Au guest de la cybersécurité, merci de la remarque sur le cryptage et le chiffrement, j'ai changé ça au chapitre précédent. N'étant clairement pas une experte en hacking, j'essaie de rester à peu près vague pour éviter de dire trop de bêtises. Idem pour le pilotage de vaisseau, qui ne doit pas être très orthodoxe dans ma description (si un pilote d'avion passe par là et peu m'aider, c'est avec plaisir!)

Et merci de l'avalanche de compliments, ça me rebooste énormément. ^^


Rapport de mission du quartier-maître Liu de la tribu de Sama, Jour 305, an 16, Vingt-cinq heures quarante-sept.

Ça fait très exactement trente jours que ce siège a commencé.

Le commandant Cel'mar nous a envoyé chercher des renforts il y a douze jours. En vain. Yghan'shi se sert du tiers restant de sa flotte pour harceler et attaquer toutes nos positions insuffisamment défendues. Delleb ne peut rien faire. Elle ne peut laisser les mondes clés sans protection et, avec le gros de la flotte coincé ici, ne peut pas envoyer de troupes sur les mondes attaqués.

Tout ce qu'elle peut faire, c'est essayer d'évacuer autant de civils que possibles des mondes secondaires. Mais on ne peut pas emmener tout le monde.

Ici, la situation reste atrocement équilibrée. Malgré notre opération de guérilla intensive, Yghan'shi parvient à détruire suffisamment de nos vaisseaux pour que le siège tienne, dans un sens comme dans l'autre.

En plus maintenant, l'ennemi sait qui nous sommes. Il faut sans cesse inventer de nouvelles approches et il est de plus en plus dur de les atteindre.

Si l'équilibre des forces ne se renverse pas très vite en notre faveur, je crains qu'il ne bascule contre nous.

Liu, fin d'enregistrement.

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Assis dans son fauteuil du pont, Tom se mordillait une griffe tout en réfléchissant, le regard fixé sur les éclats lointains des tirs sporadiques du blocus.

Ils dérivaient, silencieux et invisibles, dans le vide au large du champ de bataille, faute de lune ou d'astéroïde non surveillés derrière lesquels se cacher.

Quelqu'un chez Yghan'shi avait fini par comprendre que c'était là qu'ils devaient se cacher entre deux raids, et depuis, dès qu'ils cessaient d'attaquer pendant plus de dix minutes, un petit cuirassé se détachait pour aller, avec sa nuée de Darts, patrouiller tout leurs cachettes possibles.

Il était facile de l'éviter, l'espace trop immense pour qu'ils ne puissent pas s'y dissimuler, mais faute de couvert, ils ne pouvaient désactiver l'occulteur – et faire refroidir les générateurs prenait beaucoup plus longtemps, les forçant à diminuer la fréquence de leurs frappes.

Grondant vaguement, il se retint de triturer le renflement du bloqueur télépathique fiché sur sa tempe. Ainsi que tout son équipage wraith, il avait dû s'en équiper six jours plus tôt, lorsque Yghan'shi en personne était venue se joindre au combat en rejoignant la ruche amirale.

Si lever leurs barrières mentales suffisait à les dissimuler aux mâles ennemis, ils n'avaient aucune chance d'échapper à l'attention d'une reine. Les bloqueurs, étendant leurs tiges jusqu'au cœur de leur cerveau, était le seul moyen de rester parfaitement invisible sur la toile de l'Esprit. Plus qu'invisible, même, puisqu'ils n'y étaient pas du tout, absolument et parfaitement prisonniers de leur propre tête, aussi peu télépathes désormais que des humains.

Les bloqueurs télépathiques étaient des dispositifs aussi rares que pénibles à porter, et Léonard avait dû mettre au point un huitième chiffrement, rien que pour que le commandant puisse envoyer une requête urgente à Delleb qui, en un temps record, avait réuni tous les bloqueurs en possession des Ouman'shii et les leur avait envoyé.

