Je suis désolée du manque de réponses en ce moment : les fêtes n'ont pas été de tout repos pour moi et je commence tout juste à sortir la tête de l'eau...

C'est toujours un plaisir immense de vous lire et chaque encouragement ou petit mot est vraiment vraiment vraiment apprécié... mais je me dis que vous préférez le l'histoire que les remerciements ^^


Quarante jours.

« Mon canonnier est mort. J'ai conservé sa peau. Demain, je me mettrai en quête d'un nouveau bâteau. Je suis parvenu à réduire sa taille, mais il pèse toujours. Il bat. Ils ne m'approchent pas quand je le garde sur moi et leur frayeur me peine. »

Drago s'interrompit, de même que le grattement de la plume que tenait Potter.

« Leur frayeur… commença le Survivant après un raclement de gorge. On parle des Détraqueurs ?

– Je suppose… murmura Drago en relisant plusieurs fois la phrase. Ce serait logique. »

Il se mordilla les lèvres.

Depuis qu'ils avaient commencé leur étude du carnet, ils n'avaient absolument rien découvert d'intéressant. Drago avait même abandonné l'idée que leurs entrevues puissent servir à autre chose que de leur donner une occasion de passer un moment ensemble. Cette phrase minuscule lui rappelait le but officiel de ces rencontres et il le regrettait presque. L'information amenait avec elle des souvenirs désagréables.

Personne, à part lui, n'était parvenu à éprouver une once de compassion pour le Détraqueur capturé. Peut-être Monsieur Temrah, qui avait eu l'audace d'aller explorer sa mémoire, mais même lui avouait ne l'avoir fait que pour satisfaire une curiosité à demi morbide. Potter avait libéré le monstre dans une tentative désespérée de respecter ce qui prenait être les dernières volontés de Drago, et le monde entier lui en avait voulu. Heureusement, le Professore Kenaran l'avait soutenu, probablement pousser en ce sens par Rosier qui avait un drôle de pouvoir d'emprise sur le vieux mage. Lui qui était connu pour son intransigeance à l'égard de la science magique avait pris le parti du Survivant de Grande Bretagne, et l'ensemble de son Malefistinat avait bien être obligé de suivre et de supposer qu'il savait des choses que eux ignoraient.

Le Détraqueur n'avait plus fait parler de lui et tout le monde l'avait oublié, l'avait relégué au rang d'événement bizarre dont on n'entendrait plus jamais parler.

Seul Drago se demandais encore, parfois, où il se trouvait et ce qu'il faisait ou espérait.

Drago n'aimait pas beaucoup l'idée d'avoir un point commun avec Ekrizdis.

« Dis-moi à quoi tu penses, exigea doucement Potter en brisant le silence pesant.

– Je ne sais pas parler en réfléchissant, marmonna Drago. Mais à rien de… »

Le doigt de Potter apparut dans son champ de vision pour refermer le carnet et s'attarder sur la couverture noire, comme un défi à contester la décision du Héros.

Drago soupira et se redressa contre le dossier de sa chaise. Il laissa son regard glisser autour de lui pour se donner le temps de réfléchir et émit un nouveau soupir, plus agacé que le précédent. Les appartements du Directeur n'avaient toujours pas été remis en état. Une couche de poussière recouvrait la bibliothèque et le tourne-disque. Abandonné sur les tables gigognes, le vieux plateau d'échecs ne distinguait plus ses pièces de verre lisse ou dépoli.

« Nos avancées sont si minimes qu'un simple mot te fait surréagir, annonça enfin Drago. Ekrizdis parle de peine, mais il s'agit peut-être simplement de regrets : il déplore le fait que les Détraqueurs s'éloignent de lui et, par conséquent, de ses prisonniers.

– Leur frayeur, rappela Potter. Il les humanise. Il leur prête des émotions.

– La peur est davantage un sentiment qu'une émotion et…

– On s'arrête ici pour ce soir. »

Drago tourna vivement la tête vers lui.

Potter l'observait, les yeux plissés et pensifs derrière ses lunettes. Du doigt, il fit glisser le carnet vers lui avec une lenteur calculée.

« Pour la dernière fois : je ne suis pas envoûté, Potter.

– Dans ce cas, aucun problème à faire une pause.

– On ne va pas faire une pause à chaque fois que l'on risque d'avancer, ce serait contre productif.

– On va faire une pause à chaque fois que je le juge nécessaire. »

À son tour, Drago étrécit les yeux pour menacer un Potter qui ne broncha pourtant pas. Au bout d'un moment, conscient que ni l'un ni l'autre n'était prêt à céder, il tenta de négocier :

« Je vais t'indiquer le passage où je me suis arrêté. Tu vas traduire toi même la phrase suivante et si, comme c'est probable, Ekrizdis change simplement de sujet, alors nous pourrons reprendre », proposa-t-il.

Puis, par fierté mal placée, il ajouta :

« Avec ton acuité visuelle phénoménale et tes capacités intellectuelles exceptionnelles, ça ne devrait te prendre qu'une heure ou deux. Je préparerai du thé, en attendant. »

Potter accueillit la pique avec un sourire tranquille et termina de soustraire le carnet à sa vue en le glissant dans la poche arrière de son jean.

