En passant : arf, j'espère que ça va quand même ! c'est pas facile quand les trucs s'accumulent... En fait, Drago a toujours eu une attitude toxique pleine de préjugés et refusé la communication... j'aime bien avoir des persos principaux pleins de défauts
C'était peut-être comme ça qu'étaient sensées se dérouler les séances de psychologie moldue : Depuis qu'il avait vidé son sac devant Potter, Drago se sentait un peu plus serein. Sa présence impromptue lui hérissait toujours le poil, mais parfois il réalisait qu'il cherchait de lui-même à croiser la route du Survivant. S'il provoquait lui-même ces rencontres, alors une part de lui se trouvait soulagée. Voir ses yeux tristes, ses traits tirés, ses cernes profondes, et ce petit sourire contrit et fatigué qu'il lui adressait, à chaque fois…
Parce qu'il recommençait à percevoir et à différencier les différents sourires du célèbre Harry Potter.
Quand il ne tordait sa bouche que d'un côté, c'est qu'il était amusé. Il adressait ce sourire-là aux Surveillants qui venaient plaisanter avec lui.
Parfois, il ne redressait que la lèvre supérieure, révélant ses dents blanches et parfaites, une espèce de petite moue canaille, quand lui-même était satisfait de l'une de ses blagues. Il accompagnait cette expression d'un léger dodelinement de la tête.
Régulièrement, un sourire plus léger, doux, bouche close, yeux baissés, ou au contraire, fixés sur le lointain.
Il y avait aussi les fois où sa langue venait caresser ses dents avant de les exhiber. Il faisait ça quand il était gêné. Quand il cherchait à apitoyer les gens ou à se faire pardonner.
Et puis il y avait le sourire qu'il ne réservait qu'à lui : Toujours, d'abord un clignement de paupières perdu et un sursaut des lèvres tandis que le menton se contractait. Ensuite le rictus apparaissait doucement, en tremblotant, comme s'il craignait de mourir avant même d'être né.
Et jamais, jamais, au grand jamais, ces différents sourires n'atteignaient ses yeux.
Drago avait fini par recaler les candidats que Potter avait sélectionnés pour venir travailler en tant que secrétaire personnel, et même par avouer à Rosier qu'il était de moins en moins sûr de vouloir venir le rejoindre à Rome. Celui-ci n'avait pas semblé être gêné de la nouvelle. Il avait en revanche insisté pour que leur correspondance se poursuive et réclamé à concerver la garde de Lucius Malfoy, honneur auquel Drago était bien soulagé d'échapper.
Il gardait l'impression permanente, la certitude absolue que le bonheur lui serait à jamais interdit, mais avait du mal à s'en inquiéter. Il se sentait à sa place, et étonnamment maître de lui-même.
Chaque week-end, une dizaine de pièces l'attendaient sur son bureau. Drago ne savait pas vraiment quoi en faire. Officiellement, les détenus n'avaient pas le droit de commander quoi que ce soit à l'extérieur. Drago avait bravé l'interdit des centaines de fois quand il avait passé commande au nom de Potter, mais le faire avec son propre argent lui semblait un peu trop hardi et dangereux. Il préférait « emprunter » discrètement les livres qu'il trouvait dans la salle de repos des gardiens.
Un midi, il avait osé utiliser l'un des balais qui avaient servi lors des rondes aériennes de recherche du Détraqueur, et était parti jusqu'au bord du dôme extérieur, au Nord, là où il disait l'avoir relâché.
Il restait des Détraqueurs qui rodaient là, semblant à la dérive, comme ils l'étaient toujours quand il n'y avait pas de proie à chasser, que personne ne leur indiquait quoi faire et que la faim restait soutenable… Aucun ne semblait différent des autres, aucun ne semblait être son Détraqueur, celui qu'il avait attiré et appelé malgré lui.
Fut-ce un hasard ou non ? Dès le lendemain matin, quand il vint rejoindre Nguyen pour effectuer quelques travaux dans son laboratoire, celui-ci refusa d'en entendre parler tant qu'ils n'auraient pas effectué une nouvelle session de psychologie moldue.
« Pardon ?
– Cela fait plus d'une semaine depuis notre dernière séance », souligna doucement l'infirmier en croisant les doigts par-dessus son bureau. Son visage et son crâne étaient presque guéris. Ses cheveux continuaient de repousser en désordre, et leur couleur ainsi que leur nature indomptable rappelait désagréablement celles du Survivant.
