Journal de bord du capitaine Giacometti. Jour 208, an 18.
Bon, ma dernière entrée dans le journal date de... ? (Trois heures, quarante-six minutes et dix-huit secondes)...Merci Ubris. Ma dernière entrée date de même pas quatre heure. Mais l'opération a été un franc succès. Quatre chasseurs tarémiens, et une mine détruite. Et surtout, on a sorti vingt-sept Unas de cet enfer ! Par toutes les reines, qu'est-ce que ça fait du bien ! J'espère que Tch'ana pourra les rassurer et leur expliquer qui on est et ce qu'on fait. En tout cas, il y en a deux qui ont déjà manifesté une certaine volonté... d'aider... Y a la grande brute... Arak, je crois, et l'autre maigrichon avec les cornes cassées qui parle un peu le commun. Celui-ci surtout nous sera utile. C'est vraiment plus facile de communiquer avec lui... Quoi qu'il en soit, la priorité, c'est de leur retirer à tous leurs entraves et leur donner à manger et à boire. Et à chacun un lit pour dormir. Ensuite, on pourra les interroger.
De tout manière, c'est pas comme si on allait aller où que ce soit sans Jiu et Zen !
Tom Giacometti, fin d'enregistrement.
.
« Tout le monde a bien compris le plan ? » demanda Jiu, terriblement sérieux.
Zen'kan opina, le pied-de-biche d'acier lourd dans ses mains.
Les deux soldats hochèrent aussi la tête, tandis que Morgal grondait, mauvaise.
L'alerte de leur attaque sur la ferme d'élevage avait été donnée, et même si Kirma et la plupart de ses gros bras s'y étaient rendus en urgence pour tenter de rattraper les Unas libérés, le village n'était pas désert pour autant.
Satisfait de leurs réactions, Jiu vint glisser le Jumperocculté dans l'étroit espace derrière la grange.
La place disponible était si minuscule que le nez de l'appareil se retrouva appuyé contre les façades des maisons voisines, bouchant parfaitement l'accès à une ruelle, tandis que la porte émettait quelques étincelles et un grincement terrifiant lorsqu'elle descendit, tordant presque les barreaux des cages extérieures contre lesquelles elle s'appuyait.
Les Unas, en alerte, plus ou moins terrifiés, se terraient au fond des cages, tentant de mettre autant de distance que possible entre eux et peu importe ce qu'il se passait dehors.
Marik'ka, Laban et Morgal se glissèrent hors du vaisseau, tous les sens aux aguets, avant de disparaître au coin, direction l'intérieur de la grange et ses cellules.
Jiu profita de l'abri relatif du Jumperpour observer les alentours, puis lui fit signe, et Zen'kan se précipita sur la première cage pour en faire sauter la porte.
La femelle qui y était enfermée le fixa, se refusant d'espérer, alors qu'il s'arc-boutait avec un grondement contre la tige d'acier. Dans un grincement sinistre, le loquet plia avant de lâcher, et il ouvrit le battant à la volée avant de se précipiter sur le suivant, laissant à Jiu le soin de faire sauter la chaîne qui la retenait au mur.
Les deux occupants de la seconde cage le fixèrent un instant puis, avec de petits grondements de connivence, se mirent à pousser de toutes leurs forces pour l'aider.
La porte ne tarda pas à sauter, et tandis que l'occupante de la première cage, enfin libre, s'avançait à pas peureux hors de sa prison, Jiu venait libérer les deux suivants, qui lui faisaient signe de se presser, jetant des regards inquiets alentour.
Zen'kan réalisa vite que malheureusement, la troisième et la quatrième cage étaient coincées par la porte du Jumper. Faisant signe à leurs occupants de patienter, il passa directement à la cinquième, celle que Doka partageait avec deux autres congénères encore plus soumis et résignés que lui.
Doka, les yeux écarquillés de terreur, tenta à gestes fébriles de l'empêcher de coincer son pied-de-biche dans la porte.
