Journal de bord du capitaine Giacometti. Jour 207, an 18.

Il y a des jours où je déteste les wraiths. Et il y a des jours où je déteste les autres races.

Une chose est certaine. Aucune race, aucun peuple n'est fondamentalement meilleur que les autres.

Tout le monde a commis des crimes. Tout le monde en commet. Et par bien des aspects, les wraiths sont infiniment plus honnêtes que les autres. Je ne connais aucun d'eux, pas même moi, qui oserait prétendre ne pas avoir littéralement du sang sur les mains. Nous sommes tous, sans exception, des tueurs. Des meurtriers. Même s'il y a d'autres manières, et que je ne considérerai jamais cela comme une excuse, notre physiologie nous y pousse. Facile de tuer et de ne pas se poser trop de questions, quand notre seule source de subsistance est la force vitale d'autres êtres sentients !

Les wraiths sont incontestablement des prédateurs. Des monstres, sans doute. On ne le nie pas ! Mais... ce que je peux haïr ces humains, ces... Jaffas, même ces foutus Lanthiens ! Tous ces gens qui se drapent dans leur « innocence », leur « pureté », leur « bonté », mais qui dès qu'ils nous voient, n'ont que deux idées en tête : nous utiliser pour faire leur sale boulot, que ce soit nos mains et pas les leurs qui soient pleines de sang, et ensuite, nous exterminer comme on le ferait avec de la vermine !

Hé, naïf que j'ai été ! De croire que les habitants de la Voie lactée seraient meilleurs que ceux de Pégase. Qu'on aurait pas à se cacher ! Pfff... J'ai été stupide, oui !

Je pensais que les Taremiens pourraient être des alliés. Mais non. A peine ont-ils appris la sélection qu'ils... que j'ai autorisé, qu'ils veulent qu'on aille massacrer des gens dont on ne sait rien, juste pour servir leurs desseins !

(Capitaine, si je puis me permettre, il semblerait, d'après votre propre rapport et celui des autres membres de l'expédition, que cette exigence répugnante soit uniquement attribuable à Dalak, à défaut de preuve supplémentaire corroborant une volonté générale des Taremiens.)

Hhhhummmpfff... Tu as raison Ubris. Mais là, tout de suite, je déteste chaque petite merde vicieuse de Taremien, et ce maudit Dalak plus encore.
(Je prends bonne note de vos sentiments, Capitaine.)

Ouais, fais ça.

Tom Giacometti, fin d'enregistrement.

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« Toi, tu restes là ! »
« Mais... ! »
« Ubris, garde un œil sur mon frère. »

« A vos ordres, capitaine Giacometti. »

Sous le regard noir de Zen, il vérifia une dernière fois que son blaster était bien dans son holster de cuisse, et qu'il avait bien trois chargeurs supplémentaires pour son fusil mitrailleur. Les Jaffas étaient plus solides que des humains normaux. Il ne voulait prendre aucun risque.

Dalak voulait que lui et ses wraiths aillent semer la terreur et la mort chez ses ennemis ? Il allait lui offrir un aperçu de ce qu'il appelait de ses vœux mal dirigés.

Les quatre guerriers wraiths qui allaient l'accompagner vérifiaient aussi leurs armes, avec les gestes posés et familiers que seule la routine crée.

A côté de lui, Jialym, terriblement nerveux, tâchait maladroitement de régler les sangles de son holster de cuisse. Il avait tiré le technicien de la salle des moteurs et ce, malgré l'absolue désapprobation de Léonard, pour une seule et unique raison. Le mâle était le plus puissant télépathe du bord. Sans égaler – et de loin – une reine, Jialym était capable d'entrer dans l'esprit d'un humain inattentif sans avoir à le toucher. Il lui suffisait d'être proche de lui pour que cela fonctionne. Ce n'était que quelques petits centimètres, mais c'était plus que l'immense majorité des autres mâles.

