IV - Le bras armé de la Justice

Dora. Lundi 4 novembre

Scrimgeour fait venir le colonel Clearglow dans la foulée. Ce dernier nous rejoint accompagné de son premier adjoint, l'intendant Loman Cedar — un ancien condisciple de Scrimgeour si je me souviens bien. Un type qui a eu son heure de gloire comme batteur de Quidditch quand j'étais toute môme, avant d'être blessé et de choisir de servir la police magique. Comme Clearglow, il bénéficie à ce titre dans la population sorcière d'une aura qui dépasse son efficacité professionnelle.

Peut-être que certains diraient de moi que je bénéficie bien de l'aura de mon mari et de Dumbledore pour faire des caprices de gamine gâtée au Bureau des Aurors. Qui suis-je pour juger ?

Quand ils sont introduits devant notre grand jury - cinq Aurors dont un Ministre ! -, Clearglow comme Cedar prennent leur air le plus martial. Ils ne feraient sans doute pas mieux devant le Magenmagot au grand complet. Ils n'objectent rien quand Scrimgeour leur explique qu'il ne peut pas laisser le Département d'application des lois magiques décider de la réponse à apporter. Moi, l'absence à cette réunion de son directeur en titre me frappe comme un détail auquel j'aurais dû porter attention avant.

"Quatre cas, Clearglow. Ça ne peut pas continuer", répète Scrimgeour à la fin de chaque argument. "Nous sommes la justice, son bras armé."

Les deux policiers sont tout aussi stoïques quand Scrimgeour affirme que le traitement de la Brigade ne semble pas à la hauteur de l'enjeu et que trois Aurors en moins d'un week-end ont déjà plus à lui rapporter que la Brigade en six mois sur la Justice Bafouée. Il fait ça en désignant les rouleaux et la carte que j'ai apportés, mais sans rien développer. Ni Clearglow ni Cedar ne posent de questions. Ils paraissent indifférents ou résignés à perdre l'affaire. Peut-être même, comme l'anticipe Berrycloth, sont-ils sincèrement soulagés. Perdre la face leur paraît peut-être le plus simple. Une péripétie politique qui n'entame pas le besoin du Ministère pour une force de maintien de l'ordre bien suffisante dans la plupart des cas, je rumine, un pas derrière Kingsley. Je n'ai pas encore été citée et je me demande si je veux vraiment l'être. Si je veux vraiment de cette lumière qui va être alors sur moi. Si je veux de cette responsabilité.

"Je réitère nos plus profondes excuses, Monsieur le Ministre. Cette affaire nous dépasse clairement", ponctue le colonel Clearglow, martial, mais résigné, quand Scrimgeour reprend son souffle.

Aucune défense. Aucun argument. Aucune proposition. Rien de plus personnel, en fait, tant que le Ministre n'a pas terminé sa longue introduction, dont l'élément suivant est qu'il faut une réponse innovante propre à satisfaire l'opinion. Je pense qu'ils sont alors certains qu'ils vont être totalement relevés de l'enquête. Instinctivement, ils se sont faits plus raides et droits pour encaisser le coup attendu. Leur surprise est d'autant plus perceptible quand l'innovation annoncée prend la forme d'une enquête conjointe officielle, Aurors-Policiers. Ils paraissent totalement bluffés quand ils apprennent que je suis celle qui va diriger cette enquête et que la seule chose qu'on attend d'eux dans la minute est la désignation de quatre policiers qui seront placés sous mes ordres.

"Et pas que des bras cassés, Clearglow", insiste Scrimgeour avec son auréole de cheveux illuminée par la fenêtre derrière lui. "Je veux un major pour seconder Tonks. Rien de moins."

"Vous... vous avez des préférences, Lieutenant Tonks-Lupin ?", formule lentement Clearglow après un assez long silence. Il s'est tourné vers moi pour le faire et il a marqué une pause entre chaque mot. Le nom de famille de mon mari est arrivé après une pause encore plus longue. Ou je suis totalement paranoïaque. L'un n'empêchant nullement l'autre, d'ailleurs.

