La nuit avait depuis longtemps enveloppé Seattle dans un voile de silence feutré. Depuis mon bureau, je fixais les lumières vacillantes des gratte-ciels à travers la baie vitrée. Chaque fenêtre illuminée renfermait une vie, une histoire, des murmures imperceptibles portés par le vent nocturne. Pourtant, en cet instant, je me sentais seule, comme détachée du tumulte invisible de la ville. Mon reflet dans la vitre me renvoyait une image familière, mais que je peinais parfois à reconnaître. Une femme puissante, droite, imposante… et pourtant, hantée par une incertitude qui ne me ressemblait pas.

Un frémissement brisa le calme. Mon téléphone vibra doucement sur la surface polie du bureau. Mon regard s'y attarda un instant avant que mes doigts ne se décident à saisir l'appareil. Le message s'afficha à l'écran, simple, direct, dénué de toute fioriture.

Emma : « Je suis devant chez toi. »

Mon cœur rata un battement.

Elle était là. Ce moment que nous avions évité, esquivé avec une précision presque cruelle, s'imposait enfin à nous. Je laissai échapper un souffle lent et mes paupières se fermèrent une seconde de trop. Ce soir marquerait une bascule. Il y aurait un avant et un après.

D'un geste mécanique, je pris mon manteau et quittai le bureau, laissant derrière moi la lourdeur des pensées qui m'avaient accaparée toute la soirée. Le trajet jusqu'à chez moi se fit dans un silence assourdissant. Je n'entendais que le ronronnement du moteur et le martèlement irrégulier de mes propres doutes. Chaque feu rouge était une pause forcée, un instant où mon esprit s'emballait, cherchant les mots, cherchant le courage d'affronter ce que je redoutais autant que je désirais.

Lorsque j'arrivai enfin devant mon immeuble, elle était là, appuyée contre le capot de sa voiture, bras croisés, le regard perdu quelque part entre la nuit et moi. La lueur blafarde d'un lampadaire dessinait des ombres sur ses traits tendus. Elle ne portait pas son uniforme ce soir. Juste un jean et une veste en cuir. Une part d'elle-même plus brute, plus libre. Une part d'elle que j'avais toujours trouvé troublante.

Nos regards se croisèrent et, pendant un instant, plus rien n'exista autour de nous.

— Salut, murmura-t-elle en se redressant.

Je lui répondis d'un sourire en coin, un de ceux qui masquent bien trop d'émotions contradictoires.

— Salut.

Un silence s'étira, chargé d'une tension que nous connaissions par cœur. Un équilibre fragile entre l'hésitation et l'évidence. Puis, sans un mot, je m'effaçai pour lui laisser le passage et ouvris la porte de mon immeuble. Elle comprit immédiatement l'invitation et me suivit à l'intérieur.

L'appartement baignait dans une semi-obscurité paisible. J'allumai une lampe d'appoint, diffusant une lumière douce qui effleura les meubles et les murs. Emma s'attarda près de la baie vitrée, son regard glissant sur la ville qui s'étalait sous nos pieds.

— Alors, c'est ici que tu échafaudes tes plans pour sauver Seattle ? lança-t-elle avec un sourire en coin, essayant d'alléger l'atmosphère.

— Parfois, répondis-je en déposant mon manteau sur le dossier du fauteuil.

Elle hocha la tête, mais ne rit pas. L'humour n'effaçait pas ce qui pesait entre nous.

Le silence revint, mais il n'était pas vide. Il attendait. Elle attendait. Je le savais. C'était à moi de briser la barrière, cette frontière invisible que nous nous imposions depuis bien trop longtemps.

— Tu as refusé le poste à Seattle au début parce que tu voulais partir ou parce que tu avais peur de rester ?

Elle tourna lentement la tête vers moi. Ses yeux s'étrécirent légèrement, comme si elle cherchait à sonder ce que je voulais réellement savoir.

— Un peu des deux, admit-elle après un temps. Mais surtout parce que je ne savais pas où était ma place.

Mon cœur se serra. Je fis un pas vers elle, réduisant la distance qui nous séparait. Mon souffle se suspendit alors que je la sentais presque frémir sous mon regard.

— Et maintenant ? demandai-je doucement.

Un sourire fugace, à peine perceptible, passa sur ses lèvres. Il n'y avait aucune ironie, aucune provocation. Juste une sincérité brute et désarmante.

— Maintenant, je crois que je commence à comprendre.

Son regard glissa sur ma main, posée sur le rebord de la table. Légèrement tremblante. Puis, dans un mouvement infiniment lent, elle couvrit ma main de la sienne. Une chaleur immédiate se diffusa à travers ma peau, irradiant jusqu'à mon cœur.

— Regina… on ne peut pas continuer comme ça. À faire semblant. À jouer à un jeu dont on refuse de fixer les règles.

Je fermai brièvement les yeux. Elle avait raison. Ce n'était plus le moment de se cacher derrière des excuses bancales ou des faux-semblants.

— Alors fixons-les, murmurai-je en plongeant mon regard dans le sien.

Le silence changea de nature. Ce n'était plus une distance entre nous, mais un passage, une invitation vers quelque chose de nouveau.

Je ne savais pas où cette conversation nous mènerait. Mais une chose était certaine : cette fois, nous étions prêtes à affronter ce qui nous attendait. Ensemble.

Emma haussa un sourcil, un éclat de défi dans le regard, mêlé à une lueur d'amusement. Un frisson me traversa. Je connaissais ce regard, cette manière qu'elle avait de me défier sans prononcer un mot, de tester mes limites avec un sourire à peine esquissé.

— Oh ?

Sa voix était légère, mais son ton sous-entendait bien plus qu'une simple interrogation.

— Au travail, rien ne doit transparaître, précisa-je d'un ton ferme. Pas de gestes déplacés, pas de regards trop appuyés, pas de favoritisme. Nous restons strictement professionnelles.

Emma inclina légèrement la tête, m'observant avec une intensité troublante. Ses yeux glissaient sur mon visage, cherchant à percer ce que je ne disais pas, ce que je ne pouvais pas encore avouer.

— Et en dehors du travail ? demanda-t-elle enfin, sa voix plus basse, plus rauque, comme si elle testait l'eau avant de plonger.

Un sourire effleura mes lèvres. Presque imperceptible, mais chargé de sous-entendus.

— En dehors… carte blanche.

Un silence s'étira entre nous, épais, électrique. Mon cœur battait plus vite sous l'anticipation. Les mots flottaient entre nous, emplis d'une promesse silencieuse. Ce n'était pas qu'une simple autorisation que je lui donnais. C'était une invitation. Un défi.

Emma ne me laissa pas le temps de respirer. Elle réduisit la distance en une fraction de seconde, ses mains trouvant mes hanches avec une détermination brûlante. Son regard se fixa sur le mien, cherchant une dernière confirmation, mais je ne reculais pas. Je ne détournais pas les yeux. Alors, elle s'empara de mes lèvres, un baiser intense, affamé, libérant tout ce que nous avions retenu trop longtemps.

Je répondis immédiatement, m'abandonnant au moment. Mais je n'étais pas du genre à céder longtemps. Après quelques secondes, je repris le contrôle avec une aisance calculée, mes doigts glissant sur sa nuque, approfondissant notre étreinte avec une maîtrise assumée. Ce baiser n'était pas une simple reddition, c'était une prise de pouvoir mutuelle, un jeu où nous établissions nos propres règles.

Emma frissonna, mais ne recula pas. Au contraire, elle répondit avec une intensité égale, ses mains remontant le long de mon dos, me pressant contre elle dans une urgence silencieuse.

Sans un mot, je pris sa main et l'entraînai vers ma chambre. Chaque pas était une affirmation, une réponse tacite à cette question qui planait entre nous depuis des mois.

Dans la pénombre de la pièce, tout devint encore plus tangible. Il n'y avait plus d'ambiguïté, plus d'évitement, plus de faux-semblants. Juste nous. Enfin.

Le battement de nos cœurs résonnait dans le silence, emplissant l'espace d'une tension brûlante. Je refermai la porte derrière nous, savourant l'instant. L'attente avait été longue. Trop longue.

Emma, légèrement essoufflée, me fixait, ses prunelles sombres, brillantes de désir et d'une émotion qu'elle ne tentait même plus de cacher.

— Tu es sûre de toi ? murmura-t-elle, sa voix rauque et vibrante.

