AAAAAAAALLEZ DU RAPROCHEMENT !
Après la maman, les copines ! Drago finira par respecter les meufs !
Depuis le début de la réunion, Drago supportait les remarques condescendantes et les excuses qui n'en étaient pas avec hauteur, mépris, et une certaine forme de satisfaction à mener le score.
« Vous ne devez pas être coutumier de ce genre de pratique, Monsieur Malfoy, mais notre entreprise ne peut être tenue responsable des retards qui…
– Rassurez-vous, Monsieur Palmer, je n'ai jamais eu la bêtise de tenir Asterion-Fils responsable. Je sais que vous êtes seul en charge du dossier. Il n'empêche que le chantier…
– Il était impossible de prévoir que les conditions météorologiques seraient si…
– Vraiment ? Est-ce que vous n'avez pas reçu notre dossier, ou bien avez-vous omis de le consulter ?
– Je ne compte pas me faire apprendre mon métier par un prisonnier qui oublie sa place.
– Loin de moi l'idée de vous apprendre quoi que ce soit. Il est toutefois de mon devoir de vous rappeler qu'une extension du budget, dans le cas de conditions météorologiques défavorables, a déjà été négociée et ratifiée dans…
– Monsieur Potter, je vous en prie ! s'emporta l'homme en changeant d'interlocuteur. Ce n'est pas sérieux ! Cet individu me manque singulièrement de respect ! »
Potter sirotait son café en suivant l'affrontement comme s'il s'agissait d'un match de Quidditch, son sourire dissimulé derrière un mug fumant.
« Monsieur Palmer, répondit-il après une gorgée. Je n'y connais rien, et j'ignore si la pratique est habituelle ou non, mais vous avez effectivement accepté ces conditions.
– Asterion-Fils ne pourra de toute façon pas poursuivre les travaux en l'état ! »
L'homme croisa les bras dans une attitude défensive un peu immature, et s'enfonça dans son siège.
Potter se suçota les lèvres en moment en hochant la tête, comme s'il réfléchissait aux tenants et aboutissants de cette menace, puis après une espèce de soupir résigné, il adressa un nouveau regard à Drago pour l'autoriser à poursuivre. Son visage était de marbre, mais ses yeux rieurs. Drago asséna son jugement sans manifester plus d'émotion :
« Rien n'empêche Asterion-Fils de se désengager du chantier, bien-sûr. Les clauses de ruptures sont là pour ça. Votre entreprise serait alors tenue de nous rembourser la somme engagée ainsi qu'une pénalité forfaitaire de…
– Monsieur Malfoy… »
Le plaisir que prenait Drago à affronter cet homme était d'autant plus important qu'il l'avait entendu, la veille même, le traiter de monstre devant l'une de ses collègues. Il avait désigné sa joue et affirmé qu'une malédiction l'avait défiguré. La nouvelle rumeur à son propos voulait qu'il ait échangé de place avec sa mère des années plus tôt, avant d'être emprisonné. Tous deux s'était retrouvés sur la plage puis adonné à de sordides rituels de Magie Noire dans une salle secrète de la prison. Depuis, le son des vagues avait changé et les albatros s'étaient réfugiés en haut des murailles.
« Il paraît que depuis que Harry Potter a ouvert les yeux sur lui, il cherche à amadouer le Ministre en personne. Il paraît qu'il a reçu une remise de peine en parvenant à le charmer avec les mots, puisqu'il ne le peut plus avec son visage. »
Drago avait été vérifié : il ne restait en effet qu'une dizaine d'albatros dans leur zone de nidification, mais aucun n'était inquiet. Il avait longtemps pesé les pour et les contre à aménager une chatière dans les portes arrières pour offrir une solution de replis au bébé qui ne savait toujours pas voler. Encore une fois, la crainte du qu'en-dira-t-on avait mis un terme à son projet.
Il connaissait son dossier sur le bout des ongles et n'avait donc aucune inquiétude. Parfois, la Major Mullan faisait glisser vers lui un dossier manquant ou précisait une date ou un chiffre. Le Major Runcorn grondait un peu quand le ton montait, ou le défendait d'un « Monsieur Malfoy travaille pour nous » ou d'un « Évidemment que nous connaissons notre affaire ». Et Potter s'amusait.
Palmer était en train de négocier une rallonge qu'il était de moins en moins convaincu de mériter quand une note éclata dans les airs. Un son à mi-chemin du chant et de l'instrument, mais avec des accents sauvages de vent ou de vague.
Ils levèrent tous la tête et les poils de Drago se dressèrent sur ses bras.
