Environ trois semaines et demi avant le neuvième anniversaire de Roshan (un autre chiffre puissamment magique, quoique moins que sept pour des raisons symboliques et mathématiques que le jeune garçon ne comprenait pas encore très bien et qu'il doutait pouvoir pleinement comprendre à moins d'étudier l'Arithmancie longtemps après avoir quitté Poudlard) Grand-père fit une belle frayeur à tout le monde, et oui cela incluait Perry l'Auror, en tombant assez gravement malade pour que le guérisseur attitré de la famille suggère Sainte Mangouste.

Grand-père avait rejeté l'option aussitôt, bien entendu. Déclarer qu'un homme de son âge, affaibli par la maladie, devrait se rendre en un lieu où les gens crevaient de maladie ? Et puis quoi encore ? Voudriez-vous lui tendre la pelle afin qu'il commence à creuser sa propre tombe ? Non, merci, quitte à subir les affres de l'agonie, le patriarche Lestrange choisirait plutôt de rendre son dernier souffle entre les murs de sa demeure ancestrale, au moins il ne serait pas cerné d'étrangers qui le tripoteraient et gêneraient ses derniers moments sous prétexte de lui infliger leur concept d'une mort respectable.

En fin de compte, Romulus ne mourut pas – il cracha bien du phlegme et plusieurs caillots de sang en abondance, et se retrouva cloué au lit près de deux mois, abandonnant son petit-fils aux soins de Grigri et de ses tuteurs et de Perry l'Auror ce qui constituait probablement le plus somptueux cadeau que l'enfant avait reçu jusqu'ici de son aïeul, mais sa constitution étonnamment robuste pour un sang-pur au pedigree marqué par la consanguinité flagrante vint à bout de son accès de pneumonie.

« Hors de question » grommela le vieillard en soufflant tel un bœuf, alors que son petit-fils avait obtenu l'autorisation de le visiter sans crainte de contracter son affliction, « hors de question que je ne meure avant que mon Héritier soit prêt à guider ma lignée sans devenir la marionnette d'un Malefoy ou du Ministère. Je ne le permettrais pas. »

Roshan avait gardé le silence, bien conscient que les rejetons étaient supposés être visibles et non audibles. Et puis un regard féroce s'était dardé sur lui, cherchant à l'empaler vicieusement, et le garçon aux yeux orangés avait failli trembler sous l'assaut, ne se reprenant que de justesse grâce à des années consacrées à apprendre l'étiquette et à se faire rabrouer au moindre signe de mollesse ou de faiblesse.

« Tu aimerais cela, hein ? » avait questionné Romulus Lestrange, ses prunelles brasillant de l'étrange démence lucide couvrant ceux qui hésitaient à franchir le seuil menant à l'au-delà. « Tu aimerais que je disparaisse pour de bon de ta vie ? »

Question inattendue et tout à fait inappropriée, surtout quand le récipient s'avère être votre propre descendant, et quand vous soupçonnez la réponse d'être un oui franc et massif. L'Héritier Lestrange ne l'avait pas fourni, ce oui, seulement en se mordant le bout de la langue pour ravaler la confirmation spontanée lui montant aux lèvres.

Merci infiniment, Mademoiselle Yaxley, pour lui avoir seriné qu'un vrai gentleman n'oublie jamais l'étiquette, y compris dans les situations les plus graves. L'étiquette, c'est ce qui sépare les gens des bêtes, après tout.

Il avait traité la vulgarité de son aïeul comme une question rhétorique, et n'avait rien répondu. C'était ainsi que Grand-père le préférait, de toute façon un garçon silencieux qui ne le contredisait pas.

Le vieillard avait retroussé des lèvres décharnées sur ses dents vaguement jaunies alors qu'il s'affalait en arrière sur les oreillers de son lit.

« Bien sûr que tu aimerais cela, tu me hais. Comme si j'avais besoin de ton affection, ha. »

Sur ces mots impérieux, le patriarche avait agité une main aux articulations blanchâtres et enflées, donnant l'autorisation de s'enfuir à Roshan qui s'en était aussitôt emparé.