Cette capacité, ainsi que le physique délicat et gracile du scientifique, lui avait valu une étrange réputation et de nombreuses rumeurs sur son compte.

Tom en avait entendu certaines. Avait sévèrement réprimé celles qui circulaient au sein de son équipage. Mais il n'avait jamais cherché à savoir si elles étaient vraies ou pas. Aucune ne remettait en question les capacités de travail du scientifique. Était-il né jumeau d'une reine ? Était-il né unique, mâle dans un œuf de femelle ? N'était-il ni tout à fait mâle, ni tout à fait femelle, mais un peu des deux ? Était-il né comme lui, inimprégnable ? Avait-il été le malheureux cobaye d'un généticien qui lui aurait donné ses capacités hors norme ? Avait-il fui sa ruche, pour éviter d'être éliminé comme le taré qu'il était ? Ou alors, avait-il fui une reine désireuse de l'étudier pour répliquer ses dons ?

Toutes ces questions étaient horriblement indiscrètes. Et insultantes. Delleb avait fouillé l'esprit de Jialym et avait statué qu'il était sincère dans ses intentions de devenir Ouman'shii. C'était tout ce que Tom avait besoin de savoir, en dehors des compétences techniques du mâle.

Cela ne signifiait pas pour autant qu'il allait se passer d'un tel don, pour une telle occasion !

Avec un soupir, il se pencha pour l'aider à attacher son holster, le faisant violemment verdir.

D'une dernière bourrade, il vérifia que rien ne bougerait puis, satisfait, se redressa.

« Tout le monde est prêt ? Alors allons-y. »
.

« Ubris ! »
« Oui, Zen'kan ? »
« Tu penses qu'ils vont revenir bientôt ? » demanda-t-il, scrutant anxieusement l'obscurité par-delà le hublot du vaisseau.

« Je l'ignore. »

Avec un grincement, il fit un nouvel aller-retour jusqu'à la porte de la salle de conférence qu'il avait investie quelques vingt minutes plus tôt, puis revint nerveusement se poster devant le hublot.

Ce fut le chuintement de la porte qui le fit se retourner.

« Je peux entrer ? » demanda Jiu, poliment, comme toujours.

« Ouais... bien sûr. »

Le silence retomba, alors qu'il se balançait un peu d'avant en arrière, attendant de voir ce que l'hystarde son frère pouvait bien lui vouloir.

L'homme s'approcha, l'observant, la tête légèrement penchée de côté, presque comme le ferait un chat intrigué.

« Tu lui ressembles beaucoup. »

« A qui ? Tom ? » demanda-t-il, en haussant les épaules. « On est frères, c'est normal. »

Jiu hocha la tête de gauche à droite.

« C'est vrai, mais je connais beaucoup de fils de Silla. Vous deux... vous êtes différents. »

« Ah ? »
« Oui. La ressemblance n'est pas physique. Elle est.. là-dedans. » poursuivit-il, se tapotant la poitrine au niveau du cœur.

« Mmmh ? »

Jiu sourit, s'asseyant souplement sur la grande table de réunion.

Après quelques instants, Zen l'imita.

« Tom... il est flamboyant... solaire. Il irradie, rayonne, et parfois, comme un soleil, il brûle ceux qui s'approchent trop de lui. Et après... il s'en veut. Tellement. » expliqua posément le jeune homme.

Zen ne répondit pas, fixant l'obscurité par-delà la vitre. Dur d'imaginer son prodigue de frère, fautif et rongé de culpabilité.

« Est-ce que... tu te mutiles toujours ? » demanda Jiu dans un souffle.

La question, tellement directe, surtout venant du timide et réservé officier-en-second, le surprit.

« Quoi ? Heu... non. Plus vraiment. »

Le jeune homme lui offrit un doux sourire.

« Tu as réussi à surmonter ce qui te rongeait ? »
« Ouais... enfin... Markus s'est assuré que j'aie pas trop l'occasion de me faire du mal... si tu vois ce que je veux dire... »

Jiu opina.

