Bonne année 2022 à tous!
Navrée du retards, j'étais en vacance et j'ai purement et simplement oublié de publier.

Pour compenser, j'ai mis à jour les contes de noël avec les ficlets écrite depuis 2018 pour le calendrier de l'avent stargate que j'organise chaque année.

Bonne lecture.


Note à quiconque trouverait ce communicateur, s'il n'a pas été complètement dissout par les sucs digestifs de la ruche :

Je m'appelle Tom Giacometti et je DETESTE les ruches ! Je hais ces maudits tas de viande et de nerfs qu'on ose appeler des vaisseaux. C'est plein de mucus, de parasites et de saloperies dangereuses. Je les hais ! Et que les habitant de celle-ci aillent bien se faire foutre ! Eux et leur connasse de reine, je les emmerde. Copieusement ! VA TE FAIRE FOUTRE, YGHAN'SHI !

Tom Giacometti, fin d'enregistrement

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Accroché dans une posture très inconfortable sur un des anneaux osseux qui maintenaient ouverts – à la manière de gigantesques œsophages – les tuyaux d'évacuation des ordures, il avait craché son venin dans un mémo vocal de son communicateur, dont la lueur de l'écran était sa seule source de lumière.

Ça ne l'avançait en rien, mais ça soulageait. Un peu.

Soupirant, il jeta un œil au décompte. Plus que six minutes. Une partie de lui espérait que leur diversion ait fonctionné et qu'Ibelym ait réussi à poser la charge. Une autre, qu'il n'y soit pas parvenu, et qu'il ait plus que six minutes pour se sortir de là.

Avec un grondement, il se redressa, se remettant à périlleusement escalader le conduit. Il ne pouvait savoir combien de temps il lui restait réellement, alors autant avancer autant que possible.

A trois reprises, il dut se plaquer contre le bord pour éviter d'être percuté par des ordures. La première fois, il parvint à éviter parfaitement ce qui ressemblait à un seau de déjections. La deuxième, il faillit tomber, alors qu'une momie desséchée rebondissant contre les parois étroites le percutait dans le dos. La troisième, il ne vit que trop tard la masse pâteuse et blanchâtre, qui lui tomba sur l'arrière de la tête, s'insinuant dans son col et coulant dans sa nuque avec une tiédeur répugnante.

Enfin, il croisa un conduit secondaire oblique suffisamment large pour qu'il puisse s'y glisser, et rampant, il put enfin progresser plus vite.

Après une petite éternité, il se retrouva face au sphincter qui fermait la bouche d'évacuation. De la pointe de sa dague, il tenta de trouver un point faible pour le forcer. En vain. La masse était relativement molle, mais surtout très élastique, et il ne parvenait pas à prendre suffisamment appui pour pouvoir s'arc-bouter assez fort sur la lame pour perforer la membrane.

Grondant et grognant sous l'effort, murmurant des petits « s'il te plaît, allez, je t'en prie... » fiévreux, il continua ses vaines attaques jusqu'à ce que, dans un faux mouvement, il ne lâche sa lame, et qu'elle disparaisse dans le noir derrière lui, avalée par la ruche.

« Merde ! Chier ! Allez, ouvre-toi, saleté ! » siffla-t-il, tentant de griffer la membrane, qui soudain, dans un chuintement, se rétracta devant lui.

Prêt à bondir sur son nouvel adversaire, il se retrouva, main levée, crocs découverts, face à un jeune wraith, qui le fixait avec des yeux immenses.

Lentement, il baissa la main.

« Salut. » parvint-il à éructer.

L'enfant recula d'un pas, alors qu'il se glissait hors du conduit, s'époussetant, comme si ça pouvait sauver ses vêtements après son escapade dans le vide-ordures.

« Tu pourrais me dire où je suis ? » demanda-t-il, se redressant pour détailler les alentours.

Il se rembrunit aussitôt en découvrant les nombreuses cellules aux portes grillagées, et les dizaines de visages curieux et un peu effrayés qui le fixaient.

Voilà qui expliquait le diamètre du conduit. Il fallait pouvoir jeter des corps entiers dedans, parfois de taille presque adulte. Il aurait dû y penser plus tôt. Une ruche n'a besoin de conduits d'évacuation aussi larges qu'en quelques endroits. La salle des cocons, et la pouponnière, essentiellement.

Il n'aurait pas été ravi de sortir dans une salle des cocons, mais la pouponnière, c'était mille fois pire.