Clearglow a des yeux petits et gris, comme ses rares cheveux coupés très court. Ses propos sont aimables et déférents, mais son regard dit bien qu'il me considère comme un sale tour que lui joue Scrimgeour. Sans doute s'interroge-t-il sans fin sur les ressorts qui m'ont fait désigner. Est-ce une exigence de cette engeance de Réformateurs ? À ses yeux, j'imagine, Scrimgeour constitue déjà un dangereux populiste. Est-ce au contraire une façon élaborée de se débarrasser de moi en me collant une mission impossible ? Il peut légitimement se poser ce genre de questions. Et il n'aurait pas duré aussi longtemps à son poste sans se poser aucune question.

"Je pense que la Brigade est loin de ne compter que des bras cassés, Colonel", je décide de poser en guise d'introduction et d'apaisement. "J'ai eu la chance de travailler plusieurs fois en bonne harmonie avec des équipes policières. Et c'est mon ambition aujourd'hui."

Berrycloth lève les yeux au ciel en m'entendant, mais Clearglow, lui, ne cesse de me dévisager comme si j'étais une illusion perverse, cachant un danger qu'il devait encore percer à jour.

"Pickettham", propose alors Cedar, parlant pour la première fois. Il a une voix étrangement musicale pour un homme aussi physiquement imposant. "L'année dernière, vous l'avez associé à ce procès que vous avez gagné, lieutenant Tonks-Lupin - ce crime maquillé en accident dans une piscine moldue", il précise comme si je pouvais avoir oublié. "Je crois me souvenir que vous vous étiez bien entendus."

"Pickettham serait un bon choix", j'approuve, après m'être demandé si je devais chercher des sens seconds aux propos de l'intendant et avoir décidé de chercher plutôt à tirer le meilleur parti de cette porte inopinément ouverte. "Et s'il peut librement choisir ses collègues pour cette mission un peu hors norme, il me semble que ce serait une bonne méthode."

"Très bonne idée", juge Crickerly à la droite de Scrimgeour. "Le mieux serait que Pickettham la rejoigne à la Division avec les hommes qu'il aura choisis et tous les éléments des dossiers que vous avez en votre possession. Cela viendra en complément du travail de l'équipe du lieutenant Tonks-Lupin", il précise. L'entendre donner des ordres me rajeunit un peu, mais surtout me questionne sur la place qu'il laisse à Kingsley. Un peu à cause de moi, je sais. Et ça vient juste après : "Commandant, il faudrait peut-être grossir cette équipe. On veut des résultats rapides."

Le silence de Scrimgeour vaut sans doute confirmation. Shacklebolt s'humecte à peine les lèvres avant d'obtempérer : "Je vais demander deux autres assignations, une par équipe..."

"Mais sans dégarnir la force de frappe du Bureau", intervient Berrycloth, s'engouffrant dans la brèche qui lui permet d'en remontrer à Kingsley. Je parierais bien qu'il aimerait aussi avoir trouvé un moyen de dire qu'il faut que ça ne soit aucun des Paulsen.

"J'avais bien en tête de plus petites mains. Peut-être sur la base du volontariat", formule Kingsley, en me regardant comme s'il avait besoin de mon approbation. À moins que... le volontariat... et non une désignation par les chefs d'équipe... Peut-être qu'en fait, c'est une liberté de choix accrue qu'il me donne. Pas de règlement de comptes à venir. Et une façon de reprendre la main sur l'interventionnisme de Berrycloth. Du grand art.

"J'attendrai les candidatures avec curiosité, Commandant", je réponds donc afin de rendre bien clair que j'ai compris son manège.

"Moi aussi" est sa réponse.

"Je veux des rapports journaliers, lieutenant Tonks-Lupin", conclut alors le Ministre, se levant pour signifier clairement la fin de la réunion. "Des rapports et des résultats."

"On va l'orienter, ce volontariat, Commandant ?", je m'enquiers alors que nous prenons ensemble le chemin de la Division.

"Cela paraît souhaitable, Lieutenante", il sourit, complice et détendu.

"Tu as des idées ?", je creuse.

"Dans l'idéal, il te faudrait des gens qui connaissent les milieux des artisans... Si Hawlish était là, je penserais d'abord à lui. Te coller Kahn dans les pattes ne paraît pas opérationnel..."

"Merci, Commandant", je grimace. Les limites de mon autorité morale sur Perceval Kahn sont assez claires. Peut-être que Clearglow a raison de penser que je ne suis qu'une illusion.

