Le tuteur est jeune.

Il n'est pas aussi vieux que grand-père, personne ne peut être plus vieux à moins d'être mort, et il n'est pas non plus aussi vieux que Perry l'Auror. Il est entre le visiteur régulier de Roshan et le cousin Drago de Roshan pour ce qui est de son âge. C'est très bizarre de rencontrer quelqu'un qui n'est plus un enfant, sans être une grande personne, si bizarre que Roshan en louche presque.

Le tuteur s'appelle Dimitri Selwyn, il a l'air mince et cassant d'une brindille quand il n'a pas plu pendant des semaines, le teint très coloré pour un garçon faisant partie des vingt-huit familles de Grande-Bretagne dont le sang est toujours parfaitement pur alors que le vingtième siècle touche à sa fin, et des mains fortes qui pourraient facilement briser les doigts de Roshan quand il se présente avec une poignée de main.

Dimitri Selwyn ne casse pas les doigts de son élève quand celui-ci ne peut s'empêcher de faire la remarque, parce que c'est pratiquement impossible de réussir à utiliser une épée sans ses doigts. Même si tu as des doigts de pied intacts, ça ne compte pas à cause des chaussures qui font barrage et du fait que c'est difficile de garder l'équilibre quand tu sautilles sur une seule jambe.

Dimitri Selwyn n'est pas spécialement intéressé par la perspective d'enseigner l'escrime, mais il veut vraiment mettre assez d'or de côté pour faire le tour du monde, et s'acheter une maison à lui après s'il lui reste des sous. Alors il a décidé de se vendre.

Les mots qu'il utilise perturbent Roshan.

« Tu es une personne ! Ce sont les objets qui se vendent ! »

Son tuteur hausse les épaules.

« Tu peux acheter les gens aussi, pour peu que tu trouves le bon prix. »

Dimitri Selwyn décide que les premières leçons auront lieu dans le jardin, parce qu'il y a plus d'espace et plus de lumière, ça encourage les muscles à pousser – et Roshan imagine aussitôt ses muscles détachés de son corps, alignés dans les parterres comme autant de fleurs rouges et roses à la forme bizarre. Quand l'hiver viendra, il faudra s'habituer à l'intérieur, mais Roshan devrait avoir suffisamment progressé pour ne pas risquer de renverser quelque chose de fragile ou de trébucher sur ses propres pieds.

Parce que l'escrime, ce n'est pas immobile. Les deux grandes règles, explique Dimitri, sont de planter le bout pointu de la lame dans l'adversaire, et d'éviter que l'adversaire plante le bout pointu de sa lame dans votre propre corps. C'est très logique, alors Roshan ne discute pas.

Bien sûr, l'adversaire aussi suit les deux règles, alors ça complique la chose. Pendant que vous essayez de viser le bon endroit où enfoncer votre couteau, lui va remuer et gigoter pour vous empêcher de le faire, et vous obliger à sauter partout pour ne pas voir son couteau entre vos propres côtes. L'escrime, c'est très physique comme discipline.

Roshan a un peu moins de six ans, et passe le plus clair de ses journées à l'intérieur du Manoir Lestrange où il n'a pratiquement aucune raison de marcher plus vite qu'au petit trot. Quand Dimitri lui demande de courir autour de la fontaine, le garçonnet n'arrive même pas à effectuer la moitié de la distance avant de s'écrouler par terre en soufflant si bruyamment par la bouche qu'il pense que ses oreilles vont se décrocher.

« Et ben, c'est pas brillant comme spectacle » commente son tuteur grimaçant, on croirait que Roshan vient de l'obliger à plonger la tête dans la cuvette des toilettes.

Roshan ne répond pas, il n'arrive plus à respirer correctement et il a trop chaud entre les épaules. Pourtant, Grigri lui a préparé une chemise et un pantalon en lin parce que ça laisse passer l'air, vu qu'il doit rester dehors en plein soleil pendant tout l'après-midi.

Dimitri insiste qu'il est très important de respirer quand on bouge, sinon on finit par attraper des points de côté, on voit des pointillés en noir et blanc au lieu du paysage, et finalement on s'étale et on ne peut plus rien faire. Il faut respirer à fond, tout au fond des poumons, même si Roshan a l'impression que l'effort rend sa poitrine plus petite.

« Même si ça fait mal, force-toi ! Ou ça fera beaucoup plus mal ! »

C'est un bon argument, alors le garçonnet obéit, respirant profondément jusqu'à ce que la tête lui tourne. Et pendant ce temps, Dimitri lui ordonne de marcher, ou de courir, ou de grimper sur le petit amoncellement de rochers qui décore le bout de l'allée, parce qu'il doit pouvoir se concentrer sur son souffle peu importe ce qu'il est en train de faire.

Apprendre à respirer, ça prend un mois. Enfin, pas exactement un mois, vu que les séances de tutorat n'ont lieu qu'une fois par semaine, mais Dimitri déclare que Roshan doit continuer les exercices même quand le garçon plus grand n'est pas là. Autre chose d'important : la régularité.

Perry l'Auror rigole un peu quand Roshan lui raconte ses malheurs avec sa moue la plus triste. Et le pire, c'est qu'il donne raison à Dimitri !

« Que ce soit l'escrime ou les bonnes manières, il faut y mettre du travail, mon petit gars. Et le travail, c'est souvent fatiguant, surtout pour les enfants de bonne famille qui n'ont pas l'habitude ! Ne t'inquiète pas, tu finiras par t'habituer. Je suis même sûr que tu te mettras à trouver ça amusant ! »

En réponse à cette bêtise qui se voyait tellement que c'était impossible de la croire, Roshan lui avait grogné dessus. L'Auror avait rigolé de nouveau, mais il n'avait pas essayé de lui ébouriffer les frisettes.

Roshan demande quand même, un peu timidement, à quelle date il sera autorisé à toucher une épée. L'escrime, ça se pratique avec des épées, et pour l'instant, la seule qu'il peut voir, c'est celle que tient le chevalier sur la tapisserie dans le salon vert du troisième étage.

« Ton premier couteau » annonce Dimitri, « tu pourras l'avoir une fois que j'aurais la certitude que tu ne vas pas te l'enfoncer dans la jambe ou la main sans faire exprès. »

« Comment je ferais ça ? » interroge le garçonnet, à moitié vexé devant l'accusation de maladresse et à moitié curieux.

« En ne faisant pas attention à la manière dont tu l'agites. Un de mes camarades de classe a réussi à se poignarder dans l'œil, il a fallu l'emmener à Sainte Mangouste pour réparer les dégâts. Je peux te dire que maintenant, il est prudent ! »

Les guérisseurs ont probablement effacé toute trace de l'erreur, mais Roshan se représente aussitôt le camarade de Dimitri avec un bandeau lui cachant la moitié du visage, un peu à la façon d'un pirate. Il a trouvé dans un recoin de la bibliothèque du rez-de-chaussée un vieux livre avec un homme qui avait une jambe de bois et un oiseau coloré sur l'épaule sur la couverture, et quand il a demandé à Perry quelle sorte de personne ressemblait à ça, l'Auror lui a expliqué ce qu'étaient les pirates.

Ça paraît très amusant comme carrière, mais ça se passe en mer et Roshan ne sait pas nager du tout, alors il devra sans doute trouver un moyen d'apprendre. Aussi, il ne veut pas perdre une main ou un pied, ça doit faire mal.

Mais se mettre des cordons plein d'huile dans la moustache pour y mettre le feu pendant qu'il éclate de rire, ça, ce serait fantastique.