Un sourire amusé étira mes lèvres. Lentement, d'un pas mesuré, je me rapprochai encore, réduisant à nouveau la distance entre nous jusqu'à ce que nos souffles se mélangent.

— Tu n'as pas encore compris, Swan ? soufflai-je, effleurant ses lèvres sans les capturer totalement.

Mes doigts glissèrent lentement sur sa mâchoire, traçant une ligne invisible sur sa peau. Emma ferma les yeux un instant sous mon toucher, puis les rouvrit, une lueur fiévreuse dans le regard. Je pris mon temps avant de l'embrasser à nouveau, cette fois avec une lenteur exquise, maîtrisée, la laissant frémir sous chaque mouvement.

Emma tenta d'imposer son propre rythme, ses mains explorant, cherchant à reprendre le contrôle. Mais je ne comptais pas lui laisser cette victoire si facilement. Avec une fluidité experte, je la guidai vers le lit, inversant la dynamique avec une aisance qui ne laissait aucune place au doute.

— Laisse-moi faire, murmurai-je à son oreille, ma voix un mélange de promesse et de défi.

Elle se mordit la lèvre, la tête basculant légèrement en arrière sous le frisson qui la traversa. Elle n'était pas du genre à céder facilement, mais avec moi… c'était différent.

Les vêtements glissèrent lentement, précautionneusement, tombant pièce après pièce dans un effeuillage patient. Chaque contact était une découverte, chaque frôlement une réponse à des mois de tension accumulée.

Nos souffles se mêlèrent encore et encore, nos corps se cherchant et se trouvant avec une précision presque douloureuse de justesse. Je menais la danse avec une assurance absolue, savourant la manière dont Emma répondait, avec une intensité qui enflammait encore plus l'instant.

Les draps froissés, les soupirs arrachés, les doigts entrelacés… chaque geste était une promesse silencieuse, une revendication sans mot. La nuit s'étira, lente et brûlante, marquant le début de quelque chose d'inéluctable.

Rien d'autre ne comptait.

Juste nous.

Enfin.

Le matin se glissait lentement à travers les rideaux de la chambre, projetant une lueur douce sur les draps en désordre. La lumière dorée effleurait les courbes des corps encore lovés dans la chaleur de la nuit passée. Je fus la première à émerger de mon sommeil, mon esprit encore flottant entre le rêve et la réalité. Mes muscles étaient détendus, mon corps empreint d'une langueur inhabituelle. Cela faisait longtemps que je ne m'étais pas réveillée ainsi, enveloppée par une sensation de bien-être, sans la moindre trace d'angoisse.

À mes côtés, Emma dormait paisiblement, son souffle régulier soulevant légèrement les draps. Une mèche dorée barrait son visage, caressant sa joue avec douceur. Un sourire fugace passa sur mes lèvres. Elle semblait différente ainsi, vulnérable, sereine. Un contraste frappant avec la femme que j'avais appris à connaître au fil des années, celle qui ne baissait jamais la garde, qui affrontait le monde avec une arrogance effrontée.

Je laissai mes doigts glisser sur son bras, un contact à peine perceptible, une caresse involontairement plus tendre que je ne l'aurais voulu. Emma grogna légèrement avant de remuer, ses paupières papillonnant jusqu'à ce que son regard encore embrumé de sommeil croise le mien.

— Salut, murmura-t-elle d'une voix rauque, son timbre encore alourdi par la torpeur de la nuit.

— Bonjour, répondis-je, étonnée par la douceur qui s'était glissée dans mon propre ton.

Un silence s'installa, mais il n'avait rien de pesant. C'était un silence empli d'une compréhension muette, d'une prise de conscience partagée. Nous n'étions plus dans cette nuit suspendue, hors du temps et des responsabilités. Le jour naissant ramenait avec lui la réalité, et avec elle, les questions que nous avions trop longtemps évitées.

Emma passa une main sur son visage, chassant les dernières bribes de sommeil avant de s'étirer avec une paresse assumée. Un sourire en coin se dessina sur ses lèvres alors qu'elle m'observait avec cette étincelle malicieuse que je connaissais trop bien.

— Alors… est-ce que c'est le moment où tu me dis que c'était une erreur et qu'on doit faire comme si de rien n'était ?

J'arquai un sourcil, amusée par sa provocation.

— Emma, si je devais faire semblant, je ne t'aurais pas laissée dormir dans mon lit.

Elle haussa les épaules avant de se laisser retomber contre l'oreiller, m'observant avec une expression indéchiffrable.

— C'est vrai, admit-elle finalement, un léger rire dans la voix.

Je laissai échapper un soupir avant de retrouver mon sérieux. Nous ne pouvions pas nous permettre de nous laisser porter par la légèreté du moment. Pas totalement.

— Mais on doit être claires sur une chose, dis-je en croisant les bras. Ce qui se passe en dehors du travail ne doit pas interférer avec nos fonctions.

Emma hocha lentement la tête, réfléchissant à mes mots avant de s'asseoir légèrement contre le dossier du lit. Son regard se fit plus attentif, plus sérieux.

— Tu veux dire qu'on garde ça secret ?

— Exactement.

Elle ne répondit pas immédiatement, laissant planer une tension presque insoutenable avant de hocher la tête.

— Ça me va. Tant que ça ne signifie pas qu'on doit s'éviter ou prétendre que ça n'a pas d'importance.

Mon souffle se suspendit une fraction de seconde. Je la regardai, cherchant une faille dans son assurance, mais il n'y en avait pas. Elle n'avait pas peur. Pas de ce que cela signifiait, pas de ce que nous venions de commencer. J'hochai lentement la tête.

— Ça ne signifie pas ça.

Son sourire s'élargit, un mélange de satisfaction et de tendresse que je n'étais pas certaine de savoir gérer. Puis, sans prévenir, elle se rapprocha, capturant doucement mes lèvres dans un baiser lent, presque possessif. Il n'y avait ni précipitation ni retenue. Juste une certitude tranquille, une réponse silencieuse à ce que nous savions toutes les deux.

— Alors ça me va, souffla-t-elle contre ma bouche avant de s'écarter légèrement.

Le baiser dura un peu plus longtemps que nécessaire, une tentation que je refusai de prolonger. Je posai une main sur son torse, un geste autant doux que ferme.

— On devrait se lever.

Emma fit une moue exagérée, l'ombre d'un sourire toujours accrochée à ses lèvres.

— Tu veux dire que tu ne comptes pas m'attirer dans une autre série d'activités très peu professionnelles avant que la journée ne commence ?

Je roulai des yeux avant de quitter le lit avec une élégance naturelle, attrapant une robe de chambre que j'enfilai d'un geste fluide.

— C'est précisément ce que je veux dire.

Emma laissa échapper un soupir théâtral, puis observa mes mouvements avec un sourire satisfait alors que je me dirigeais vers la salle de bain. Son regard me suivit, chargé d'une intensité que je feignis d'ignorer.

— Dommage, j'aurais bien pris une douche… accompagnée.

Je lui lançai un regard par-dessus mon épaule, mon sourire s'étirant imperceptiblement alors qu'un éclat de malice traversa mon regard.

— Rêve toujours, Emma.

Son rire résonna derrière moi alors qu'elle s'étirait avant de se lever à son tour.

Nous avions établi nos règles.

Mais ce matin-là, en franchissant le seuil de la salle de bain, je savais que ces règles, aussi solides semblaient-elles, n'étaient qu'une illusion.

Et aucune d'entre nous n'avait réellement envie d'y résister.


Les journées qui suivirent furent une course effrénée contre le temps. Le scandale Magnani n'avait pas encore cessé de faire parler de lui que déjà, de nouvelles tensions politiques émergaient, s'imposant avec la brutalité implacable du pouvoir. Je ne comptais plus les heures passées à la mairie, à jongler entre réunions, discours et décisions stratégiques. Chaque seconde était une bataille, chaque mot un calcul. Pourtant, derrière cette façade inébranlable que j'affichais en public, une autre réalité se dessinait.

Emma et moi avions trouvé un équilibre fragile, un terrain d'entente où professionnalisme et désir coexistaient avec une précision presque chirurgicale. Au regard du monde, rien n'avait changé. J'étais toujours la Maire inflexible, dirigeant la ville avec la fermeté et l'assurance qui m'étaient propres. Emma, quant à elle, assurait son rôle avec un sérieux irréprochable, veillant à la sécurité des hauts fonctionnaires comme si rien n'existait au-delà du cadre strictement professionnel que nous avions fixé.