"Ce n'est ni le jour ni le lieu pour t'opposer à lui. Scrimgeour va être sur ton dos — sur notre dos, je devrais dire. Et Berrycloth trop content de lui pointer la moindre absence de résultat", souligne Shacklebolt dans son rôle de Commandant.

"Je sais, Kingsley", je promets.

"Je pense que Ron et Dikkie seraient deux petites mains que tu connais bien et que leurs chefs d'équipe respectifs auraient du mal à te refuser", il enchaîne. "Et qui vont se porter volontaires."

"Ron ?" je doute. Le meilleur ami de Harry ne s'est toujours pas réellement remis de ses décisions lors de l'affaire du XIC l'année dernière. Il ne s'est pas totalement relevé du rejet de Kahn qui a refusé de rester son mentor — une position que Berrycloth a soutenue d'ailleurs. Ils sont néanmoins tous les deux dans l'équipe de Carley et je sais que cette cohabitation n'est pas simple, même si Ron rase les murs et fait de son mieux pour ne faire aucune vague.

"N'est-ce pas l'occasion de lui redonner un peu d'air ?", souligne Kingsley suivant visiblement des pensées proches des miennes.

"Est-ce qu'on ne va pas dire que je cherche une nouvelle fois à lui sauver la mise ?"

"Parce que tu ne comptes pas le faire bosser ?"

J'acquiesce et je déplace mon objection : "Et s'il ne se porte pas volontaire ?"

"Carley va le pousser."

"Carley... n'est pas..."

"Carley va le pousser parce qu'il ne voudra pas vider son équipe de trop de monde autonome et que séparer Kahn de Weasley pendant quelques jours fera de l'air à tout le monde."

"Intérêt bien compris", je conclus et Kingsley opine sobrement.

Il hésite ensuite trois pas puis se décide : "Je sais que tu es blessée par son comportement. Mais mon second n'est pas là pour utiliser sa position pour régler ses comptes. Mon second doit être le premier arbitre du respect de nos procédures et de l'intérêt de la Division. Ne lui passe rien sur ça, mais pour le reste, ne prend pas la Division en otage..."

"N'est-ce pas lui qui fait exactement ça ?", je proteste.

"Laisse les autres en juger. Soit impartiale, soit inflexible là où tu sais que je serai derrière toi. Pour le reste, ignore-le."

"Le pousser à la faute grave me paraît assez déloyal", je soupire en retenant que, même si les deux l'expriment fort différemment, ses conseils rejoignent ceux de Remus hier soir.

"Tu lui laisses au contraire la place pour se freiner de lui-même. Dora, si c'était Gawain qui te provoquait, tu ferais ça : tu lui laisserais une chance de se rendre compte qu'il s'enferre. Là, tu sur-réagis parce que tu te sens trahie... C'est une sur-réaction."

"J'entends", je promets une fois que j'ai digéré la vision de mon mentor.

"Sûr ?", il insiste.

"Oui, Commandant. Je ne vais pas confondre la vengeance personnelle avec la justice", je décide de formuler.

"Joli", il apprécie.

Comme la Division est au bout du couloir, je ralentis et je souffle : "J'ai une vraie question sur un autre sujet, Commandant." Les yeux de Kingsley sont sur moi et je ne le fais pas attendre. "Que doit-on conclure de l'absence de notre directeur de Département à cette réunion ?"

"À ton avis ?"

Parce que j'ai eu le temps d'y réfléchir, je souffle : "Un changement quoi qu'il arrive ?"

"On va lire les journaux, toi et moi", est la confirmation cryptique de Kingsley mais sans doute ne souhaite-t-il pas en dire davantage dans un couloir.