« Pas voler Doka ! Pas voler ! Doka veut pas partir ! Pitié ! Doka veut pas être puni ! Doka pas partir ! Pitié ! Pitié ! » supplia le Unas, passant d'un murmure à des hurlements déchirants qui risquaient fort de donner l'alerte.
« Chhhuuuut ! Doka silence ! Tais-toi ! Chhhhut !» supplia Zen'kan, un doigt sur les lèvres.
« Pitiiié ! Pas faire de mal ! Pas voler ! Pittttiééééé ! » beugla le reptile, rejoint par les gémissements de ses codétenus.
Catastrophé, Jiu sortit de la deuxième cellule, de laquelle il n'avait libéré qu'un des deux prisonniers – auquel il confia sa hache pour qu'il termine de libérer son camarade.
« Qu'est-ce qui se passe ?! » grinça-t-il, découvrant le cirque des trois Unas prostrés en position de supplique, beuglant de ne pas être libérés afin de ne pas être punis, auquel s'ajoutaient les harangues d'un de leurs semblables dans la cellule voisine toujours close.
Le jeune homme serra les dents, l'air dégoûté, puis assena un coup de poing brutal contre les barreaux de la cellule de Doka.
« Silence, esclave ! Qui t'a autorisé à faire du bruit ?! Tu veux que je te frappe ?! » gronda-t-il, d'un ton mauvais, ponctuant ses paroles de nouveaux coup sur les barreaux.
Les trois Unas se turent aussitôt, le fixant avec crainte.
Zen'kan le regarda, les yeux écarquillés de surprise. Il n'aurait jamais cru que l'ami de son frère, toujours si doux et si réservé, soit capable de tant de méchanceté. Encore moins à l'encontre de miséreux comme ces reptiles.
Jiu les observa encore quelques secondes d'un air féroce, avant de lui faire signe de continuer, puis, constatant que personne n'allait plus moufeter, il retourna à son propre travail.
Un peu sonné, Zen'kan se remit à l'ouvrage, tirant sur son pied-de-biche.
La porte céda dans un claquement, qui se confondit avec le bruit d'un coup de feu provenant de l'intérieur de la grange.
Paniqué, Zen jeta un regard à Jiu, qui lui fit signe de se presser, tandis que les Unas encore enfermés gesticulaient dans sa direction pour qu'il les libère au plus vite.
La femelle qui avait été libérée la première se vit pousser des ailes au son de l'arme, et elle bondit à couvert du Jumper, allant se réfugier derrière la cloison du cockpit.
Ses deux voisins fraîchement libérés se concertèrent un instant, puis l'un vint prêter main forte au jeune wraithtandis que l'autre allait aider Jiu, avant de faire monter Doka et ses deux camarades à bord à coups de pied au cul.
Le temps qu'ils ouvrent la sixième cage, des fenêtres commençaient à s'ouvrir et un second coup de feu retentissait.
« Vite ! Vite ! » les pressa Jiu, tâtonnant sur le flanc invisible du Jumperpour en refermer la porte afin de pouvoir ouvrir les deux dernières cages.
Grondant sous l'effort, Zen obtempéra, les bras tremblants malgré l'aide du grand reptile qui tirait de l'autre côté de la barre.
La porte céda, et le jeune homme se rua à l'intérieur de la cage pour libérer les prisonniers, leur faisant signe de poursuivre.
Plus qu'une cage à ouvrir !
Dans un grand fracas et un hurlement, un homme passa au travers de la paroi en planches du deuxième étage de la grange, s'écrasant sur le toit du Jumperinvisible avant de glisser lourdement au sol, où il s'étala durement sur le dos alors que son long fusil tombait un peu plus loin.
Dans l'ouverture fraîchement créée à l'étage apparut le visage grimaçant de Morgal qui, toutes dents découvertes, enjamba les planches brisées comme si de rien n'était pour sauter directement sur l'homme en un bond puissant.
Aussi fasciné que terrifié, son œuvre oubliée, Zen'kan la fixait, tandis qu'elle ramassait l'homme d'un bras musculeux, le soulevant plus qu'à moitié avant de le plaquer avec sauvagerie contre le vaisseau invisible, étouffant son cri de douleur et de peur d'un coup de poing dévastateur en plein visage.