Il croisa une micro seconde le regard alerte de Potter mais dirigea presque par réflexe ses yeux vers ceux de la Major Mullan qui le fixait, les siens grands ouverts.
La femme se leva d'un bond et Drago l'imita. Cette note ressemblait à un appel, à une invitation. Il entendit d'autres voix l'appeler – il reconnut le ton inquiet de Potter parmi elles – mais il les ignora. Mullan avait déjà atteint la porte quand Drago s'élança à sa suite.
Son cœur battait à toute vitesse dans sa poitrine. Ils dégringolèrent les escaliers quatre à quatre, avec à peine moins de hâte que le jour où il fuyait un Détraqueur. Il y avait quelque chose dans sa poitrine qui frappait, mais sans qu'il ne ressente de douleur. Un sentiment proche de l'euphorie et dont il n'avait pas l'habitude.
Une fois dans le hall, Mullan ouvrit la porte d'un grand geste de baguette dès que celle-ci fut en vue et se précipita dehors sans ralentir. Il y eut un claquement sec et Drago réalisa, médusé, qu'elle avait lâché et abandonné son arme sur le sol.
Quand il arriva sur la plage, la lumière vive lui piqua les yeux. Jamais le soleil n'avait été aussi éclatant jusque-là. Il cligna plusieurs fois des paupières, leva une main au niveau de son front et la vit enfin : Lucile brillait au soleil comme une perle précieuse. Elle n'avait rien d'humain mais était superbe.
Mullan la percuta comme deux étoiles qui se rencontrent, la souleva de terre et la fit tournoyer dans les airs. La note mélodieuse que Lucile avait tenue fut remplacée par un éclat de rire au moins aussi musical. Quand elles s'immobilisèrent, la Selkie resta accrochée quelques secondes aux épaules de l'humaine, plaquée contre sa poitrine musculeuse et, les yeux dans les yeux, elles se sourirent comme si rien d'autre qu'elles n'existait au monde… Et puis elle se laissa tomber sur sa bouche et elles s'embrassèrent passionnément.
Drago entendit un bruit de course dans son dos, puis sentit la main de Potter lui attraper le bras et son corps se positionner, comme un bouclier, autour du sien.
« Drago, qu'est-ce-que… Put… »
Potter interrompit son juron en constatant le spectacle. Sa baguette était brandie mais il ignorait visiblement quoi en faire
Il y avait quelque-chose d'infiniment beau dans l'étreinte des deux amantes. Quelque-chose que Drago n'avait jamais vu chez un couple d'humains. Leurs bouches se séparèrent à peine et elles échangèrent quelques mots que personne d'autre qu'elles n'entendit.
Enfin, Lucile se laissa glisser au sol et entraîna Mullan derrière elle. Elles se dirigèrent vers un tas de peaux qui attendait à la lisière des vagues, et tandis qu'elles marchaient, les vêtements de Mullan disparurent.
« Major… » tenta Potter d'une voix rauque et hésitante. Il n'alla pas plus loin.
Drago avait toujours trouvé le corps de Mullan hideux. Trop grand, trop large, trop gras, trop brutal, trop peu féminin et indubitablement trop peu harmonieux. Il s'était trompé. Elle avait les proportions parfaites de la Vénus de Willendorf.
Elle se pencha et récupéra sur le sol une peau bleutée à laquelle était encore accrochée une tête de mammifère, et s'en drapa sans une hésitation. Dès que sa silhouette eut disparu derrière l'artefact, elle se ramassa sur elle-même et ce fut comme si elle n'avait jamais existé et jamais été humaine : il ne restait sur la plage qu'une espèce de phoque immense – bien plus imposant que ne l'avait été le morse – qui fila à la vitesse d'un serpent qui attaque vers les flots et s'y enfonça sans que l'eau ne se ride.
À l'instant où elle toucha la mer, un nouveau cri retentit, semblable à un hurlement de baleine. Simultanément, tous les Sorciers tombèrent à genoux et le ciel explosa dans un vaste tourbillon de couleurs hypnotique. Tous les sorciers, sauf un. Drago était debout et il leva la tête pour contempler le spectacle d'une aurore boréale diurne. Il sentait la main de Potter sur lui, toujours accrochée à son vêtement et, sans elle, il aurait peut-être oublié où il se trouvait.