J'opine donc sobrement à mon tour et nous poussons conjointement les portes de la Division. Il est encore tôt, mais la première vague de café a eu lieu et le travail effectif par équipe a commencé. Runeson et Perkins sont encore à deviser dans la salle de repos, mais ils se redressent en nous voyant. Kingsley choisit de jouer les grands chefs :

"Voilà, on a le feu vert du Ministre", il leur explique, calme et grave. Je sais bien qu'il ne fait aucun effort pour prendre ce ton. C'est un peu injuste, je me dis. "Des policiers arrivent et je vais vous trouver de la main d'œuvre en plus, mais il ne va pas falloir décevoir", il continue. Pression tranquille, mais puissante. Mes deux jeunes collègues se sont raidis en l'entendant — un peu comme les policiers dans le bureau de Scrimgeour. Runeson a un peu rougi et Perkins, elle, a pâli. "Tonks va tout vous expliquer", il termine sur un ton qui pourrait faire croire qu'il vient de leur offrir des tickets pour la coupe du monde de Quidditch. Trop fort, je me dis, avec une nouvelle pointe de jalousie.

J'ai depuis longtemps fini ce briefing annoncé, finalement pas si long que ça, et on s'est mis tous les trois à lister les actions à prendre, quand Dikkie Forrest et Ron Weasley frappent à la porte de notre bureau.

"Lieutenante", salue la première avec ce ton assuré et ce port altier qui sont sa marque de fabrique. Dikkie est toujours la protégée de Gawain dont elle a été l'aspirante en même temps que j'encadrais la formation d'un jeune Andalou têtu qui aimait se prétendre un mouton noir. Je suis assez contente que Gawain ait jugé bon de me l'envoyer. C'est un signal positif de sa part. Et Carley n'a visiblement pas choisi de m'envoyer Egon Saltegg qui traîne toujours dans son équipe. Un signe moins clairement positif, mais quand même.

"Lieutenante", répète Ron, l'air de ne pas oser montrer combien il est content d'être là.

"Volontaires désignés tous les deux ?", je questionne choisissant la complicité avec eux, plutôt que la voie trop hiérarchique. Ils acquiescent tous les deux, osant enfin un peu sourire. "Puisqu'on est tous là et qu'on a fini notre première liste d'actions, on va aller recruter les policiers qu'on nous a promis. Il y a des chances qu'on fasse au moins deux équipes. Une qui ira sur le terrain faire des enquêtes de voisinage - Charity, tu en prendras la direction. Avec Ron et deux policiers, les plus autonomes qu'ils auront. Nous autres, on va se faire un QG aux archives et continuer de creuser. Pour aujourd'hui."

Lundi 4 novembre, Remus

L'appel de Dora m'arrive alors que je viens de décider que j'ai assez écrit de courriers administratifs pour pouvoir regarder les portraits de mes prédécesseurs dans les yeux. Il va enfin être temps de me caler dans mon fauteuil pour lire le dernier numéro de "Arts occultes et théories magiques" dans lequel figure en bonne place un article de Severus. J'ai tellement dû le pousser pour qu'il accepte de publier sur autre chose que des potions. Presque dû le faire chanter.

"Remus, je ne vais pas pouvoir rentrer ce soir à Poudlard", m'apprend mon épouse de cette voix qui me fait penser qu'elle pense qu'elle peut être écoutée. Sans doute son équipe n'est pas loin.

"L'enquête est officiellement vôtre ?", je suppose sobrement moi aussi.

Dora se lève et je vois des rayonnages défiler derrière elle. Elle est toujours en uniforme, je note. J'entends une porte se fermer et elle me répond avec une voix plus libre : "Mieux que ça. J'ai vendu à Kingsley, qui a converti Scrimgeour, l'idée d'une enquête conjointe. Clearglow n'a pas trop eu le choix. Et il m'a quand même délégué un des majors les plus proactifs de la bande - Pickettham et trois autres policiers, plutôt contents d'être là", elle développe. Je sens la satisfaction dans sa voix. Ça me fait sourire. "Mais y'a du taff, faut tout reprendre à zéro et même si on est neuf, on ne va pas compter nos heures."

"Je comprends. Dormir à Londres est plus sage", je complète pour elle. On peut dire que ça tient de nos rituels de nous promettre de comprendre les contraintes de l'autre.

"Je suis désolée", elle ponctue néanmoins, rattrapée par cette impression qu'elle nous prive les enfants et moi de quelque chose qu'elle nous devrait. La réaction de ses parents hier n'a pas dû aider.

"Tu vas nous manquer, mais on va survivre", je propose.

"Ou l'inverse", elle rétorque avec un vague sourire qui fait remonter ses joues rondes et fait pétiller ses yeux gris. "Là, il faut que je finisse de me préparer pour une conférence de presse avec Scrimgeour, le Département et Kingsley. Je vais me concentrer sur survivre."

