C'est vers le milieu du mois de mai 1991, à peine plus de trois mois avant la rentrée officielle de Roshan à Poudlard en tant que sorcier de premier cycle, que la santé d'Arcturus Black se dégrade de manière soudaine et inquiétante.

Roshan n'a jamais eu d'interaction personnelle avec le patriarche de la Noble et Très Ancienne Maison de Black, si bien que la convocation soudaine – et il s'agit réellement d'une convocation, pas d'autre terme pour définir la chose, ce n'est pas comme si le garçon peut refuser de se présenter, qui va refuser les potentielles dernières volontés d'un vieillard n'en ayant plus pour très longtemps? Alors tant pis pour son vague malaise, il ira – le prend un brin au dépourvu, mais que faire si ce n'est se plier à l'étiquette?

Grigri repasse soigneusement son veston noir, sa chemise noire et son pantalon noir, cire ses bottines impitoyablement jusqu'à ce que le cuir reflète la lumière du soleil, et s'acharne une bonne demi-heure sur les frisettes butées coiffant son petit maître avant de s'avouer vaincu et de les nouer en une petite queue de cheval à l'aide d'un ruban bleu marine, quand Roshan se laisse un peu pousser les cheveux les boucles s'étirent sous leur propre poids et se rebellent un tantinet moins contre le peigne, mais juste un tantinet, et voilà, il est présentable pour offrir ses condoléances à un doyen sur son lit de mort.

C'est déjà cela, le minimum de politesse et de savoir-vivre, le minimum de décence à fournir face à la mort, tant pis si vous connaissez à peine le mourant alors qu'il figure sur votre arbre généalogique. De manière assez confuse. Roshan ne sait pas trop quel degré de cousinade il atteint avec Arcturus Black, troisième de ce nom, patriarche de sa Noble et Très Ancienne Maison. Il pense qu'ils sont cousins au troisième degré? Ce serait probablement plus simple, bien qu'incorrect, de s'adresser à lui comme grand-oncle, ou tout bêtement de l'appeler Lord Black, cette seconde option risque encore moins.

Afin de se décrépir dans la paix et la tranquillité, Arcturus Black a choisi de déménager dans une propriété assez modeste de la campagne, à peine deux étages et basiquement au beau milieu des champs, il fait vraiment savoir que c'est là pour venir frapper à la porte. Évidemment, avec la magie, utiliser la cheminette ne nécessite pas l'ombre d'une carte.

Quand Roshan arrive, il est reçu par la bientôt veuve, Melania Black née Macmillan, qui le remercie doucement d'être venu et l'embrasse sur les deux joues avant de l'introduire dans un salon où sont assis plusieurs personnes parmi lesquelles tante Narcissa et cousin Drago, et plusieurs autres visages que le garçon aux yeux orangés a déjà aperçu lors de l'enterrement de Walburga Black, qui était la belle-fille d'Arcturus de son vivant et ça sonne un brin étrange, un zeste à l'envers, enterrer votre belle-fille avant votre propre mort. Eux aussi ont reçu une convocation, et maintenant ils se retrouvent à patienter pendant qu'ils défilent un à un dans la chambre du patriarche à l'agonie.

Roshan préfère rester assis à côté de Melania jusqu'à ce que vienne son tour, il n'est pas d'humeur à jouer aux cartes avec Drago et sa tante, et la pauvre vieille dame mérite qu'on s'occupe d'elle vu qu'elle se retrouvera bientôt privée de son mari avec qui elle semble bien s'entendre, si elle ne l'appréciait pas elle n'aurait pas le regard mouillé et la lèvre vacillante sous ses cheveux blancs.

Et puis vient le moment, et il faut respirer un grand coup et se faufiler dans la chambre aux rideaux semi-tirés sur la pointe des pieds, ce qui n'est pas nécessaire ou traditionnel mais ça vient d'instinct à Roshan. Arcturus Black est assis dans un fauteuil rembourré, les yeux fermés et le visage décharné, et sans le sifflement crachotant de ses poumons il pourrait être déjà passé de l'autre côté.

Puis les paupières fripées s'écartent, et deux yeux sombres comme des puits se fixent sur le jeune Héritier du nom Lestrange.