« Bonne soirée », osa-t-il même suggérer.

Privé de l'équipe des Bâtisseurs, des bruits de leurs conversations, de leurs outils et de leur travail, Azkaban semblait de nouveau lugubre et abandonnée. Drago n'avait pas du tout envie de retourner dans sa cellule. Il croisa les bras, mettant au défi Potter de le chasser.

« Ton comportement est suspect, Drago… indiqua calmement celui-ci.

– Je m'ennuie dans ma cellule. Il est hors de question que je m'en aille déjà. »

Potter éclata de rire.

« C'est l'excuse la plus pourrie que tu m'ais jamais sortie.

– C'est la vérité.

– Tu veux que je te trouve une occupation ?

– Oui. Divertis-moi. »

Potter ricana de nouveau, puis se leva et s'éloigna en direction de son bureau personnel.

« J'ai plus rien à te raconter, moi ! s'exclama la voix de Potter depuis l'office. Enfin, rien de sympa, quoi… »

Drago sentit la décharge magique et supposa un charme de dissimulation ou de cafardage. Peut-être les deux. Il devina que le débordement avait été prémédité et supposa qu'il faisait d'une nouvelle façon de le tester. Un autre sort, plus discret, avait probablement été dissimulé sous l'exuberance du premier.

Potter revint, tout sourire, les yeux levés en quête d'une inspiration :

« Je t'ai déjà parlé de la fois où…

– Laisse-moi te couper les cheveux », improvisa soudain Drago.

Le regard de Potter redescendit aussitôt sur lui tandis que sa main montait en direction de son crâne pour se gratter la tignasse.

« T'aimes pas mes cheveux ? demanda-t-il d'un étonné.

– Si, admit Drago. Mais je voudrais éclaircir ta nuque.

– T'aimes mes cheveux ? » s'exclama Potter, soudain plus enjoué.

Drago ne se donna pas la peine de répondre et le regarda tirer sur l'une de ses mèches emmêlées, déroulant celle-ci presque jusqu'à son menton.

« Tu sais que ça sert à rien ? Demain, ils auront repoussé pareil.

– Tant mieux : je ne sais pas couper les cheveux. Ainsi, personne ne sera témoin du massacre. »

Potter rit de nouveau et demanda :

« Moi aussi, j'aurais le droit de jouer avec les tiens ?

– Si tu veux. »

Le rire de Potter ressemblait au chant d'une Selkie. Il chassait les émotions et la capacité de réflexion. On avait envie de l'entendre à nouveau.

Il insista pour aller se passer la tête sous un jet d'eau chaude – apparemment un conseil de coiffeur moldu – avant de s'installer en tailleur sur un plaid étalé devant la cheminée. Drago s'assit sur le canapé, juste contre son dos et se mit au travail. Il tentait d'imiter le geste doux et élégant qu'il avait vu effectué mille fois par sa mère, quand il était petit : saisir les mèches, une par une, entre le majeur et l'index, et laisser glisser jusqu'à pouvoir couper les pointes. Les boucles et les nœuds ne facilitaient pas le travail, mais ils lui donnaient l'occasion de prendre son temps.

Potter commença par raconter une histoire d'enfance, de maltraitance et de crâne rasé par sa tante, et puis, doucement, il cessa de parler. Sa voix fut remplacée par le ronronnement doux des flammes, le craquement des bûches et les brefs coups de ciseaux.

Drago avait une vue plongeante sur son dos, ses épaules, ses trapèzes. La cheminée faisait briller des reflets d'or sur sa peau bronzée. L'odeur de son shampoing se superposait à celle du feu, confortable. Parfois, ses doigts effleuraient malgré lui sa nuque, et il s'étonnait de découvrir une peau aussi douce que du velours, quand il s'était attendu à un cuir solide. C'était lent, long et confortable.

Il se demanda si cette manière de se rincer l'œil n'était pas un peu malaisante, mais décréta que non : il ne faisait qu'apprécier le spectacle et n'attendait rien de Potter.

Il parvint, à force de tâtonnements, à obtenir quelque-chose d'à peu près régulier, à bien dégager la nuque et à désépaissir les côtés.

Une fois satisfait – la toison de Potter était parfaitement sèche et de nouveau dressée au sommet de son crâne – il épousseta les petits cheveux égarés sur ses épaules. Il s'efforçait de respirer calmement, mais l'une de ses inspirations sonna comme un hoquet et il s'immobilisa.

Potter laissa passer quelques secondes avant de renverser tout doucement sa tête en arrière. Son crâne rencontra ses cuisses et il le regarda comme ça, le visage à l'envers et les pupilles de ses yeux dilatées et brillantes. Longtemps. Et puis à l'instant où Drago sentit la panique le gagner, ses paupières s'abaissèrent, comme pour le rassurer, comme s'il lisait dans des pensées…

Il y eut un nouveau silence, moins confortable et plus chargé que le précédent, puis Potter parla, d'une voix si basse qu'on aurait pu la prendre pour le bruit du vent :

« Je t'aime toujours. »

La respiration de Drago se bloqua dans sa gorge.