« C'est lui qui vous l'a demandé, n'est-ce-pas ?
– De qui parlez-vous ? »
Drago recracha tout l'air de ses poumons en fixant la fenêtre de l'infirmerie. Quand il en revint à l'homme, celui-ci avait sorti son parchemin, sa plume, et écrivait déjà ses inepties en haut de la feuille avec son petit sourire moqueur.
« Je n'ai aucune envie de parler à nouveau du sujet évoqué lors de notre dernière séance », indiqua Drago en tentant – sans succès – de lire à l'envers.
– Ce n'est pas un problème. Comme vous le savez, c'est à vous de choisir le thème de la discussion. »
Drago évoqua son escapade de la veille.
Quelques jours plus tard, ils durent expérimenter une nouvelle lubie de Potter : Ils étaient cette fois quatre, ayant étés rejoints par les ex-époux Welbert. Des chaises avaient été installées en forme de cercle.
« Est-ce-que vous êtes sûr d'avoir bien compris les consignes ? » demanda celle qu'il fallait désormais appeler Wihelma Vine. « Ça ne fonctionne peut-être que si l'on est réellement des anonymes ?
– Je crois qu'on s'en fiche un peu », répondit le désormais unique Welbert. Il était de Sang-Mêlé et connaissait (mal) le principe : « Je crois que l'intérêt est juste de discuter du sujet sans qu'on se sente jugés… Se soutenir… Et puis, comme qui dirait, comparer nos ressentis ? Pour se dire qu'on est pas complètement bizarres ?
– C'est un peu débile, non ? On peut faire ça tranquillement, sans se donner de rendez-vous, comme des gens normaux qui discutent ? Je veux dire : Surtout si le but est de se sentir normal… »
Pour une fois, Drago était d'accord avec la rouquine. Ce fut Nguyen qui répondit. Il tenait entre ses mains un nouveau livre moldu, probablement de la même collection que le précédent, étant données sa taille et ses couleurs, et certainement également offert par Potter.
« Pour cette pratique-là, on ne fait pas que parler. Il y a des exercices de proposés. L'un d'eux consiste à crier… »
Et les autres n'avaient pas beaucoup plus de sens : se bander les yeux et se laisser trimbaler par les autres, parler de ses progrès, se choisir un parrain ou une marraine parmi les autres participants… Wihelma se moquait. Drago était atterré. Nguyen obéissait sans entrain aux directives, vaguement curieux du résultat de cette nouvelle expérience… Et Medwin Welbert, désespéré, tentait de plaider pour les soins moldus, affirmait qu'il n'y avait rien de ridicule là-dedans, et que parfois, ça fonctionnait…
Dès la fin de la première séance, Drago avait proposé à Wihelma qu'ils arrangent leurs emplois du temps ensemble : S'ils ne trouvaient plus aucun moment de libre en commun alors la torture serait impossible à organiser. La Surveillante avait éclaté de rire :
« Hors de question ! C'est débile mais ça me fait marrer ! En plus, c'est sur nos temps de travail, et je t'avoue qu'être payé à participer à ce genre de connerie, ça me fait juste surkiffer ! »
Drago hésita à se rendre introuvable lors de la seconde rencontre, prévue la semaine suivante, mais repoussa l'idée. D'une part, il ne voulait pas que Potter utilise la clochette pour venir le trouver, et d'autre part, une curiosité morbide pour la médecine moldue avait commencé à le travailler.
·
Trois semaines après son réveil, la Selkie était de retour. Elle le surprit un matin, tandis qu'il récupérait le courrier de la nuit et distribuait les friandises sur la plage. Son « Malfoy-Drago-Malfoy » le fit sursauter au point qu'il lâcha le sac qu'il avait subtilisé dans les appartements du Directeur et qu'il dût batailler avec la horde d'albatros pour le récupérer, à moitié plus léger qu'il ne l'avait été.
« Je t'ai déjà dit qu'ils pouvaient se nourrir seuls, tu sais. Ils ne sont pas… Qu'est-ce que tu as fait à ton visage ?! » éclata-t-elle quand il se tourna vers elle.
