La famille de Perry n'est pas franchement ce que vous appelleriez traditionnelle. D'accord, Maman effectue des petits rituels quand viennent les occasions du solstice et de l'équinoxe, mais c'est trois fois rien, des superstitions comme attacher un ruban à la branche d'un arbre et faire un vœu ou demander à Papa de garder la bûche dans la cheminée allumée le plus longtemps possible, même les Moldus font ça en dépit de n'avoir aucune magie.

La famille Proudfoot n'accorde pas grande importance aux chichis et fanfreluches de la tradition, elle ne leur permet pas d'envahir chaque facette de leur vie comme les clans vraiment vieux, si vieux qu'ils peuvent nommer l'arrière-grand-père de leur arrière-grand-père et énumérer ses exploits aussi glorieux que repoussants – sans tomber dans le travers des nés-Moldus qui insistent que les gens sont exactement pareils, qu'il ne devrait exister aucune différence entre eux, magie ou pas magie.

Sauf que les gens ne sont pas du tout pareils, pas là-dessus. Les Moldus ne vont pas exiger que les Catholiques s'en aillent prier dans un temple protestant, non ? Et ils ne trouvent pas non plus bizarre que les émigrants venus d'Inde refusent de manger du bœuf, alors pourquoi prétendre que le monde sorcier ne devrait pas avoir ses propres habitudes ?

Perry sait bien qu'un tel raisonnement a été utilisé afin de justifier la croissance du mouvement terroriste ayant culminé en plusieurs années de terreur pour la Grande-Bretagne magique, et c'est précisément pour cela que personne n'a réalisé la véritable démence, la mégalomanie de Vous-Savez-Qui avant qu'il ne commette ses premiers crimes publics, car ce qu'il disait était juste si raisonnable, était ce que beaucoup de gens pensaient déjà et marmottaient dans leur barbe, mais lui le proclamait haut et fort…

Et bien maintenant, les plus fervents partisans de la Lumière ont utilisé ça comme prétexte pour couper entièrement les pattes à tous ceux qui manifestent des sympathies jugées démodées, le type d'idéologie qui a débouché sur un règne de terreur. Le retour du balancier – les poursuivis sont devenus poursuivants à leur tour, et l'Auror a la certitude que plus d'une famille officiellement Sombre et Grise maudit furieusement Vous-Savez-Qui pour avoir accidentellement favorisé leurs adversaires tellement honnis.

Perry préfère rester à l'écart de ce remue-ménage politique, une guerre qui se mène dans les salons et les couloirs des bureaux du gouvernement – il est un Auror, un chasseur de mages ayant enfreint la loi et causé du tort à autrui, c'est simplement que beaucoup de ces mages se trouvent pratiquer la magie noire.

Il reste à l'écart de la politique, et il sourit à Maman quand celle-ci lui suggère de jeter une noise dans la fontaine pour se porter bonheur ou qu'elle prépare un plat sortant de l'ordinaire pour Ostara, et c'est très bien comme ça. C'est juste une miette de tradition et ça suffit.

Cependant, même un philistin comme Perry est conscient de l'importance du chiffre sept – même les Moldus sont conscients de l'importance du chiffre sept – et sept est le nombre d'années que Roshan comptera très bientôt à son acabit, en tant que résident de la planète.

À force de visiter le Manoir Lestrange pour confirmer que le vieux patriarche n'a pas secrètement empoisonné son petit-fils et enterré les restes dans la forêt (très peu probable vu que la fortune et les propriétés Lestrange retourneront à Gringotts sans un héritier désigné et Romulus Lestrange mourrait plutôt que de laisser les goblins faire main-basse sur les possessions accumulées par ses ancêtres) Perry en a appris bien plus qu'il n'a jamais voulu savoir sur la bonne société magique anglaise. Par exemple, que leur présentation officielle se fait à sept ans.