Mais en privé…

Chaque regard échangé au détour d'un couloir, chaque effleurement accidentel, chaque soirée passée à repousser l'inévitable ne faisaient que raviver cette tension brûlante entre nous. Nous savions. Nous savions qu'une fois la porte fermée, la façade tomberait, laissant place à ce que nous avions nié trop longtemps.

Ce soir-là, je terminais une énième réunion interminable avec le gouverneur. Assise à mon bureau, je massais mes tempes, tentant de chasser la fatigue accumulée. La lueur tamisée de la lampe de bureau projetait des ombres dans la pièce silencieuse, et je pris une inspiration profonde avant de m'adosser à mon fauteuil. Mon regard se perdit sur les dossiers étalés devant moi, mais mon esprit était ailleurs.

Un léger coup frappé à la porte me tira de mes pensées.

— Entrez, lançai-je, sans lever les yeux.

Le bruit de la porte qui se referma doucement fut suivi de pas que je reconnus immédiatement. Un parfum familier, une présence que mon corps identifiait avant même que mon esprit ne le fasse.

Emma.

Je levai enfin les yeux vers elle. Elle s'adossait nonchalamment à la porte, les bras croisés sur sa poitrine, une lueur amusée dans le regard. Un sourire fugace passa sur ses lèvres, mais elle ne fit aucun geste précipité. Ici, nous étions encore la Maire et la responsable de la sécurité.

— Tu avais l'air d'avoir besoin d'une pause, commenta-t-elle d'un ton léger.

J'haussai un sourcil.

— Depuis quand te préoccupes-tu de mon état de fatigue ?

Elle haussa les épaules, son regard pétillant de malice.

— Depuis que je sais à quel point tu peux être insupportable quand tu es à bout.

Un soupir m'échappa malgré moi.

— Charmant.

Emma s'avança de quelques pas, réduisant la distance entre nous avec une désinvolture calculée. Je suivis son mouvement du regard, consciente de chaque geste, de chaque nuance dans son attitude.

— Tu veux rentrer chez toi ou tu comptes dormir sur ton bureau ?

Je détournais les yeux, cherchant un prétexte.

— J'ai encore quelques dossiers à finir.

— Non, tu n'en a pas, me coupa-t-elle en croisant les bras. Ruby a déjà traité tout ce qui pouvait l'être avant demain. Tu te trouves juste des excuses.

Je pinçai les lèvres, piquée au vif par la justesse de son analyse. Emma avait toujours eu cette capacité exaspérante à voir clair en moi.

— Et si c'était le cas ?

Un sourire léger étira ses lèvres alors qu'elle contournait lentement mon bureau. Je la suivis du regard, mon corps se tendant imperceptiblement alors qu'elle se penchait, posant ses mains sur les accoudoirs de mon fauteuil. Son visage était désormais à quelques centimètres du mien.

— Si c'est le cas, je vais devoir insister.

Son souffle effleura ma peau et je sentis mon cœur battre un peu trop vite. Emma jouait avec le feu, et nous le savions toutes les deux. Mais ce jeu, aussi dangereux soit-il, était devenu inévitable.

— Emma…

— Quoi ? demanda-t-elle innocemment, son sourire en coin trahissant son amusement.

Je pris une inspiration profonde, tentant de conserver un semblant de contrôle.

— Nous sommes à la mairie.

Elle ne recula pas.

— La porte est fermée.

J'avais fermé les yeux un instant, luttant contre cette attraction irrésistible. Mais c'était peine perdue. Nous avions franchi trop de limites déjà pour prétendre pouvoir reculer maintenant.

— Swan…

— Mills, répliqua-t-elle doucement, son ton empreint d'un amusement évident.

Le silence qui s'installa ensuite n'avait rien d'ordinaire. Il était chargé, vibrant d'une tension qui menaçait de nous consumer toutes les deux.

Puis, avec un soupir résigné, je me levai brusquement, frôlant Emma au passage. Nos corps se frôlèrent et je sentis son souffle s'accélérer, aussi légèrement que brièvement.

— Très bien, tu as gagné.

Emma haussa un sourcil, un sourire victorieux s'étirant sur ses lèvres.

— Toujours.

Je lui jetai un regard en coin avant d'attraper mon manteau.

— Ne pousse pas ta chance.

Son rire résonna doucement alors qu'elle ouvrait la porte pour me laisser passer.

Nous quittâmes le bureau ensemble, l'atmosphère entre nous lourde d'une promesse silencieuse.

L'air frais du soir me fit frissonner lorsque nous sortîmes de la mairie. Emma marcha à mes côtés, silencieuse, mais son regard effleurait le mien de temps à autre, une anticipation contenue dans chacun de ses gestes. Nous savions où cette nuit allait nous mener et nous n'avions pas l'intention de lutter contre cela.

La nuit s'étendait sur Seattle, enveloppant la ville d'un voile tamisé, où les néons et les phares projetaient des éclats lumineux sur les façades sombres. Depuis mon appartement, ce ballet de lumières artificielles semblait appartenir à un autre monde. Ici, à l'abri des regards, l'atmosphère était tout autre. Ce n'était plus la mairie, ce n'était plus les couloirs austères du pouvoir où chaque mot, chaque geste était calculé. Ici, nous n'étions plus la Maire et la responsable de la sécurité.

Ici, nous étions simplement Regina et Emma.

Dès que la porte se referma derrière nous, l'illusion de contrôle s'évapora comme une brume sous les premières lueurs de l'aube. Avant même que je puisse prendre une respiration complète, Emma était déjà là, ses mains trouvant ma taille avec une assurance fébrile, ses lèvres cherchant les miennes dans un baiser ardent, pressant, réclamant ce que nous avions trop longtemps repoussé. Son corps brûlait contre le mien, et cette chaleur, cette tension latente qui n'avait fait que croître au fil des jours, explosa enfin dans ce contact.

Je ne résistai pas. Je n'en avais ni l'envie ni la force.

Je repris le contrôle instantanément, comme un instinct primaire que je ne pouvais réfréner. Mes doigts glissèrent dans ses cheveux blonds, agrippant légèrement ses mèches pour approfondir notre baiser, pour l'attirer encore plus contre moi. Elle répondit sans retenue, son souffle saccadé se mêlant au mien. Chaque contact était un feu qui se propageait sans jamais s'éteindre, un besoin viscéral qui ne laissait plus de place à l'hésitation.

Nous avancions lentement vers la chambre, nos pas entrecoupés de baisers plus avides, plus impatients. Mon dos heurta brièvement un mur, mais je n'y prêtai pas attention. Je sentais Emma frémir sous mes doigts, son corps vibrant sous mes caresses, et cette vulnérabilité qu'elle ne montrait jamais ailleurs me donna une montée d'adrénaline incontrôlable.

Lorsque nous atteignîmes enfin le lit, je la fis basculer sur le matelas avec une aisance maîtrisée, dominant instantanément la situation. Je la surplombais, mon regard plongeant dans le sien, brûlant d'un désir intense, mais aussi d'une douceur que je ne m'étais jamais autorisée à exprimer pleinement auparavant. Mon souffle était court, ma poitrine se soulevait rapidement, mais je pris le temps de m'arrêter une fraction de seconde. Pour savourer cet instant, pour m'assurer que c'était réel.

— Tu es sûre ? murmurai-je, cherchant dans son regard une ultime confirmation.

Emma, allongée sous moi, posa ses mains sur mes hanches et hocha doucement la tête. Un sourire effleura ses lèvres, à la fois malicieux et tendre.

— Je suis sûre.

C'était tout ce dont j'avais besoin.

Le monde extérieur cessa d'exister.

La nuit fut longue, ponctuée de soupirs entrecoupés, de frissons qui parcouraient nos peaux, de caresses échangées dans un langage silencieux bien plus sincère que n'importe quelle parole. Chaque contact était une promesse, chaque baiser une confession murmurée contre la peau de l'autre. Il n'y avait plus de barrières, plus de faux-semblants. Rien ne pouvait nous atteindre ici.

Rien d'autre n'existait.

Juste nous.

Le matin s'insinua lentement dans la pièce, perçant à travers les rideaux et projetant des rayons dorés sur les draps en désordre. La chaleur de la nuit imprégnait encore l'air, enveloppant la chambre d'une quiétude presque irréelle. Mes paupières s'ouvrirent doucement, mon corps engourdi par la fatigue agréable de la nuit passée.

C'est alors que je la sentis.

