Journal de bord du capitaine Giacometti. Jour 291, an 12.
L'interrogatoire du Goa'uld piétine. Tout ce qu'on a obtenu pour l'heure, c'est des regards dédaigneux, des menaces de morts, et des rires méprisants. Je commence à comprendre pourquoi le colonel Sheppard déteste tant interroger des wraiths…
Après, je sais pas si c'est une bonne ou une mauvaise nouvelle, mais le symbiote semble avoir de plus en plus de mal à garder le contrôle de Gual'kan. Les deux semblent souffrir terriblement. D'après les vidéos du Dr Jackson, les Goa'uld régénèrent dans une certaine mesure. Liu pense que le corps de Gual'kan tente de se débarrasser du parasite en le « digérant » et que ce dernier ne cesse de régénérer les dégâts… C'est une théorie intéressante, et qui aurait l'avantage d'expliquer ses pertes de contrôle... Personnellement, je pense qu'elle est correcte. Ou que c'est quelque chose d'approchant. Dans tous les cas, les « crises » se rapprochent de plus en plus et durent de plus en plus longtemps. On est passé de micro-pertes de contrôle permettant à peine à Gual'kan de lancer un appel télépathique à plus de dix secondes de « liberté ». Il m'a supplié de le tuer. J'ai refusé. Je lui ai dit de tenir le coup. Que ce serait bientôt fini. J'espère ne pas m'être trompé... J'espère que Liu ne s'est pas trompée… On ne peut rien faire pour lui. Pas ici. Pas maintenant. Nous n'avons ni le matériel, ni le chirurgien pour réaliser une telle opération. Il n'a que deux espoirs. Soit il gagne seul cette bataille contre ce sale parasite, soit on le met en stase et on espère qu'à la maison, des gens plus compétents pourront l'aider… Sauf que… sauf que… je suis presque sûr que si on le ramène, la priorité de Delleb et de ses officiers sera d'extraire le maximum d'informations du symbiote, pas de sauver mon guerrier. Bref… j'espère de tout cœur qu'on en arrivera pas là.
Tom Giacometti, fin d'enregistrement.
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Ils étaient sur le point de renoncer, ayant essayé toutes les approches d'interrogatoire sans contact direct auxquelles ils pouvaient penser.
Liu avait essayé de lui crier dessus. Tom avait essayé de raisonner calmement avec le symbiote. Jer'kan et les deux guerriers les plus baraqués du vaisseau avaient tenté de l'effrayer, en vain.
Il était en train de triturer une miette coincée sous une de ses griffes tout en se creusant les méninges dans un coin du réfectoire, désert à cette heure, lorsque Menu s'était approchée, son air de matrone terrible se disputant ses traits à la docilité soumise de l'adoratrice.
Relevant la tête, il lui indiqua d'un grondement neutre qu'elle pouvait parler.
« Capitaine. A propos du parasite qui a infecté le seigneur Gual'kan… Il… euh… il paraît que l'interrogatoire ne se passe pas bien ? »
« En effet. »
« Pardonnez mon audace, maître (il grinça au terme)… mais je suppose que si vous l'interrogez plutôt que de le retirer de la tête du noble seigneur Gual'kan, c'est qu'il doit avoir des informations capitales ? »
Il soupira. Autant dire la vérité à la cuisinière. Ce n'était de toute manière pas un secret.
« On n'a pas de quoi retirer le symbiote à bord. Pour ça, il nous faudrait rentrer sur Oumana. Et si d'ici-là, on peut obtenir des informations de cette saleté, ce sera déjà ça de pris. »
La femme opina, pensive, les lèvres pincées. Elle se balança d'un pied sur l'autre, jeta un regard furtif à Tranche, son assistant, et à Argent qui, tous deux mal dissimulés derrière la porte de la cuisine, suivaient l'échange de loin.