Son expression était horrifiée, et il se passa une main craintive sur les joues et le front, cherchant nerveusement une bosse, une blessure, une irrégularité… Les dents extérieures, une nouvelle fois, avaient fini par tomber toutes seules. La peau qui les avait remplacées était sèche et bosselée, mais pas désagréable à tripoter.
« C'est mon visage… marmonna-t-il finalement. Tu trouves qu'il a changé ?
– On dirait que tu t'es débarrassé de celui que tu avais volé, mais que tu n'as pas encore décidé de celui que tu allais porter… Tu ressembles à l'un de ces bébés humains qui sont déjà morts quand ils sortent des entrailles de leur mère… »
Drago ne savait pas ce qui était le pire entre la remarque, le ton détaché avec lequel elle avait été prononcée, ou l'idée que Lucile ait déjà pu voir ce dont elle parlait.
« Ton odeur aussi a changé. Tu ne portes plus que la tienne, désormais. J'ai failli ne pas te reconnaître. Heureusement qu'il reste les cheveux.
– L'odeur aussi, je l'avais volée ? »
Elle éclata de rire : « Non, l'odeur, vous la partagiez ! »
Elle n'avait pas sa silhouette de femme enceinte : Son ventre n'était que légèrement bombé, et Drago devina qu'un nouveau cadavre imposant et tout juste entamé devait se trouver quelque part entre les rochers, invisible aux yeux indésirables.
À présent que le Détraqueur était parti – elle présenta l'information comme un détail, comme s'il n'avait été qu'une intempérie et que celle-ci était passée – elle informa Drago qu'elle pourrait passer davantage de temps prés de lui, puisque les proies reviendraient. Elle lui offrit un énorme saumon mort et lui affirma qu'elle allait de nouveau s'occuper de le nourrir, puisqu'il avait continué de perdre du poids depuis son départ… Face à n'importe qui d'autre, il aurait été capable de nier. Devant elle, il baissa le nez et marmonna un « comme tu veux » résigné. Il ne savait ni vider un poisson, ni lever des filets, mais elle lui montra comment faire. L'opération ne différant pas tant que ça de certaines dissections imposées en cours de potions avancés, il parvint rapidement à un résultat acceptable. La chair du saumon était en outre une récompense plus attrayante que les lanières de graisse de morse.
Elle se tenait accroupie devant lui, comme un sumotori, et la peau de phoque ceinte autour des hanches ne cachait pas grand-chose de son corps. Drago mâcha son dernier morceau de saumon cru avant de demander :
« Harry Potter. Le Survivant. Celui qui porte son propre visage… Je t'avais parlé de lui ?
– Je ne crois pas », répondit-elle en fixant sa bouche des yeux, comme si elle voulait vérifier qu'il avalait bien jusqu'à la dernière miette de chair. « Mais je ne t'écoute pas vraiment quand tu parles d'un humain en particulier : Je les confonds un peu tous.
– Même lui ? »
Elle haussa les épaules et se redressa : « Ce n'est qu'un humain avec un visage. Il nage beaucoup, il ne s'enfuit pas quand il est attaqué. Il couchait avec toi, et il portait ton odeur. Il a fait pousser et tomber tes dents, mais les tiennes repoussent, contrairement aux autres humains. Il a une baguette, et je n'ai pas le droit de le manger. Il ordonne des choses à Morrigan, et elle doit obéir si elle veut être payée. Elle doit être payée pour pouvoir vivre parmi les humains tant que je n'aurais pas trouvé sa peau. »
Elle récita son texte d'un ton morne et désintéressé. Drago tiqua tout de même sur un détail :
« Il nage beaucoup ? Au présent ? Tu n'as pas dit : il nageait…
– Non, il nage. Il nage tous les jours. Mais ce n'est pas très important : Il ne s'éloigne jamais trop de l'île, alors les requins ne s'intéressent pas à lui, mais…
– Les requins ?! »
Lucile attendit patiemment que Drago explicite sa question, mais il revint soudain à l'information précédente :
« Il nage ?!
– Il nage. »
Il nageait.
Le lendemain matin Drago se rendit de nouveau sur la plage pour s'en assurer.
Il nageait.
