Perry apprend le décès d'Arcturus Black, troisième de ce nom, patriarche de la Noble et Très Ancienne Maison de Black, quand Amélia Bones le convoque dans son bureau vers la fin mai. Ce qui tout d'abord le laisse confus, parce qu'il ne comprend pas exactement pourquoi il a besoin de savoir cela ? Ce n'est pas comme s'il était de la famille du vieux fumier prétentieux.
Sauf qu'il visite régulièrement quelqu'un de cette famille, se souvient l'Auror. Le degré de parenté n'est pas clair, mais Roshan est un petit-neveu du doyen défunt ou quelque chose dans ce goût-là, et si le garçon qui est sur le point d'entamer ses études figure sur la liste des héritiers d'un Lord aussi riche et aussi versé dans la magie noire que l'était Arcturus Black…
Il avale sa salive avec difficulté et redresse les épaules. Sa cheffe de service l'observe d'un œil attentif, attendant visiblement qu'il termine de dérouler le fil de sa pensée.
« Le testament a-t-il été ouvert ? » interroge Perry, le cœur battant la chamade sous le coup d'une puissante anxiété.
Que contient donc ce testament ? En tant que roturier et satisfait de son sort, l'Auror n'est pas très informé des subtilités de la succession nobiliaire et de la transmission des biens au sein de la famille. Cependant, il pense que l'Héritier d'un titre et de la propriété principale rattachée à ce titre est incapable de s'en dépouiller, même s'il n'en veut pas ou qu'il est endetté jusqu'aux yeux et qu'une vente le renflouerait largement. Apparemment, ça vise à conserver l'essentiel de l'héritage dans la lignée principale, sans avoir à redouter qu'un cousin vienne contester la décision et vous jette à la porte sous prétexte qu'il est mieux qualifié.
Le truc, c'est ce qui arrive quand il n'existe plus d'Héritier, ou que celui-ci est incapable d'assumer ses responsabilités. Dans ce cas, Perry suppose qu'il existe davantage de latitude, et avec la famille Black réduite à peau de chagrin, une troupe de vieillards attendant la mort et des enfants qui ne portent même pas le nom et sont supposés reprendre des biens totalement différents par le biais de leurs pères respectifs, les juristes, avocats et autres notaires ont probablement déterminé qu'une exception était possible – ces gens-là aiment quand l'argent circule, ça leur permet de toucher une commission pour vivre.
Que pourrait donc avoir légué Arcturus Black à son jeune descendant de la lignée Lestrange?
Amélia Bones n'est pas légilimencienne pratiquante, elle n'est pas enregistrée comme pourvue du talent dans son dossier, mais elle semble néanmoins lire dans les pensées de son subordonné et laisse échapper un soupir.
« Ouvert et lu, et bien entendu ça a provoqué du mécontentement. Les histoires d'héritage, ce n'est jamais beau à voir, les notaires font de leur mieux pour que chaque personne supposée recevoir quelque chose crie au vol et s'estime frustrée de ses droits. Ils appellent cela un bon compromis, puisque ça ulcère autant les uns que les autres. »
Perry grimace et touche subrepticement le bois de son siège pour que lui et ses sœurs ne finissent pas de la sorte une fois leurs parents morts. Au moins sait-il déjà qu'il ne s'estimera pas grugé si sa mère ne lui lègue pas le contenu de sa garde-robe, Merlin peut témoigner qu'il est heureux en pantalon plutôt qu'en jupons.
« Et les parties outragées par la lecture du testament ? Qui sont-elles ? »
Amélia Bones renifle hautainement.
« Lucius Malefoy, qui d'autre ? En temps normal, son gamin n'aurait pas l'ombre d'une chance de toucher à la fortune Black, mais avec les petit-fils du doyen dans la tombe ou coincé à Azkaban, il aurait pu plaider sa cause. Seulement, le garçon est de sang Black par sa mère, et Narcissa Malefoy est la benjamine de sa fratrie, si bien qu'elle ne peut pas invoquer le droit d'aînesse pour son fils. »
Perry bat des paupières. Aînesse, qu'est-ce que c'est que ça ? Pas la femelle d'un baudet, non, mais il s'y connaissait tellement mal en termes juridiques… Question crimes et délits et les punitions appropriées pour leur degré de gravité, c'était son fort, pas les histoires de querelles dynastiques qui pouvaient mener au vol ou au meurtre.
Il devait avoir l'air tellement paumé que sa cheffe se décide à lui expliquer.
« C'est le droit du premier-né, généralement mâle, à accaparer la totalité des biens du foyer pour préserver le domaine ou l'exploitation. C'est davantage en vigueur sur le continent, et je pense que les légistes de Malefoy voudront jouer sur cet angle, mais avec les avocats d'Arcturus payés grassement d'avance et sa veuve pour les culpabiliser gentiment, l'histoire devrait s'éterniser juste assez pour que Roshan atteigne sa majorité et gagne accès au titre et aux propriétés Black. »
« Sa majorité » répète Perry, provoquant un hochement de tête chez son interlocutrice.
« Oui, et à condition qu'un descendant mâle plus direct ne fasse pas son apparition. Franchement, vu la tendance de Sirius Black à jouer les jolis cœurs, ce n'est pas tellement improbable qu'il ait eu un bâtard ou plusieurs dans les quatre coins du pays, mais il faut que ces bâtards se présentent à Gringotts, et qui voudrait avouer être le fils de Sirius Black ? Même avec un titre nobiliaire et des monceaux d'or à la clef ? »
Un argument imparable. Si Perry se trouvait dans pareil cas de figure, il choisirait vraisemblablement de couler des jours paisibles dans l'anonymat. Après tout, il se débrouille bien, et il n'a pas à se coltiner des voisins enragés crachant sur son passage parce que son père a massacré treize personnes dans un coup de sang.
Miséricorde, c'est bientôt la rentrée à Poudlard et Roshan va se retrouver plongé dans un milieu où il lui faudra côtoyer des enfants et adolescents ayant appris à considérer Bellatrix et Rodolphus Lestrange comme l'incarnation du mal sur Terre. Pauvre gosse, peut-être qu'en fin de compte ce n'était pas une si mauvaise idée pour lui d'avoir un professeur particulier d'escrime, de la sorte il pourra vaguement se défendre si un camarade de classe ou pire, un élève plus âgé souhaite lui faire passer un mauvais moment pour des crimes dont il n'est certainement pas responsable, mais pour lesquels il a l'infortune de partager le sang du coupable.
Et maintenant, à ce souci devra s'ajouter un supplément d'héritage qui ne manquera pas de lui attirer l'irritation de Lucius Malefoy, et la mesquinerie de cet homme ne connaît nulle borne, il fera de son mieux pour persécuter le cousin de son fils et gâcher ce qui devrait être une période d'apprentissage enthousiaste et de découverte de soi et de ses passions.
Parfois, Perry se demande si le jeune Héritier Lestrange avec ses yeux orangés et son indomptable tignasse n'est pas né sous une étoile enragée, pour se traîner pareille déveine depuis sa plus tendre enfance, mais vu qu'il n'a pas étudié sérieusement la Divination, il ne peut pas affirmer avec certitude que c'est telle ou telle conjonction malencontreuse de planètes dans le ciel nocturne qui persiste à s'acharner sur Roshan pour le priver d'une existence ordinaire, où ses pires soucis seraient l'apparition de points noirs et l'obligation de rédiger une dissertation sur un obscur évènement historique au lieu de se glisser entre les couettes pour ronfler tout son saoul.
Espérons qu'il parviendra à grappiller ça et là des miettes de normalité, entre deux vagues de malchance tenace.