« Avec les autres adorateurs, on a peut-être eu une idée, maître… »
« Menu, qu'est-ce qu'on a dit à propos de maître ? »
« Je vous présente mes plus plates excuses, monseigneur. »
Il soupira. Même lorsqu'il était enfant, la femme peinait à ne pas lui donner du « maître », ou du « monseigneur » et autres appellations ridicules. Alors, maintenant qu'il était adulte et capitaine de bord…
« Bon, donc, tu disais ? Vous avez eu une idée ? »
« Oui, Capitaine. Peut-être qu'on pourrait essayer de le faire parler. »
Clignant des yeux, il fixa la femme d'un air surpris. Les adorateurs qui formaient le petit personnel de bord – cuisiniers, mousses, concierges et autres tâches ingrates – étaient bien les derniers qu'il aurait envoyés interroger un prisonnier dangereux.
« Qu'est-ce que vous pourriez en tirer de plus que, disons… Liu ? »
L'humaine rougit.
« Argent a vu les vidéos du monsieur terrien en salle de contrôle. Celui qui dit que ces parasites sont habitués à être traités comme des dieux. A être servis par des esclaves humains… »
« Oooohhh… »
Un sourire carnassier apparut sur ses lèvres. Il opina, et d'un geste convoqua les deux autres adorateurs qui suivaient toujours depuis leur cachette.
« Excellente idée… Excellente… Vous pensez être capables d'endormir sa vigilance et de le faire parler ? »
« On peut essayer, monseigneur » opina Tranche en arrivant avec un sourire fier.
Remettant machinalement une mèche de cheveux en place, Tom réfléchit.
« Mais comment faire pour le tromper… Si vous arrivez juste comme ça, il va se méfier. »
« Il faudrait que les gardes sortent un moment. Qu'on puisse se glisser, comme si on venait là sans en avoir vraiment le droit. On pourrait faire semblant de croire à ses histoires de dieu. » proposa Argent.
« Mais pourquoi vous croirait-il ? »
« On lui dira la vérité… Enfin, en quelque sorte… On est vos serviteurs. Ça fait des générations et des générations qu'on vous sert d'esclaves. On a toujours cru que rien ni personne ne pouvait vous défaire… » suggéra Menu.
« …Mais il est là, contrôlant un de nos seigneurs comme une vulgaire marionnette. Donc il est forcément un dieu, un vrai de vrai… » poursuivit Tranche, son ton émerveillé seulement démenti par son air dégoûté.
« Mmmh, oui, s'il est à moitié aussi vaniteux que je le soupçonne, ça pourrait marcher. Mais il va vous demander des preuves. Comment les lui fournirez-vous, sans mettre tout le monde en danger ? »
Les trois adorateurs réfléchirent un moment.
« Ah ! Je sais ! » s'exclama Argent. « On n'est que des esclaves, on n'a pas accès aux commandes critiques ni à rien d'important, c'est évident, et on n'y connaît rien en technologie. C'est un secret des seigneurs, ça… mais on pourrait quand même essayer de saboter sa cellule pour le faire sortir…sans y arriver, bien sûr… »
« Oui. Vous ne parviendriez qu'à éteindre la lumière… ou à « couper » les caméras de la salle. C'est une bonne idée ! Vous avez mon feu vert. »
D'un seul et même geste, les trois serviteurs s'inclinèrent bien bas, manquant de se fracasser la tête contre le bord de sa table.
« Merci, monseigneur ! »
Roulant des yeux, il leur fit signe de se mettre au travail.
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Assis dans son fauteuil de capitaine, il surveillait le pont tout en suivant avec intérêt les manigances des trois adorateurs sur les moniteurs des cellules. Selon leur petit plan, ils avaient déjà « débranché » la caméra, et amené un succulent repas au Goa'uld – qui l'avait à peine goûté, incommodé par les dents pointues de son hôte.
A présent, Gual'kan parvenait à prendre le contrôle de son corps pendant presque vingt secondes à chaque fois. Ignorant à quel point le symbiote pouvait lire dans son esprit, Tom n'avait pas osé lui transmette plus qu'un ordre strict de ne pas attenter à sa vie, et le plus de courage et de confiance qu'il puisse lui offrir.
Les trois adorateurs avaient le bon sens de soigneusement ignorer le guerrier, quoique cela puisse en coûter à leurs croyances. A la troisième visite d'Argent, ce dernier obtint les premières informations de valeur. Le Goa'uld se prénommerait Maahes, le Juste à Ses Côtés, Maître des Massacres, Seigneur Ecarlate, Porteur du Couteau, Fils bien-aimé de Sekhmet - Reine des Hécatombes –, Grand Commandant des Divines Forces Armées de la Maîtresse de la Peur devant laquelle les ennemis de Râ tremblent et succombent. Les informations furent immédiatement transmises aux deux archéologues terriens, qui confirmèrent avoir des légendes correspondantes sur Terre.