C'était douloureux d'avoir cette chose plantée dans la tête, son corps ne cessant de tenter de l'éjecter pour guérir la blessure, mais pire encore était d'être coupé de la toile de l'Esprit. Il avait grandi, seul télépathe sur un monde désert. Mais ce n'était pas la même chose. Là, ce n'était pas qu'il n'y avait personne à portée de pensée, mais qu'il ne pouvait même pas tenter de savoir si c'était bien le cas. Il avait brusquement perdu un de ses sens, et il se sentait perdu. Diminué. C'était pire pour le gros de son équipage, qui pour la plupart n'avait jamais connu ne serait-ce que le silence de l'Esprit, et le moral des troupes commençait à s'en ressentir.
Il fallait qu'ils trouvent une solution, et vite !

En quête d'une inspiration subite, d'une pensée, il fit s'afficher les scans passifs de la zone de combat.

Il soupira. Au moins, lui pouvait toujours d'un trait de pensée contrôler l'Utopia, grâce à son gène. Au moins une chose qu'il pouvait encore faire avec son esprit.

L'hologramme se matérialisa devant lui, et il se mit en devoir d'étudier chaque vaisseau, chaque formation, en quête d'une brèche non encore exploitée.

Il y était depuis une bonne demi-heure quand Jiu, une tasse d'infusion à la main, vint le rejoindre.

Finalement, il leur fallut se rendre à l'évidence : il n'y avait plus de nouvelle faille à exploiter, et réitérer une attaque déjà menée les exposait à une réponse bien plus virulente que la première fois.

Alors qu'ils discutaient de quelle brèche exploiter avec le meilleur rapport risque-bénéfice, Léonard, venu vérifier quelque chose sur les écrans de contrôle, lança, sans même se retourner.

« Si toutes les failles externes ont été exploitées, il reste à s'attaquer aux failles internes. »

« Internes ? » répéta-t-il, un peu bêtement.

Avec Jiu, ils échangèrent un regard, alors qu'un sourire ravi lui montait aux lèvres.

« Les failles internes ! » hurlèrent-t-ils presque, de concert.

Aussitôt, se servant des bases de données de bord, ils se mirent à passer en revue les différents types de vaisseaux de la flotte ennemie.

L'ingénieur avait raison, il y avait des dizaines de failles qu'ils n'avaient pas exploitées, cachées dans le ventre des vaisseaux !

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Ils avaient un plan, et un grand !

S'ils réussissaient, Cel'mar pourrait sans doute briser le siège et mettre un coup fatal à l'armée ennemie. S'ils échouaient... Ils regretteraient sans doute de ne pas être simplement morts pulvérisés par un tir plasma.

Le commandant était prévenu de leur plan. L'équipage briefé, les volontaires recrutés. Ils étaient prêts.

Se levant, Tom frappa dans ses mains. Tant pour se donner du courage que pour attirer l'attention de son équipage de pont.

« Le commandement de l'Utopia est remis à Jiu. Il en est, jusqu'à nouvel ordre, le capitaine. »

Un « A vos ordres » au garde à vous lui répondit. Il sentit son cœur se serrer. Ce salut sonnait sinistrement comme un adieu.

Son frère humain se tenait à côté de lui, pâle et grave. Il lui fit face un instant, appuyant son front contre le sien, comme il l'aurait fait s'il avait pu tendre son esprit vers le sien, l'enlacer, lui dire, dans le secret de leur âme, combien il l'aimait et tenait à lui, mais il n'y eut que le geste, et prisonnier de sa propre tête, il pria pour ça suffise. Pour que Jiu comprenne ce qu'il ne pouvait lui dire. A la place, il parvint à murmurer un misérable « Bonne chance ».
Jiu opina, retenant avec peine quelques larmes.

« On a pas le luxe de s'en remettre à la chance. Je te promets de te rendre l'Utopia. Promets de revenir. »

« Je te le promets. »

Il s'écarta de son ami. Ils avaient une mission. Et il avait promis. Même mort, il ne savait pas comment, mais il la tiendrait.