Le nez de l'homme se brisa dans un craquement. Le tenant toujours, Morgal abattit son poing encore et encore, les traits déformés par une rage absolue et parfaitement silencieuse.
Il fallut un troisième coup de feu, et la claque sur son avant-bras du prisonnier qui attendait qu'ils le libèrent pour rompre le charme.
Zen'kan se remit à pousser, galvanisé par une montée d'adrénaline.
Aidés des anciens prisonniers les plus motivés à recouvrer leur liberté, ils eurent à peine le temps de rassembler les autres dans le Jumper, que Marik'ka – encourageant autant qu'invectivant une poignée de Unas éperdus – tournait au coin, avant de repartir en sens inverse pour aller porter main forte à Laban. Celui-ci, pris en étau entre le reste des reptiles trop effrayés pour sortir de la grange et les habitants qui commençaient à s'organiser pour se défendre de leur attaque, avait bien besoin d'aide.
Morgal, les nies rouges d'un sang qui n'était pas le sien, haletait, le regard vide, foudroyée par la violence de son accès de rage.
Ce fut le Unas qui l'avait aidé à libérer les autres qui, lui arrachant à moitié le pied-de-biche des mains, la désigna d'un geste autoritaire. « Toi aider elle ! Moi aider eux ! » gronda-t-il, avant de charger vers l'avant du bâtiment en rugissant, bientôt suivi par son codétenu, quand à lui armé de la hache de Jiu.
Un instant, un court instant, Zen'kan faillit le suivre. Il devait se battre pour défendre les siens !
Il n'avait pas amorcé le début d'un pas qu'il se reprit et fit volte-face. Il fallait ramener Morgal dans le Jumper!
S'il avait craint ne pas avoir la force physique de faire bouger la géante, il fut vite rassuré. Il lui suffit de lui prendre la main pour qu'elle le suive docilement, comme un enfant égaré que l'on ramène à la maison.
Derrière lui, quelques coups de feu claquèrent encore, mêlés des tirs caractéristiques des blasters, et trois Unas supplémentaires rejoignirent ceux déjà blottis dans le vaisseau avant que Marik'ka et Laban ne reviennent, couvrant de leurs tirs les deux Unas venus les aider, qui ne se privèrent pas d'asséner quelques ultimes coups de barre d'acier et de hache aux locaux avant de grimper à bord avec des rugissements vengeurs.
« Tout le monde est là ? » hurla Jiu depuis le poste de pilotage.
« Y en a un qui a fui dans les ruelles. » beugla en retour Marik'ka.
Plusieurs coups de feu étincelèrent sur la coque du Jumper.
« Tant pis ! On verra si on peut le récupérer hors de la ville ! » conclut Jiu, faisant décoller le vaisseau avant même que la porte arrière soit complètement refermée.
Tremblant d'excitation, extatique de stress, Zen se glissa maladroitement entre la masse de reptiles puants pour rejoindre Jiu dans le poste de pilotage.
Le jeune homme lui jeta un coup d'œil diagonal.
« Ça va ? »
« Ouais... et toi ? » demanda-t-il, avec l'impression que le monde tournait soudain au ralenti.
L'homme jeta un regard à l'arrière du vaisseau et sourit.
« Oui, ça va. »
Zen'kan fixa avec un certain étonnement ses mains qui, d'une manière incompréhensible, tremblaient un peu.
Le vaisseau prit de l'altitude dans un silence étouffant, puis Jiu le fit sursauter en lui posant une main ferme sur l'épaule.
« C'était ta première bataille ? »
Zen'kan opina.
« Tu as très bien agi. Tu as fait exactement ce qu'il fallait. »
« Mais... mais... (Comment expliquer ce qu'il ressentait ? Il ne savait même pas comment il se sentait !) J'me suis même pas battu... »
« Une bataille ne se gagne pas qu'en combattant. Il y a toujours des auxiliaires dont les actions sont de supporter les combattants, qui eux-mêmes se battent pour que d'autres aient l'opportunité d'exécuter ces actions-clés qui permettront de remporter les combats. »
« J'comprends pas. »
Jiu sourit, hocha la tête, et lui secoua un peu l'épaule.