Il jeta un regard à son communicateur. Moins d'une minute restante. Un instant, un instant seulement, il hésita, avant de décider de faire confiance à son équipe. De croire en eux et en leurs compétences. Cinquante secondes. Il n'aurait jamais le temps de sortir de la ruche.

Doucement, il se laissa tomber au sol, repoussant les mèches poisseuses qui lui tombaient sur le visage.

« Tu n'as jamais vu le soleil ? Ou l'herbe ? Ou le vent dans les arbres, hein ? » demanda-t-il à l'enfant qui l'observait toujours, prudent mais curieux de cet inconnu.

Il lui sourit en retour, tristement. Un petit wraith avec ses cheveux dans les yeux et une tunique de toile sombre. Dix ans, douze peut-être. Pas plus que lui, le jour où il avait rencontré Rosanna.

L'enfant hocha négativement la tête, le fixant avec une intensité seulement motivée par le désir d'apprendre et de découvrir.

D'un geste las, il désactiva son bloqueur télépathique, gémissant alors que la tige se rétractait dans un éclair douloureux. Il laissa l'artefact sanguinolent rouler au sol.

D'un geste, il encouragea l'enfant à s'approcher.

« Viens. Je vais te montrer. Donne-moi ta main. »

Le petit n'hésita pas beaucoup, et vint loger sa toute petite main dans la sienne. Il n'avait pas encore assez régénéré pour pouvoir utiliser la télépathie à distance, mais ainsi, au contact, c'était possible. Terriblement douloureux, mais possible.

Il baissa ses barrières mentales, accueillit l'ombre lumineuse qu'était l'enfant, lui offrant ses souvenirs en guise de pardon. En guise d'offrande de paix. En guise de refuge. Il ne pouvait pas le sauver. Pas plus qu'il ne pouvait se sauver en cet instant. Pas plus qu'il n'avait pu sauver tous ses frères au couvain, seize ans plus tôt. Mais pour les quelques instants qu'il lui restait, il pouvait lui offrir une éternité de jeux et de course dans des prés infinis, sous un soleil qu'aucun nuage d'orage ne cacherait jamais. A cet innocent au moins, il pouvait offrir le bonheur de l'ignorance, jusqu'au dernier instant.

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Lentement, Jiu fit décrire une large boucle à l'Utopia, abandonnant sans un regret les deux corvettes et la frégate qu'il avait engagées un peu plus tôt. Il n'avait jamais eu pour objectif de les détruire. Leur mission était de se faire voir. De bien montrer l'Utopia, flamboyante derrière son bouclier, chargeant dans une débauche de drones lanthiens destructeurs. Cela ne l'avait pas empêché de viser les points critiques des vaisseaux, tout comme les artilleurs, et une des corvettes ne valait guère plus que le prix de la trop rare ferraille qu'on pouvait trouver à bord, tandis que l'autre décrochait doucement de sa trajectoire, et que plusieurs ponts de la frégate brûlaient.

Une fois certain de ne plus être directement dans une trajectoire de tir ennemi, il baissa les boucliers et leva l'occulteur avant de monter en chandelle, puis de changer encore de direction, pour s'assurer que plus personne ne pouvait les localiser.

Une fois assuré qu'ils avaient disparu des radars, il prit la direction du premier point de récupération.

Sa sœur devait avoir terminé sa mission, à présent.

Que les Ancêtres l'aient protégée, ainsi que son équipe ! Et qu'ils protègent son frère wraith et son équipe, également !

Ubris annonça d'une voix claire l'arrivée à zéro du décompte de Liu, et tout comme une bonne partie de l'équipage, il retint son souffle. Une, deux, dix puis vingt secondes s'écoulèrent avant que, dans une gerbe de gaz enflammés, le flanc d'un croiseur lourd, voisin de la seconde ruche d'Yghan'shi, n'explose.

Instinctivement, il corrigea leur trajectoire, afin qu'ils n'entrent pas en collision avec des débris. Les vaisseaux ennemis voisins du croiseur tentèrent de faire pareil mais, tous immenses et lourds, ils ne purent rien faire, et une pluie de gigantesques esquilles de chitine les frappa. La ruche fut la plus durement touchée, un bon tiers de ses canonnières tribord, ainsi que ses antennes de communication principale et au moins trois propulseurs de positionnement, détruits.

« D'après la puissance de l'explosion, il s'agit probablement de la bombe de Liu. » indiqua inutilement Ubris.