Dans la baie à Jumpers, Jer'kan lui tendit son harnais tactique et l'aida à le boucler, alors que Daren, avec un sourire mauvais et un claquement sec. enfonçait pour lui un magasin de balles explosives dans le fusil-mitrailleur satédien qu'il lui tendit ensuite.

« Vous êtes sûr que vous voulez venir ? C'est l'opération la plus risquée. » nota Tom, fixant chacun des six volontaires qui allaient l'accompagner.

« Que les reines m'écorchent vif, si je laisse une larve de même pas un siècle aborder la ruche de cette maudite prétentieuse alors que je reste à me cacher en arrière ! » cracha Jer'kan. « Avec tout le respect que j'ai pour vous, hein, capitaine ! » ajouta-t-il ensuite en verdissant un peu.

Daren, soulignant son propos d'une balle armée dans la chambre, renchérit :

« Et moi, que je sois maudit si je laisse vivre une seule abomination verte alors que j'ai l'occasion de lui faire payer Satéda ! » cracha le guerrier. « Vous, vous tuez des salauds, alors ça va... » gronda-t-il en avisant quelques rictus mauvais autour de lui.

L'humain n'avait jamais caché sa haine des wraiths. Pourquoi il s'était porté volontaire pour embarquer à bord de l'Utopia, et y restait depuis bientôt cinq ans, alors qu'il ne cessait de clamer comme il serait heureux de ne plus jamais voir le bout du nez d'un wraith, échappait à tout le monde. Mais ce qui n'échappait à personne était la compétence du soldat, et c'était bien pour ça qu'ils le supportaient. Le respectaient, même.

Les autres acquiescèrent. Ils étaient tous volontaires, et ils iraient jusqu'au bout. Même Ibelym, que Léonard avait délégué auprès d'eux en tant que technicien, hacker et ouvreur de porte en chef.

Fin prêt, il s'assura d'un regard que tout le monde avait son équipement, puis d'un signe leur ordonna d'embarquer à bord du Jumper Deux, tandis que l'équipe d'abordage de Liu montait dans Jumper Un.

Déjà assis dans leurs cockpits respectifs, les cinq pilotes de Darts volontaires attendaient leur tour de décoller.

Passant devant eux, Tom s'arrêta et leur offrit le meilleur salut militaire dont il était capable. Sa mission était risquée, mais la leur bien plus mortelle encore.

La signature de leurs chasseurs était trafiquée, l'allumage également, et leur mission était de se faire passer pour des Darts d'Yghan'shi, de se poser dans les baies de différents vaisseaux lourds, d'enclencher la réaction en chaîne qui provoquerait l'explosion du vaisseau, et si possible d'en voler un autre avant la détonation pour s'en sortir. Ils partaient seuls, chacun de leur côté, sans soutien ni aide possible. Tous ne reviendraient pas, et ils le savaient. Lui aussi.

Une fois encore, il regretta de ne pouvoir leur montrer combien il était fier de les connaître. Combien il les respectait. Combien il savait leur sacrifice précieux. Il espéra que son salut suffirait.

Un instant ou deux, il resta ainsi, puis d'un pas vif, il partit vers son Jumper.

Devant la porte, Liu l'attendait.

Elle ne dit rien. Elle n'avait pas les larmes aux yeux. Mais les traits durs. Décidés.

Elle le prit dans ses bras. Le serra fort, leurs armes inconfortablement coincées entre eux. Un instant infiniment trop court, ils restèrent ainsi, puis elle le lâcha et, sans se retourner, monta à bord de son propre transporteur.

Sur les haut-parleurs, Jiu annonça :

« Jumper Un, décollage dans dix secondes. »

Il regarda le petit vaisseau s'élever doucement et, dans un scintillement, disparaître, puis alors que le décompte arrivait à zéro, les ondulations du bouclier de la baie lui indiquèrent que Jumper Un était parti.