"Tes autographes vont prendre de la valeur dans les couloirs de Poudlard", je souligne.

"Je t'ai dit que j'avais aussi récupéré Ron et Dikkie dans cette histoire ?" elle rajoute plutôt, ignorant volontairement ma blague.

"Non. Bien", je commente. "Ron... ça veut dire que tu as parlé à Carley ?"

"Non, pas encore" est sa réponse lapidaire. Toute la satisfaction précédente s'est évaporée.

"Un geste de paix pourtant ?"

"Peut-être. Ou, juste une grande manœuvre en trois bandes de Kingsley", elle réfute en secouant la tête — ce qui fait voleter ses mèches grenat. "Je n'ai pas le temps de t'expliquer..."

"Demain soir, je peux venir avec les petits à Londres", je propose. Je me souviens avec une certaine nostalgie de ce temps, avant les jumeaux, avant même notre mariage, où l'appartement une fois par semaine était notre lieu de rendez-vous secret ou presque. Depuis, c'est devenu un des points névralgiques de notre vie de famille, même si maintenant Cyrus et Ginny ont leur propre foyer. Non, je ne dirais pas que Poudlard me pèse, mais la rigidité relative de mon emploi du temps... un peu.

"Si je ne peux pas même dîner avec vous, je ne vois pas l'intérêt de les bousculer dans leurs habitudes", elle soupire.

"Attendons de voir quel rythme prend tout ça", je me range. "L'idée n'est pas de rajouter du stress à quiconque. Et ils ont besoin de routine avant tout."

"Nous aussi, j'imagine", elle se marre. "Notre routine est de ne pas en avoir." Puis elle a l'air embarrassé pour reconnaître : "Notre routine est de couvrir les urgences de l'autre, et je tends à gagner au décompte annuel en urgence, s'entend."

"Même pas certain", je souris. "Et puis, c'est chic d'avoir son épouse dans le journal."

"Tu dis ça...", elle s'esclaffe un peu douloureusement. Ce n'est pas qu'elle ait peur de la publicité, je le sais. Elle a peur de se planter.

"Tu vas être à la hauteur, Dora. Kingsley n'en doute pas et moi non plus", je rappelle. J'aurais aimé ajouter Carley et Dawn à cette liste, mais je n'ose pas. Le signal que quelqu'un s'approche de mon bureau m'arrête un peu plus dans mon développement. "Je crois que je vais devoir m'occuper de cette école dont il paraît que je suis le directeur. Il y a des visiteurs qui se dirigent vers mon bureau."

"Toi aussi, tu vas être à la hauteur", elle sourit.

Elle me promet de me rappeler, même tard. Je coupe l'appel alors que Severus ouvre la porte du bureau. Comme il me voit mon miroir à la main, il marque une pause. Plus déférente qu'agacée, il faut le souligner.

"Il n'y avait pas le signe que tu étais occupé", il se défend juste après. Il aura fallu des années et plusieurs crises, mais Severus a fini par admettre l'idée que je pouvais avoir une vie de couple avec Dora. Peut-être que sa propre expérience aide.

"J'ai fini. Dora reste à Londres. Elle reprend l'enquête sur la Justice Bafouée", je lui apprends. Je ne vois aucun intérêt à ce qu'il l'apprenne dans La Gazette. Et oui, je suis un peu fier d'elle. Beaucoup même.

Severus semble prendre son temps pour peser la nouvelle. "Une affectation élogieuse, mais peut-être risquée", il finit par lâcher.

"C'est exactement son avis", je dois reconnaître.

"Mais je serai curieux de voir ce qu'elle va trouver."

"Dora n'a rien dit sur ses pistes. Juste qu'elle pensait que la ou les personnes en cause avaient leur propre agenda".

"Évidemment."

"Et qu'il y avait dans ces actions autant de vengeance que de justice... et que c'était compliqué à juger parce que les agresseurs devenaient aussi des victimes d'action arbitraire..." J'ai dû réfléchir pour formuler ça, je me rends compte. On a finalement bien plus parlé des relations avec ses supérieurs, collègues, amis et ennemis que de l'enquête.