Son corps était lové contre le mien, sa respiration calme, régulière, caressant ma peau nue. Pendant un instant, je restai immobile, savourant cette sensation rare, précieuse. Mon regard glissa sur son visage détendu, si différent de celui qu'elle offrait au monde éveillé. Ici, dans mon lit, Emma Swan n'était plus cette femme forte et intrépide que tout le monde connaissait. Elle était paisible, vulnérable, magnifique.

Un sourire involontaire s'étira sur mes lèvres. Je n'aurais jamais cru voir cette scène un jour, et encore moins en être actrice. Pourtant, elle était là. Emma Swan, dans mon lit. Dans mes bras.

Je laissai mes doigts effleurer une mèche de ses cheveux, la repoussant doucement derrière son oreille. Elle bougea légèrement dans son sommeil, sa main cherchant instinctivement la mienne avant de retomber mollement sur le drap. Ce simple geste me fit frémir. Une part de moi savait que cet instant était éphémère. Qu'il ne durerait peut-être pas. Que le poids du monde extérieur, avec ses règles et ses attentes, viendrait bientôt nous rattraper.

Je me laissai aller contre l'oreiller, fermant les yeux un instant de plus, savourant cette bulle hors du temps. Car dès que nous franchirions les portes de la mairie, tout recommencerait. Le secret. La retenue. La distance imposée par nos rôles.

Mais ici, sous cette lumière matinale qui caressait nos corps entremêlés, rien de tout cela n'avait d'importance.

Rien d'autre ne comptait.

Rien d'autre que nous.


Les journées s'enchaînaient à un rythme effréné à la mairie. Je passais mes journées à jongler entre réformes, pressions politiques et tentatives de stabilisation de la ville. Chaque réunion était une bataille, chaque négociation un test d'endurance.

Mais au milieu de ce chaos, une autre tension, plus insidieuse, s'infiltrait dans mon quotidien, Emma.

Nous avions fixé des règles claires : au travail, rien ne devait transparaître. Hors de ces murs, nous pouvions être nous-mêmes, céder à ce lien brûlant qui nous liait. Plus les jours passaient, plus ces frontières semblaient s'effriter, devenant floues, poreuses, presque impossibles à maintenir.

Tout avait commencé par des détails. Des regards qui s'attardaient un peu trop longtemps. Une proximité instinctive dans les couloirs, imperceptible aux yeux des autres mais criante pour nous. Emma posant distraitement une main dans le creux de mon dos en m'ouvrant une porte, un geste en apparence anodin, mais qui laissait sur ma peau une empreinte brûlante. Des frôlements fugaces, volés à la routine, des silences qui en disaient trop, des absences qui pesaient encore davantage.

Puis il y avait eu cette réunion.

Assise en bout de table, je présentais un projet de réforme du système judiciaire devant plusieurs hauts responsables. Un projet controversé, qui visait à restructurer les tribunaux de la ville et à réviser la gestion des forces de l'ordre après les scandales des derniers mois. Face à moi, des visages tendus, des alliés hésitants, des opposants déjà prêts à attaquer. Derrière moi, Emma, droite et alerte dans son rôle de chef de la sécurité, observait chaque mouvement avec cette intensité qui lui était propre.

Mais ce soir-là, son regard n'était pas seulement attentif… il était chargé.

J'avais essayé de l'ignorer. De me concentrer sur mes paroles, sur les chiffres, sur les arguments. Mais chaque fois que je levais les yeux, je croisais ses prunelles claires, et ce fut comme une brûlure, une promesse silencieuse qui m'empêchait de respirer normalement.

Le problème, c'est que nous n'étions pas seules.

Ruby, assise à mes côtés, avait perçu quelque chose. Je l'avais senti au moment où son corps s'était légèrement tendu, où son regard s'était brièvement attardé sur moi avant de glisser vers Emma. Un sourcil levé, une expression interrogative qu'elle n'avait pas formulée à voix haute, mais qui flottait dans l'air comme un avertissement silencieux.

Tout cela me mettait sous pression.

Alors ce soir-là, quand Emma entra dans mon bureau après la fin de journée, l'air fatigué mais déterminé, je compris que la conversation que nous repoussions depuis trop longtemps allait enfin avoir lieu.

— Tu es distante avec moi, lâcha-t-elle sans détour, refermant la porte derrière elle.

Je ne levai même pas les yeux de mon dossier.

— Nous sommes au travail.

— Épargne-moi cette excuse, Regina, répliqua-t-elle en avançant. Ce n'est pas le travail qui nous empêche de nous parler. C'est toi.

Son ton était calme, mais chargé d'une frustration contenue. Je pris une inspiration discrète, tentant de garder le contrôle de la situation, de mes émotions, de ce feu qui couvait sous la surface.

— Emma… Nous devons être prudentes.

Elle croisa les bras, me jaugeant longuement.

— Prudentes ou invisibles ? Parce que là, ça ressemble plus à une disparition stratégique qu'à de la prudence.

Je refermai lentement mon dossier avant de lever enfin les yeux vers elle.

— On nous observe, Emma. Et si quelqu'un découvre ce qui se passe entre nous, ce sera utilisé contre moi. Contre toi. Contre ce que nous essayons de faire ici.

Emma soupira, passant une main dans ses cheveux. Elle était tendue, autant que moi, sinon plus.

— Je sais que la politique, c'est un jeu dangereux. Mais je refuse de devenir une ombre dans ta vie.

Je me levai lentement, contournant mon bureau pour réduire la distance entre nous. Je vis son regard suivre chacun de mes mouvements, et quelque chose en moi se serra.

— Tu n'es pas une ombre, Emma, murmurai-je. Mais nous devons être intelligentes. Sinon, ce que nous avons n'aura même pas le temps d'exister.

Elle serra la mâchoire, visiblement partagée entre la compréhension et l'irritation.

Puis, dans un souffle presque rauque, elle demanda :

— Alors dis-moi… quand est-ce que c'est censé devenir plus facile ?

Le silence s'installa, dense, pesant. Je n'avais pas de réponse. Parce que je savais que ce ne serait jamais facile. Pas pour nous. Pas avec ce que j'étais, ce que je représentais, ce que je risquais.

Finalement, Emma soupira, baissant légèrement les épaules, laissant tomber une partie de sa tension.

— Juste… promets-moi que ce n'est pas seulement une parenthèse pour toi.

Je m'approchai encore, jusqu'à ce que nos souffles se mêlent presque. Mon regard s'adoucit, et dans un geste instinctif, mes doigts effleurèrent son poignet, une caresse légère mais significative.

— Ce n'est pas une parenthèse.

Elle me scruta longuement, cherchant dans mes yeux une vérité qu'elle pourrait s'approprier. Puis elle hocha la tête, lentement.

— D'accord.

Un silence s'installa, cette fois plus apaisé. Mais Emma recula d'un pas, reprenant une contenance, ajustant inconsciemment sa veste comme pour se remettre en ordre.

— Je vais rentrer, déclara-t-elle doucement.

Je la regardai quelques secondes avant d'acquiescer.

— Bonne nuit, Emma.

Elle hésita une fraction de seconde, puis un sourire en coin adoucit ses traits.

— Bonne nuit, Madame la Maire.

Et elle disparut, me laissant seule avec cette certitude que nous marchions sur un fil fragile.

Un équilibre précaire, prêt à basculer au moindre faux pas.


Seattle était sous la pluie depuis trois jours. Un rideau gris et glacé noyait la ville, transformant les rues en miroirs liquides où les phares des voitures dansaient en reflets tremblants. L'eau ruisselait sur les trottoirs, transformant les pavés en pièges glissants, alourdissant l'air d'une humidité poisseuse. Le ciel, bas et menaçant, semblait vouloir écraser la ville sous son poids, et chaque coup de tonnerre résonnait comme une mise en garde.

Dans mon bureau, la lumière artificielle diffusait une lueur terne sur les dossiers empilés devant moi. La journée avait été interminable. Une succession de réunions stériles, de débats sans fin avec le conseil municipal, chacun tentant d'imposer son influence sur la reconstruction politique de la ville. Les journalistes ne lâchaient rien, flairant la moindre faille, et les alliés d'hier devenaient les obstacles d'aujourd'hui.

Mais ce soir, un autre souci me hantait, une inquiétude que je n'arrivais pas à chasser, même en me noyant dans le travail.

Emma n'était pas là.