« J'attends rien de toi, je te demande rien. Et je te jure que j'essaye de passer à autre chose. Je finirai par y arriver. Mais pour le moment, je t'aime encore. »

Son expression était aussi neutre que s'il dormait. Drago s'entendait trembler, il voyait ses doigts fébriles et moites par opposition au calme rassurant de Potter.

« Je peux pas m'empêcher d'espérer quand t'es là, quand t'es comme ça. Je fais sûrement une connerie en te disant ça, mais ce serait trop con de pas être honnête et de risquer de passer à côté de quelque chose. »

Ce serait trop con, et c'était ce que faisait Drago depuis des jours. Comme toujours, Potter, lui, agissait. Drago avala sa salive, nerveusement. Il fallait fournir une réponse à Potter, mais il ne savait pas quoi dire. Il craignait que sa voix tremble.

Il fit glisser ses doigts contre ses tempes, le long de sa mâchoire, jusqu'à son cou.

Ça ne servait à rien, c'était stupide, égoïste et dangereux.

Il se plia en deux et posa ses lèvres sur les siennes.

Il ouvrit à peine la bouche, il avait peur d'être maladroit. Il tremblait et sa respiration était hachée.

Et pourtant, il ne regretta pas ce geste.

Il s'attarda un peu, le contact était ténu…

Et puis il recula. Il ne savait pas ce qu'il voulait, ce qu'il espérait, ce qui était possible et ce que Potter était prêt à lui accorder. Il sentit son cœur tambouriner dans sa poitrine, comme s'il s'agissait de son premier baiser.

Potter garda les paupières closes. Un bout de langue minuscule apparut un instant pour humidifier les lèvres ou pour goûter les restes de sa présence. Il demanda :

« Si j'ouvre les yeux, est-ce-que tu risques de disparaître ? »

Un sanglot, ou un rire, ou une exclamation étouffée échappa à Drago. Il se rappela qu'il était capable de parler. Il ne savait pas trop si Potter évoquait une fuite ou un rêve, et lui-même ne savait plus trop où il se trouvait. Dans tous les cas, Potter était capable de réagir.

« Si c'est le cas, retiens-moi. »

Les yeux verts s'ouvrirent et Drago fut pris d'une espèce de vertige. Il n'y avait plus que cela : le vert et le noir. Et peut-être lui au centre. Potter leva la main avec cette lenteur à la fois horripilante et sécurisante qu'il avait, et à laquelle Drago s'était habitué. Quand le dos de ses phalanges caressa sa joue, il inclina la tête vers lui, malgré lui, pour affirmer le contact.

Potter se redressa, se retourna, sans jamais le lâcher des yeux ou ôter sa main et Drago déglutit, un peu plus inquiet qu'il n'aurait voulu l'admettre.

Il fût forcé de reculer, de s'enfoncer dans le canapé. Potter posa une main sur son genou pour conserver son équilibre et approcher son visage, jusqu'à poser son front sur le sien et le fixer avec une intensité pétrifiante. Ce fut au tour de Drago de baisser les paupières. Il sentait sa peau contre sa peau et son souffle sur sa bouche…

Et puis il y eut ses lèvres, de nouveau. Toujours pas un réel baiser, une simple caresse. Drago frémit, bougea avec précaution pour sentir le volume de ses lèvres, leur épaisseur, leur douceur… Potter inclina légèrement la tête et sa langue vint chatouiller la peau sèche et sensible, l'encourageant à ouvrir la bouche. Il glissait, s'accrochait, s'attardait et guettait des autorisations.

Drago sentait venir le mal de tête, lentement. Il sentait ses certitudes et ses pensées tirailler sur son envie d'aller plus loin. Il voulait se convaincre qu'un baiser n'impliquait absolument rien, ne le forçait à rien, n'avait aucune valeur d'engagement. Il ne parvenait pas à se concentrer uniquement sur les sensations, à s'oublier comme il le faisait toujours quand on l'embrassait.

Il secoua légèrement la tête et son nez trop pointu frappa celui de Potter, cogna même dans ses lunettes.

« Je suis désolé, murmura-t-il sans ouvrir les yeux. Je n'y arrive pas. Je ne ressens rien. »

Potter rit contre sa bouche, mais le son évoquait plus de tristesse que de joie ou de plaisir. Il déposa un dernier baiser sur ses lèvres, aussi léger qu'un courant d'air, puis recula.

« C'est parce que je suis pas à mon max, plaisanta-t-il en faisant à son tour rire Drago. Normalement, j'ai moins de pression quand j'embrasse. »

Drago ouvrit les yeux.

Potter n'avait pas l'air d'être déçu ou de lui en vouloir. Il le regardait même comme s'il venait de lui accorder un cadeau d'une valeur infinie, comme si toute une vie ne serait pas de trop pour l'apprécier suffisamment. La main sur sa joue effectua un mouvement doux avant de s'éloigner et il se redressa en souriant avec encore plus de tendresse.

« À mon tour de jouer au coiffeur. »