« Pas grave. Tout ce que tu as besoin de comprendre, c'est que ces gens, là derrière, te doivent leur liberté. »
Un peu perplexe, Zen'kan se retourna. Ils n'avaient libéré personne en dehors des Unas...
Le déclic se fit, et il fut abasourdi par l'étrangeté de la chose. Appeler « gens » de grands aliens écailleux et cornus ! Quelle drôle d'idée ! Puis son cerveau avança encore dans ses réflexions, et il se mit à glousser. Lui aussi était un gens ! Y'avait pas que les humains qui étaient des gens ! Pleins de gens étaient des gens ! Les wraiths, les Unas, les Jaffas : ils étaient tous des gens. Pas des humains, mais des gens. Des personnes. Des êtres intelligents.
La tête inquiète de Marik'ka apparut entre deux Unas.
« Il va bien ? » demanda-t-elle à Jiu.
Il opina.
« Le stress ? » devina-t-elle.
Il hocha à nouveau la tête. Elle sourit, puis disparut.
Zen'kan parvint à se reprendre, essuyant une larme au coin de son œil.
Jiu lui mit une petite tape pour attirer son attention.
« Regarde qui c'est qui est en train de nous faire un home-run... » nota-t-il, lui désignant une petite silhouette qui, se détachant des ombres des maisons, s'élançait tout droit à travers champs, malgré les tirs s'écrasant de part et d'autre de lui.
« Faut qu'on l'aide ! » s'insurgea le jeune wraith, tendu sur ses accoudoirs.
« Assieds-toi et observe » s'amusa Jiu, faisant volter le vaisseau afin de venir se positionner devant le fuyard.
.
« Tu lui a fait faire quoi ?! » s'étrangla Tom, les jointures blanches, les mains soudains agitées de tics.
Jiu ne recula pas, mais l'air sérieux qu'il avait prit pour faire son rapport s'évapora.
« Zen'kan n'a rien fait que tu n'aurais fait. »
« C'est bien le problème ! » siffla Tom, faisant volte-face, se passant une main dans les cheveux, les ébouriffant plus qu'autre chose.
« Tu devrais être fier ! Sans sa participation, on n'aurait jamais pu libérer tous les esclaves de cette exploitation à temps. »
Tom revint se planter devant lui et, le saisissant par les épaules, le secoua comme un prunier.
« Jiu! C'est moi l'impulsif ! Pas toi ! C'est moiiiiiii ! Qu'est-ce que t'as foutu ?! Jiuuuuuu ! »
Le jeune homme se laissa mollement aller d'avant en arrière, jusqu'à ce que Tom, son élan épuisé, le serre contre lui, enfouissant son visage dans ses cheveux avec une petite exclamation peinée.
Jiu lui rendit son étreinte.
« Désolé de t'avoir fait peur. Ce n'était pas le but. »
« Je sais. » maugréa-t-il.
Bien sûr que ce n'était pas pour ça que Jiu avait monté cette expédition. Jiu avait fait ça parce qu'il était intelligent et s'était douté que sa mission vengeresse risquait de ne pas porter ses fruits. Et s'il avait prolongé son opération pour aller sauver les Unas du village, c'était parce qu'il avait un cœur en or et n'avait pas pu les abandonner à leur triste sort.
Mais savoir tout ça, n'empêchait en rien son âme de trembler de peur à l'idée qu'il aurait pu perdre ses deux frères !
Le visage contre son torse, Jiu pouffa, avant de lui planter un doigt dans les côtes qui le fit reculer avec un feulement outré.
« Comme ça, tu sais ce que je ressens à chaque fois que toi et Liu partez pour une de vos missions à la noix ! » siffla le jeune homme, agitant un doigt péremptoire.
Que répondre à ça ? Il ne put que hausser les épaules avec un sourire d'excuse.
Dans un chuintement pneumatique de porte, Zen'kan mit fin à leur débriefing.
« Les gars, faut que vous veniez ! C'est ouf ! »