D'ordinaire, elle était toujours dans mon champ de vision, une ombre rassurante, une présence à la fois discrète et inébranlable. Que ce soit lors des réunions ou dans les couloirs de la mairie, son regard perçant trouvait toujours le mien, échange silencieux qui s'était imposé entre nous. Elle anticipait mes mouvements, devinait mes besoins, se tenant toujours à une distance respectable, mais jamais trop loin. Aujourd'hui, ce vide était palpable.

J'avais d'abord cru à une mission urgente, une menace imprévue qui l'aurait mobilisée ailleurs. Mais lorsque Mary Margaret m'avait annoncé avec une légère inquiétude qu'Emma était malade et clouée au lit, une angoisse sourde s'était installée dans ma poitrine.

C'était presque inconcevable. Emma Swan était une force brute, un mouvement perpétuel, toujours prête à encaisser, à répliquer. La savoir affaiblie, alitée, vulnérable, était une idée qui me troublait plus que je ne voulais l'admettre.

J'avais tenté de me concentrer, d'ignorer cette préoccupation qui me tirait sans cesse vers une autre direction que celle de mes responsabilités.

La pluie redoublait d'intensité lorsque je me garai devant son immeuble. L'eau tambourinait contre le pare-brise, créant une brume trouble qui déformait les lumières de la ville. Je coupai le moteur et restai un instant immobile, observant les fenêtres sombres de son appartement. Un frisson me parcourut, mais ce n'était pas seulement dû au froid.

J'aurais pu appeler. J'aurais pu envoyer un message, prévenir de ma visite. Mais je savais qu'Emma, même malade, aurait minimisé son état ou, pire encore, ignoré mon appel sous prétexte que ce n'était "rien".

Alors, j'agis.

Je sortis de la voiture et refermai la portière derrière moi d'un geste sec, serrant mon manteau contre moi en gravissant les marches. Mes talons résonnaient sur le béton humide alors que je montais rapidement les escaliers, l'inquiétude prenant le pas sur mon habituel pragmatisme. Je frappai une première fois.

Une fois.

Pas de réponse.

Une deuxième fois.

Toujours rien.

Mon cœur se serra.

— Emma ?

Je posai la main sur la poignée et la tournai doucement. Déverrouillée.

Je poussai la porte lentement, pénétrant dans l'appartement avec prudence. Une odeur de thé froid et de draps humides flottait dans l'air, mêlée à cette chaleur étouffante que seuls les corps fiévreux dégagent. L'espace était plongé dans une pénombre paisible, à peine troublée par la lumière tamisée filtrant à travers les rideaux.

Et là, sur le canapé, enroulée dans une couverture, Emma dormait profondément.

Je m'approchai, détaillant son visage. Ses joues étaient rouges de fièvre, une fine pellicule de sueur perlant sur son front. Sa respiration était légèrement sifflante, chaque inspiration plus lourde que la précédente. Je me mordis l'intérieur de la joue, luttant contre l'inquiétude grandissante.

Sans réfléchir, je m'agenouillai à côté d'elle et tendis la main, effleurant doucement son front brûlant.

Emma gémit légèrement sous le contact avant d'ouvrir péniblement les yeux.

— Regina ? murmura-t-elle, la voix enrouée.

— Oui, c'est moi.

Elle cligna des yeux plusieurs fois, comme si elle doutait encore de ma présence. Un sourire faible étira ses lèvres.

— T'es venue me surveiller ?

— Disons que j'avais quelques soupçons sur ta capacité à prendre soin de toi-même.

Elle grogna, enfouissant son visage dans l'oreiller avant de soupirer, visiblement trop épuisée pour protester. Je secouai la tête, exaspérée, puis me dirigeai vers la cuisine. J'ouvris les placards à la recherche d'un médicament, trouvant finalement ce dont j'avais besoin dans une boîte en désordre sur le comptoir.

Lorsque je revins, un verre d'eau et un cachet en main, Emma entrouvrit un œil.

— Bois ça.

Elle plissa les paupières, méfiante.

— C'est quoi ?

— De l'arsenic, bien sûr, répondis-je d'un ton sec. Bois.

Un rire rauque lui échappa, suivi d'une toux qui lui coupa le souffle. Elle attrapa néanmoins le verre et avala le comprimé sans discuter davantage.

Un silence s'installa, troublé seulement par sa respiration irrégulière. Elle se laissa retomber contre les coussins, visiblement vidée de ses forces.

— Pourquoi t'es là ? finit-elle par murmurer, la voix à peine audible.

Je pouvais lui mentir, lui dire que j'étais venue simplement vérifier qu'elle allait bien, qu'il ne s'agissait que d'un geste de courtoisie. Mais ce ne serait pas la vérité.

— Parce que je voulais être ici, répondis-je finalement, ma voix plus douce que je ne l'aurais voulu.

Elle esquissa un sourire, ses paupières papillonnant alors que le sommeil la rattrapait.

— T'es mignonne quand tu t'inquiètes.

— Dors, Emma. Avant que je ne te fasse regretter de m'avoir dit ça.

Un léger rire, puis un silence paisible.

Je restai là, à l'observer. À écouter la pluie frapper contre la fenêtre, à sentir le poids de cette nuit qui s'étirait. Je savais que je devrais partir, que je devrais rentrer chez moi, retrouver mon lit froid et vide, prétendre que cette visite n'était qu'une parenthèse.

Mais je savais aussi que je ne le ferais pas.

Parce qu'Emma était là et qu'il n'y avait nulle part ailleurs où je voulais être ce soir.


Les menaces n'avaient jamais été une surprise dans ma carrière. Elles faisaient partie du décor, des risques inhérents au pouvoir, des murmures venimeux qui accompagnaient chaque décision. Je les avais toujours ignorées, les reléguant au rang de bruit de fond, d'inconvénient désagréable mais gérable. Jusqu'à ce matin-là.

Cela avait commencé de manière anodine, presque invisible au milieu du tumulte quotidien. Une journée comme une autre, avec son cortège de dossiers à signer, de réunions interminables et de décisions qui pesaient plus lourd qu'elles n'en avaient l'air. Je parcourais distraitement mon courrier en sirotant mon café, mes pensées déjà tournées vers la réforme en cours qui me valait l'hostilité d'une partie du conseil municipal.

Puis, mon regard s'arrêta sur une enveloppe blanche, banale, sans timbre ni expéditeur.

Un froncement de sourcils. Une hésitation d'à peine une seconde. Puis, du bout des doigts, j'en déchirai le haut.

Quelques mots tracés à l'encre noire.

"Vous croyez avoir gagné. Vous n'avez fait que signer votre arrêt de mort."

Le froid qui s'insinua le long de mon échine ne devait rien à la climatisation trop forte de mon bureau. Mon souffle se suspendit un instant, mes doigts se refermèrent imperceptiblement sur le papier.

J'avais déjà reçu des menaces. Mais celle-ci était différente. Elle n'avait rien de ces insultes impulsives envoyées par des citoyens mécontents. Elle était concise, clinique, sans emphase inutile. Une certitude plus qu'un avertissement.

Je relevai la tête, mes yeux balayant rapidement la pièce. Ruby, concentrée, classait des dossiers. Mary Margaret lisait un rapport, une main distraite posée sur son menton. Les autres employés allaient et venaient, absorbés par leur routine.

Personne n'avait rien remarqué.

La logique aurait voulu que j'alerte immédiatement la sécurité. Que je montre la lettre à Emma, que je fasse renforcer ma protection.

Je n'en fis rien.

D'un geste mesuré, je repliai la lettre et la glissai dans un tiroir que je refermai avec calme. Mon expression demeura impassible. Montrer le moindre signe de faiblesse, c'était accorder un pouvoir à celui ou ceux qui avaient écrit ces mots. Et cela, je ne pouvais me le permettre.

Deux jours plus tard, une deuxième lettre m'attendait.

Même écriture. Même anonymat.

"Vous avez détruit ce que nous avons mis des années à construire. Vous allez le payer."

Cette fois, la boule qui se forma dans mon estomac refusa de disparaître. Quelqu'un voulait me faire comprendre que la guerre n'était pas terminée. Que les cendres de Magnani n'avaient pas suffi à éteindre le brasier qu'il avait nourri.

Mais encore une fois, je gardai le silence.

Ce fut Emma qui perça la première faille dans mon armure.

— T'es étrange, en ce moment.

Je relevai les yeux de mon dossier, effaçant aussitôt mon trouble. La nuit était tombée sur la ville, et nous étions seules dans mon bureau, un scénario devenu trop fréquent ces derniers jours. Je m'efforçai d'afficher mon masque habituel, celui que j'avais peaufiné au fil des années.