« Je vois. »

Le silence revint, insidieux.

« Nous savons tous très bien pourquoi tu es sur Terre. Mais... si cet avenir ne te plaît pas, et si tu en as envie, tu es le bienvenue à bord. »

Ce fut à son tour de dévisager l'homme à côté de lui avec attention.

« Jiu, pourquoi tu me dis ça ? »
« Tom et toi, vous vous ressemblez énormément... et tous les trois... je veux dire, Liu, Tom et moi, on sait combien c'est important d'avoir sa famille près de soi quand les choses sont... compliquées...

Depuis qu'on se connaît, je crois que je n'ai pas été séparé de Tom plus d'une semaine. Il a été là pour moi, chaque fois que j'en ai eu besoin, et j'ai été là pour lui. Liu, c'est encore pire. Je la connais depuis ma naissance, elle est là pour moi depuis mon premier jour... (Jiu s'interrompit avec un sourire tordu.) Tom est autant mon frère qu'il est le tien. Tu es mon frère. Ma famille. »
« On est même pas de la même espèce... » ne put-il s'empêcher de lâcher, mal à l'aise.

Il connaissait Jiu depuis toujours, mais le considérait davantage comme un ami proche de la famille qu'autre chose.

Ce dernier pouffa.

« C'est vrai. Mais il n'y a que les Terriens, à ma connaissance, pour être si obsédés par le sang. Les gènes. Milena non plus n'est pas de la même espèce que toi. Pourtant, c'est ta mère... » nota-t-il, taquin.

« Oui, mais c'est ma mère adoptive. Elle s'occupe de moi. C'est pas pareil. »

« En quoi ? Tom est mon frère adoptif, et on veille les uns sur les autres... »

Zen haussa les épaules.

« C'est zarbi, c'est tout. »

« Pour moi, et pour la plupart de l'équipage, c'est cette idée que ta famille, c'est uniquement les gens avec qui tu partages ton sang, qui est étrange... Les wraithsont toutes ces notions de frère...frère de ruche...frère de sang...frère de couvées. L'un n'est pas mieux que l'autre, ce sont juste des qualificatifs...D'ailleurs, un wraithpeut avoir un frère de couvée, qui n'est pas de la même ruche et donc de la même famille que lui... Quant aux humains de Pégase comme Liu et moi... La famille, c'est l'entraide, c'est la protection... pas le sang... »

« Ah ? »
« Oui. Drane, notre maman. Elle n'est pas notre génitrice, à Liu et à moi. Quand les
wraithsont sélectionné notre monde, et que papa s'est... sacrifié pour qu'on puisse s'enfuir avec le reste de la tribu, Liu et moi, on avait plus que la vieille Sama qui soit de notre sang direct... Sama était la meilleure des grands-mères, mais elle était trop vieille et trop faible pour s'occuper de deux garnements comme nous. Drane, elle, avait une petite fille... qui est aussi morte ce jour-là... C'était une maman sans enfant, on était des enfants sans parents... On est devenu une famille. C'est normal. En tout cas pour les Pégasiens. »

Zen eut un reniflement cynique.

« Ouais, ce que tu dis, c'est que ta vie et ta famille ont été détruites par des connards comme moi... »
« Non, pas du tout. Pas du tout. Ma vie n'a pas été détruite, ma famille non plus. Des gens que j'aimais sont morts, c'est vrai, mais si papa ne s'était pas sacrifié... si la petite de Drane n'avait pas été sélectionnée... je ne sais pas où je serais, mais certainement pas ici, et j'adore ma vie actuelle. Vraiment. Et, Zen'kan Giacometti, je t'interdis de te mettre dans le même panier que les monstres qui ont ravagé mon monde natal. Car si tu es bel et bien
wraithcomme eux, tu es surtout et avant tout victime de leur cruauté, comme moi, comme Tom, et comme tant d'autres. »
« J'suis pas une victime. »

Jiu sourit.