Sans doute parce qu'à cet âge-là, vous êtes plus ou moins fixé sur la capacité de votre bambin adoré à se servir d'une baguette sans paraître ridicule. D'accord, il existe des cas très rares où un enfant parvient à manifester sa magie vers dix ans, mais ce n'est pas si répandu que cela – et quand ça arrive, les gens tendent à considérer le gamin et se demander si ce n'est pas la preuve d'un défaut ou d'une faiblesse impardonnable.

À sept ans, donc, les parents sont certains d'avoir engendré un sorcier, ou un cracmol – et prennent les dispositions adéquates. Inutile de préciser que certaines sont plus définitives et immorales que d'autres.

Perry ne s'inquiète guère pour Roshan à ce sujet précis – le petit peut faire de la magie depuis qu'il a appris à marcher, éternuant une gerbe d'étincelles à l'occasion d'un rhume et racontant nonchalamment comment il a réussi à soulever un fauteuil dans les airs afin de récupérer un livre s'étant égaré dessous. Non, ce qui le tracasse, c'est la perspective du vieux Romulus Lestrange traînant son petit-fils dans le monde maintenant qu'il est considéré assez grand pour ne pas risquer d'insulter accidentellement un dignitaire ou un autre lors d'une réception.

Oui, Roshan a déjà été exposé à plusieurs membres peu recommandables du Royaume-Uni sorcier, ces Mangemorts qui ont échappé à la prison via corruption franche ou manque de preuves, mais jusqu'ici il a été protégé par son statut d'enfant trop jeune pour être réellement inclus dans les affaires des adultes. Et cela avait été dans le cadre rassurant de fêtes de famille, cela garantit l'absence de débordements.

Après son septième anniversaire, Roshan perdra ce bouclier, sera considéré comme une cible par le reste de la bonne société, tant pis pour lui s'il n'a pas encore de baguette. Et Perry est douloureusement conscient que c'est un champ de bataille sur lequel il ne sera d'aucune utilité au garçon, n'étant qu'une bille en matière de politique et n'ayant aucunement la bénédiction de Romulus Lestrange pour ce qui est de suivre le gamin partout et d'intimider quiconque lui voudrait du mal, même si l'Auror la demandait elle lui serait immédiatement refusée pour la pure et simple raison que le vieux bouc ne le supporte pas pour être un Poufsouffle et un membre du gouvernement qui a traîné dans la boue son nom de famille.

Tout ce que Perry est autorisé à faire, c'est apporter un macaron à Roshan lors de sa visite pour le mois de décembre. Piètre consolation, de regarder le gamin engloutir le gâteau avec la retenue et l'élégance du grand méchant loup apercevant trois cochons grassouillets en train de faire la sieste dans un enclos sans surveillance, ton grand-père ne te nourrit donc plus ?

Bien sûr que Romulus Lestrange ne risquera pas d'affamer son Héritier, mais il n'est pas non plus le genre grand-parent attentionné qui bourre ses descendants de friandises dans le dos de papa et maman, plutôt le genre répressif qui estime que le sucre est un luxe dont l'existence peut très bien se passer. Il va tolérer les exceptions que sont les anniversaires, certes, mais il n'ira pas acheter du chocolat pour les placards de la cuisine.

C'est l'une des nombreuses injustices mesquines qui donnent envie à Perry de repartir du Manoir Lestrange avec Roshan dans les bras, pour emmener le garçon de l'autre côté de la Manche ou plus loin, du moment que personne ne vienne plus déranger le pauvre gosse. Une impulsion qui ne se réalise jamais, vu que l'Auror n'a jamais brillé pour ce qui était d'apprendre les langues étrangères et qu'il sait très bien ce que les gens pensent des kidnappeurs d'enfants, fourgués dans un sac unique sans se soucier de la pureté de leurs intentions.

Cruelle ironie de la vie, que Perry soit devenu un Auror pour protéger les gens vulnérables et qu'il ne puisse rien faire pour un plus vulnérable que les trois quarts du monde sorcier.