"Intéressant", juge Severus, pensivement. J'attends, mais il ne développe pas. J'hésite à insister quand mon adjoint embraye sur autre chose : "On a une série de vols. Toutes les maisons sont touchées. Des bijoux à chaque fois. Des bijoux de famille."

"Une série ?", je souligne, surpris de ne l'apprendre que maintenant.

"Nous n'étions pas certains, les directeurs de maison et moi-même", m'apprend Severus sur un ton un peu formel. "Les... victimes... n'ont pas obligatoirement couru leur dire. Des rumeurs se sont propagées. Les directeurs ont mis du temps à croiser leurs informations. Et ils viennent de me prévenir et de me convaincre..."

Je me dis que l'histoire ressemble quelque part un peu à l'affaire de Dora. Sauf que personne ne semble vouloir se déclarer justicier. Sauf que ce sont les autorités légitimes qui se mobilisent les premières. Je n'arrive pas à aller plus loin. Mes yeux courent sur la liste qu'il a placée devant moi. Les mots dansent devant mes yeux : bague, collier, bracelet, pendentif... grand-oncle, grand-mère, famille sorcière... Rien de plus au fond que ce que mon adjoint m'a raconté.

"Des bijoux", je souligne inutilement. Il sait comme moi que, dans notre courrier de rentrée, nous soulignons systématiquement qu'il n'est pas souhaitable d'apporter à l'école des objets de grande valeur monétaire ou magique.

"De ce que beaucoup des victimes ont dit, elles pensaient que personne ne savait qu'ils avaient cet objet dans leurs affaires et souvent, comme il était caché, ils ont mis du temps à se convaincre qu'il avait disparu."

J'opine alors qu'une autre idée prend davantage de place dans mon esprit : il fut un temps, pas si lointain, où mes collègues auraient préféré passer la nuit devant mon bureau plutôt que de s'adresser à Severus pour mobiliser l'institution qu'est Poudlard. Qu'est-ce que ça dit de moi ? De lui ?

Je garde néanmoins ces interrogations pour moi, pour proposer certaines des questions qui semblent guider Dora dans sa propre enquête : "Il y a des points communs entre les victimes ? Vous y avez réfléchi ? Vous leur avez demandé pourquoi ils ne se sont pas plaints quand ils se sont rendu compte des vols ?"

"J'avoue que nous... n'avons pas abordé la question comme cela", me renvoie Severus après un bref silence. "Mais tu as bien sûr raison de poser la question..."

Il est presque debout comme s'il allait de ce pas mener l'enquête physiquement. Je regarde l'heure et je réalise qu'il va bientôt être l'heure qu'il reparte chez lui — auprès de sa femme et de son fils de huit mois.

"Je vais prendre la suite", je lui annonce en allant jusqu'à faire un signe de tête vers la grande horloge de mon bureau.

"Mais... M. le directeur a, lui aussi, une famille qui a besoin de son attention — surtout si Dora est dans une enquête de cette envergure...", il objecte.

"Justement, je n'ai pas de raison de quitter Poudlard. Ce genre d'enquête peut très bien être mené quand les jumeaux seront couchés. Il est même sans doute souhaitable que nous soyons un certain nombre à nous promener de manière impromptue... à questionner les fantômes ou les tableaux... à décourager l'impunité", je liste.

"Je peux revenir", il insiste.

"Peut-être pas ce soir", je propose. "Je vais discuter avec les directeurs, réfléchir avec eux aux possibles points communs… Je doute que nous trouvions le voleur ce soir, Severus. Pas après ce que tu viens de me raconter."

"Non, sans doute", il admet du bout des lèvres. Ses yeux tombent sur le numéro de "Arts occultes et théories magiques" sur le coin de mon bureau. "Pas beaucoup de changements entre cette dernière version et celle que tu avais relue."

"Mais la lire imprimée a son charme."

"Le sarcasme te va mal, Lupin."

"Severus, si je te répète combien j'espère que ton apport sur la protection de l'esprit face aux forces du Mal sera reconnu, tu vas encore moins apprécier selon toutes probabilités."

"Effectivement", il admet avec l'ébauche d'un sourire.

"Ce ne serait pourtant que justice."

"Une déesse dont il est bien difficile d'obtenir les faveurs."