« Tu as raison. Tu as vécu des choses atroces, mais qui t'ont ouvert des portes... »

Il médita les paroles de l'homme. Avait-il vraiment été chanceux en survivant au massacre du couvain ? Il ne put s'empêcher de sourire à son tour. Oui. Il l'avait été. Incontestablement. Il était en vie, mais plus encore, avait une vie, mille fois meilleure qu'il aurait pu l'espérer sur une ruche.

Un ricanement lui vint, pleine d'une ironie légère.

« Mais avec votre système à la con, comment vous savez où s'arrête votre famille ? Je veux dire, si tu es mon frère adoptif, parce que mon frère est le tien, Liu est donc ma sœur, et comme Markus est mon oncle, Ilinka est ma cousine, et donc sa cousine aussi. Et comme officiellement, selon leurs papiers, Selk'ym et Markus sont genre cousins germains ou je sais pas quoi, et qu'on peut dire que Drysse est sa femme, Drysse est la tante de Liu ? »

Jiu hocha la tête.

« Oui, je suppose qu'on pourrait le voir comme ça. »
« OK, mais du coup, si on reprend... genre Léonard, il est frère de ruche de Rosanna, qui est plus ou moins ma tante par alliance via Markus, donc... ce serait mon oncle... Et comme Silmalyn est mon frère de sang, il serait le neveu de Léonard ?! »
Jiu, les sourcils froncés, prit un moment pour visualiser l'arbre généalogique théorique.

« Moui... mais je doute que l'un comme l'autre ait envie de considérer de la sorte un tel lien de parenté. D'autant plus que Silmalyn, bien qu'étant un fils de Silla, est également un des wraithsde Rosanna Gady. Ils sont donc surtout et avant tout frères de ruche. »

« Mmmmh. »

Jiu lui sourit.

« Tout ça pour te dire que l'Utopiaest une grande famille, et que ses portes te seront toujours ouvertes. »

Il sourit en retour.

« Merci. Mais, je suis à peu près sûr que Milena va me transformer en descente de lit si je lui annonce que, une fois les Unas rentrés chez eux, je ne vais pas revenir. »

Jiu eut une grimace compatissante, alors qu'il riait de sa propre blague.

« Suffirait que la petite famille rentre jamais, et c'est tout bon... » poursuivit-il pour plaisanter.

« A ce propos. C'est pour ça que je te cherchais à la base. Tom est parti pour une expédition vengeresse, qui risque d'avoir des résultats plutôt décevants, au regard de la rage qui l'anime. Je pensais donc mettre à profit les quelques heures à venir pour tâcher de faire progresser notre affaire dans le bon sens... » expliqua-t-il, à nouveau sérieux.

« Ah, comment ? »
« Nous avons les coordonnées d'un monde qui abrite des Unas. Ils sont réduits en esclavage, mais peut-être pourront-ils nous renseigner tout de même... et si certains veulent en passant retrouver leur liberté... ce n'est pas moi qui aurait la force physique de les en empêcher... » poursuivit-il, avec un haussement d'épaules détaché.

« Mais c'est pas genre, méga dangereux ? Ils risquent pas de vous reconnaître ? »
« Non. Seuls les
wraithsde l'équipage qui voulaient chasser et Tom ont été sur ce monde. Les risques sont minimes. »
« Oh, c'est une bonne idée. Tu devrais y aller tout de suite. »
« En effet. Je pensais emmener Morgal, pour interroger les Unas. Et comme tu es celui qui communique le mieux avec eux ici, j'aimerais que tu nous accompagne. »
« Quoi ? Moi ? Ça défie pas le propos ?»
« Non, aucun problème. Tu mettras une capuche. »

« Heu... Tom va péter un plomb s'il apprend ça... »

Jiu, sautant au bas de la table, eut un sourire malicieux.

« Ne t'inquiète pas, le grand méchant capitaine Giacometti est incapable d'en vouloir à ses petits frères adorés... »

« C'est pas faux. Allons-y alors ! »