— Je vais bien.

— Non.

Son ton était sans appel. Elle s'appuya contre le bord du bureau, croisant les bras, son regard ancré au mien avec cette intensité troublante qui me donnait toujours envie de détourner les yeux.

— T'es plus tendue que d'habitude. Plus sur la défensive. Y'a quelque chose que tu me caches.

Je pris une inspiration mesurée, choisissant soigneusement mes mots.

— Je gère simplement trop de choses en ce moment.

— Regina.

Ce n'était pas une question, c'était un avertissement. Emma ne lâchait jamais quand elle flairait un mensonge.

— Tu veux jouer à ça ?

— Je veux que tu me dises la vérité.

Je la connaissais trop bien. Assez pour savoir qu'elle ne me laisserait pas m'en sortir avec une esquive.

L'espace d'un instant, je fus tentée.

Lui dire que quelqu'un dans l'ombre tentait de me déstabiliser. Que le combat n'était pas terminé, que l'ennemi n'avait pas disparu avec Magnani. Lui avouer que, pour la première fois depuis longtemps, j'évaluais chaque déplacement, chaque ombre dans mon sillage avec une prudence accrue.

Mais je ne pouvais pas l'impliquer là-dedans.

Alors, je lui offris un sourire maîtrisé, une réponse calculée.

— Je sais et c'est ce que je fais.

Emma me scruta encore un instant, cherchant une fissure dans mon masque. Mais j'étais trop douée pour en laisser transparaître une.

Finalement, elle soupira, recula d'un pas, comme si elle acceptait temporairement la défaite.

— D'accord. Mais si tu me mens…

— Je ne mens pas, coupai-je doucement.

C'était faux.

Mais c'était nécessaire.


La nuit était tombée depuis longtemps sur Seattle, enveloppant la ville dans une chape d'obscurité percée seulement par la lueur diffuse des lampadaires et le ronronnement lointain des voitures. Le vent sifflait entre les immeubles, transportant avec lui la bruine fine typique des fins de soirée.

Le bureau était désert. Seul le cliquetis de mon stylo contre le bois poli du bureau brisait le silence pesant. Ruby et Mary Margaret avaient insisté pour que je rentre, me rappelant que travailler jusqu'à l'épuisement ne ferait que me rendre plus vulnérable face à mes détracteurs. Mais je n'avais pas cédé. Je ne cédais jamais.

Un énième rapport s'étalait sous mes yeux fatigués, les chiffres et les paragraphes s'emmêlant devant mon regard trop las pour encore les déchiffrer. Mon dos protesta lorsque je m'étirai légèrement, roulant mes épaules pour chasser la tension accumulée. J'aurais dû partir. J'aurais dû écouter Ruby.

Puis, un bruit sourd.

À peine perceptible, mais suffisant pour que chaque muscle de mon corps se tende instantanément.

Un frisson me remonta l'échine alors que mon regard se posait sur la porte entrouverte. Je ne l'avais pas laissée ainsi. Je le savais avec certitude.

Quelque chose n'allait pas.

L'instinct prit le dessus. Lentement, je me levai, mes talons résonnant à peine sur le parquet. Mon bureau était en hauteur, l'accès limité en dehors des heures de service. Personne ne devait être ici. Personne ne pouvait être ici.

Et pourtant…

Une ombre se glissa dans l'encadrement de la porte.

Trop rapide. Trop furtive.

Le temps sembla ralentir.

Un souffle. Une anticipation viscérale.

Puis, la tempête s'abattit sur moi.

L'impact fut brutal. Un coup sec, inattendu, me propulsa en arrière. Mon dos heurta violemment la bibliothèque derrière moi, envoyant valser des dossiers et des livres dans un fracas assourdissant. Un cri étouffé s'échappa de mes lèvres alors qu'une main froide et implacable se referma sur ma gorge, me clouant contre le bois.

— Vous auriez dû arrêter de jouer les héroïnes, Madame la Maire.

Une voix rauque, sifflante. Comme un serpent prêt à frapper.

Je luttais pour respirer, mon esprit tournant à toute vitesse malgré l'adrénaline qui brouillait mes pensées. Mon corps se débattait, mais la poigne était ferme, calculée. Mon assaillant savait exactement où appuyer pour couper mon souffle sans m'étrangler complètement. Une menace. Un avertissement.

Mais je n'étais pas une victime.

Je ne le serais jamais.

D'un mouvement rapide, je rassemblai toute la force dont j'étais capable et envoyai mon genou dans l'abdomen de mon agresseur. Un grognement de douleur résonna. La pression sur ma gorge se relâcha à peine, mais c'était suffisant.

Je profitai de l'ouverture pour frapper.

Mon poing s'écrasa contre sa mâchoire avec toute la précision que j'avais acquise au fil des cours de self défense. Je n'étais peut-être pas une combattante entraînée comme Emma, mais j'avais appris à me défendre. Mon coude suivit, frappant son thorax avec force. Il recula d'un pas, surpris.

Je ne lui laissai pas le temps de reprendre son équilibre.

Ma main chercha instinctivement un objet lourd. Mes doigts rencontrèrent la base en métal froid de la lampe de bureau. Sans hésitation, je la brandis et l'abattis contre sa tête.

Le choc fit vaciller mon agresseur, mais il était coriace.

Il se redressa rapidement et, dans un éclair d'acier, je vis la lame luire sous la lumière tamisée de mon bureau.

— Mauvais choix, souffla-t-il avant de se jeter sur moi.

L'espace d'un battement de cœur, tout sembla suspendu.

Puis, je réagis.

D'un mouvement vif, j'esquivai sur le côté. La lame frôla mon flanc, tranchant le tissu de ma veste sans m'atteindre. Mon cœur battait à tout rompre, mais mon corps répondait avec un instinct que je n'aurais jamais cru posséder.

Je saisis son poignet et le tordis violemment. Un cri s'échappa de ses lèvres alors que le couteau tombait au sol dans un bruit métallique.

Je n'hésitai pas.

Utilisant mon poids, je le déséquilibrai et, d'un mouvement précis, l'envoyai s'écraser contre mon propre bureau. Il grogna sous l'impact, sonné, mais pas vaincu.

Ma respiration était saccadée, mon corps en alerte, l'adrénaline pulsant dans mes veines. Je reculai légèrement, cherchant une solution, une sortie, un moyen de m'assurer qu'il ne puisse pas se relever.

Il tenta de bouger.

Je fus plus rapide.

Attrapant une chaise, je la renversai brutalement contre son torse, l'écrasant au sol. Il se débattit, mais je plaquai mon genou contre lui, immobilisant son corps avec toute la force dont j'étais capable.

— Vous avez fait une erreur en venant ici, soufflai-je, ma voix tremblante d'une rage contenue.

Un rictus déforma son visage avant qu'il ne tombe dans l'inconscience. J'étais soulagé.

Puis, soudainement, une douleur fulgurante explosa dans ma tête. Mon champ de vision se rétrécit, les contours de la pièce devenant flous. Mon sang pulsait à mes tempes, un bourdonnement assourdissant noyant mes pensées.

Je devais me relever.

Je devais…

Ma main se crispa sur le bureau, tentant de me stabiliser, mais mes forces me quittaient.

Je voulus bouger.

Trop tard.

Le monde tangua violemment autour de moi.

Puis, le noir total.

Un bruit lointain.

Un écho dans le néant.

Tout était flou, brumeux, comme si mon esprit se débattait dans une mer d'obscurité sans fin. Mon corps semblait engourdi, chaque terminaison nerveuse noyée sous une chape de douleur sourde et persistante. J'étais consciente, quelque part, d'un poids sur ma poitrine, d'une chaleur diffuse le long de mon côté, d'un battement sourd qui pulsait dans mon crâne comme une alarme lointaine.

Mais mes membres refusaient de bouger.

Combien de temps étais-je restée là ?

Puis, une voix.

— Regina ? Oh mon dieu… Regina !

Le son me frappa comme une onde de choc. Quelqu'un était là.

J'essayai de répondre, de bouger, d'ouvrir les yeux. Rien. Comme si mon propre corps m'avait trahie, comme si j'étais enfermée dans ma propre chair, spectatrice impuissante de la scène qui se jouait autour de moi.

Puis, une main. Chaude, pressante. Une secousse soudaine qui envoya une nouvelle vague de douleur irradier tout mon corps. L'agonie d'un réveil forcé.

— Regina, ouvre les yeux, s'il te plaît !