Le lendemain, alors que Menu et Tranche amenaient un autre festin qui fut à peine touché, ils en apprirent davantage, alors que le parasite demandait des informations sur les conditions de la récupération de son vase canope - contenant qu'ils apprirent être l'équivalent d'une cellule de stase à l'échelle de ces créatures. Maahes avait été envoyé vers le monde esclave de Taremu en compagnie de son frère, Nefertum, afin d'y raviver le culte de Sekhmet par tous les moyens nécessaires. Maahes ne semblait guère porter dans son cœur son frère, qu'il qualifia d'idiot seulement obsédé par la recherche de l'hôte parfait. Dès que le symbiote fut informé de la présence du second vase canope à bord, il ordonna à Tranche d'aller l'ouvrir et de se laisser parasiter par son hôte.
Ce qui était bien entendu impensable. Tom organisa donc une réunion de crise pour déterminer la suite du plan. Jiu suggéra que Tranche prétende que le vase avait subi une malfonction et que son pensionnaire était mort. Ils ignoraient complètement si c'était possible, mais il devenait de plus en plus évident que le symbiote n'était pas en train de gagner la guerre contre le système immunitaire de son hôte. Autant tenter avant qu'il ne soit mort.
Que le plan ait fonctionné ou que le Goa'uld n'ait plus le temps de se soucier de tels détails, peu importait. Maahes ne sembla même pas remarquer le soi-disant échec de l'adorateur, et à la place, le pressa de trouver un moyen d'ouvrir sa cage. A défaut, d'aller chercher un immense sarcophage d'or à bord de son vaisseau, et de convaincre le reste de l'équipage de l'y mettre, le plus vite possible.
Toutes ces nouvelles informations furent transmises aux scientifiques, mais également à Liu qui, en compagnie d'une petite équipe, repartit prudemment à bord du vaisseau pour étudier ledit sarcophage, qu'il avait repéré dans les appartements royaux explorés avec Jer'kan trois jours (ou une éternité) plus tôt.
L'objet devant peser dans les deux tonnes et faire presque quatre mètres de long, l'équipe revint les mains vides. La priorité n'était plus de récupérer des technologies intéressantes, mais de réparer l'Utopia.
Il renvoya donc Liu et son équipe en soutien de Léonard et les trois adorateurs vers le Goa'uld, avec consigne de lui dire que le sarcophage avait été repéré mais qu'ils ignoraient comme l'activer, ou ne serait-ce que le déplacer.
Ils n'en eurent pas le loisir. A peine Argent eut-il refermé la porte derrière eux, dans un simulacre de discrétion, que Gual'kan tombait face contre terre, secoué de terribles soubresauts.
Les trois adorateurs se ruèrent en avant, tentant en vain de venir en aide au guerrier. Même si Tom ne craignait aucune trahison de leur part, il craignait leur cœur et leur croyance, et ne leur avait pas donné les clés de la cage.
Bien lui en avait pris. Moins d'une minute plus tard, le wraith retombait mollement au sol comme une marionnette dont on aurait tranché les fils, alors que de la chair de sa nuque, un être serpentin s'extrayait, ondulant à toute vitesse en direction des humains massés devant les grilles énergétiques.
« Daren ! Intervention immédiate ! » beugla-t-il dans la radio, alors que simultanément la voix de Léonard annonçait platement sur l'intercom « Reboot des systèmes internes ».
Le Satédien, en position avec ses soldats dans le couloir juste devant la cellule – comme à chaque visite des adorateurs – se jeta sur la commande de la porte à l'instant exact où toute l'alimentation énergétique interne se coupa.
Le pont fut également plongé dans le noir, privé de lumière et des retours des caméras.
Tom jura, se relevant d'un bond, alors que certaines lampes et certains systèmes redémarraient en clignotant.