«Alors, tu es le rejeton de Bellatrix» commente le patriarche, non sans difficulté, luttant visiblement contre le besoin de tousser. «Je reconnaîtrais cette tignasse n'importe où. Elle la tenait de sa grand-mère maternelle, sais-tu? Une Potter, il y a longtemps. Mais ces yeux, tu as les yeux Lestrange.»

Roshan ne répond pas. Il déglutit et s'efforce de ne pas trop peser sur ses talons, il ne veut pas tomber à la renverse et se casser le fondement devant ce regard sombre.

«Alors» répète Arcturus, et il crachote dans sa paume, les intervalles de son souffle rauque et bruyant se rétrécissant à quelques secondes pendant trois bonnes minutes avant de se rallonger à nouveau. «Élevé par Romulus Lestrange, hein? Je suppose qu'il ne t'a pas dit du bien de tes parents?»

«Grand-père» articule délicatement Roshan qui voudrait désespérément se trouver ailleurs, «ne parle pas de mes parents. Du tout.»

Les lèvres maigres du vieil homme se retroussent sur des dents étonnamment bien entretenues pour un nonagénaire, formant un sourire horrifiant.

«Pas grand-chose mais mieux que ton cousin. Lucius Malefoy lui pourrit la cervelle, sais-tu? Jamais arrêté, parce qu'il a prétendu avoir été sous la contrainte. Ah! Le beau mensonge.»

Arcturus Black tousse, ses épaules tressautant sous son épaisse robe de chambre en velours violet.

«Le beau mensonge» répète le vieillard, «et ce moutard croit que c'est la vérité. Il part mal, ce morveux, il se laissera embobiner par les même pièges que son père, il fera les mêmes erreurs. Il ruinera ma Maison s'il peut en hériter.»

Roshan fixe l'accoudoir lourdement brodé du fauteuil et prie pour qu'il soit bientôt congédié. La conviction du patriarche que la déchéance de sa lignée s'apprête à tomber dans le futur proche le dérange furieusement – quand on est sur le point de rendre l'âme et descendre dans la tombe, on devrait pouvoir se consoler avec de bonnes nouvelles, avec la conviction que derrière soi restera un élément positif. N'avoir que la certitude qu'on ne sera pas là pour assister à la catastrophe finale, cela semble bien peu comme compensation.

«Petit. Approche» siffle le doyen, et c'est un ordre, alors Roshan approche, quel mal peut donc infliger ce vieillard dans son actuelle faiblesse physique?

Une main flétrie se pose sur son épaule et ne parvient pas à la serrer. Deux puits noirs scrutent les prunelles orangées.

«Si c'est inévitable… alors détruis le nom Black, petit. Le nom et tout ce qui vient avec» commande Arcturus Black, un patriarche qui pendant plusieurs décennies a préservé l'héritage qu'il intime désormais à un gamin d'annihiler. «Détruis-le… plutôt que permettre à ton cousin et son maudit père de finir ce que ta mère et mes petit-fils ont commencé. Plus d'humiliation. Rappelle-toi ça.»

«Ce sera comme vous voudrez, Lord Black» réussit à bafouiller Roshan sans se mâchonner la langue, un miracle mineur s'il en fut jamais.

Il est terrifié, et il ne veut pas répondre par l'affirmative, mais Arcturus Black est sur son lit de mort, et ce n'est pas comme s'il demande à Roshan de commettre un crime, n'est-ce pas? Il veut simplement éviter que sa Maison continue d'être associée avec l'agenda des Mangemorts, et c'est impossible de lui en vouloir pour cela.

Un sourire étire à nouveau les commissures décharnées, et la main aux articulations enflées ne pèse pas davantage qu'un feuillet de papier sur l'épaule du garçon aux frisettes brunes.

«Bon petit» le déclare le patriarche. «Sauve-toi, maintenant. Dis à Lucretia de venir me voir.»

Roshan ne se le fait pas dire une seconde fois, et s'éclipse de la chambre aussi vite que possible sans donner l'impression de s'enfuir.

Il ne pense pas avoir très bien réussi.