Le soleil n'était pas encore levé. Drago, enveloppé dans sa peau de morse, au sec et en sécurité sur le ponton sentait tout de même le vent et le froid mordre son visage, et Potter nageait. Probablement à demi-nu, au vu du petit tas de robes, capes et chaussures qui attendait par terre, avec une pierre posée dessus pour lester l'ensemble et l'empêcher de s'envoler. Sans oublier les lunettes, en sécurité au sommet.
Au bout d'un moment, Drago entendit le bruit d'un crawl troubler le son régulier de la marée, et une minute plus tard, il put distinguer le mouvement d'un corps pâle dans l'eau noire. La silhouette ralentit, puis s'arrêta à quelques mètres de lui. Potter obliqua ensuite vers la plage, et émergea. La pierre qui protégeait les vêtements glissa sur le côté, et ceux-ci s'envolèrent pour rejoindre leur propriétaire, plus bas.
Quelques instants plus tard, ce dernier rejoignait Drago sur le bois pourrissant de l'embarcadère :
« Tu me cherchais ? »
Il s'était rhabillé à la va-vite. Sa chemise n'était pas encore boutonnée, sa cape pendait lamentablement. Il s'était vraisemblablement séché d'un sort, puisque ses cheveux s'étaient déjà redressés sur son crâne, et qu'aucune goutte n'en tombait. Pourtant, il se les tapotait nerveusement avec une petite serviette.
Il continuait de lui ramener de la nourriture d'Angleterre, et Drago continuait de l'abandonner dans la salle de repos des gardiens. Une fois par semaine, il utilisait ce prétexte pour tenter d'engager la conversation avec lui, et Drago continuait de l'ignorer. Quand ils se croisaient dans un couloir, toujours ce même petit sourire contrit, face auquel Drago ne savait plus comment réagir.
Quand Potter le regardait, il était incapable de soutenir son regard plus de quelques secondes, et il se méprisait de perdre chacun de ces affrontements métaphoriques.
« Drago ?
– Non, cracha-t-il en détournant effectivement le regard. La Selkie m'a prévenu que tu nageais, et je voulais juste vérifier de mes yeux à quel point tu étais véritablement un crétin !
– Oh ? Donc tu me cherchais pour me mater. »
Drago lui accorda un bref regard, et vit ce qu'il avait anticipé : la lèvre supérieure levée, le sourire satisfait de celui qui a fait une bonne blague. Il se détourna aussitôt.
« Pourquoi nages-tu dans une eau glacée, Potter ? »
Poser la question empêchait au moins qu'on puisse lui reprocher de ne rien dire parce qu'il était touché.
« Est-ce que tu t'inquiètes pour ma santé, Drago ?
– Est-ce que tu comptes me répondre, Potter ? » Il haïssait la façon dont il prononçait son prénom.
« Je ne sais pas encore. Combien de temps es-tu prêt à attendre une réponse de ma… » Drago ne le laissa pas finir sa phrase et faisait déjà route vers le château. Il interrompit sa marche quand Potter se reprit et lui hurla, en le poursuivant : « C'est un exercice proposé par ma psy ! C'est pour mes crises d'agressivité ! »
Drago tourna la tête, le regarda, et Potter, de nouveau à ses côtés, poursuivit ses explications :
« C'est un truc pour apprendre à me contrôler un peu mieux. Essayer de maîtriser les réactions de mon corps avant de savoir maîtriser les réactions de mon cerveau. Tu vois un peu l'idée ? »
Drago voyait. C'était idiot. Entre les pans de la cape de Potter, sa peau était visible, couverte de chair de poule, les poils de sa poitrines dressés comme ceux d'un prédateur. Drago avala sa salive et fit un pas en arrière.
« Ça ne sert à rien, tu sais, marmonna-t-il sans parvenir à détourner le regard. Même sans ça, tu ne m'intéresse pas.
– Y-a pas que toi. Je continue de gagner en puissance, et je suis dangereux pour tout le monde si je me contrôle pas. »
Drago fronça le nez devant la réplique. Cette arrogance insupportable, encore renforcée par le fait qu'il n'y avait rien à répondre, que tout ça était vrai !
Potter était de moins en moins malheureux, et Drago était gêné de constater que l'information le laissait indifférent. Il aurait voulu pouvoir savourer sa détresse, s'en nourrir, que celle-ci soulage la sienne… Au contraire, voir sa transformation progressive était quelque chose de troublant, presque fascinant.
