient pas du contenu, mais il se réveille toujours en sursaut, un orchestre de tambours dans la poitrine et la peau glacée malgré sa chemise de nuit et les couettes que Grigri empile sur son lit.
Il ne veut pas devenir comme ses parents. Il veut pleurer quand il pense à eux, quand quelque chose fait pleurer, il faut l'éviter autant qu'on peut. Il veut rester Roshan, le garçon à qui Perry l'Auror a donné un câlin.
Perry envoie en prison les gens qui ont été méchants, c'est son travail. Roshan ne veut pas que son visiteur l'envoie en prison, lui aussi. L'idée lui donne un nœud dans le ventre, si serré qu'il en a presque le souffle coupé tant ça fait mal.
Peut-être qu'il vaut mieux pour lui ne pas accepter le cadeau de sa mère, mais les mots ne veulent pas sortir de sa bouche. Et puis, grand-père ne l'écoutera pas s'il dit non, parce qu'il a déjà tout organisé, tout préparé pour les visites du tuteur.
Roshan est supposé se sentir en sécurité et protégé dans le Manoir Lestrange, mais il ne s'est jamais senti aussi mal.
En fait, Roshan ne croit pas qu'il s'est senti en sécurité dans le Manoir Lestrange depuis qu'il habite ici, et il habite ici depuis qu'il est tellement petit qu'il n'était même pas né. Il ne peut pas être en sécurité si grand-père peut rentrer dans sa chambre quand il veut et jeter ses affaires quand il veut.
Le garçonnet ne peut rien faire là-dessus, il est trop petit et c'est son grand-père. Même s'il trouvait les mots, ça ne ferait rien.
Il ne peut pas demander l'aide de Perry. Il ne peut pas demander l'aide de tante Narcissa. Il est tout seul, et ça lui donne froid alors que c'est le début de l'été.
Il a bientôt six ans, il est supposé être un grand garçon, mais Roshan ne s'est jamais senti aussi petit de sa très courte vie.