Je sentis une pression insistante sur mon poignet, des doigts tremblants cherchant à capter un signe de réponse, quelque chose qui prouverait que j'étais toujours là, ancrée dans la réalité.

Mon corps sembla enfin comprendre l'urgence. Dans un effort titanesque, je parvins à entrouvrir les paupières.

La lumière fut brutale.

Tout était flou, déformé par la douleur et la confusion. Des taches sombres dansaient devant mes yeux, le plafond au-dessus de moi semblait osciller comme un mirage. Peu à peu, les contours devinrent plus nets.

Mary Margaret.

Son visage apparut au-dessus de moi, blanche comme un linge, ses traits figés dans une expression d'angoisse pure. Ses yeux, agrandis par la peur, balayaient mon visage, cherchant désespérément une réponse, une étincelle de conscience.

— Tu es avec moi ? demanda-t-elle d'une voix tremblante.

Je tentai de parler, mais ma gorge était sèche, douloureuse. Un goût métallique m'emplissait la bouche, et lorsque j'essayai d'avaler, une pointe fulgurante de douleur me fit grimacer. Mon souffle était court, chaque respiration un effort douloureux.

L'arrière de ma tête battait comme si un marteau s'acharnait contre mon crâne. Mon flanc pulsait, une chaleur inquiétante se répandant sous mes vêtements. Pourtant, malgré la douleur, malgré l'inertie de mes membres, je parvins à articuler une phrase, un murmure rauque qui m'échappa malgré moi :

— Il est encore là ?

Mary Margaret tressaillit légèrement, mais elle posa immédiatement ses mains sur mes bras, me maintenant en place.

— Il est menotté. La sécurité est en route. Tout va bien.

Tout allait bien.

Une étrange ironie.

Je pris une inspiration tremblante, tentant de calmer les frissons involontaires qui me secouaient. Mon regard chercha à se stabiliser, à analyser la scène qui m'entourait.

— Qu'est-ce qui s'est passé ? continuai-je d'une voix plus faible.

Mary Margaret serra les lèvres, son regard glissant vers l'autre côté de la pièce.

Je suivis son regard et mon estomac se retourna.

L'homme était là.

Allongé sur le sol, les poignets attachés par des menottes de fortune – probablement avec ce que Mary Margaret avait trouvé sur place. Son visage était couvert de sang, mais il était conscient. Son regard…

Un frisson me parcourut.

Ce n'était pas un regard de peur, ni même de douleur.

C'était de la haine pure.

Un frisson me parcourut l'échine alors que l'adrénaline encore présente dans mon système se déversait en un dernier soubresaut, rendant mes doigts crispés et mes muscles douloureux.

J'avais gagné.

Mais à quel prix ?

— Tu as réussi à le maîtriser seule… mais tu t'es effondrée juste après. Je suis arrivée cinq minutes plus tard.

Cinq minutes.

Un souffle d'écart entre la victoire et l'inconscience. Un battement de cœur de trop.

Je tentai de bouger, mais mon corps protesta immédiatement. Je me rendis compte que mes mains tremblaient, que mes muscles refusaient de répondre correctement. Ma vision se brouilla à nouveau, et je sentis Mary Margaret raffermir sa prise sur moi.

— Emma doit être prévenue, dis-je lentement.

Mary Margaret hocha immédiatement la tête.

— Elle est déjà en route. Elle va me tuer d'avoir attendu aussi longtemps avant de l'appeler.

Un rire nerveux m'échappa, aussi court que douloureux. Une grimace me traversa le visage alors que la douleur irradiait à nouveau mon flanc.

— Elle va me tuer moi, surtout.

Mary Margaret ne répondit pas.

Mais dans ses yeux, je vis une inquiétude qui dépassait de loin ce moment précis.

Un silence s'installa, seulement troublé par le bruit lointain des sirènes qui approchaient.

Je savais ce qu'elle pensait.

Ce n'était pas un simple incident.

Ce n'était pas une tentative isolée.

C'était un message.

Et je commençais à peine à en mesurer l'ampleur.

Les sirènes résonnaient encore lorsque la porte de mon bureau s'ouvrit brusquement, heurtant le mur dans un claquement sec.

Emma.

Son regard, d'abord alerte, balaya la pièce en une fraction de seconde, absorbant chaque détail, chaque ombre, chaque trace du chaos qui s'était déroulé ici. Son regard s'arrêta sur les papiers renversés, les traces de lutte, et enfin sur moi. Et là, je vis quelque chose que je n'avais jamais vu chez elle.

De la peur.

Un frisson me parcourut en comprenant l'intensité de cette émotion gravée sur son visage. Emma Swan, qui affrontait les pires dangers avec son insouciance provocante, qui trouvait toujours une réplique cinglante même sous pression, était pétrifiée. Elle avait la respiration courte, le regard agrandi par une panique qu'elle essayait de contenir.

Elle traversa la distance qui nous séparait à grandes enjambées, ignorant la présence de Mary Margaret et des agents de sécurité qui s'occupaient d'emmener mon agresseur, de prendre des photos de la scène, de recueillir des témoignages. Elle ne voyait que moi.

— Regina…

Un murmure rauque, étranglé.

Sans la moindre hésitation, elle s'agenouilla à mes côtés, ses mains trouvant immédiatement mes bras, puis mon visage, effleurant ma peau comme si elle voulait s'assurer que j'étais bien réelle, que je n'allais pas disparaître sous ses doigts. Ses paumes étaient chaudes contre ma peau glacée, son toucher fébrile.

Je tentai un sourire. Il se transforma en une grimace lorsqu'un frisson incontrôlable me traversa.

— Je vais bien, articulai-je, ma voix plus faible que je ne l'aurais voulu.

Emma ne répondit pas immédiatement. Son regard détailla chaque blessure, s'attarda sur l'arrière de ma tête où la douleur pulsait avec une intensité brûlante. Elle laissa lentement glisser ses doigts à cet endroit, et son expression changea. Se durcit.

— Tu saignes, lâcha-t-elle d'une voix tendue.

Elle essayait de contenir sa colère, mais je la sentais gronder sous la surface, prête à exploser. Sa respiration était rapide, ses lèvres pincées, son regard assassin fixé sur moi.

— Ce n'est pas aussi grave que ça en a l'air, tentai-je d'un ton plus léger.

— Ne me sors pas ce genre de conneries, Regina.

Sa mâchoire se contracta violemment. Elle détourna les yeux une seconde, cherchant manifestement à reprendre le contrôle sur elle-même avant de reporter toute son attention sur moi.

Mary Margaret, qui était restée silencieuse jusque-là, intervint doucement.

— Elle a réussi à se défendre. Elle l'a maîtrisé toute seule.

Emma tourna brusquement la tête vers elle, et je vis ses poings se serrer.

— Elle n'aurait jamais dû avoir à le faire toute seule.

Son regard brûlant me revint aussitôt, aussi tranchant qu'une lame.

— Pourquoi je n'étais pas au courant des menaces ? demanda-t-elle, sa voix froide et implacable.

Mon estomac se serra.

Je savais que cette question allait venir.

Je soupirai, baissant un instant les yeux. Je pouvais presque sentir la tension qui irradiait d'Emma, cette fureur sourde qui l'envahissait à chaque seconde de silence.

— Parce que ça n'aurait rien changé, admis-je finalement, d'une voix presque inaudible.

Emma serra les dents, son souffle s'accélérant sous l'effet de la frustration.

— Rien changé ?

Elle laissa échapper un rire amer, sans la moindre trace d'humour.

— Regina, tu as failli te faire tuer ! Comment peux-tu encore penser que garder ça pour toi était une bonne idée ?

— Parce que si je t'en avais parlé, tu aurais réagi exactement comme tu es en train de le faire maintenant, répliquai-je, retrouvant un semblant de fermeté dans ma voix.

Un silence tendu s'abattit entre nous.

Emma me fixa, et dans ses yeux, je vis une tempête d'émotions contradictoires. Elle était en colère. Contre moi. Contre elle-même. Contre cette situation qu'elle n'avait pas pu contrôler.

Mais derrière cette rage, il y avait autre chose.

De l'inquiétude.

Et ça, c'était bien plus dangereux.

Elle inspira profondément avant de souffler d'une voix plus calme, mais encore chargée d'émotion :

— Je refuse que tu passes au second plan de ta propre sécurité, Regina.

Je savais que j'aurais dû la rassurer, lui promettre que je ferais plus attention, que je ne prendrais plus de risques inconsidérés.