Il baissa de nouveau les yeux sur le rivage. Lucile s'était immobilisée dans le geste d'enfiler sa propre peau et le fixait, un air surpris et songeur sur le visage. Elle fronça les sourcils quelques secondes, huma ostensiblement le vent, puis son visage se fendit d'un grand sourire, et elle poussa une exclamation joyeuse :
« Malfoy-Drago-Malfoy ?! C'est toi ?! »
Il ouvrit la bouche pour répondre, mais aucun son ne sortit. Elle éclata de rire :
« Ne meurs pas encore ! Je reviens vite ! »
Et elle aussi effaça son corps humain sous celui du phoque avant de plonger dans l'eau et de disparaître.
Comme aimanté, le visage de Drago se dressa à nouveau.
Les couleurs auraient dû être fades. Elles n'auraient pas dû être capables de se détacher de façon si franche contre le gris pâle du jour. Elles dansaient, se croisaient, s'enlaçaient sans jamais se mélanger, les verts répondant aux violets et les rouges glissant dans les méandres vacants. La note qui résonnait encore s'éteignit et un, puis deux, puis trois cris de loups-garous prirent la relève. Les hurlements firent frissonner Drago, mais ils exprimaient plus de tristesse que de sauvagerie, comme si les bêtes pleuraient en solidarité de l'humain qui disparaissait sous la bête.
Drago resta ainsi, immobile et fasciné, jusqu'à ce que Potter se redresse en marmonnant :
« Putain, c'était quoi, ça ? »
Drago ricana et baissa le nez vers lui. Le Survivant semblait bien plus abasourdi que craintif ou belliqueux.
« Ça, Potter, c'était la naissance d'une Selkie.
– Hein ? »
La scène n'avait duré que quelques minutes, mais Drago dut expliquer pendant des heures le peu qu'il avait compris du cycle de reproduction absurde de ses créatures. Il dût surtout rassurer tout le monde sur le fait que la Major n'avait pas été emmenée pour être dévorée.
« Attends, depuis quand Mullan est… Depuis quand elles sont…
– Depuis bien avant que Mullan ne vienne travailler ici. Elle est venue pour être plus proche de Lsh'.
– Chl-quoi ? Elle a un nom ?
– Lsh' n'est pas un animal. Bien Sûr qu'elle a un nom.
– Et depuis quand tu sais ça ? Pas pour le nom, pour Mullan. »
Potter était désemparé. C'était amusant de le voir ainsi, perdu et incapable. Il n'était plus inquiet pour sa Major, ni même pour les loups-garous du tout nouveau corridor 1 qui s'étaient calmés et avaient repris forme humaine sans même avoir besoin de leur potion Tue-Loup.
Non, il était inquiet pour Drago, comme toujours.
Il refusait de s'éloigner, de rompre le contact. Dès que Drago effectuait un mouvement ou un déplacement, il y avait une main pour atterrir sur son bras, dans son dos ou contre sa hanche. Ils avaient pris place dans la petite salle de réunion, celle des rapports du matin, et c'était désormais son genou qui venait lui frôler la cuisse.
C'était agréable. Cette dédication lui avait manqué. Cela faisait deux semaines qu'ils travaillaient régulièrement sur le carnet d'Ekrizdis, mais la distance de Potter continuait à lui peser, même quand il savait qu'une proximité n'aurait servi à rien ni mené à quoi que ce soit.
« Ça date de… Voyons. Vous veniez de capturer le Détraqueur ? Je les ai vus ensemble ce soir-là pour la première fois. Mais j'avais deviné bien avant. À l'époque où je m'occupais encore de ton ménage.
– Et pourquoi t'as rien dit ? »
Le ton était soupçonneux et Drago haussa les épaules :
« Les bonnes raisons se sont succédé.
– Du genre ?
– Du genre que Mullan ne voulait pas que ça se sache et que je lui faisais confiance pour gérer les choses de façon à éviter que Lsh' ne nous dévore tous.
– Et ? »
Et Drago restait un éternel romantique.
Pourquoi n'avait-il rien dit ? Mullan était affreuse et effrayante, comme lui, mais elle avait trouvé l'amour et sa place dans le monde. Mullan ne valait pas mieux que lui : elle aussi avait torturé, blessé, avait caché ses capacités quand elles auraient pu servir à aider le camp du bien.
Si Mullan était parvenue au bonheur, pourquoi pas lui ?
La soirée dura longtemps, et les lumières des aurores mirent un temps infini à s'éteindre.
Drago et Potter avaient pris place sur le balcon du Directeur, au milieu des albatros, pour les admirer. Potter portait la plus épaisse de toutes ses capes et Drago sa peau de morse.
Pourtant il n'y avait rien de plus chaud que sa main dans le creux de son dos.
