Lorsque Roshan atteint son sixième anniversaire, il est capable de courir une demi-heure en petite foulée sans s'écrouler lamentablement par terre parce qu'il ne parvient plus à respirer sans avoir l'impression que des couteaux lui lacèrent la gorge et l'intérieur du nez. Dimitri déclare avec satisfaction qu'il n'est plus une insulte vivante au noble art de la course à pied, simplement un lamentable représentant.

« Si tu continues sur cette lancée, tu pourras peut-être courir le marathon une fois diplômé de Poudlard » décrète son tuteur, et bien sûr Roshan est obligé de lui demander ce que c'est, un marathon.

L'explication le laisse assez confus : si la course initiale a tué le messager une fois finie, pourquoi les gens pensent-ils que c'est une bonne idée de reproduire l'exploit ? Imaginez donc que quelqu'un d'autre meure, ce serait sinistre ! Mais peut-être que c'est comme son grand-père qui pose des questions en attendant des réponses particulières, plutôt que la vérité ?

Plus Roshan grandit, plus il commence à comprendre que les gens sont très, très compliqués et bizarres, et il se demande s'il va réussir à comprendre qui que ce soit dans sa vie. Il a le sentiment vague mais de plus en plus gros que non, ce ne sera pas le cas – et ça le rend triste et énervé et anxieux en même temps.

Ça aide de courir, quand les pensées noirâtres menacent de lui envahir l'intérieur de la tête. Ça lui secoue l'esprit dans la peau du crâne, et quand il n'entend plus rien que les cris de ses muscles fatigués et ses propres halètements essoufflés, c'est difficile de se concentrer sur ses peurs.

Au bout du compte, Dimitri a décidé que son élève ne continuera pas ses échauffements en intérieur, quand le temps s'est mis à refroidir. Selon lui, l'exercice peu importe la météo aide à renforcer le corps, et Merlin sait que le grand défaut des sorciers est leur tendance à ne se concentrer que sur leur pouvoir. Ce qui, d'accord, c'est leur privilège ancestral, bien sûr qu'ils vont l'exercer, mais à en croire le jeune homme brun, c'est une marque de fainéantise et d'arrogance de croire qu'il est possible de n'utiliser qu'une seule solution pour vivre sa vie.

Roshan note que son tuteur ne dit jamais cela quand grand-père est dans les parages, et il ne dit rien non plus quand Grigri est dans le coin – ce qui est logique, parce que Romulus Lestrange peut juste ordonner à son elfe de répéter tout ce qu'il a entendu même si l'elfe ne veut pas, même si Roshan l'interdit à Grigri, parce que grand-père est le chef de famille et ça signifie que ses ordres sont toujours obéis.

Mais Roshan est l'Héritier de son grand-père et pas un elfe de maison, alors si grand-père veut savoir ce que raconte Dimitri, le garçon ne lui dira certainement pas. La perspective de désobéir lui donne le vertige, mais Roshan ne veut pas que son tuteur arrête de venir au Manoir Lestrange, surtout maintenant qu'ils ont enfin débuté avec le maniement des couteaux.

Bon, c'est pas réellement un couteau, plutôt une copie en bois. Dimitri pourrait transformer le bois en acier, mais il avoue qu'il ne pourrait pas rendre le métal capable de couper, alors ce serait moins un couteau qu'une matraque. Une arme doit être forgée, avec quelqu'un pour répéter encore et encore à la lame ce qu'elle est supposée faire.

Roshan trouve ça logique, et un peu rassurant : si c'est compliqué de fabriquer des armes, ça veut dire que les gens ne peuvent pas en avoir une sous la main quand ils ont envie de commettre un crime, et s'en procurer une leur donne plus de chances d'être arrêtés.

De l'autre côté, ça veut dire aussi que les gens ne peuvent pas tellement se défendre quand ils sont les victimes d'un crime, et ce n'est pas franchement une bonne chose. Pourquoi faut-il toujours qu'il existe un détail gâchant tout ?

Enfin, les couteaux sont faciles à trouver, il faut juste descendre à la cuisine et vous en trouvez plein, pour le poisson ou la viande ou le beurre ou le pain, mais Dimitri recommande d'éviter les deux derniers types sauf si Roshan veut essayer de les enfoncer dans l'œil de son adversaire, parce que c'est bien mou et facile à repérer sur le corps humain.

Mais le tranchant du couteau, c'est uniquement la première leçon. La seconde, et une sur laquelle son tuteur insiste lourdement, c'est comment tenir son arme – parce que si Roshan ne fait pas attention, il peut se couper les doigts, ou se faire arracher son moyen de défense, ou s'ouvrir le ventre ou la jambe par accident.

« La mutilation, ce n'est acceptable que lorsque ton adversaire te l'inflige, et seulement quand il est indiscutablement meilleur que toi » proclame le rejeton Selwyn. « Si tu te blesses tout seul, peut-être que tu mérites de te faire couper la gorge. »

Roshan retient soigneusement le conseil. Ce n'est pas comme s'il aime avoir mal, alors il va le suivre de très près – et il n'aime pas non plus la perspective de passer pour un idiot, à moins que ce soit exprès, pour qu'on le laisse tranquille. Mais être un idiot parce qu'il a fait quelque chose d'idiot, pas question, ça non !

Alors il copie la prise que lui montre Dimitri, et il fait de son mieux pour la garder solide et ferme peu importe les efforts de son tuteur pour le prendre au dépourvu et lui pincer la main, si fort qu'il en attrape des bleus. La main gauche et la main droite, parce que si jamais il se fait casser ou exploser ou couper la main dans laquelle il tient son arme, il doit pouvoir continuer à se défendre de l'autre ou il est fichu.

Plus les cours se poursuivent, plus Roshan pense que ça ne ressemble pas du tout au manuel d'escrime qu'il a trouvé dans la petite bibliothèque du salon avec la tapisserie de chasse du troisième étage – enfin, il pense que c'est un manuel d'escrime, à cause des deux épées croisées sur la couverture marron, et quand il apporte le livre à Dimitri, celui-ci confirme que oui, c'est bien ça.

« Pourquoi on ne fait pas la même chose que sur les illustrations, alors ? » veut savoir Roshan, prenant une moue boudeuse. « C'est parce que je viens seulement de commencer, donc je n'ai pas le bon niveau ? »

« En partie » répond son tuteur en refermant le manuel assez sèchement, provoquant un petit bruit sourd. « C'est aussi parce que je suis venu te montrer comment on gagne un combat avec une lame, pas comment on fait de l'esbroufe avec une épée. »

« C'est quoi, faire de l'esbroufe ? »

« Et bien… ta tante, la plus jeune, elle est mariée à Lucius Malefoy ? Et il a des paons dans son jardin ? Faire de l'esbroufe, c'est comme les paons : tu te promènes en criant et en montrant tes beaux habits, mais quand quelqu'un essaye de te marcher dessus, tu peux juste te sauver parce que les plumes sur ta queue, elles sont très jolies mais elles ne servent à rien du tout. »

La remarque est assez méchante envers les paons, ce sont juste des oiseaux après tout, mais l'un d'eux a crié presque dans l'oreille de Roshan lors de la fête d'anniversaire pour les quatre ans de Drago et il a eu si peur qu'il a failli tomber par terre, alors le garçon ne s'indigne pas tant que ça.

Si le paon n'est pas d'accord, il n'avait qu'à ne pas effrayer l'Héritier Lestrange, parce que celui-ci va certainement rester vexé jusqu'à ce qu'il devienne une grande personne, et peut-être même après.