Bien sûr que c'était la bombe que sa sœur avait emportée. Quoi d'autre ? Il se mordit la lèvre, se forçant à se concentrer pour rester connecté au fauteuil de contrôle. Ce n'était pas le moment de pleurer. Il y avait sans doute un million de bonnes raisons pour expliquer pourquoi c'était le croiseur et pas la ruche qui avait explosé. Et pourquoi Liu n'était pas revenue. Et au moins une de ces raisons devait permettre le retour sain et sauf de sa sœur.

« Capitaine, il faut nous déplacer au second poste de récupération. » nota Veril sur les haut-parleurs de la salle de contrôle.

Il l'ignora. Liu avait juste un peu de retard. Elle allait arriver d'un instant à l'autre. Envoyer le signal. Il en était sûr. Ce n'était qu'une question de secondes. De minutes, peut-être.

« Capitaine ? »

«Capitaine Jiu ? »
« Monsieur ? »

Il ignora les appels de plus en plus pressants.

Il ne pouvait abandonner sa sœur.

« Jiu de Sama, je vous donne cinq secondes pour vous reprendre et changer de cap, après quoi j'outrepasse les commandes du fauteuil pour prendre le contrôle manuel. » grinça la voix sèche de Léonard, si près de lui qu'il sentit le souffle de ses mots lui chatouiller l'oreille.

Il avait déjà été déconnecté de force de l'interface. Il se souvenait parfaitement de la douleur cuisante du choc, et de la migraine atroce qui lui avait fendu le crâne pendant des jours après cela. Il se força à se recentrer, à ignorer ses sentiments, et à simplement suivre le plan. Docile, comme toujours, l'Utopia glissa sur sa nouvelle trajectoire, accélérant souplement pour rattraper le retard pris.

L'ingénieur avait raison, bien sûr. S'ils ne bougeaient pas, c'était encore plus de vies qu'ils condamnaient.

Comme pour appuyer ses sombres pensées, échappé de la baie à Darts éventrée d'un cuirassé lourd, un mince et sinistre ruban blanchâtre de gaz, tout festonné de cadavres et de morceaux de chasseurs carbonisés, se déroula devant eux.

Au moins un de leurs pilotes de Darts avait réussi sa mission. Mais s'était-il échappé ?

Lentement, il remonta la piste mortifère, scannant passivement les débris à la recherche de la balise de secours du pilote. Enfin les instruments accrochèrent le code, indiquant un point au milieu de la masse. Impossible pour l'Utopia de se glisser là-dedans en restant occultée.

« Jumper 3, décollage immédiat. » ordonna-t-il, transmettant les coordonnées de la balise à leur dernier vaisseau lanthien à bord.

Par les senseurs de l'Utopia, il sentit le petit transport décoller.

Continuant à surveiller les alentours via les capteurs, il observa d'un coin de son esprit les retours des caméras des scaphandres de l'équipage de Jumper 3.

Bientôt, à peine décalé de quelques dizaines de centimètres, il vit sur les retours du pilote et du copilote, le corps blafard et déchiqueté de Treffan'kan dériver lentement.

Le guerrier avait réussi sa mission, au prix de sa vie.

Cette fois, il ne se retint pas de pleurer. Il ne pouvait pas rester connecté au vaisseau et retenir ses émotions. Ses larmes, brûlantes et trop nombreuses, roulèrent sur ses joues. Il déglutit péniblement. L'équipage attendait ses ordres. Il n'avait personne derrière qui se cacher. Personne à qui déléguer. Ni sa sœur, ni son frè -être ne pourrait-il plus jamais le faire.

« Ramenez-le à la maison. On n'abandonne personne. » parvint-il à dire, la voix un peu cassée par ses sanglots.

Fadaises. Ne venait-il pas d'abandonner Liu et toute son équipe ?

Aussitôt Jumper 3 revenu à bord, il prit la direction du second point de récupération, puis après avoir attendu deux longues minutes, sans la moindre explosion, ni la moindre balise en vue, il fut, une fois encore, malgré son affirmation précédente, forcé de partir. Tant de monde avait encore besoin d'eux.

Un Dart, salement amoché mais encore à peu près capable de voler, les attendait au troisième point de récupération, semblant presque trôner fièrement devant le tableau saisissant d'une frégate, brisée en deux par l'impact d'un croiseur trois fois plus grand qu'elle parti à la dérive.

Ses larmes, un instant, prirent un arôme moins amer. Hellna'kymn avait réussi sa mission et était revenu !

Comme un signe du destin pour lui rendre espoir, Junak les attendait, lui aussi installé dans un Dart fumant, à leur quatrième point de rencontre. Sa victoire n'était pas aussi éclatante que celle de Hellna'kymn, mais il avait néanmoins suffisamment endommagé la baie à Darts de sa cible pour la rendre inopérante durant un moment.