Mais au lieu de ça, je laissai échapper une phrase que je regrettai aussitôt.

— C'est le prix à payer.

Emma se figea.

Je vis ses traits se crisper, son regard s'assombrir.

— Le prix à payer ? répéta-t-elle lentement, comme si elle avait du mal à croire ce qu'elle venait d'entendre.

Elle secoua la tête, incrédule.

— Regina, il ne s'agit pas d'un jeu politique. Il s'agit de ta vie.

— Ma vie est politique, Emma, répondis-je, plus durement que prévu.

Le silence qui suivit fut glacial.

Emma se redressa lentement, se passant une main nerveuse sur le visage, comme si elle luttait contre un flot de pensées qu'elle ne voulait pas exprimer.

Puis, elle murmura presque pour elle-même :

— Je ne peux pas…

Un frisson d'appréhension parcourut mon échine.

— Tu ne peux pas quoi ? demandai-je, malgré moi.

Elle releva les yeux vers moi, et ce que j'y vis me coupa le souffle.

— Je ne peux pas continuer à regarder la personne que j'aime se jeter tête baissée dans la gueule du loup sans rien pouvoir faire.

Le temps sembla s'arrêter.

Emma venait de poser des mots sur quelque chose que nous avions toujours soigneusement évité.

Nous avions tourné autour, nous l'avions insinué, mais jamais nous ne l'avions dit clairement.

J'ouvris la bouche, mais aucun son n'en sortit.

Je n'étais pas prête.

Je ne savais pas comment répondre à ça.

Emma expira lentement, comme si elle venait elle-même de réaliser ce qu'elle venait d'avouer.

Elle recula d'un pas, secouant légèrement la tête.

— Repose-toi, Regina.

Sa voix était plus froide. Plus distante.

Je ne l'avais jamais vue aussi… brisée.

Elle se détourna et quitta la pièce avant que je ne puisse la retenir.

Et moi, je restai là, mon cœur battant encore trop fort, le goût amer de cette conversation suspendu dans l'air.

Je venais peut-être de franchir une ligne que je ne pourrais jamais effacer.


L'ambulance avait disparu depuis longtemps, ne laissant derrière elle que l'écho lointain des sirènes dans la nuit. Les rues de Seattle étaient silencieuses, presque trop calmes après l'agitation de ces dernières heures. La pluie fine qui tombait encore rendait l'air plus lourd, presque suffocant. Chaque gouttelette frappait le bitume dans un murmure continu, comme si la ville elle-même retenait son souffle.

Mary Margaret me raccompagna chez moi en silence, ses mains crispées sur le volant, son regard pesant sur moi plus que je ne voulais l'admettre. Je savais ce qu'elle pensait. Elle ne disait rien, mais les questions brûlaient sur ses lèvres, prêtes à exploser à tout instant. Plusieurs fois, elle ouvrit la bouche comme si elle allait parler, mais se ravisa.

— Tu devrais te reposer.

Je hochai la tête, trop fatiguée pour argumenter.

— Merci, Mary Margaret.

Elle hésita un instant, son regard oscillant entre la compassion et une inquiétude plus profonde. Puis, sans un mot de plus, elle tourna les talons et disparut dans la nuit, me laissant seule face à mon propre silence.

Je restai là, immobile dans l'entrée de mon appartement, écoutant le vide qui s'installait autour de moi.

Tout était trop calme. Trop froid.

Le contraste avec l'adrénaline de ces dernières heures était brutal. Je retirai lentement ma veste, grimaçant lorsque la douleur dans mon épaule se réveilla. L'adrénaline s'estompait peu à peu, ne laissant derrière elle qu'une fatigue écrasante et une brûlure diffuse dans chaque muscle. Mais ce n'était pas ça qui me pesait le plus.

Les mots d'Emma tournaient en boucle dans mon esprit, me poursuivant comme un spectre dont je ne pouvais me débarrasser.

"Je ne peux pas continuer à regarder la personne que j'aime se jeter tête baissée dans la gueule du loup sans rien pouvoir faire."

Je laissai échapper un rire sans joie, secouant la tête. Elle l'avait dit au travail. Devant Mary Margaret. Sans détour. Sans échappatoire.

Est-ce qu'elle avait perdu patience à ce point ?

Ou pire… est-ce que c'était sa manière de dire qu'elle en avait fini avec moi ?

Un poids écrasant s'abattit sur ma poitrine. Pas après tout ce que nous avions traversé.

Je voulais croire que c'était une réaction à chaud, une impulsion due à la peur et à la colère, mais une part de moi savait que ce n'était pas aussi simple. Je l'avais poussée à bout. J'avais bâti cette distance entre nous, brique après brique, en prétendant que tout cela était nécessaire, que je pouvais gérer seule.

Et maintenant, elle me glissait entre les doigts.

Un frisson glacé me traversa alors que je me laissai tomber sur le canapé, mes doigts serrant nerveusement le tissu de mon pantalon. Mon regard dériva vers mon téléphone, abandonné sur la table basse. L'écran affichait plusieurs appels manqués, et un en particulier attira mon attention.

Le gouverneur.

Il avait tenté de me joindre à plusieurs reprises ces derniers jours, et j'avais systématiquement ignoré ses appels. Mais ce soir…

Je tendis la main et attrapai le téléphone. Avant de pouvoir me convaincre du contraire, je composai son numéro et portai l'appareil à mon oreille.

Deux sonneries.

— Madame la Maire, enfin.

Sa voix était posée, mais il y avait une pointe de tension sous-jacente, un mélange d'expectative et d'impatience.

— Désolée de ne pas avoir répondu plus tôt, répondis-je, la voix plus rauque que je ne l'aurais voulu.

— J'espère que vous allez bien. J'ai entendu parler de l'incident de ce soir.

Bien sûr qu'il avait entendu. Tout ce qui me concernait finissait toujours par remonter jusqu'à lui.

— Je vais bien, dis-je simplement.

Un silence. Puis, il enchaîna :

— J'avais besoin de vous parler d'une proposition. Une opportunité.

Je fermai brièvement les yeux, sentant déjà où cette conversation allait me mener.

— Je vous écoute.

— Il est temps que vous envisagiez l'étape suivante.

Je restai silencieuse, attendant qu'il développe.

— Seattle est en reconstruction, et vous êtes au cœur de ce changement. Votre combat contre la corruption, votre gestion de la crise… tout cela ne passe pas inaperçu. Vous avez prouvé que vous êtes capable de bien plus qu'une simple fonction locale.

Je laissai échapper un léger rire amer.

— Et vous voudriez que je vise plus haut ?

— Exactement.

Il y eut un bref silence, puis il ajouta, plus doucement :

— Vous savez aussi bien que moi que rester maire ne suffira pas. Vous êtes faite pour autre chose, Regina. Je vous propose un poste de Sénatrice à Washington DC.

Un frisson parcourut ma colonne vertébrale.

Je n'étais pas stupide. Je savais ce qu'il sous-entendait.

Une carrière plus grande. Plus d'influence. Plus de pouvoir.

Mais aussi… plus de dangers.

Je rouvris les yeux et fixai mon reflet dans la vitre sombre du salon. Mon visage était fatigué, marqué par les événements de la soirée, mais une lueur froide persistait dans mon regard. L'ambition. L'instinct de survie.

Emma serait furieuse si elle apprenait ça.

Elle me reprochait déjà de mettre ma vie en danger. Si je décidais de suivre cette voie, elle comprendrait que je ne comptais pas ralentir. Que je n'avais pas l'intention d'arrêter de me battre.

Et si elle ne pouvait pas supporter ça ?

Si elle choisissait de partir pour de bon ?

Mon cœur se serra douloureusement à cette pensée. Une vie sans elle…

— Regina ?

La voix du gouverneur me ramena au présent.

Je pris une inspiration profonde.

— Je vais y réfléchir.

Un sourire s'entendit presque à travers le combiné.

— C'est tout ce que je vous demande. Prenez le temps qu'il vous faut.

Je raccrochai, mais l'impression d'avoir franchi une nouvelle ligne ne me quitta pas.

J'avais une décision à prendre.

Et cette fois, elle n'affecterait pas seulement ma carrière.

Elle affecterait tout.


TBC :

Va t'elle accepter le poste de Sénatrice à Washington DC ?

Est-ce vraiment fini entre Régina et Emma ?

Si jamais elle part est-ce qu'elle l'a suivra ?

J'espère que cette suite vous aura plu ! Il reste encore un chapitre ou deux et ensuite ça sera la fin.