« Jumper Deux, décollage dans soixante secondes. »

A regret, il embarqua et s'assit aux commandes. Il était temps d'y aller.

« Trois, deux, un... »

Occulté, il fit glisser le petit vaisseau hors du ventre protecteur de l'Utopia.
Ils étaient à quelques centaines de kilomètres de la ruche amirale, dont la masse sombre se détachait sur le fond de tirs et d'explosions du champ de bataille.

Tous ses sens en alertes, prêt à esquiver un éventuel tir perdu ou une épave spatiale, il se mit en route.

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Le plus long avait été d'attendre que la gigantesque porte blindée de la baie à Darts s'ouvre.

Se glisser, invisibles, derrière la poignée de chasseurs qui rentraient avait été facile. Se poser dans un coin désert tout en bas des ponts d'amarrage n'avait posé aucun problème.

Ils avaient attendu que l'escouade rentrante ait quitté la zone pour sortir de l'abri de l'occulteur, puis s'étaient mis en route.
Premier objectif : les relais de communication. Ubris avait étudié les quelques milliers de transmissions interceptées, se concentrant sur le commandant de flotte ennemi, et grâce aux données récoltées, avait réussi à copier non seulement son apparence, mais aussi ses mimiques et intonations. Dirigeant l'IA comme un acteur, ils avaient crée de faux ordres, et Léonard avait écrit un programme qui permettrait de les introduire dans les flux de la ruche, en amont du cryptage.

Ne restait qu'à installer la puce de données contenant le tout à un endroit bien précis du circuit de communication.

Si tout se passait bien, la flotte tout entière recevrait une foule d'ordres contradictoires et, pour peu qu'un ou deux vaisseaux les suivent, ouvrirait des brèches dans le blocus.

Ibelym, la précieuse puce dans la poche, entre Jamhair et Milmn'kan, Jer'kan et Darren devant, lui fermant la marche avec Hania, ils avançaient en silence.

Ils ne croisèrent qu'une poignée de drones, rapidement abattus, les corps dissimulés autant que possible dans le moindre recoin d'ombre.

Finalement, au milieu d'un couloir que rien ne différenciait des autres, le technicien leur fit signe de s'arrêter.

« Ici. » murmura-t-il, désignant le plafond.

Aussitôt, Milmn'kan se baissa pour lui faire la courte échelle, alors qu'en compagnie de la sniper, il reculait à la dernière intersection pour y faire le guet pendant que Jer'kan et le Satédien faisaient pareil de l'autre côté du couloir.

« Vous en êtes à quoi ? » siffla-t-il dans son oreillette au bout de deux minutes, alors que des bruits de pas, nombreux, résonnaient au loin.

« La gaine est plus résistante que prévu. Il me faut encore quelques minutes. » répondit le technicien.

« On n'a pas le temps. On a de la visite ! »

« Vous pouvez les neutraliser ? » demanda le Tel'tak.

Il jeta un regard à Hania, qui secoua négativement la tête, ouvrant et fermant quatre fois sa main très vite.

« Négatif, ils sont une vingtaine. On se retire. On se retire. » murmura-t-il, faisant signe à la soldate de reculer. « Cachez-vous. » ordonna-t-il ensuite, avisant un repli sombre sur le côté et y poussant l'humaine, se plaquant sur elle pour la dissimuler, et se servant d'un pan de son manteau pour cacher la pâleur de sa peau et de ses cheveux.

Une poignée de « A vos ordres » retentit dans son oreillette, tandis que les pas se précisaient.

Retenant son souffle, il attendit, alors qu'une escouade entière de soldats – s'il en jugeait par le bruit lourd des bottes – passait devant leur maigre cachette.

Pour l'instant, leur intrusion étant restée indétectée, il espérait que toute son équipe avait réussi à se dissimuler et que cela continuerait ainsi.

Enfin les pas s'éloignèrent et il osa jeta un œil dans le couloir, à nouveau désert.

D'un geste, il indiqua à sa coéquipière que la voie était libre, et ils se glissèrent hors de leur cache, tous les sens en alerte.