Comme une bougie soufflée par un vilain coup de vent, l'espoir de Jiu retomba alors qu'ils approchaient du point de récupération du cinquième et dernier pilote de chasseur, et qu'un détachement de six frégates furtives disposées en une formation complexe, couvrant l'intégralité de la zone de récupération et ses alentours, apparaissait sur les senseurs de l'Utopia – trop sensibles pour leur camouflage – en même temps que le bip de la balise de secours, petit point invisible au centre de la zone.

Il n'y avait qu'une seule explication à cette formation qui brisait le siège : Krill'mar avait été capturé, et le plan de récupération avait été extrait de sa tête.

La balise n'était donc qu'un leurre destiné à les attirer.

Une part de lui – la part gentille, et tendre, et bienveillante en lui – lui hurlait d'aller vérifier quand même. Peut-être que le wraith était là-bas, blessé, attaché, retenu mais encore en vie, en état d'être sauvé.

Une autre, plus stratégique et rationnelle, lui disait qu'au mieux, il trouverait un bras, dérivant dans le vide. Pourquoi s'encombrer d'un guerrier ennemi vivant, quand il suffit de lui arracher le bras ou d'extraire la balise pour pouvoir attirer ses complices ?

Au pire, c'était un Dart aussi explosif que ceux qu'ils avaient envoyés qui les attendaient, et ils goûteraient à leur propre médecine.

Il jeta un regard mental à la carte générale. La ruche d'Yghan'shi trônait toujours, intacte et toute-puissante, au milieu du blocus. Il connaissait Tom. Si la bombe n'avait pas encore détoné, il n'y avait que trois raisons possibles : soit son hystar avait annulé la mission pour il ne savait quelle excellente raison – et était sans doute déjà en train de les attendre, bien à l'abri de son Jumper avec son équipe –, soit ils avaient rencontré un contretemps – auquel cas, inutile qu'il se précipite avec l'Utopia au point de récupération –, soit, solution totalement inadmissible, leur mission était un échec, et ils étaient tous morts ou capturés.

Quoi qu'il en soit, il n'y avait rien qu'il puisse faire dans l'immédiat pour eux.

Mais il pouvait mettre un sérieux coup à Yghan'shi qui, en faisant se déplacer ses frégates, avait affaibli son siège, qui commençait d'ailleurs à sérieusement s'effriter grâce à leurs efforts, et au pilonnage sauvage de la flotte Ouman'shii prisonnière en orbite basse.

Il n'était pas un homme cruel et il répugnait à la violence. Il ne désirait même pas venger la mort de ses compagnons d'équipage. Pas même de sa sœur ou de son hystar, s'il advenait que ses atroces prédictions soient vraies. Mais aussi répugnant que ce soit, il comprenait la nécessité d'une frappe sans pitié afin de sauver des vies qui, sans leur intervention, s'éteindraient.

Lentement, comme un enfant jetterait des pétales en l'air, il sema des dizaines de drones lanthiens inactivés tout autour des frégates. Les petits missiles, guère plus grands que son torse, étaient à peine des débris spatiaux pour les senseurs des vaisseaux vivants. Infiniment trop petits pour présenter le moindre risque pour leurs épaisses coques.

Ayant semé suffisamment des mortels artefacts, il s'éloigna, mettant l'Utopia et son équipage en sécurité, puis, s'enfonçant un peu plus profondément dans l'esprit mathématique de la machine, d'une seule pensée, il activa tous les drones. Devenant chacun des mortels projectiles, il les dirigea un à un, avec une volonté farouche, vers chacune des failles structurelles qu'il avait été le seul à mémoriser, alors que le commandant Zil'reyn les leur enseignait laborieusement, des années auparavant, quand il pouvait encore honnêtement se prétendre innocent.

Chacune des bombes toucha sa cible, creusant des plaies béantes dans le blindage, éventrant les ponts, anéantissant machinerie et équipage.

En un instant, il transforma tout un pan de ciel en une boule de feu, qui pour un moment sembla rivaliser en brillance avec le lointain soleil, puis alors que les hurlements d'agonie des habitants des vaisseaux ne s'étaient pas encore totalement éteints, l'obscurité du vide avala les titanesques cadavres vivants.

Tournant résolument le dos à son carnage, commis sans joie ni regret, il prit la route du dernier point de rencontre. Tom l'attendait. Mort ou vif. Son hystar reviendrait. Il l'avait promis.