Les moniteurs se rallumèrent après d'interminables secondes, leur permettant de découvrir d'abord les soldats occupés à tenter de forcer à mains nues la porte déconnectée, puis dans la salle Menu, l'assiette de métal embossé ayant contenu la viande grillée du repas à la main en guise d'arme, tranchant systématiquement et frénétiquement ce qui ressemblait à une longue saucisse sanglante sur le sol.
La porte fut à nouveau alimentée en énergie, et il fallut la force de deux soldats pour ceinturer la femme, ivre d'adrénaline et de peur, et l'éloigner du petit cadavre, qu'ils criblèrent tout de même de tirs de blaster pour faire bonne mesure.
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Les restes du symbiote furent soigneusement rangés dans plusieurs conteneurs étanches puis congelés. Nul doute qu'ils trouveraient sur Oumana un ou deux scientifiques intéressés par la chose.
Afin d'éviter toute seconde mésaventure, Léonard bricola une ceinture d'explosifs pour le second vase canope. Si ce dernier venait à s'ouvrir, la caisse et tout son contenu voleraient en éclats.
Si une cuisinière pouvait massacrer un symbiote avec un plat, nul doute que l'équivalent d'une grenade en viendrait à bout.
Une fois le dispositif en place, l'ingénieur jura avec force grondements qu'il n'était plus disponible pour quoi que ce soit jusqu'à ce que les réparations soient finies.
Tom, n'ayant rien de plus urgent à lui demander, le laissa faire, se contentant en bon capitaine d'envoyer une équipe de reconnaissance en Jumper occulté sonder la planète au-delà du vaisseau pyramidal, afin de s'assurer qu'ils soient restés miraculeusement indétectés.
Le petit vaisseau n'était pas parti très loin. Ils étaient à des dizaines d'heures de vol de la planète et en cas de problème, il voulait pouvoir récupérer rapidement ses éclaireurs. Le simple fait de contourner la gigantesque ruine spatiale leur permit toutefois de capter une abondance de messages subspatiaux, toujours aussi incompréhensibles.
Une soixantaine d'heures plus tard, Léonard en était à lancer sa troisième batterie de tests afin de vérifier la solidité de ses réparations lorsque le Jumper leur apprit que c'était le moment de passer de la théorie à la pratique. Ils avaient détecté l'écho d'un radar longue portée scannant la zone.
Quelqu'un tout là-bas cherchait quelque chose. Il était temps de partir.
L'ingénieur n'était pas certain que les cristaux qu'il avait branchés en remplacement de ceux détruits tiendraient le coup. Mais ils n'avaient pas le choix. A défaut de rentrer dans Pégase, ils devaient au moins revenir sur Terre pour des réparations plus avancées.
Tom ordonna le calcul du saut le plus court possible – quatre secondes d'hyperespace. Un saut de puce. Qui avec un peu de chance les mettrait hors de portée d'éventuels ennemis, et donnerait des informations à l'ingénieur tout en limitant le risque de surcharge.
La salle des machines était toujours dépressurisée. Léonard et son équipe, en scaphandre, y resteraient pour la durée du vol.
Il aurait mille fois préféré avoir le scientifique génial avec lui dans la relative sécurité du pont, mais autant essayer de faire manger un guam qui n'a pas faim.
De toute manière, comme l'avait justement fait remarquer l'intéressé, s'il y avait malfonction, il y avait peu de chance que quoi que ce soit du vaisseau subsistât.
Le Jumper récupéré, la trajectoire calculée et validée par Léonard, Jiu et Ubris, Tom ordonna à tout le monde de bien s'accrocher. Graves, les techniciens de pont lancèrent la procédure, et durant quatre longues secondes, le temps sembla se suspendre. Puis la voix de Léonard, déformée par son scaphandre, résonna sur l'intercom.
« Saut hyperspatial réussi. Un pic d'énergie enregistré à l'entrée en hyperespace. Flux stable ensuite. »
« Ce qui signifie ? » demanda-t-il.
« Que moins on fera de sauts avec ce bricolage, moins on aura de chances de finir pulvérisés entre les dimensions. »
« On pourrait rentrer dans Pégase ? »
« Soit on explose à l'ouverture de la fenêtre, soit on rentre à la maison. »
« Alors on rentre. »
« A vos ordres, Capitaine. »