D'un recoin similaire au leur, Milmn'kan apparut et, les reconnaissant, sortit.

« Où est Ibelym ? » articula silencieusement Tom.

En guise de réponse, le guerrier pointa du doigt le plafond où, sa dague entre les dents, accroché aux replis de plafonds comme une gigantesque araignées, le technicien trifouillait d'une main dans un conduit mis à nu.

Tom sourit. Les reines en soient remerciés, Rosanna Gady avait crée une variante de l'uniforme Ouman'shii avec une veste courte, qui contrairement aux manteaux plus traditionnels, n'avait pas de pans pendouillants – plus sécuritaire pour les techniciens, et surtout bien plus discret dans ce cas précis, par exemple.

De la pénombre de l'autre côté du couloir, Daren et Jer'kan apparurent, indiquant d'un geste que tout allait bien.

« Jamahir ? » murmura-t-il, inquiet de la disparition du dernier membre de l'équipe.

« Nous sommes là, Capitaine. » souffla un chœur de voix depuis le mur à sa gauche, le faisant sursauter.

Respirant lentement pour essayer de calmer son cœur, il regarda un pan du mur de forme humaine littéralement se décrocher pour s'approcher de lui.

Bien sûr que la colonie ne s'était pas cachée. Noirs comme ils l'étaient, ils n'avaient eu qu'à se plaquer dans les ombres pour devenir quasiment invisibles. Même pas besoin de fermer leurs yeux, intégralement de jais.

Soulagé que tout le monde soit là, il fit signe à chacun de reprendre son poste.

Trois minutes plus tard, se laissant tomber comme un fruit trop mûr, Ibelym annonça avoir terminé.

Ils se réunirent rapidement, alors que Daren leur signalait des ennemis en approche de son côté, et sans attendre, s'éloignèrent du couloir qui les laissait tant exposés.

« Activez vos minuteurs. » souffla-t-il dans la radio, joignant le geste à la parole.

Ils avaient à présent une petite vingtaine de minutes pour mettre en œuvre la phase deux de leur opération : poser une charge détonante sur le générateur central.

Trop tôt, et les faux messages n'auraient pas le temps d'être envoyés. Trop tard, et leur intrusion serait découverte et l'accès au générateur bloqué.

Le timing était critique et ils n'avaient pas de temps à perdre. Presque deux kilomètres et plusieurs dizaines d'étages les séparaient de leur prochain objectif.

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Les cris de banshee de l'alarme lui déchiraient les tympans, alors qu'il courait en compagnie de Jer'kan et de Daren.

Ils avaient dû se sé 'un avait probablement trouvé un des drones qu'ils avaient abattu.
Toute la ruche semblait bourdonner, prête à se défendre contre les intrus.

Arrêtant un instant de tirer pour tenter de ralentir leur poursuivant, il fixa la minuterie sur son communicateur. Encore douze minutes. Une éternité quand on est poursuivi.

« Point J. On se sépare ! » beugla-t-il pour couvrir le fracas de leurs fusils satédiens, alors qu'ils arrivaient en vue d'une intersection.

Deux grondements lui répondirent, et sans regarder son équipe, il tourna à gauche dans un grand dérapage, avant de repartir à fond de train. Plus question de rester groupé. C'était le moment de profiter de ses longues jambes. Derrière lui, une demi-douzaine de guerriers déboulèrent, suivis d'autant de drones qui s'encastrèrent à moitié dans le mur, faute d'avoir ralenti pour négocier leur tournant.

Qu'ils perdent quelques secondes à se démêler. Ça ne changeait pas grand-chose pour lui. Les alphas qui les précédaient étaient infiniment plus dangereux. Si un seul parvenait à l'attraper, il était mort, ou pire, il serait capturé et ramené à Yghan'shi, qui l'interrogerait. Un sort pire que la mort.