Par la suite, Romulus n'avait fait aucune allusion à ce bref échange à sens unique – pouvait-on parler de monologue, en ce cas ? – et Roshan aurait été très heureux d'enterrer l'incident tout au fond de sa mémoire pour ne plus l'en extirper jusqu'au Jugement dernier. Seulement, c'est plus facile à dire qu'à faire, oublier des mots aussi cruels.

C'est cruel, d'accuser son petit-fils de se réjouir de votre mort. Et c'est cruel aussi, de se réjouir de la mort d'un membre de votre proche famille, n'est-ce pas ? Tant pis si vous ne l'aimez pas beaucoup, Miss Yaxley a été formelle, les règles de la bienséance insistent sur le degré de chagrin approprié à un enterrement alors ça veut dire que le chagrin est incontournable, et quand le sujet de la mort vient sur le tapis Perry l'Auror prend une mine triste à pleurer alors il ne fait que confirmer l'opinion de Miss Yaxley.

Et pourtant, Roshan n'éprouve aucune tristesse à la perspective de la mort de Grand-père. Juste une certaine inquiétude à la perspective de quitter le Manoir Lestrange, parce que c'est défendu pour un mineur d'habiter tout seul même avec un elfe de maison pour les travaux ménagers et des tuteurs qui passent souvent pour vérifier qu'il n'a pas eu d'accident, pour aller habiter chez tante Narcissa et devoir endurer cousin Drago à longueur de journée, le blond plus jeune est tolérable à petites doses mais le supporter plus longtemps qu'une visite, la perspective donne mal aux dents au garçon doté de frisettes brunes.

Est-ce un signe qu'il est une personne horrible ? Autant que Grand-père, autant que ses parents ? Il ne peut pas s'empêcher de poser la question tout-à-trac à Perry l'Auror, parce que si quelqu'un peut discerner une personne horrible dans la foule, ce sera forcément l'agent supposé les arrêter pour les traîner devant le tribunal.

Perry demeure muet un long, interminable moment, et Roshan sent les larmes lui picoter les paupières alors qu'une voix lui murmure dans l'oreille que l'adulte s'apprête à répondre par l'affirmative, et il va se mettre à détester Roshan parce que c'est son métier, évidemment qu'il ne voudra pas se compromettre avec un futur criminel.

Et puis Perry s'agenouille et pose les mains sur les épaules de Roshan qui frissonne sous le poids du contact physique.

« Je ne pense pas » articule soigneusement l'adulte, prudent et un peu hésitant, « que tu sois un garçon horrible. Mais je pense que tu es un garçon coincé dans une situation horrible à laquelle il n'existe pas de bonne solution, et c'est affreux pour toi parce que ça t'arrive et que ce n'est jamais drôle de vivre ça. »

Roshan renifle au lieu de trembler de soulagement indicible, parce que Perry l'Auror ne le déteste pas en dépit de son aveu, et c'est un peu marrant qu'il choisisse de faire passer l'enfant de criminels avant son métier. Mais surtout, c'est rassurant pour le jeune Héritier Lestrange.

Si Grand-père meurt un jour, ce qui va définitivement arriver et bientôt parce que le Patriarche Lestrange est âgé et que l'accès de pneumonie n'a pas aidé sa santé en général, Roshan a la ferme conviction qu'il n'éprouvera pas une miette de chagrin alors qu'il assiste aux funérailles. Mais si Perry l'Auror a un accident, ou qu'un criminel le tue pendant qu'il effectue son service ?

Là, Roshan a la conviction tout aussi ferme qu'il sera inconsolable, pendant longtemps. Même s'il n'existe aucun lien de parenté entre l'Auror et l'Héritier Lestrange, même s'ils appartiennent à des milieux sociaux entièrement différents qui ne se sont croisés que par hasard, que par la faute d'une tragédie et ont refusé de se démêler ensuite.

C'est drôle, mais c'est comme ça.