Ignorant la brûlure de ses muscles, il continua à courir, tâchant d'avoir la trajectoire la moins rectiligne possible dans de longs couloirs droits, afin de ne pas offrir une cible trop facile, tout en tâchant de se remémorer des souvenirs vieux de quinze ans. Pourvu que cette ruche ne soit pas trop différente de celle sur laquelle il était né !

Une bonne dizaine de cachettes parfaites pour un gamin maigrelet lui venait en tête, mais il peinait à se rappeler de celles qui pourraient abriter son gabarit de grande perche.

A force de zigzaguer à la moindre intersection, il avait réussi à prendre un semblant d'avance. Pas assez pour pouvoir les semer. Juste assez pour que tous ne puissent plus lui tirer dessus en même temps.

Avec un grincement désespéré, il avisa le couloir parfaitement droit de près de cent-cinquante mètres de long, sans la moindre porte ou le moindre renfoncement, sur lequel il venait de déboucher.

Trop tard pour rebrousser chemin. Il allait lui falloir courir et prier.

Il se lança. Deux petites secondes plus tard, le premier de ses poursuivants rugissait d'excitation en l'apercevant. Un tir de blaster, puis deux, puis trois filèrent autour de lui avant de s'écraser contre les parois. Déjà trente mètres. Plus que cent-vingt.

Les tirs se firent plus précis. Une boule d'énergie lui effleura l'épaule, faisant courir des douloureux fourmillements dans son bras. Quarante mètres, cinquante, soixante... Un tir l'atteignit en plein dos. Emporté par son élan, il partit en avant, à moitié sonné, continuant à agiter ses jambes sans même être sûr qu'elles touchaient encore le sol.

Durement, il s'écrasa contre le sol froid, un éclat de douleur dans la joue et la mâchoire lui apprenant qu'il s'était probablement fracturé la pommette et quelques dents.

Un autre tir le rata d'un centimètre à peine, faisant crépiter la chitine à côté de lui. Poussé par un formidable instinct de survie et un sens de l'honneur quelque peu mal placé – il avait promis de revenir – il se redressa, et se remit à courir, maladroit et dégingandé comme un pantin aux fils emmêlés.

Presque la moitié du couloir ! Presque... Un nouveau tir le toucha, dans la cuisse, cette fois, et ravalant un cri tant de douleur que de rage, il s'effondra, la jambe paralysée.

Il ne pouvait plus fuir. Mais il vendrait chèrement sa peau. Se redressant, il se hissa de son mieux contre le mur : il ne pouvait plus courir, mais il avait encore ses armes, et deux magasins de balles explosives !

Il n'avait ni le temps, ni le talent pour viser, aussi arrosa-t-il le couloir.

Les deux guerriers de tête s'effondrèrent, criblés de balles, pendant que les autres, avec quelques cris tant de douleur que de surprise, se réfugiaient derrière les parodies d'abri qu'étaient les replis des murs.

Un rire mauvais lui échappa. Il ne pouvait pas lire leurs esprits, mais pas besoin de ça pour savoir que s'ils pensaient avoir à faire à une proie facile, une larve apeurée, leur désillusion était cruelle.

Il était entraîné. Rapide. Et bien armé. Très bien armé. Avec des armes humaines. Faites pour tuer et déchiqueter, pas pour assommer, contrairement aux leurs.

Un quart d'instant, le silence retomba, alors que, magasin vidé, son arme se taisait, puis ses ennemis répliquèrent tandis que, plaqué autant que possible dans un creux à peine marqué entre deux demi-colonnes, il s'appliquait à recharger aussi vite que possible.

Le chargeur s'engagea avec un clic satisfaisant après ce qui lui avait paru une éternité, et il sourit alors qu'une idée folle lui venait.

S'il s'en sortait, Liu allait lui en coller une. S'il ne s'en sortait pas, il n'osait penser à ce qu'elle ferait.

Tendant le bras hors de son couvert, il vida à l'aveuglette son chargeur.

Lorsque le silence retomba, les tirs ennemis se tarissant, le couloir était vide.